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Introduction à |
Gaston Raymond 0 Introduction À propos de la modernité, un auteur (Guy Coq) termine un chapitre par ces mots : « Pour conclure cette partie je hasarderai une analogie. De même que l'Église manqua la question sociale, je me demande si elle est aujourd'hui suffisamment à la hauteur d'un problème massif : le défi culturel et civilisationnel » (Guy Coq, Paroles pour le Christ, paroles pour l'Église, Paris, Éd. Parole et Silence, 2003, p. 109.) Le cri que ce philosophe lance à l'Église prend d'autant plus de relief qu'il pense que l'évolution de notre société est une chance pour le christianisme. « L'individu n'est plus encadré, et doit assumer par lui-même les options d'ordre spirituel. Cette libération du pouvoir de chacun, de rencontrer à la fois la crise radicale dans l'expérience spirituelle, de devoir inventer les chemins d'une issue, et de devoir décider librement, voilà une situation totalement favorable à la Bonne Nouvelle. » Chance parce que cette présence d’une quête spirituelle possible remplace une tradition portée sociologiquement, et même parfois devenue naturelle ou évidente. Ce que Madeleine Delbrel désignait comme un « christianisme naturel », conventionnel (tenu par convention), culturel, c’est même cela qui disparaît. 1 Diagnostics 1.1 Prédiction de Lonergan à la fin du concile Vatican II En 1965 Lonergan esquissait le proche avenir en ces termes : La culture classique ne peut être larguée sans être remplacée; et ce qui la remplace, inévitablement, ira à l’encontre des attentes classiques. Inévitablement, une droite solide se formera, déterminée à vivre dans un monde qui n’existe plus. Inévitablement se formera une gauche éparpillée, captivée tantôt par un développement nouveau, tantôt par un autre, explorant tour à tour des possibilités nouvelles. Mais ce qui comptera, ce sera le centre, peut-être faible par le nombre, mais assez vaste pour être à l’aise tant avec l’ancien qu’avec le nouveau, assez appliqué pour résoudre une à une les transitions à faire, assez fort pour refuser les demi-mesures et pour exiger des solutions complètes même si elles tardent à venir. (Lonergan B, Dimensions de la significatjon. Pour une méthodologie philosophique. Bellarmin,1991 p. 193-194 ( Original 1965)) Une autre formulation décrit la droite comme une recherche de la vérité fondée sur l'anxiété et la gauche comme une recherche de vérité à partir de la colère ou du ressentiment, et les deux sont pathologiques (http://www.lonergan.on.ca/interviews/mcevenue.htm). 1.2 Charles Taylor Ce diagnostic m'a éclairé grandement dans les années suivantes. Aujourd'hui il est prolongé par la question de Ch.Taylor dans A Secular Age (2007) : Comment est-on passé d’un temps, encore proche, où il était inconcevable de ne pas croire en Dieu, à l’époque actuelle, où la foi n’est plus qu’une option parmi d’autres et va jusqu’à susciter la commisération ? Sa réponse est exprimée par l'identification du « mythe des Lumières » qui est une théorie de la soustraction : enlever la religion et vous verrez l’homme retrouver la vérité, le bien et le progrès. Cette explication courante consiste à affirmer qu’à la faveur des progrès de la connaissance, la vérité aurait triomphé de l’illusion, nous poussant à ne chercher qu’en nous-mêmes notre raison d’être et les conditions de notre épanouissement ici-bas. Taylor décrit ce qu'il nomme les impensés du récit classique des Lumières et propose une autre explication: loin d’être une « soustraction » de la religion, la sécularisation est un processus de redéfinition de la croyance qui a vu se multiplier les options spirituelles. Taylor trace le développement de deux visions de la condition humaine en distinguant entre deux humanismes:
Cette distinction comporte aussi pour Taylor le discernement de l'impact d'un « imaginaire social » qui traduit la sécularisation dans l'univers quotidien et ainsi rejoint et façonne les mentalités courantes. Sur la sécularisation, Ch. Taylor écrit: « … la sécularisation, ce n’est pas simplement la désertion des Églises, ou le cantonnement du religieux à la sphère privée, ou encore la séparation de l’Église et de l’État. » Non, on parle de sécularisation lorsque la croyance religieuse devient « une option parmi tant d’autres ». Pour bien faire comprendre ce changement fondamental, Taylor compare deux époques: « En 1500, partout dans la société, c’était à peu près inconcevable de ne pas croire en Dieu. Évidemment, en l’an 2000, c’est au contraire très possible. » Même que, dans certains milieux - comme celui des universités -, le fait d’y croire est « presque inconcevable », fait remarquer Taylor le professeur d’université et catholique pratiquant. » 2 Apport de Lonergan Dans les deux visions du réel ou humanismes, nous pouvons avec Lonergan discerner le mouvement de la conscience dans son travail de self-transcendance, qui la fait passer du « connu à l’inconnu » - devenant connu, aimé, choisi). La différence entre les deux humanismes est dans la portée reconnue à notre capacité de transcendance. J'ai essayé de mettre en oeuvre la dynamique de l’esprit ou conscience humaine (ou de l’âme) dans le domaine de la formation chrétienne et du service pastoral qui la suscite et la nourrit. Il ne s'agit pas de traduire ou vulgariser la théologie simplement, car le service pastoral attentif, intelligent, vrai et responsable se déploie dans les domaines du sens commun en relation avec ceux de l'intériorité et de la transcendance et surtout en ayant comme foyer la conversion progressive ou transformation de la conscience.
3 Portée pastorale La pastorale n’est pas la théologie vulgarisée … comme semble le suggérer une intention de prière du Prions en église de mars 2011: « Prions pour les théologiens, les théologiennes et les catéchètes qui ont pour tâche de poursuivre avec intelligence et justesse la recherche de Dieu ». Le service pastoral et catéchétique doit précéder la ou les théologies comme la conversion ou changement d’horizon est trans-théologique . Le travail théologique relève d’un usage de l’intelligence dite théorique ou du « quoad se » d’une réalité alors que la pastorale relève de cet autre usage de l’intelligence qu’est le sens commun (quoad se), usage important pour la marche du monde. C'est pourquoi le service pastoral et la catéchèse sont attentifs aux imaginaires qui dirigent la plupart des gens, car ils sont le lieu d'une compréhension de leur vie et des choses qui les concernent. Comme Taylor l'a bien indiqué, nous sommes aujourd'hui confrontés par deux imaginaires sociaux, l'imaginaire de l'humanisme exclusif de la sécularisation et celui de l'humanisme religieux. L'acteur pastoral et éducatif doit en plus porter une grande attention au fonctionnement de la conscience quotidienne des gens. La conscience quotidienne en est une de survie. Les joueurs d'une équipe sportive en lice pour un championnat ne suivent pas Descartes en cultivant le doute de leur victoire mais au contraire en l'imaginant et en se convainquant qu'ils remporteront la victoire. Cette conscience quotidienne dans son rapport au religieux est repérée par les recherches sociologiques contemporaines. Ainsi Danièle Hervieu-Léger identifie la situation chrétienne comme une « exculturation » c'est-à-dire « la déliaison de l'affinité élective que l'histoire a établie en profondeur entre les représentations partagées [d'un peuple ou d'une nation] et la culture catholique. » HERVIEU-LÉGER Danièle, Catholicisme, la fin d'un monde. Bayard 2003 p.97 Martin-Meunier explicite : « Le concept d'exculturation n'est pas synonyme de sécularisation. Il vise non pas à traiter de l'avenir de la religion dans son ensemble, moins encore de la religiosité, mais de l'étiolement de la religion culturelle et de sa part de signification et d'emprise sur les sociétés. On peut faire l'hypothèse que la religion culturelle (perceptible notamment au sein de certaines institutions et dans la permanence de certains rituels et cultes comme le baptême, le mariage et les funérailles) aurait agi comme un cran d'arrêt à la sécularisation. Comme s'il restait une forme compacte d'institutions qui ne pouvaient pas mourir parce qu'elles sont imbriquées, sinon tissées au sein même …. nationales propres à l'histoire de chaque pays. L'exculturation peut ainsi être comprise comme un changement de la configuration d'une société globale donnée, dans son articulation originale et historiquement fondée entre institution religieuse et culture. Cette sortie ne signifierait en rien la fin de la religion, mais la fin d'une époque ou, pour reprendre le titre de Hervieu-Léger, la fin d'un monde. » (Chapitre 6 permanence et recomposition de la «religion culturelle» Aperçu socio-historique du catholicisme québécois (1970-2006) dans Mager R & S.Cantin dir Modernité et religion au Québec. Où en sommes nous ? PUL 2010) Ce diagnostic d'une sortie de la « religion culturelle » s'éclaire par l'affirmation de la sociologue anglaise Grace Davie. Le problème des églises en Occident sera moins la confrontation au laïcisme des cultivés que le l’opposition entre un christianisme nominal et le fondamentalisme que résumait son expression « Believing without belonging ». Il ne faut pas oublier une caractéristique particulière au Québec qui montre le profil commun en Occident mais avec un ton particulier d'agressivité que résume le mythe de la « Grande Noirceur » : « La majorité des Québécois liés à la petite bourgeoisie des affaires et de l'État a donc un rapport trouble à l'histoire de l'Église pour une raison très simple. Sans l'Église catholique, il n'y aurait pas eu de Canada français. Mais, réciproquement, avec l'Église, il n'y aurait pas eu ce Québec dont ils sont devenus l'élite dirigeante. Ces Québécois le savent, et c'est pourquoi ils ont refoulé l'Église hors de leur conscience. Ce qu'ils aiment de l'Église, s'ils en aiment quelque chose, c'est justement de pouvoir en faire un épouvantail, un conte pour enfants, un bonhomme sept heures …… en finir avec l'infamie que représente le fait d'être Canadiens français, comme l'écrivait Paul Chamberland, c'était aussi, dans les années 1960, en finir avec l'Église. Ce l'est toujours. L'aversion à l'égard de l'Église a donc devant elle un bel avenir. » (J.Ph. Warren, L'Église comme épouvantail. Relations octobre-novembre 2005 p.28-30) Le grand apport de Lonergan aura été de nous habiliter à mesurer et confronter les défis majeurs de la modernité que décrit l'historien des religions Huston Smith dans Why Religion Matters.The fate of the Human Spirit in an age of disbelief. Harper San Francisco, 2001. Il y reprend l'image platonicienne de la situation des humains prisonniers dans une caverne et sans accès à lumière venant de l'ouverture. Pour lui cette caverne est devenue un tunnel à quatre dimensions et sans débouché construit par quatre institutions majeures de nos sociétés :
Telles sont les conditions culturelles d'une éducation et pastorale chrétienne en ce deuxième millénaire. Mais n'oublions pas que c'est une chance pour le christianisme. |