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Les oeuvres de Bernard Lonergan |
Introduction
En cherchant à élaborer son concept de verbum, Thomas d’Aquin s’est efforcé non seulement d’adapter une création augustinienne originale à un cadre aristotélicien, mais il a voulu aussi, quoique de loin et implicitement, réunir ce qui peut nous paraître si disparate : une phénoménologie du sujet et une psychologie de l’âme. Le cadre aristotélicien a de quoi impressionner. Il intègre, premièrement une théorie générale de l’être, une métaphysique. Deuxièmement, une théorie générale du mouvement, une physique au sens ancien de ce terme. Troisièmement, une théorie générale de la vie, une biologie. Et, quatrièmement, une théorie générale de la sensibilité et de l’intelligence, une psychologie. Puisque les premiers composants de ce cadre sont généraux, les derniers sont cumulatifs et non pas purs. Puisque les mouvements existent, les énoncés physiques ne sont pas uniquement physiques ; ce sont des déterminations ajoutées à des énoncés métaphysiques. Puisque les choses vivantes se meuvent, les énoncés biologiques ne sont pas seulement biologiques ; ce sont des déterminations ajoutées aux énoncés métaphysiques et physiques. Puisque les êtres doués de sensibilité et d’intelligence sont vivants, les énoncés psychologiques ne sont pas purement psychologiques ; ils présupposent et emploient et déterminent ce qui a déjà été établi en métaphysique, en physique et en biologie. Le recours à un tel cadre a conféré à la pensée aristotélicienne sa formidable cohérence et sa grande portée. La connexion de chaque partie avec toutes les autres empêchait les simples révisions de détail. Comme le soulignait le professeur Butterfield, pour corriger effectivement Aristote, il faut le dépasser ; et ce dépassement exige la création d’un système de portée égale qui ait une plus grande cohérence interne et soit plus conforme aux faits[1]. Cet effort a été déployé en fait de deux manières très différentes. Certains ont répudié ouvertement Aristote, notamment dans la science moderne et une grande partie de la philosophie moderne. D’autres ont entrepris la démarche plus délicate de subsumer les positions aristotéliciennes, de sorte à les développer et les transformer au point où il devenait possible d’y intégrer d’autres doctrines plus profondes. Telle fut la méthode de Thomas d’Aquin, et notre propos immédiat sera de découvrir chez Aristote le point d’insertion de la pensée augustinienne. Cet objectif n’exige pas un discernement difficile. J’ai distingué plus haut quatre composantes du cadre aristotélicien. Je dois tout de suite ajouter que, en un sens, la distinction entre la troisième et la quatrième, entre la biologie et la psychologie, n’est pas aussi claire, aussi tranchée, aussi pleinement développée qu’on pourrait le désirer. Car le Traité de l’âme d’Aristote concerne à la fois la biologie et la psychologie. Il ne confond pas les plantes, les animaux et les humains. Par ailleurs, il ne réussit pas à faire ressortir effectivement la différence essentielle entre une exploration de la vie végétative et une exploration de l’esprit humain ; il fait ressortir encore moins les implications méthodologiques de cette différence essentielle. Le Traité de l’âme concerne naturellement l’âme. Le nauta in navi [le pilote] platonicien suggère le sujet, il en va autrement de l’âme aristotélicienne. Elle est un principe interne, constituant la vie. Elle est définie comme l’acte premier d’un corps organique[2]. Elle se trouve dans tous les corps organiques, dans les plantes tout autant que dans les animaux et les humains. En outre, une seule et même méthode est élaborée pour déterminer les différences des âmes et ainsi explorer chaque espèce du genre. Les âmes se différencient par leurs puissances ; les puissances sont connues par leurs actes ; les actes sont spécifiés par leurs objets[3]. Mais qu’entend-on par un objet? Voilà la question décisive. Car la signification donnée au terme « objet » déterminera la spécification donnée aux actes; la spécification des actes déterminera la distinction entre les puissances ; et la distinction entre les puissances déterminera les différences essentielles entre les âmes des végétaux, des animaux et des humains. Les lecteurs modernes pourraient penser qu’Aristote doit naturellement entendre par objet le terme intentionnel d’un acte conscient. Or Thomas d’Aquin était tout à fait manifestement d’un autre avis. Dans son commentaire il définit les objets en fonction, non pas de l’intentionnalité, mais de la causalité : un objet est soit la cause efficiente, soit la cause finale, de l’occurrence d’un acte dans une puissance[4]. Et il n’est pas facile d’être en désaccord avec Thomas d’Aquin. Il va au-delà de ce qui est dit explicitement dans le texte. Mais comme le révèle le livre des définitions dans la Métaphysique[5], Aristote a utilisé son terme désignant l’objet, antikeimenon, dans une grande variété de sens. Dans le contexte immédiat du Traité de l’âme il donne des exemples d’objets non seulement en référant au sensible et à l’intelligible, qui sont les termes intentionnels des actes conscients, mais aussi en invoquant les nutriments, qui, s’agissant des végétaux, ont une relation non pas intentionnelle mais seulement causale avec les actes. Ici se profile le problème que j’ai déjà mentionné. Personne ne déplorera qu’Aristote n’ait pas employé des techniques introspectives dans son étude de la vie végétale. Mais on pourrait se plaindre qu’une méthode adaptée à l’étude des végétaux soit employée seule dans l’étude de la sensibilité et de l’intelligence humaines. S’il est vrai que les objets de l’activité végétale sont d’ordre causal, il reste que les objets de l’activité sensible et intellectuelle sont également intentionnels. Si les actes végétatifs ne sont pas accessibles à l’introspection, les actes sensibles et intellectuels font partie des données immédiates de la conscience ; l’accès à ces actes peut se réaliser non seulement par déduction à partir de leurs objets, mais aussi directement puisqu’ils sont présents dans la conscience. Enfin, une étude par introspection des actes conscients permet de découvrir non seulement les actes et leurs termes intentionnels, mais également le sujet qui déploie la visée (intending), et alors se pose le problème de la relation du sujet à l’âme, de la mens (l’esprit) ou de l’animus (l’âme comme principe des passions) augustinienne à l’anima (l’âme comme principe de vie) aristotélicienne. Dans les cercles scolastiques, une telle problématique (Problematik) est contemporaine et inédite pour un grand nombre, mais manifestement ni Aristote ni Thomas d’Aquin ne l’a traitée de manière satisfaisante. Cela ne veut pas dire évidemment qu’ils ont anticipé le positivisme et le béhaviorisme en évitant systématiquement de recourir à l’introspection ou aux données de la conscience. Comme nous le verrons, Thomas d’Aquin a fait appel explicitement à l’expérience interne et je crois pouvoir dire que l’explication par Aristote de la compréhension, de l’insight dans le phantasme, et son affirmation que l’intellect se connait lui-même, non pas par un species (une idée) de lui-même, mais par un species de son objet, témoignent d’une exactitude si surprenante qu’elle révèle forcément une grande habileté introspective. Mais si Aristote et Thomas d’Aquin ont eu recours à l’introspection de façon si brillante, ils n’ont tout de même pas thématisé ce recours, et ne l’ont pas porté au niveau d’une technique élaborée réflexivement, ils n’ont pas établi une méthode appropriée pour la psychologie, ni posé de ce fait les fondements des distinctions contemporaines entre la nature et l’esprit et entre les sciences naturelles et les sciences humaines. Quant à Augustin, il s’est converti, passant de la nature à l’esprit, lui qui, par la grâce de Dieu, est devenu intentionnellement qui il était : un sujet qui peut être étudié mais qui, surtout, doit être rencontré dans la manifestation et la communication de son être. Sa pensée sur le verbum s’est déployée dans un propos trinitaire, sur fond de préoccupation anti-arienne. Le prologue du quatrième Évangile devait par conséquent être purifié de toute implication arienne. A cette fin, Augustin n’a pas eu recours à nos techniques contemporaines d’histoire linguistique et littéraire. Il n’a pas cherché à offrir une traduction nouvelle du mot grec logos mais a plutôt conservé le terme traditionnel verbum. La tradition de l’Église interdisait peut-être tout appel à la distinction stoïcienne entre verbum prolatum et verbum insitum (verbe exposé, verbe greffé)[6]. Quoi qu’il en soit, il a opéré un ciblage entre ces termes stoïciens pour cerner un troisième terme, verbum, qui n’était ni le verbum prolatum du discours humain ni le verbum insitum de la rationalité innée de l’être humain, mais une notion intermédiaire, verbum intus prolatum. Naturellement, puisque sa découverte s’inscrivait dans la connaissance que l’esprit d’Augustin avait de lui-même, il a prié ses lecteurs de regarder à l’intérieur d’eux-mêmes et d’y découvrir la parole de l’esprit dans l’esprit, un verbum intérieur antérieur à toute utilisation du langage, et toutefois distinct tant de l’esprit lui-même et de sa mémoire que de son appréhension actuelle des objets. Certes, je ne peux rendre justice ici à la richesse de la pensée d’Augustin ou à la variété de son expression[7], mais du moins je pourrai illustrer mon propos en citant, arbitrairement, et en commentant un passage de ce texte : Ainsi ces diverses connaissances que l’âme perçoit ou par elle-même, ou par les sens du corps, ou par le témoignage des autres, elle les renferme dans le trésor de sa mémoire, et c’est de là qu’est engendré le Verbe vrai, quand nous disons ce que nous savons, mais verbe antérieur à tout son, à toute pensée de son. Alors le verbe est parfaitement semblable à l’objet connu, qui engendre même son image, puisque la vision de la pensée naît de la vision de la science : verbe qui n’appartient à aucune langue, verbe vrai d’une chose vraie, n’ayant rien de lui-même, mais tenant tout de la science dont il naît. Peu importe le moment où celui qui exprime ce qu’il sait, l’a appris; quelquefois il parle aussitôt qu’il sait; l’essentiel est que le verbe soit vrai, c’est-à-dire né de choses connues[8]. Dans ce passage, le verbum augustinien énonce la vérité de manière non linguistique. Il diffère d’une expression en un langage quelconque, car il « n’appartient à aucune langue ». Il est dérivé et non pas primitif : il « est parfaitement semblable à l’objet connu, qui engendre même son image », il « naît… de la science ». Sa dépendance est totale : « n’ayant rien de lui-même, mais tenant tout de la science dont il naît ». Cette dépendance totale n’est pas aveugle ou automatique, mais consciente et cognitive : « nous disons ce que nous savons » ; « la vision de la pensée nait de la vision de la science » ; il « exprime ce qu’il sait ». Enfin, cette dépendance totale en tant que consciente et connue est le point essentiel. Il est indifférent que le verbum ait son fondement dans la mémoire ou dans une connaissance acquise récemment. Ce qui compte, c’est sa vérité, sa correspondance avec les choses en tant qu’elles sont connues : « le verbe est parfaitement semblable à l’objet connu, qui engendre même son image, puisque la vision de la pensée naît de la vision de la science : verbe qui n’appartient à aucune langue, verbe vrai d’une chose vraie, n’ayant rien de lui-même, mais tenant tout de la science dont il naît. Peu importe le moment où celui qui exprime ce qu’il sait, l’a appris; quelquefois il parle aussitôt qu’il sait; l’essentiel est que le verbe soit vrai, c’est-à-dire né de choses connues. » Voilà ce qu’Augustin avait à dire sur le verbum, au moins dans un passage. Nous pourrions citer beaucoup d’autres passages, qui révèleraient des propos différents ou des approches différentes. Mais tôt ou tard il faudrait passer de la simple détermination des énoncés d’Augustin à la question plus difficile de leur signification. Le présent ouvrage ne porte pas sur la pensée d’Augustin, mais se veut une introduction à l’étude de Thomas d’Aquin, et je dois donc passer immédiatement à la question plus difficile, non pas pour y répondre en détail, mais simplement pour indiquer la source devra provenir la réponse. Un aveugle qui entend une dissertation sur la couleur la trouvera forcément obscure. Une personne malentendante peut lire un ouvrage sur la musique, sans pouvoir juger de la véracité de ses énoncés. De même, seul un travail d’introspection permet de découvrir ce dont parle un psychologue introspectif. La véracité des propos d’Augustin au sujet du verbum tient à leur correspondance exacte avec – comme le savait Augustin – ce qui se passait dans son esprit. La véracité universelle des propos d’Augustin au sujet du verbum tient à leur correspondance exacte avec – comme le savait Augustin – ce qui se passe dans tout esprit humain. Si nous supposons qu’Augustin avait raison, tout en admirant Newman, nous nous demanderons si le couple augustinien de la memoria et du verbum est parallèle au couple newmanien du sens illatif et de l’assentiment inconditionnel. Mais si nous désirons, au-delà des mots et des suppositions, accéder aux significations et aux faits, alors nous devons explorer notre propre esprit et trouver pour nous-mêmes les objets recherchés ; tant que cette démarche n’est pas réalisée, nous sommes dans la position désagréable de l’aveugle entendant parler des couleurs ou de la personne malentendante lisant un traité de contrepoint. Augustin offre sur ces questions des énoncés explicites. « Comment [une âme]… connaîtrait-elle une autre âme, si elle ne se connaît pas elle-même? On ne saurait dire que, de même que l’œil voit d’autres yeux et ne se voit pas lui-même, ainsi l’âme connaît d’autres âmes et ne se connaît pas elle-même… Donc l’âme perçoit, par les sens du corps, les notions des objets corporels, et par elle-même l’idée des objets incorporels. Donc, puisqu’elle est incorporelle, elle se connaît par elle-même »[9]. En outre, pour Augustin, la connaissance que l’esprit a de soi était fondamentale; elle formait le rocher de certitude sur lequel se brise le doute académique; elle assurait le fondement permettant d’assurer la validité à la fois des sens de son propre corps et, par la médiation du témoignage, des sens du corps d’autrui. Le passage que nous avons cité et expliqué commence donc par une triple énumération : « Ainsi ces diverses connaissances que l’âme perçoit ou par elle-même, ou par les sens du corps, ou par le témoignage des autres… ». L’énumération résume simplement ce qui a été présenté plus longuement dans le paragraphe précédent [10]; et ce paragraphe, bien sûr, résume un thème récurrent dans les premiers écrits d’Augustin. Manifestement, si Augustin savait qu’un verbum n’était ni latin ni grec, ni un son ni la pensée d’un son, ce n’était ni par les sens de son corps, ni par les sens du corps d’autrui. L’affirmation augustinienne du verbum était elle-même un verbum. Pour que cette affirmation soit vraie, selon la démonstration même d’Augustin, il fallait qu’elle soit tout à fait dépendante de ce que l’esprit d’Augustin connaissait par lui-même sur lui-même. Il est inutile de répéter ici tout ce qu’Augustin avait à dire sur l’existence et la nature de cette connaissance. Certes, nous ne pouvons affirmer qu’Augustin a élevé l’introspection au niveau d’une technique scientifique, mais nous pouvons avancer hors de tout doute qu’il cherchait à exprimer, dans sa langue littéraire, ce que son esprit connaissait immédiatement à son propre sujet. Venons-en à Thomas d’Aquin. Puisqu’il concevait la théologie comme étant une science en un certain sens, il a dû faire appel à Aristote qui, plus que quiconque, avait élaboré et appliqué les implications de l’idéal grec de la science. Puisque sa théologie était essentiellement l’expression d’une foi traditionnelle, il a dû faire appel à Augustin, le Père de l’Occident, dont la pensée trinitaire était l’aune de toute recherche chrétienne de compréhension de la foi. Enfin, puisque Thomas d’Aquin était un génie, il n’a éprouvé aucune difficulté, ni à adapter Aristote pour son propos, ni à parvenir à la précision voulue dans sa présentation du processus rationnel – l’emanatio intelligibilis – explicitant que qu’Augustin n’avait pu que suggérer. Enfin, puisque Thomas d’Aquin était un homme de son époque, il a dû laisser à un âge ultérieur la tâche de reconnaître la discontinuité entre les sciences naturelles et les sciences humaines et d’en élaborer les implications méthodologiques. Car la performance doit précéder la réflexion sur la performance, et la méthode est le fruit de cette réflexion. Thomas d’Aquin a dû s’en tenir à la performance. La présente étude se divise en cinq chapitres, une division qui obéit à la nette différence des contextes systématiques où s’insèrent les énoncés thomistes sur le verbum. J’ai déjà mentionné le caractère cumulatif des catégories aristotéliciennes, où les énoncés psychologiques présupposent les énoncés biologiques, les biologiques présupposent les physiques, et les physiques présupposent les métaphysiques. D’une façon assez similaire, les énoncés thomistes sur le verbum seront de prime abord théologiques ; ils feront appel à des termes techniques tirés de la physique et de la métaphysique ; leur signification déploiera des explications métaphysiques de la possibilité gnoséologique ; et cette complexité structurelle sertira un fait psychologique central. Pour comprendre ce que Thomas d’Aquin voulait dire, même approximativement, il faut explorer séparément les différents cercles herméneutiques qui sont pertinents pour une interprétation, de façon cumulative. Les deux premiers chapitres concernent le fait psychologique central. Thomas d’Aquin a identifié le verbum avec l’objet terminal immanent de l’opération intellectuelle ; il distingue deux opérations intellectuelles, une première qui répond à la question quid sit (qu’est-ce que c’est) et la seconde qui répond à la question an sit (est-ce que cela existe). Le premier chapitre porte donc sur le verbum comme définition et le second sur le verbum comme compositio vel divisio (composition ou division). Tout au long des deux premiers chapitres, les lecteurs devront affronter des termes techniques d’origine métaphysique ou physique. Indépendamment de leur difficulté intrinsèque, leur signification est extrêmement difficile à déterminer, premièrement, en raison des efforts déployés par Aristote pour adapter la langue grecque à ses propres fins techniques, deuxièmement, en raison de la coïncidence imparfaite des premiers équivalents latins, médiatisés par la culture arabe, et les fruits ultérieurs d’une traduction directe à partir du grec, et troisièmement, pour ceux qui abordent Thomas d’Aquin à travers des manuels et des commentaires qui ignorent tout à fait les méthodes de la recherche littéraire et historique, en raison du penchant des interprètes pour l’invention spéculative comme moyen de règlement des bizarreries linguistiques. Le troisième chapitre cherche à tracer une voie à travers cette jungle. Notre quatrième chapitre traite de questions intermédiaires entre la métaphysique et la psychologie, telles la doctrine de l’abstraction à partir de la matière ou les relations entre l’immatérialité et la connaissance. Enfin, la pensée de Thomas d’Aquin se déploie, la plupart du temps, dans un contexte trinitaire. Si les philosophes thomistes, de manière compréhensible, hésitent à s’aventurer dans ce domaine, l’historien ne saurait l’esquiver. Thomas d’Aquin était théologien. Ses réflexions sur le verbum constituaient principalement une prise de position pour une époque abordant de manière technique l’analogie psychologique des processions trinitaires. Sa simplicité, sa profondeur, sa luminosité ont été longtemps obscurcies par des interprètes ignorant les faits psychologiques pertinents et incapables de traiter des problèmes purement linguistiques[11]. Notre chapitre final traite donc de la signification trinitaire de l’imago Dei, où se rejoignent les nombreux niveaux de notre étude : là aussi, j’espère, les lecteurs recueilleront les fruits d’une traversée laborieuse des pages précédentes. En terminant, je dois faire remarquer que la présente introduction a été rédigée plus de quinze ans après l’achèvement du texte original et sa publication dans les Theological Studies. Je profite de cette occasion pour remercier le p. John Courtney Murray, éditeur de cette revue, qui a permis cette publication. 1 Ce raisonnement est réitéré à plusieurs reprises par Herbert Butterfield dans The Origins of Modern Science, 1300-1800, New York, The Free Press, 1966. 2 Aristote, Traité de l’âme, II, 1, 412 b 4-5. 4 Commentaire du Traité de l’âme, 2, leçon , § 305. 5 Aristote, Métaphysique, Δ, 10. 6 À propos de cette distinction, Theologische Wörterbuch zum Neuen Testament, sous la direction de Gerhard Stuttgart, .Verlag von W. Kohlhammer, 1942, vol. 4, 84, lignes 12-14 dans la section : « Der Logos in Griechentum und Hellenismus » de Hermann Kleinknecht; M. Schmaus, Die psychologische Trinitätslehre des hl. Augustinus, Münster, Aschendorff, 1927, p. 33, note 11. À propos de la tradition, voir saint Ambroise, De fide ad Gratianum Augustum libri quinque, IV, vii; ML 1, 631, § 72; voir également DS 140, canon 8. 7 Voir S. Biolo, La conscienza nel « De Trinitate » di S. Agostino, Les Presses de l’Université Grégorienne, 1969 [une thèse de doctorat dirigée en fait par B. Lonergan]. 8 Saint Augustin, De la Trinité, XV, xii, 22; ML 42, 107. 9 Ibidem, IX, iii, 3; ML 42, 962 f. 10 Ibidem, XV, xii, 21; ML 42, 1073-1075. 11 Ce jugement peut paraître sévère, mais je ne peux expliquer autrement les divergences étonnantes qui se profilent. Un théologien de la trempe de L. Billot a pu écrire à propos de la procession intellectuelle : « Et il en est tout à fait de même dans l’imagination ». Mais Thomas d’Aquin a restreint explicitement l’analogie trinitaire aux esprits des créatures rationnelles. Somme théologique, I, q. 93, a. c. : « si l’on trouve chez l’homme une ressemblance de Dieu par mode d’image, c’est au niveau de l’âme spirituelle ». Voir également le Commentaire du Livre I des Sentences, d. 3, q. 3, a. 1; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 1 et 7; Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 9, a. 9 ad fin.; Somme contre les Gentils, 4, c. 11.
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