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Les oeuvres de Bernard Lonergan |
PREMIÈRE PARTIE Les appuis de la méthode
1 Le problème de la méthode La réflexion sur la méthode peut emprunter l'une des trois voies suivantes. Dans la première, on conçoit la méthode plus comme un art que comme une science. La méthode ne s'acquiert pas dans les livres ou les cours, mais au laboratoire ou en séminaire. Ce qui compte, c'est l'exemple du maître, l'effort de l'imiter, ses commentaires sur le travail de l'étudiant. Tel doit être, à mon avis, le principe de toute réflexion sur la méthode, car cette réflexion doit partir d'une réalisation antérieure. C'est également toujours cette voie qu'on empruntera pour enseigner à d'autres les procédés raffinés et les subtilités propres à un secteur particulier de la recherche. Il existe cependant des esprits plus audacieux. Ceux-ci examinent et retiennent la discipline scientifique de leur temps qui, aux yeux de tous, a le mieux réussi. Ils étudient ses procédés, ils formulent des lois et, finalement, ils proposent une conception analogique des sciences. La science proprement dite, c'est la science avancée qu'ils ont analysée. Les autres matières ne sont scientifiques que dans la mesure où elles se conforment aux procédés de celle-ci, et infrascientifiques dans la mesure où elles s'en éloignent. C'est ainsi que Sir David Ross fait remarquer à propos d'Aristote : « À travers toute son œuvre, nous voyons s'affirmer la pensée qu'à part les mathématiques, toutes les autres sciences reçoivent ce nom de science uniquement par courtoisie, puisqu'elles traitent de sujets où la contingence entre en ligne de compte1. » De nos jours, le mot science signifie sciences de la nature. On descend d’un ou de plusieurs échelons dans la hiérarchie quand on parle des sciences du comportement ou des sciences humaines. Finalement, les théologiens doivent souvent se contenter de voir leur matière apparaître, non pas dans un tableau des sciences, mais dans un annuaire de disciplines universitaires. Il est clair que ces deux manières d'aborder le problème de la méthode ne font guère avancer les études qui ont moins bien réussi. Car dans une matière qui a moins fait ses preuves, pour cette raison même qu'elle a moins fait ses preuves, il y a pénurie de maîtres à suivre et de modèles à imiter. Ce n'est pas non plus le recours à une conception analogique des sciences qui peut améliorer cette situation, car cette conception, loin de tendre une main secourable aux sciences moins avancées, aboutit à leur assigner un rang inférieur dans la hiérarchie. Il faut donc trouver une troisième voie. Même si l'entreprise est difficile et onéreuse, il faut y mettre le prix si l'on veut éviter qu'une matière moins avancée ne s'installe dans la médiocrité ou ne s'enfonce dans la décadence ou la désuétude. Établir les fondements d'une telle voie, tel est le but du présent chapitre. Premièrement, nous jetterons un coup d'œil sur les sciences qui ont fait leurs preuves pour nous former une première notion de la méthode. Deuxièmement, nous remonterons, par-delà les procédés des sciences de la nature, aux procédés de l'esprit humain, qui sont à la fois plus généraux et plus fondamentaux. Troisièmement, nous discernerons, dans les procédés de l'esprit humain, une méthode transcendantale, c'est-à-dire un schème (pattern) fondamental d'opérations mis en œuvre dans toute démarche de connaissance. Quatrièmement, nous indiquerons la pertinence de cette méthode transcendantale quant à la formulation de méthodes plus spécifiques, adaptées à des domaines particuliers. 1. Notion préliminaire On peut définir une méthode comme un schème normatif d'opérations susceptibles d'être reproduites (recurrent), reliées entre elles et qui donnent des résultats cumulatifs et progressifs. Il y a donc méthode lorsqu'on trouve des opérations distinctes, que chaque opération se relie aux autres, que l'ensemble des relations forme un schème, que le schème est considéré comme la façon correcte d'accomplir une tâche, que les opérations en accord avec le schème peuvent se répéter indéfiniment et que les fruits d'une telle répétition ne sont pas identiques mais cumulatifs et progressifs. Ainsi, dans les sciences de la nature, la méthode inculque un esprit de recherche et les recherches se reproduisent (recur). Elle insiste sur l'exactitude des observations et des descriptions, et celles-ci se reproduisent. Par-dessus tout, elle encourage à la découverte, et les découvertes se reproduisent. Elle exige que les découvertes soient formulées en hypothèses, et les hypothèses se reproduisent. Elle requiert qu'on déduise les implications des hypothèses, et les déductions se reproduisent. Elle ne cesse d'inciter le chercheur à concevoir et à réaliser des expériences (experiments) servant à vérifier les implications des hypothèses à l'aide de faits observables, et de tels processus d'expérimentation se reproduisent. En plus d'être distinctes et susceptibles d'être reproduites, ces opérations sont reliées entre elles. La recherche transforme la simple expérience (mere experiencing) en une enquête rigoureuse : l'observation. Ce qui est observé est fixé dans la description. Des descriptions opposées soulèvent des problèmes, lesquels sont alors résolus par des découvertes. Ce qui est découvert s'exprime sous forme d'hypothèse. On déduit les implications de l'hypothèse et celles-ci suggèrent des expériences à réaliser. C'est ainsi que les nombreuses opérations sont reliées, que les relations constituent un schème et que celui-ci détermine la façon correcte d'entreprendre une recherche scientifique. Enfin, les résultats des investigations sont cumulatifs et progressifs. Le processus d'expérimentation apporte de nouvelles données, de nouvelles observations et de nouvelles descriptions qui peuvent confirmer ou infirmer l'hypothèse que l'on vérifie. Dans la mesure où elles la confirment, elles révèlent que l'investigation n'est pas engagée entièrement sur une mauvaise piste. Dans la mesure où elles l'infirment, elles conduisent à une modification de l'hypothèse et, à la limite, à une nouvelle découverte, ce qui amène une nouvelle hypothèse, une nouvelle déduction et de nouvelles expériences. Telle une roue, la méthode ne fait pas que tourner sur elle-même : elle avance aussi. Le champ des données observées ne cesse de s'agrandir. De nouvelles découvertes s'ajoutent aux anciennes. De nouvelles hypothèses et théories viennent exprimer non seulement les nouveaux insights mais également tout ce qui était valable dans les anciens, de manière à conférer à la méthode son caractère cumulatif et à nous persuader que, malgré la distance qui nous sépare encore de cet objectif ultime qu'est l'explication complète de tous les phénomènes, nous sommes tout au moins plus près du but actuellement que nous ne l'étions auparavant. Voilà, brièvement, en quoi consiste la méthode des sciences de la nature. Ce résumé est loin d'être assez détaillé pour guider l'homme de science dans son travail. En même temps, il est trop spécifique pour être transposé dans d'autres disciplines. Mais il peut au moins illustrer une notion préliminaire de la méthode : un schème normatif d'opérations susceptibles d'être reproduites, reliées entre elles et qui donnent des résultats cumulatifs et progressifs. Quelques observations s'imposent. D'abord, on conçoit souvent la méthode comme un ensemble de règles qui, même lorsqu'elles sont aveuglément suivies par n'importe qui, n'en donnent pas moins des résultats satisfaisants. J'admets que cette conception de la méthode s'applique quand il s'ensuit indéfiniment le même résultat, comme dans une chaîne de montage ou dans certaines opérations mécaniques ou routinières. Mais cette conception est inadéquate dès qu'il s'agit de résultats progressifs et cumulatifs. Les résultats sont progressifs seulement lorsqu'il y a succession continue de découvertes ; ils sont cumulatifs seulement lorsqu'on réalise la synthèse de chaque nouvel insight avec tous les insights antérieurs valables. Mais ni la découverte ni la synthèse ne sont soumises à un ensemble quelconque de règles. Leur apparition obéit aux lois de la statistique et l'on peut en augmenter le degré de probabilité, mais aucun ensemble de préceptes ne saurait garantir qu'elles se produiront à coup sûr. Notre notion préliminaire nous amène ensuite à concevoir la méthode, non comme un ensemble de règles, mais comme un schème d'opérations antérieur et normatif, dont on peut tirer des règles. De plus, les opérations envisagées ne sont pas limitées aux opérations strictement logiques, c'est-à-dire aux opérations portant sur des propositions, des termes et des relations. Certes, la méthode comprend de telles opérations, car elle vise à décrire, à formuler des problèmes et des hypothèses, et à déduire des implications. Mais elle n'hésite pas à dépasser cet ensemble d'opérations pour viser à la recherche, à l'observation, à la découverte, à l'expérimentation, à la synthèse et à la vérification. En troisième lieu, nous verrons dans la prochaine section ce que sont précisément ces opérations non logiques. Mais nous pouvons dès maintenant affirmer que la science moderne tire son caractère distinctif de cette combinaison d'opérations logiques et d'opérations non logiques. Les opérations logiques tendent à fixer ce qui est acquis. Les opérations non logiques font que tout l'acquis reste ouvert à un progrès ultérieur. De la conjonction des deux, il résulte un processus ouvert, dynamique, progressif et cumulatif. Ce processus contraste nettement non seulement avec l'immobilisme qu'on trouve chez Aristote et qui résulte de sa préoccupation exclusive du nécessaire et de l'immuable, mais aussi avec la dialectique de Hegel, laquelle est un mouvement renfermé dans les limites d'un système total. 2. Le schème fondamental des opérations Les opérations du schème sont celles de voir, entendre, toucher, sentir, goûter, chercher, imaginer, comprendre, concevoir, formuler, réfléchir, arranger et soupeser les éléments de preuve, juger, délibérer, évaluer, décider, parler, écrire. Nous présupposons que chacun est familier avec au moins quelques-unes de ces opérations et qu'il a une idée de ce que signifient les autres termes. Notre but est de mettre en lumière le schème selon lequel ces opérations se produisent et, de fait, nous ne pourrons y arriver sans que le lecteur ne consente à une part exceptionnelle d'effort et d'activité. Celui-ci aura à se familiariser avec notre terminologie. Il aura à retrouver dans sa propre conscience (consciousness) les opérations en question. Il aura à découvrir dans sa propre expérience les rapports dynamiques qui conduisent d'une opération à l'autre. Autrement, que ce soit dans le présent chapitre ou dans le livre tout entier, il ne trouvera pas plus de lumière qu'un aveugle n'en trouverait dans une conférence sur les couleurs2. En premier lieu, donc, les opérations énumérées dans la liste qui précède sont transitives. Elles ont des objets. Elles sont transitives non seulement au sens — grammatical — qu'elles sont désignées par des verbes transitifs, mais également au sens — psychologique – que c'est par l'opération qu'on devient conscient de l'objet. Ce sens psychologique est celui que signifient le verbe viser (intend), l'adjectif intentionnel, le nom intentionnalité. Dire que les opérations visent des objets, c'est évoquer les faits suivants : lorsque nous voyons, ce qui est vu nous devient présent ; lorsque nous entendons, ce qui est entendu nous devient présent ; lorsque nous imaginons, ce qui est imaginé nous devient présent, et ainsi de suite, la présence en question étant, dans chaque cas, un fait psychologique. En deuxième lieu, les opérations de la liste sont celles d'un agent, qu'on appelle le sujet. L'agent est sujet non seulement au sens — grammatical — qu'il est désigné par un nom sujet de ces verbes qui, à la voix active, signifient les opérations, mais il est également sujet au sens — psychologique — qu'il agit consciemment. En fait, aucune des opérations énumérées ne s'accomplit dans le sommeil sans rêve ou dans le coma. Chaque fois que le sujet accomplit l'une des opérations, il devient conscient de lui-même, il se rend présent à lui-même, il fait l'expérience de lui-même comme étant celui qui agit. De plus, ainsi que je vais l'expliquer sous peu, la qualité particulière de la conscience se modifie selon les différentes opérations que le sujet accomplit. Les opérations ne visent donc pas simplement des objets. Elles comportent également une dimension psychologique. Elles sont produites consciemment et c'est grâce à elles que le sujet devient conscient. Tout comme, grâce à leur intentionnalité, les opérations rendent les objets présents au sujet, ainsi, grâce à la conscience, elles rendent le sujet présent à lui-même. J'ai employé l'adjectif présent en me référant aussi bien à l'objet qu'au sujet. Mais je l'ai employé de manière ambiguë, car la présence de l'objet est bien différente de celle du sujet. L'objet est présent comme ce qu'on regarde fixement, ce à quoi l'on prête attention, ce qu'on vise. Mais la présence du sujet réside dans l'acte même de regarder fixement, de prêter attention, de viser. C'est pour cette raison que le sujet peut être conscient comme celui qui prête attention et accorder néanmoins toute son attention à l'objet comme ce à quoi il prête attention. J'ai aussi parlé du sujet faisant l'expérience de lui-même comme étant celui qui agit. Mais il faut se garder de supposer que cette expérience soit une autre opération qui s'ajouterait à notre liste, car cette expérience ne consiste pas dans le fait de viser un objet mais dans le fait d'être conscient. Ce n'est pas une autre opération qui se superposerait à l'opération expérimentée. C'est cette même opération qui, en plus d'être intrinsèquement intentionnelle, est également intrinsèquement consciente. En troisième lieu, le mot introspection est trompeur dans la mesure où il suggère l'idée d'un regard tourné vers l'intérieur. Le regard tourné vers l'intérieur est un pur mythe, qui tire son origine de la méprise selon laquelle tous les phénomènes de l'ordre de la connaissance doivent être conçus d'après l'analogie de la vision oculaire. La conscience étant considérée comme un phénomène de cet ordre, elle doit donc être conçue d'après l'analogie de la vision oculaire, et puisqu'elle n'est pas un regard tourné vers l'extérieur, elle doit être un regard tourné vers l'intérieur. Introspection peut toutefois désigner non pas la conscience elle-même, mais le processus d'objectivation des contenus de la conscience. De même que nous allons des données des sens — en passant par la recherche, l’insight, la réflexion, le jugement — aux affirmations portant sur les choses sensibles, ainsi nous allons des données de la conscience — en passant par la recherche, la compréhension, la réflexion, le jugement – aux affirmations portant sur le sujet conscient et ses opérations. C'est là, bien entendu, exactement ce que nous faisons et ce que nous invitons le lecteur à faire actuellement. Or, le lecteur n'y parviendra pas en regardant à l'intérieur de lui-même, mais plutôt en reconnaissant dans nos expressions l'objectivation de son expérience subjective. Il faut distinguer, en quatrième lieu, différents niveaux de conscience et d'intentionnalité. Dans le rêve, la conscience et l'intentionnalité sont généralement fragmentaires et incohérentes. Lorsque nous nous éveillons, elles se différencient et se déploient à quatre niveaux successifs et reliés, mais qualitativement différents. Au niveau empirique, nous sentons, percevons, imaginons, éprouvons, parlons, bougeons. Au niveau intellectuel, nous cherchons, parvenons à comprendre, exprimons ce que nous avons compris, dégageons les présuppositions et les implications de notre expression. Au niveau rationnel, nous réfléchissons, arrangeons les éléments de preuve, prononçons un jugement sur la vérité ou la fausseté, la certitude ou la probabilité d'une affirmation. Et au niveau de la responsabilité, nous sommes confrontés à nous-mêmes, à nos propres opérations, à nos propres buts, et nous délibérons ainsi sur des actions possibles, les évaluons, prenons des décisions et les mettons en pratique. Toutes les opérations de ces quatre niveaux sont intentionnelles et conscientes. L'intentionnalité et la conscience diffèrent pourtant d'un niveau à l'autre et les nombreuses opérations situées au même niveau impliquent d'autres différences. La conscience du sujet se déploie dans une dimension nouvelle quand il passe de la simple expérience à l'effort de comprendre ce dont il a fait l'expérience. Une troisième dimension émerge, celle de la rationalité, quand on considère le contenu de l'acte de compréhension comme n'étant, de soi, rien de plus qu'une belle idée et qu'on s'efforce d'élucider son rapport avec la réalité. Une quatrième dimension apparaît lorsque après avoir porté un jugement sur les faits, le sujet délibère sur ce qu'il va faire en tenant compte de ces derniers. À chacun des quatre niveaux, on est conscient de soi-même mais, à mesure que l'on monte d'un niveau à l'autre, c'est d'un moi (self) agrandi que l'on devient conscient et cette conscience elle-même est différente de celle qui précède. En tant qu'êtres empiriquement conscients, nous ne semblons pas différer des animaux supérieurs. Mais chez nous, la conscience et l'intentionnalité empiriques ne sont qu'un tremplin qui nous projette vers des activités ultérieures. Les données des sens incitent à la recherche, laquelle conduit à la compréhension, et cette dernière s'exprime par le langage. Sans les données, il n'y aurait pour nous rien à chercher et rien à comprendre. Et pourtant, ce que nous espérons trouver dans la recherche, ce n'est jamais simplement une nouvelle série de données, mais plutôt l'idée ou la forme, l'unité ou la relation intelligible qui organise les données en des ensembles intelligibles. De plus, sans l'effort de comprendre et sans ses résultats plus ou moins conciliables, nous n'aurions aucune matière sur laquelle faire porter nos jugements. Mais de telles occasions de juger se répètent et le sujet, capable d'expérience et de compréhension, manifeste alors sa rationalité réflexive et critique. Une fois de plus, c'est d'un moi agrandi qu'il devient conscient et, une fois de plus, la conscience elle-même s'avère distincte. En tant qu'être intelligent, le sujet cherche à comprendre et, à mesure que les insights s'accumulent, il les transpose dans sa conduite, son discours, son appréhension des situations, sa maîtrise de certains domaines du savoir. Mais en tant qu'être doué de conscience réflexive et critique, le sujet incarne le détachement et le désintéressement, il se soumet aux critères de la vérité et de la certitude, sa seule préoccupation est de déterminer si les hypothèses envisagées correspondent ou non à la réalité ; et ici, tout comme le moi, la conscience du moi réside dans cette incarnation, cet abandon, ce souci intégral de la vérité. Il existe enfin une autre dimension propre à l'être humain, celle où nous émergeons comme personnes, où nous nous rencontrons les uns les autres dans un souci commun des valeurs, où nous cherchons à abolir une organisation de la vie humaine basée sur des égoïsmes en compétition et à la remplacer par une organisation basée sur l'ouverture et l'intelligence de l'homme, son caractère rationnel et l'exercice responsable de sa liberté. En cinquième lieu, tout comme des opérations différentes produisent chez le sujet des modes de conscience qualitativement différents, ainsi elles produisent des visées qualitativement différentes. La visée de nos sens consiste à prêter attention ; elle est normalement sélective, mais non pas créatrice. La visée de notre imagination peut être représentative ou créatrice. Ce qui est compris dans l’insight n'est ni une donnée des sens réellement présente ni une création de l'imagination, mais c'est une organisation intelligible qui peut correspondre ou non aux données des sens. La visée qu'on appelle la conception combine à la fois le contenu de l’insight et ce qui, dans l'image, est essentiel pour que se produise l’insight ; il en résulte la visée de tout être concret repéré grâce à ce contenu incomplètement déterminé (et, en ce sens, abstrait). La différence la plus fondamentale entre les modes de visée réside toutefois dans ce qui distingue le mode catégorial et le mode transcendantal. Les catégories sont des déterminations. Elles ont une dénotation limitée. Elles varient avec les variations culturelles. Citons comme exemple le type de classification totémique, considéré, dans une thèse récente, comme étant essentiellement une classification par homologies3. Les catégories peuvent être connues comme telles de manière réflexive, ainsi que l'étaient celles d'Aristote : la substance, la quantité, la qualité, la relation, l'action, la passion, le lieu, le temps, la situation et l'avoir. On peut ne pas les appeler des catégories, comme on faisait pour les quatre causes : la fin, l'agent, la matière et la forme, ou les distinctions logiques : le genre, la différence, l'espèce, la propriété et l'accident. Les catégories peuvent être aussi les purs produits de la conquête scientifique, comme les concepts de la physique moderne, le tableau périodique du chimiste ou l'arbre de l'évolution du biologiste. Les transcendantaux, en revanche, sont compréhensifs en connotation, illimités en dénotation, invariables à travers les changements culturels. Tandis qu'on a besoin de catégories pour poser des questions déterminées et obtenir des réponses déterminées, les transcendantaux sont présupposés à toute question. Ils constituent la visée radicale qui nous fait passer de l'ignorance au savoir. Ils sont a priori parce qu'ils vont au-delà de ce que nous savons pour nous permettre de chercher ce que nous ne savons pas encore. Ils sont illimités parce que les réponses obtenues ne sont jamais complètes et ne font ainsi que soulever d'autres questions. Ils sont compréhensifs parce qu'ils visent l'ensemble ou la totalité inconnue dont nos réponses ne révèlent qu'une partie. Ainsi, l'intelligence nous entraîne au-delà de l'expérience et s'interroge : qu'est-ce que c'est ? pourquoi ? comment ? dans quel but ? La rationalité nous entraîne au-delà des réponses de l'intelligence et se demande si les réponses sont vraies et si ce qu'elles signifient est bien ainsi. La responsabilité va au-delà du fait, du désir et de la possibilité, et discerne ce qui est vraiment bien de ce qui ne l'est qu'en apparence. De la sorte, lorsque nous objectivons le contenu de la visée intelligente, nous formons le concept transcendantal d'intelligible. Lors que nous objectivons le contenu de la visée rationnelle, nous formons les concepts transcendantaux de vrai et de réel. Lorsque nous objectivons le contenu de la visée responsable, nous obtenons le concept transcendantal de valeur, de vrai bien. Ces concepts transcendantaux, qui peuvent être et sont souvent mal compris, sont pourtant nettement distincts des notions transcendantales, qui sont antérieures et qui constituent le dynamisme même de notre visée consciente, nous faisant avancer de la simple expérience vers la compréhension, de la simple compréhension vers la vérité et la réalité, de la connaissance des faits à l'action responsable. Loin d'être le produit de l'évolution culturelle, ce dynamisme est la condition de sa possibilité ; et toute ignorance ou erreur, toute négligence ou mauvaise intention qui caricature ou bloque ce dynamisme est de l'obscurantisme sous sa forme la plus radicale. Nous avons commencé en parlant d'opérations visant des objets. Nous devons maintenant, en sixième lieu, distinguer objets élémentaires et objets composés, connaissance élémentaire et connaissance composée. Connaissance élémentaire signifie toute opération de connaissance telle que voir, entendre, comprendre, et ainsi de suite. Objet élémentaire désigne ce qui est visé dans la connaissance élémentaire. Connaissance composée signifie la conjonction de plusieurs actes de connaissance élémentaire formant un unique processus de connaissance. Objet composé désigne l'objet construit par la combinaison de plusieurs objets élémentaires. Le processus de composition est justement l'œuvre des notions transcendantales qui, depuis le début de ce processus, visent cet inconnu destiné à devenir graduellement mieux connu. Grâce à cette visée, ce qui est expérimenté (experienced) peut être la même chose que ce qui est compris ; ce qui est expérimenté et compris peut être la même chose que ce qui est conçu ; ce qui est expérimenté, compris et conçu peut être la même chose que ce qui est affirmé comme réel ; ce qui est expérimenté, compris, conçu et affirmé comme réel peut être la même chose que ce qui est approuvé comme vraiment bien. C'est ainsi qu'avec les nombreux objets élémentaires, on construit un unique objet composé et qu'à leur tour, les nombreux objets composés sont ordonnés pour former un unique univers. En septième lieu, nous avons distingué de nombreuses opérations conscientes et intentionnelles et nous les avons situées dans une succession de différents niveaux de conscience. Mais tout comme les nombreux objets élémentaires constituent des ensembles plus larges, tout comme les nombreuses opérations se conjuguent dans une unique connaissance composée, ainsi les nombreux niveaux de conscience ne sont que des stades successifs dans le déploiement d'une unique poussée, l'éros de l'esprit humain. Pour connaître le bien, l'esprit humain doit connaître le réel ; pour connaître le réel, il doit connaître le vrai ; pour connaître le vrai, il doit connaître l'intelligible ; pour connaître l'intelligible, il doit prêter attention aux données. C'est dire qu'une fois éveillés, nous pouvons prêter attention. L'observation fait alors que l'intelligence est intriguée, et nous nous mettons à chercher. La recherche conduit au plaisir de l’insight, mais les insights sont monnaie courante et c'est pourquoi la critique rationnelle doute, vérifie, s'assure. Les possibilités d'action se présentent sous forme d'alternatives et nous nous demandons si ce qui est le plus attrayant correspond au vrai bien. En fait, la relation est si intime entre les notions transcendantales successives que c'est seulement grâce à une différenciation spéciale de la conscience que nous abandonnons des styles de vie ordinaires pour nous consacrer à une poursuite morale de la bonté, à une poursuite philosophique de la vérité, à une poursuite scientifique de la compréhension ou à une poursuite artistique de la beauté. Enfin, pour terminer cette section, notons que le schème fondamental d'opérations conscientes et intentionnelles est dynamique. Il est matériellement dynamique dans la mesure où c'est un schème d'opérations, tout comme une danse est un ensemble de mouvements corporels ou une mélodie est un ensemble de sons. Mais il est aussi formellement dynamique dans la mesure où il suscite et réunit les opérations appropriées à chaque stade du processus, tout comme un organisme en croissance produit ses propres organes et vit de leur fonctionnement. Finalement, ce schème doublement dynamique n'est pas aveugle mais clairvoyant ; il est attentif, intelligent, rationnel, responsable ; c'est une visée consciente, allant sans cesse au-delà de ce qui est donné ou de ce qui est connu, tendant sans cesse à une appréhension plus complète et plus riche de la totalité, de l'ensemble, ou de l'univers encore inconnu ou incomplètement connu. 3. La méthode transcendantale4 Ce que nous avons décrit comme un schème fondamental d'opérations, c'est la méthode transcendantale. Nous l'appelons méthode, car elle est un schème normatif d'opérations susceptibles d'être reproduites, reliées entre elles et qui donnent des résultats cumulatifs et progressifs. Nous l'appelons transcendantale, car les résultats escomptés ne se limitent pas aux catégories d'un sujet ou d'un domaine particulier, mais englobent n'importe quel résultat susceptible d'être visé par les notions transcendantales, qui sont ouvertes à tout. Là où d'autres méthodes ont pour but de satisfaire aux exigences et d'exploiter les possibilités propres à des domaines particuliers, la méthode transcendantale cherche à satisfaire aux exigences et à exploiter les possibilités de l'esprit humain comme tel. C'est une recherche qui est en même temps fondamentale et universelle dans sa signification et sa pertinence. D'une certaine façon, tout homme connaît et applique la méthode transcendantale. Chacun la connaît et l'applique précisément dans la mesure où il est attentif, intelligent, rationnel et responsable. Toutefois, dans un autre sens, il est assez difficile d'être à l'aise avec la méthode transcendantale, car on ne peut l'acquérir en lisant des ouvrages, en écoutant des conférences ou en analysant le langage. Il s'agit essentiellement d'atteindre un degré de conscience plus élevé en objectivant celle-ci ; c'est là une démarche que chacun, en fin de compte, doit faire par lui-même et pour lui-même. En quoi consiste cette objectivation ? Il s'agit d'appliquer nos opérations en tant qu'intentionnelles à la conscience que nous avons de ces mêmes opérations. Si, pour abréger, nous désignons les diverses opérations qu'on retrouve aux quatre niveaux par le nom de la principale d'entre elles à chacun de ces niveaux, nous pouvons dénommer les opérations de la façon suivante : expérimenter (experiencing), comprendre, juger et décider. Ces opérations sont à la fois conscientes et intentionnelles. Mais ce qui est conscient peut être visé. Dès lors, appliquer nos opérations en tant qu'intentionnelles à la conscience que nous avons de ces mêmes opérations, cela s'accomplira en quatre étapes : 1) expérimenter notre façon d'expérimenter, de comprendre, de juger et de décider ; 2) comprendre l'unité et les relations qui existent entre notre façon — expérimentée — d'expérimenter, de comprendre, de juger et de décider ; 3) affirmer la réalité de notre façon — expérimentée et comprise — d'expérimenter, de comprendre, de juger et de décider ; 4) décider d'agir selon les normes immanentes aux rapports spontanés qui existent entre notre façon — expérimentée, comprise et affirmée — d'expérimenter, de comprendre, de juger et de décider. En premier lieu, il faut donc expérimenter notre façon d'expérimenter, de comprendre, de juger et de décider. Mais cette quadruple expérience n'est rien de plus qu'une simple conscience. Nous l'avons déjà chaque fois que nous expérimentons, comprenons, jugeons ou décidons. Mais notre attention est portée à se concentrer sur l'objet, tandis que notre conscience d'agir demeure périphérique. Nous devons donc élargir le centre de notre attention, nous rappeler qu'une même et unique opération non seulement vise un objet, mais aussi dévoile l'existence d'un sujet qui vise, et découvrir dans notre propre expérience la vérité concrète correspondant à cette affirmation générale. Cette découverte, bien entendu, ne se fait pas en regardant, en examinant ou en fixant quelque chose. C'est une conscience qui ne porte pas sur l'objet, mais sur l'acte même de viser. Il s'agit de repérer en soi-même ce phénomène conscient qu'est l'action de voir au moment même où l'on voit quelque chose, on encore ce phénomène conscient qu'est l'action d'entendre au moment même où l'on entend quelque chose, et ainsi de suite. Puisque les sensations peuvent être produites ou interrompues à volonté, c'est une affaire assez simple que de leur prêter attention et de devenir familier avec elles. Par contre, il faut beaucoup de réflexion et d'habileté pour atteindre un degré de conscience plus élevé par rapport à la recherche, à l’insight, à la formulation, à la réflexion critique, à la pesée des éléments de preuve, au jugement, à la délibération et à la décision. Il faut alors connaître la signification précise de chacun de ces mots. Il faut accomplir en soi-même l'opération correspondante. Il faut continuer de l'accomplir jusqu'à ce que l'on parvienne, au-delà de l'objet visé, au sujet qui opère de façon consciente. Il faut faire tout cela en se situant dans le contexte approprié, ce qui n'est pas une affaire d'introspection mais de recherche, de centre d'attention élargi, de discernement, de comparaison, de distinction, d'identification, de désignation. Ces opérations doivent être expérimentées non seulement une à une, mais dans leurs relations réciproques, car ce ne sont pas simplement des opérations conscientes, mais encore des processus conscients. Alors que la perception sensible ne révèle pas de relations intelligibles, — dans ce cas, ainsi que Hume l'a soutenu, nous ne percevons pas la causalité des phénomènes, mais plutôt leur succession, — notre propre conscience, elle, obéit à d'autres lois. Au niveau empirique, il est vrai, le processus s'identifie à la connaissance sensible spontanée ; il est intelligible seulement en ce sens qu'on peut le comprendre. Mais la recherche fait que le sujet intelligent émerge et que le processus devient intelligence ; nous avons alors non seulement quelque chose d'intelligible, qui peut être compris, mais bien le corrélatif actif de l'intelligibilité, l'intelligence, qui cherche intelligemment à comprendre, qui parvient à comprendre et qui opère à la lumière de cette compréhension réalisée. Quand la recherche aboutit à un résultat ou bien à une impasse, l'intelligence cède intelligemment la place à la réflexion critique ; en tant qu'apte à réfléchir de manière critique, le sujet entre en relation consciente avec un absolu — l'absolu qui nous fait considérer le contenu positif des sciences non comme vrai et certain, mais seulement comme probable. Enfin, après avoir atteint la connaissance de ce qui est et de ce qui pourrait être, le sujet rationnel cède rationnellement le chemin à une liberté consciente et à une responsabilité qui s'exerce de manière consciencieuse. Ainsi donc les opérations s'accomplissent à l'intérieur d'un processus qui s'avère formellement dynamique, qui fait surgir et réunit ses propres composantes et qui procède ainsi de façon intelligente, rationnelle et responsable. Telle est donc l'unité et le caractère relationnel des différentes opérations. C'est une unité relationnelle qui existe et qui fonctionne avant que nous ne trouvions moyen d'y prêter attention, de la comprendre et de l'objectiver. C'est une unité relationnelle bien différente des unités relationnelles intelligibles selon lesquelles nous organisons les données de nos sens, car ces unités relationnelles ne sont qu'intelligibles, tandis que l'unité relationnelle du processus conscient est intelligente, rationnelle et responsable. Nous avons examiné, en premier lieu, l'expérience des opérations et, en deuxième lieu, la compréhension de leur unité relationnelle. C'est ici que se pose la question relevant de la réflexion. Est-ce que ces opérations se produisent effectivement ? Est-ce qu'elles s'accomplissent selon le schème précédemment décrit ? Est-ce que ce schème n'est pas seulement hypothétique, voué tôt ou tard à la révision et, une fois révisé, exposé à être tôt ou tard de nouveau révisé ? En premier lieu, les opérations existent et elles se produisent. Malgré les doutes et les dénégations des positivistes et des behavioristes, personne, à moins que l'un de ses organes ne soit déficient, ne va dire qu'il n'a jamais fait dans sa vie l'expérience de voir ou d'entendre, de toucher, sentir ou goûter, d'imaginer ou de percevoir, d'éprouver des sentiments ou de se déplacer ; ou bien, s'il apparaît qu'il a eu de telles expériences, que ce n'était encore qu'une simple apparence, que depuis le début de sa vie il s'est comporté comme un somnambule sans avoir conscience de ses propres actions. Ou encore, quel est l'homme qui va faire précéder ses conférences de l'affirmation, réitérée avec conviction, selon laquelle il n'a jamais eu même l'expérience fugitive de sentir en lui-même une certaine curiosité intellectuelle, l'expérience de chercher, de se concentrer, de parvenir à comprendre et d'exprimer ce qu'il a réussi à comprendre ? Quel est l'homme encore qui commence un article de revue en rappelant à ses lecteurs qu'il n'a jamais dans sa vie fait l'expérience de ce qui ressemble à la réflexion critique, qu'il ne s'est jamais arrêté pour s'interroger au sujet de la vérité ou de la fausseté d'une affirmation ; que, si jamais il a semblé faire usage de sa rationalité en portant un jugement rigoureusement en accord avec les éléments de preuve disponibles, cela doit alors être considéré comme une pure apparence, car l'auteur en question ignore totalement qu'un tel phénomène ou qu'une telle tendance puisse exister en lui ? Enfin, rares sont les écrivains qui, en guise de préface à leurs ouvrages, avertissent leurs lecteurs qu'ils n'ont aucune notion de ce que signifie la responsabilité, que jamais dans leur vie ils n'ont fait l'expérience d'agir de façon responsable, et surtout pas en composant les œuvres qu'ils présentent au public. En somme, les opérations conscientes et intentionnelles existent et quiconque s'efforce de nier leur existence se discrédite tout simplement lui-même en se qualifiant de somnambule irresponsable, irrationnel et inintelligent. Ensuite, est-ce que les opérations se produisent selon le schème qui a été esquissé dans le présent chapitre et présenté de manière plus élaborée dans l'ouvrage intitulé Insight ? La réponse à cette question est que, bien entendu, nous ne faisons pas l'expérience des opérations prises une à une pour arriver ensuite, par un processus de recherche et de découverte, au schème des relations qui les rattache les unes aux autres. Au contraire, l'unité de la conscience est elle-même donnée et le schème des opérations fait partie de l'expérience des opérations, de sorte que la recherche et la découverte sont nécessaires non pour effectuer la synthèse d'un ensemble d'éléments qui, considérés comme tels, seraient sans rapport entre eux, mais bien pour analyser une unité fonctionnelle en opération. Il est vrai que sans analyse, nous ne pouvons pas discerner ni distinguer les opérations particulières ; et jusqu'à ce que les opérations aient été distinguées, nous ne pouvons formuler les relations qui les rattachent les unes aux autres. Mais l'essentiel de l'affirmation selon laquelle le schème lui-même est conscient se ramène à ceci : une fois les relations formulées, on constate qu'elles ne révèlent pas de surprenantes nouveautés, mais qu'elles s'avèrent tout simplement l'objectivation des formes courantes de notre vie et de notre action conscientes. Avant que la recherche ne mette en évidence le schème, avant que le méthodologue n'énonce ses préceptes, le schème est déjà conscient et en opération. Nous passons spontanément de l'expérience à l'effort de comprendre, et cette spontanéité n'est pas inconsciente ou aveugle ; au contraire, c'est un élément constitutif de notre intelligence consciente, tout comme une lacune totale du côté de l'effort de comprendre est un élément constitutif de la stupidité. Nous passons spontanément de la compréhension, avec ses expressions variées et contradictoires, à la réflexion critique ; encore une fois, cette spontanéité n'est pas inconsciente ou aveugle ; c'est un élément constitutif de notre rationalité critique, de l'exigence qu'il y a en nous d'une raison suffisante, exigence qui s'exerce avant toute formulation d'un principe de raison suffisante ; et c'est la négligence ou l'absence de cette exigence qui constitue la sottise. Nous passons spontanément des jugements de réalité ou de possibilité aux jugements de valeur et aux délibérations aboutissant à la décision et à l'engagement ; et cette spontanéité n'est pas inconsciente ou aveugle ; elle nous constitue comme personnes conscientes et responsables, et son absence ferait de nous des psychopathes. De façon détaillée et variée, la méthode nous invitera à être attentifs, intelligents, rationnels et responsables. Les détails de ses prescriptions dépendront du travail en cours et varieront selon lui. Cependant la force normative de ses impératifs ne sera pas fondée uniquement sur ses prétentions à l'autorité et sur la probabilité que ce qui a réussi par le passé continuera toujours de réussir, mais elle sera enracinée dans la spontanéité et les nécessités naturelles de notre conscience, qui assemble ses propres parties constituantes et les réunit en un tout complet d'une manière que nous ne pouvons repousser sans pour ainsi dire mutiler notre propre personnalité morale, notre rationalité, notre intelligence et notre sensibilité. Mais ce schème n'est-il pas une simple hypothèse dont on doit s'attendre à ce qu'elle subisse révision après révision, au fur et à mesure que la connaissance que l'homme a de lui-même continuera de se développer ? On doit faire une distinction entre le schème normatif, qui est immanent à nos opérations conscientes et intentionnelles, et, d'autre part, les objectivations de ce schème sous forme de concepts, de mots et de propositions. De toute évidence, la révision ne peut affecter que les objectivations. Elle ne peut modifier la structure dynamique de la conscience humaine. Tout ce qu'une révision peut faire, c'est de conduire à une explicitation plus fidèle de cette structure. Pour qu'une révision soit possible, il faut en outre satisfaire à certaines conditions. Car, en premier lieu, toute révision éventuelle doit invoquer des données que d'autres chercheurs n'ont pas remarquées ou qu'ils ont mal perçues, et ainsi toute révision présuppose au moins un niveau d'opérations empiriques. En deuxième lieu, toute révision éventuelle devra fournir une meilleure explication des données, et ainsi toute révision présuppose un niveau d'opérations intellectuelles. En troisième lieu, toute révision éventuelle prétend nécessairement qu'une meilleure explication doit être tenue pour plus probable, et ainsi toute révision présuppose un niveau d'opérations rationnelles. En quatrième lieu, une révision cesse d'être une simple possibilité et commence à se réaliser à condition d'être mise en branle par un jugement de valeur et une décision. On n'entreprend un travail, avec tous les risques d'échec et de frustration qu'il comporte, que si l'on est bien convaincu, non seulement en théorie mais aussi en pratique, qu'il vaut la peine de vérifier les théories en cause, de savoir à quoi s'en tenir et de contribuer à l'avancement de la science. Ainsi, au principe de toute méthode, il faut présupposer un niveau d'opérations où nous évaluons et choisissons de façon responsable au moins la méthode de nos opérations. Il s'ensuit qu'en un sens, l'objectivation du schème normatif de nos opérations conscientes et intentionnelles n'admet pas de révision. C'est que le processus de la révision met en œuvre les opérations mêmes qu'on retrouve dans le schème normatif. De la sorte, une révision qui rejetterait le schème se rejetterait elle-même. Il y a donc un rocher sur lequel on peut bâtir. Mais qu'on me permette d'insister sur la nature bien particulière de ce rocher5. Toute théorie, description ou explicitation de nos opérations conscientes et intentionnelles ne peut manquer d'être incomplète et donc ouverte à d'autres éclaircissements et d'autres développements. Mais ceux-ci devront découler des opérations conscientes et intentionnelles elles-mêmes. Telles que données dans la conscience, ces opérations constituent le rocher ; elles confirment chaque explicitation qui s'avère exacte ; elles réfutent toute explicitation inexacte ou incomplète. Le rocher, c'est donc le sujet, avec son attention, son intelligence, sa rationalité et sa responsabilité conscientes en même temps que non objectivées. Le travail qui consiste à objectiver le sujet et ses opérations conscientes a pour but de nous faire commencer à inventorier ce qu'ils sont et de nous faire découvrir que le rocher en question existe. 4. Les fonctions de la méthode transcendantale Nous avons invité le lecteur à découvrir à l'intérieur de lui-même le schème original et normatif des opérations susceptibles d'être reproduites, reliées entre elles et qui donnent des résultats cumulatifs et progressifs. Il nous reste maintenant à nous interroger sur l'utilité ou les fonctions de cette méthode fondamentale. En premier lieu, vient la fonction normative. Toutes les méthodes particulières consistent à appliquer, chacune à sa manière, les préceptes transcendantaux : sois attentif, sois intelligent, sois rationnel, sois responsable. Mais avant même d'être formulés en concepts et exprimés en paroles, ces préceptes sont dotés d'une existence et d'une réalité antérieures dans le dynamisme spontané et structuré de la conscience humaine. De plus, tout comme les préceptes transcendantaux sont basés simplement sur une étude des opérations elles-mêmes, ainsi les préceptes catégoriaux spécifiques sont basés sur une étude de l'esprit tel qu'on le voit à l’œuvre dans un domaine déterminé. Le fondement ultime des préceptes transcendantaux, tout comme celui des préceptes catégoriaux, c'est finalement l'importance que l'on reconnaît à la différence qui existe entre l'attention et l'inattention, l'intelligence et la stupidité, la rationalité et l'irrationalité, la responsabilité et l'irresponsabilité. En deuxième lieu, la méthode transcendantale exerce une fonction critique. C'est encore un scandale que les hommes, alors qu'ils tendent à s'accorder entre eux sur les questions scientifiques, tendent à s'opposer outrageusement les uns aux autres sur les questions philosophiques fondamentales. Ainsi les hommes divergent d'opinion au sujet des activités dites de connaissance, au sujet des rapports qui existent entre ces activités et la réalité, et au sujet de la réalité elle-même. Cependant, les divergences touchant le troisième point – la réalité – peuvent être ramenées à des divergences relatives au premier et au deuxième points — la connaissance et l'objectivité. Les divergences à propos du deuxième point - l'objectivité — peuvent être ramenées aux divergences portant sur le premier point — la théorie de la connaissance. Enfin, les divergences relatives à la théorie de la connaissance peuvent être éliminées en mettant en évidence la contradiction qui existe entre une théorie erronée de la connaissance et l'activité réelle de connaissance du théoricien induit en erreur6. Prenons un exemple très simple. Hume pensait que le fonctionnement de l'esprit humain se réduisait à une question d'impressions reliées entre elles par l'habitude. Mais Hume lui-même était un esprit fort original. Donc l'esprit de Hume ne correspondait pas à ce que Hume lui-même pensait de l'esprit humain. En troisième lieu, la méthode possède une fonction dialectique. L'utilisation critique de la méthode transcendantale peut en effet s'appliquer à toute théorie erronée de la connaissance, qu'elle soit exprimée dans sa portée universelle par la philosophie ou présupposée par une méthode quelconque d'herméneutique, de recherche historique, de théologie ou de démythologisation. De plus, ces applications peuvent s'étendre à des conceptions parallèles en épistémologie et en métaphysique. De cette façon, on peut établir la série dialectique des positions fondamentales, qui sont confirmées par la critique, et des contrepositions fondamentales, qui sont renversées par la critique. En quatrième lieu, il y a la fonction systématique. Car dans la mesure où cette méthode transcendantale est objectivée, on peut déterminer un ensemble de termes fondamentaux et de relations fondamentales, c'est-à-dire les termes qui se rapportent aux opérations du processus de connaissance et les relations qui unissent entre elles ces opérations. Ces termes et ces relations forment le cœur de la théorie de la connaissance. Ils mettent en évidence le fondement de l'épistémologie. On constate qu'ils sont isomorphes7 par rapport aux termes et aux relations qui révèlent la structure ontologique de toute réalité proportionnée au processus de la connaissance humaine. En cinquième lieu, cette fonction systématique assure une continuité sans imposer aucune rigidité. La continuité est assurée par ce qui est à la source des termes fondamentaux et des relations fondamentales, à savoir le processus de la connaissance humaine dans sa réalité concrète. Aucune rigidité n'est imposée puisqu'on n'écarte en aucune manière la possibilité d'une compréhension plus profonde et plus adéquate du processus de la connaissance humaine ; au contraire, dans la mesure où cette éventualité se réalisera, il en découlera une détermination plus complète et plus exacte des termes fondamentaux et des relations fondamentales. Enfin, l'exclusion de la rigidité ne compromet pas la continuité car, comme nous venons de le voir, les conditions qui régissent la possibilité d'une révision imposent des limites à toute révision éventuelle de la théorie de la connaissance, de sorte que plus cette révision sera poussée, plus les limites en seront strictes et précises. En sixième lieu, il faut souligner la fonction heuristique. Toute recherche vise à faire passer de l'inconnu au connu. Ainsi la recherche elle-même est une action qui se situe entre l'ignorance et le savoir. Elle est en deçà du savoir ; autrement il ne serait pas nécessaire de chercher. Elle est cependant au-delà de la pure ignorance, car si elle se manifeste par un constat d'ignorance, c'est pour tendre du même coup à remplacer celle-ci par le savoir. L'intermédiaire entre l'ignorance et le savoir, c'est donc une visée, et l'objet de cette visée, c'est un inconnu à connaître. Toute méthode consiste fondamentalement à exploiter cette visée, puisqu'elle dégage les étapes à suivre lorsque nous voulons aller de la visée initiale, déclenchée par le questionnement, à la connaissance finale de ce qui est visé depuis le début. En outre, l'utilisation de procédés heuristiques est essentielle à la méthode. Ils nous aident à désigner et à nommer l'inconnu visé, à établir dès le point de départ tout ce que nous pouvons affirmer à son sujet et à utiliser la formulation de ce savoir initial comme guide, critère ou prémisse – ou les trois — dans l'effort que nous faisons pour arriver à une meilleure connaissance. Tel est le rôle de l'inconnue x, en algèbre, dans la solution des problèmes. Tel est, en physique, le rôle des fonctions indéterminées ou génériques et des classes de fonctions spécifiées par les équations différentielles. Or la méthode transcendantale remplit une fonction heuristique. Cette méthode manifeste la nature même de cette fonction lorsqu'elle met en évidence l'opération de viser ainsi que son corrélatif, l'objet visé, qui est à la fois inconnu et visé. De plus, dans la mesure où la fonction systématique nous fournit des ensembles de termes fondamentaux et de relations fondamentales, nous avons en main des déterminations fondamentales immédiatement utilisables toutes les fois que l'inconnu est un sujet humain ou un objet proportionné au processus humain de la connaissance, c'est-à-dire un objet qu'on peut connaître par l'expérience, la compréhension et le jugement. En septième lieu, vient la fonction fondatrice. Les méthodes particulières tirent leurs normes propres de l'expérience accumulée par les chercheurs dans leur domaine respectif. Mais en plus des normes propres, il faut considérer aussi les normes communes. En plus des tâches particulières à chaque domaine, il existe des problèmes interdisciplinaires. Sous-jacent au consensus des hommes travaillant comme scientifiques, subsiste leur désaccord dans les questions d'importance et d'intérêt suprêmes. C'est dans la mesure où les méthodes particulières reconnaîtront dans la méthode transcendantale leur noyau commun que des normes communes à toutes les sciences seront reconnues, que l'on atteindra une base solide permettant de s'attaquer aux problèmes interdisciplinaires, que les sciences trouveront une plus grande unité de vocabulaire, de pensée et d'orientation, ce qui les rendra capables d'apporter une contribution essentielle à la solution des problèmes fondamentaux. En huitième lieu, la méthode transcendantale est pertinente à la théologie. Cette pertinence, bien entendu, est médiatisée par le biais d'une méthode particulière, celle de la théologie ; elle se manifeste dans la réflexion des théologiens sur les réussites et les échecs de leurs efforts passés et actuels. Mais la méthode théologique, bien qu'elle ait ses propres groupes et combinaisons d'opérations, n'en reste pas moins l’œuvre d'esprits humains accomplissant des opérations fondamentalement imbriquées dans des relations fondamentales identiques à celles que l'on rencontre dans les autres méthodes particulières. En d'autres termes, la méthode transcendantale est une partie constituante de la méthode théologique, tout comme elle est une partie constituante des méthodes particulières que l'on trouve dans les sciences de la nature et dans les sciences humaines. On ne saurait contester cependant que l'on prête attention, que l'on comprend, que l'on juge et que l'on se décide d'une façon différente quand il s'agit des sciences de la nature, des sciences humaines ou de la théologie ; ces différences n'impliquent et ne suggèrent pourtant en aucune façon qu'au moment où l'on change de discipline, on puisse passer de l'attention à l'inattention, de l'intelligence à la stupidité, de la rationalité à la sottise ou de la responsabilité à l'irresponsabilité. En neuvième lieu, les objets de la théologie ne sont pas situés hors du domaine transcendantal. Car ce domaine étant illimité, il n'y a absolument rien qui puisse se trouver en dehors de lui. De plus, il n'est pas illimité dans le sens où les notions transcendantales seraient abstraites, ayant une connotation minimale et une dénotation maximale ; les notions transcendantales, en effet, ne sont pas abstraites mais compréhensives ; elles visent tout au sujet de tout. Ainsi, loin d'être abstraites, c'est par elles que nous visons le concret, c'est-à-dire tout ce qui peut être connu au sujet d'une chose. Enfin, même s'il est entendu que la connaissance humaine est limitée, les notions transcendantales ne sont pas une question de connaissance mais de visée ; à chacun de nous, elles ont permis de viser tout ce qu'il s'est efforcé d'apprendre et elles lui permettent maintenant de viser tout ce qui lui est demeuré inconnu jusqu'à présent. En d'autres termes, le domaine transcendantal ne se définit pas par ce que l'homme connaît ni par ce qu'il peut connaître mais plutôt par ce au sujet de quoi il peut s'interroger ; et si nous prenons conscience des limites de notre connaissance, c'est seulement parce que nous pouvons poser plus de questions que nous ne pouvons en résoudre. En dixième lieu, le fait d'attribuer à la méthode transcendantale un rôle en théologie ne fournit pas un nouvel instrument à la théologie, mais attire simplement l'attention sur un instrument, qui a toujours été utilisé. Car la méthode transcendantale est la mise en œuvre concrète et dynamique de l'attention, de l'intelligence, de la rationalité et de la responsabilité humaines. Cette mise en œuvre se réalise à chaque fois qu'on se sert de son intelligence de la bonne façon. Faire adopter la méthode transcendantale, ce n'est donc pas faire adopter un nouvel instrument en théologie, puisque de tout temps les théologiens ont eu un esprit et s'en sont servi. Cependant, bien que la méthode transcendantale ne fournisse aucun instrument nouveau, elle apporte une lumière et une précision remarquables dans la réalisation des travaux théologiques, et j’ai confiance que cela deviendra évident en temps voulu. En onzième lieu, la méthode transcendantale constitue une clef pour l'unification des sciences. L'immobilisme de l'idéal aristotélicien s'oppose au développement des sciences de la nature et des sciences humaines de même qu'à celui du dogme et de la théologie. L'esprit humain, au contraire, favorise tous les développements, puisqu'il les accomplit lui-même. Facteur d'unité entre tous les domaines de la recherche, si disparates qu'ils soient, l'esprit humain fonctionne radicalement de la même façon en tous et chacun. Par la connaissance de soi, l'appropriation et la possession le soi, qui résultent de l'explicitation du schème normatif fondamental des opérations – susceptibles d'être reproduites et reliées entre elles – du processus de la connaissance humaine, il devient possible d'entrevoir une époque où les chercheurs engagés dans tous les domaines pourront trouver dans la méthode transcendantale des normes communes, des fondements communs, une systématisation commune, ainsi que des procédés communs de critique, de dialectique et d'heuristique. En douzième lieu, l'adoption de la méthode transcendantale rend désuète la vieille métaphore qui décrit la philosophie comme la servante de la théologie, et elle la remplace par un fait bien précis. La méthode transcendantale ne constitue pas l'intrusion en théologie d'une idée étrangère puisée à une source étrangère. Sa fonction est d'attirer l'attention sur le fait que les théologies sont faites par des théologiens, que les théologiens ont un esprit et s'en servent, que leur activité intellectuelle ne doit pas être ignorée ou escamotée, mais plutôt reconnue clairement en elle-même et jusque dans ses conséquences. Répétons-le, la méthode transcendantale correspond à une partie importante de ce qui a été généralement considéré comme la philosophie, mais ce n'est ni une philosophie ni toute la philosophie. Très précisément, c'est une élévation de notre degré de conscience qui met en évidence nos opérations conscientes et intentionnelles et nous amène de cette façon à répondre aux trois questions fondamentales suivantes. Qu'est-ce que je fais quand je connais ? En quoi cette activité est-elle une connaissance ? Qu'est-ce que je connais quand j'accomplis cette activité ? La réponse à la première question est une théorie de la connaissance. La réponse à la deuxième est une épistémologie. La réponse à la troisième est une métaphysique au sens transcendantal, c'est-à-dire l'intégration des structures heuristiques et non pas une spéculation quelconque qui porterait sur des catégories et qui tendrait à démontrer que l'être est eau, ou matière, ou esprit, ou mouvement ou n'importe quoi d'autre. Il n'en reste pas moins que la méthode transcendantale n'est qu'une partie de la méthode théologique. Elle en fournit l'élément anthropologique fondamental. Elle ne fournit pas l'élément spécifiquement religieux. En conséquence, pour passer de la méthode transcendantale à la méthode théologique, il est nécessaire de réfléchir sur la religion. Et avant de traiter de la religion, nous devons aborder la question du bien humain et de la signification humaine. 1 W. D. Ross, Aristotle's Prior and Posterior Analytics, Oxford, 1949, 14; voir p. 51 s. 2 J'ai présenté ce schème d'opérations en long et en large dans le livre Insight, Londres et New York, 1957 (L’insight, traduction de Pierrot Lambert, Montréal, Bellarmin, 1996), et plus sommairement dans l'article « Cognitional Structure », Continuum, 2, 1964, p. 530-542, réimprimé dans Collection, recueil d'articles de B. LONERGAN édité par F. E. CROWE, Montréal et New York, 1967. Mais la question est si cruciale pour l'entreprise actuelle qu'il faut en intercaler ici un résumé. Je vous prie de noter ceci : je ne présente qu'un résumé ; ce résumé ne peut donner qu'une idée générale de la réalité en cause ; le processus d'appropriation de soi ne se réalise qu'avec lenteur et, d'ordinaire, que si l'on se mesure avec un livre du genre de L'insight. 3 C. Lévi-STRAUSS, La Pensée sauvage, Paris, 1962. 4 Dans son livre intitulé : The Transcendental Method, New York, 1968, O. MUCK dégage une notion générale de méthode transcendantale en déterminant les traits communs aux ouvrages de ceux qui emploient cette méthode. Même si je ne vois pas d'objection à cette démarche, je ne la considère pas comme très pertinente pour la compréhension de ma propre intention. Je conçois la méthode d'une façon concrète. Je ne la conçois pas sous forme de principes et de règles, mais comme un schème normatif d'opérations donnant des résultats cumulatifs et progressifs. Je distingue les méthodes appropriées aux domaines particuliers, de leur noyau ou fondement commun, que j'appelle méthode transcendantale. Le mot transcendantal est utilisé ici en un sens analogue à l'usage scolastique, car il s'oppose à ce qui relève des catégories (ou prédicaments). Mais ma démarche est également transcendantale au sens kantien, dans la mesure où elle met en lumière les conditions de possibilité de la connaissance d'un objet, pour autant que ce savoir est a priori. 5 Il deviendra évident, au chapitre 4, que la plus grande partie de ce rocher n'a pas encore été dégagée. 6 Pour un exposé plus détaillé, voir L'insight, p. 387 s., et Collection, p. 203 s. 7 Cet isomorphisme est fondé sur le fait qu'un même processus combine à la fois les actes élémentaires de connaissance pour former une connaissance composée, et les objets élémentaires de connaissance pour former un objet composé.
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