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Les oeuvres de Bernard Lonergan |
Introduction
La théologie sert de médiation entre la culture et la religion, étant donné que la culture est comme une matrice par rapport à la religion et que la religion joue un rôle important dans la culture. On peut cependant concevoir la culture de deux façons. D'une part, la notion classique de culture est normative : en droit tout au moins, il n'existe qu'une culture, qui est à la fois universelle et permanente. Ses normes et ses idéaux peuvent être l'objet d'aspiration des sans-culture, qu'il s'agisse des enfants, de la masse, des indigènes ou des barbares. D'autre part, à côté de la notion classique, on trouve la notion empirique de culture ; celle-ci se définit alors comme un ensemble de significations et de valeurs qui informent un style de vie. Une telle culture peut demeurer inchangée pendant des siècles ; elle peut également être soumise à un processus de lent développement ou de désintégration rapide. Là où prévaut la notion classique de culture, on considère la théologie comme une réalisation permanente et on discute de sa nature. Là où l'on conçoit la culture de façon empirique, on envisage la théologie comme un processus évolutif et on écrit sur sa méthode. La méthode n'est pas un ensemble de règles que n'importe qui, voire un idiot, n'aurait qu'à suivre méticuleusement ; c'est plutôt un cadre destiné à favoriser la créativité et la collaboration. La méthode met en relief les divers groupes d'opérations que les théologiens doivent accomplir pour s'acquitter de leurs différentes tâches. À notre époque, la méthode doit situer ces tâches dans le context de la science, de l'érudition et de la philosophie modernes, de l'historicité de la praxis collective et de la coresponsabilité. Pour une théologie contemporaine ainsi conçue, nous entrevoyons huit tâches distinctes : la recherche des données, l'interprétation, l'histoire, la dialectique, l'explicitation des fondements, l'établissement des doctrines, la systématisation et la communication. Les neuf chapitres qui forment la deuxième partie de notre ouvrage expliquent, tantôt de façon plus globale, tantôt en entrant davantage dans les détails, la manière selon laquelle chacune de ces tâches doit être accomplie. La première partie du volume traitera de sujets plus généraux, qui seront présupposés dans la deuxième. Ce sont le problème de la méthode, le bien humain, la signification, la religion et les fonctions constituantes de la théologie. Le chapitre qui présentera ces fonctions constituantes exposera les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés à une liste de huit tâches distinctes. Ce que nous allons proposer, on voudra bien, d'une manière générale, le considérer comme un modèle. Par modèle, n'entendons pas quelque chose à imiter ou à copier ; n'entendons pas non plus une description de la réalité ou une hypothèse concernant la réalité. Il s'agit simplement d'un ensemble intelligible et articulé de termes et de relations qu'il peut être utile d'avoir à sa disposition lorsque vient le temps de décrire la réalité ou de former des hypothèses. Semblable au proverbe, le modèle est un instrument qu'il est bon d'avoir présent à l'esprit quand on doit faire face à une situation ou entreprendre un travail. Je ne crois pas pourtant n'avoir que des modèles à offrir. J'espère, au contraire, que mes lecteurs trouveront, dans ce que je vais dire, plus que de simples modèles. Mais ce plus, c'est à eux de le trouver. En effet, le premier chapitre, qui porte sur la méthode, montre ce qu'ils peuvent découvrir en eux-mêmes, à savoir la structure dynamique de leur être personnel, capable de connaissance et d'agir moral. Dans la mesure où ils découvriront cette structure, ils découvriront aussi quelque chose qui n'est pas susceptible d'une révision radicale, du fait que cette structure dynamique conditionne et rend possible n'importe quelle révision. Les chapitres suivants, par ailleurs, sont pour l'essentiel des prolongements du premier. Ils le présupposent ; certes ils le complètent aussi, mais ils le font en attirant l'attention du lecteur sur des aspects nouveaux, des implications plus poussées ou des applications additionnelles. Cependant, tout comme chacun doit trouver en lui-même la structure dynamique décrite dans ce premier chapitre, chacun doit également vérifier pour lui-même la validité des développements ajoutés dans les chapitres ultérieurs. Comme je l'ai fait remarquer plus haut, la méthode ne propose pas des règles à suivre aveuglément, mais un cadre destiné à favoriser la créativité. J'espère que de nombreux lecteurs identifieront en eux-mêmes la structure dynamique dont je parle ; mais il se peut que d'autres n'y arrivent pas. Puis-je leur demander de ne pas se scandaliser du fait que je cite si rarement l'Écriture, les conciles œcuméniques, les encycliques des papes et les autres théologiens. C'est que je n'écris pas un traité de théologie, mais j'expose une méthode à suivre en théologie. Je ne m'intéresse pas d'abord aux sujets abordés par les théologiens, mais aux opérations qu'ils accomplissent. La méthode que je présente ici vaut, je crois, pour d'autres que les seuls théologiens catholiques romains. Mais je laisse aux membres des autres communions le soin de décider dans quelle mesure ils peuvent utiliser, eux aussi, cette méthode.
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