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Entretiens |
Né en Irlande, W. Mathews est devenu Jésuite après
des études et un début de carrière en physique et en mathématiques. S’intéressant aux biographies en général et à la genèse du grand livre de Lonergan, Insight, en particulier, il rédige une grande biographie intellectuelle de Bernard Lonergan, Lonergan’s Quest, publiée en 2005. Il poursuit ses recherches notamment dans l’œuvre d’Ira Progoff et la philosophie de l’esprit.
Vous êtes né en Irlande? Oui, à Dublin. C’est là que vous avez fait vos études. Mes premières études … dans une école secondaire des Jésuites. Entre 1952 et 1957. Puis j’ai fréquenté l’université. À cette époque, j’étais très fort en sciences et en mathématiques, mais assez faible en lettres. Et maintenant, je m’investis dans les biographies et les récits. J’ai fait tout un saut! Donc, après l’école secondaire, je me suis inscrit en génie. Je réussissais très bien. Mais au milieu de la deuxième année, j’ai compris que je n’allais pas consacrer ma vie à ce domaine-là. J’ai quitté l’Irlande à ce moment-là. J’ai travaillé quinze ans en Angleterre. Dont une partie en tant que Jésuite. Tout d’abord, j’ai travaillé pour British Aircraft Corporation. Comme mathématicien. Puis j’ai découvert Lonergan de manière fortuite. J’étais en Irlande, pour une période de vacances. Et j’ai rencontré un des professeurs de Belvedere. Je lui ai dit que je lisais certains philosophes. Et que je cherchais mes véritables intérêts. Il a pris une feuille de papier et il a écrit : Bernard Lonergan. Insight. C’était en quelle année? 1961 je pense. Le livre était encore une nouveauté. Il avait été publié en1957. Mais je n’en avais pas entendu parler. Je lisais les philosophes britanniques à l’époque. Je me suis donc procuré ce livre. Le livre commence par un chapitre sur les mathématiques, et c’était justement le domaine dans lequel je travaillais. Puis j’ai été transféré dans un laboratoire de physique … et affecté à des tâches de physique fondamentale. J’ai lu les chapitres sur la physique, sur les lois classiques et statistiques … et ça correspondait à la réalité, même si les scientifiques ne comprenaient pas le genre d’analyse que vous trouvez dans ce bouquin. J’étais tout à fait fasciné … Et alors, comme j’en étais au milieu de ce livre, le Seigneur m’a kidnappé pour me faire entrer chez les Jésuites. Vous avez donc découvert votre voie existentielle et la pensée de Lonergan en même temps. En fait, j’ai découvert Insight en 1961 et je suis entré chez les Jésuites en 1965. Au moment de lire Insight, vous ne connaissiez pas Lonergan. Je ne savais rien de Bernard Lonergan. Puis j’ai suivi un parcours différent. J’ai dû me soumettre à toutes sortes de formations. Je n’ai pas fait beaucoup de philosophie, mais plutôt beaucoup de théologie. Ensuite, je suis retourné à Milton de 1968 à 1971, Philip McShane et Conn O’Donovan y étaient. Et Bernard Lonergan est venu à Milton en 1971 pour un séminaire sur Method in Theology. Pendant votre formation comme Jésuite, vous avez eu des cours sur la pensée de Lonergan? Lorsque je suis revenu à Milton, en 1968 … McShane et O’Donovan étaient là. Lonergan donnait le ton en philosophie. Je suis allé terminer mes études de théologie à Londres, et ensuite j’ai fait un doctorat en philosophie. Lonergan n’était pas reconnu dans les universités britanniques. Je suis donc allé à Leeds travailler avec Hugo Meynell. Pourquoi Lonergan était-il irrecevable? Il était inconnu. Il s’inscrivait dans la tradition catholique. Alors, pensez, les départements de philosophie dans des universités laïques … Le mot « insight » n’avait aucune signifiance en philosophie à cette époque. Le mot n’existait tout simplement pas en philosophie de l’esprit. Ni en sciences. Et voilà un livre consacré à l’insight. Qu’est-ce que c’est que ça? Ce n’était là qu’une partie du problème. Il y avait tout un ensemble de blocages. J’ai donc cherché un sujet de thèse. J’ai pensé à une sorte de médiation entre Lonergan et Wittgenstein. Mais il n’y avait aucun « œcuménisme » permettant ce genre de choses. J’ai pris un tournant. J’ai commencé à m’intéresser au récit. Je lisais Lonergan. Mais je me dirigeais vers le monde du récit, qui ne se trouve pas chez Lonergan. Et cette démarche me préparait à rédiger une biographie. Vous intéressiez-vous à Ricoeur? Oui, Ricoeur m’intéressait. Si vous prenez Charles Taylor et Ricoeur … ce sont de magnifiques philosophes, mais ils ne traitent pas vraiment des mémoires et des biographies. Alors que mon approche découlait de la lecture de biographies. Il y a d’autres livres que je pourrais mentionner. Les sources du moi … et de John Morris, Versions of the Self … J’ai découvert que j’étais plus intéressé à travailler à partir des biographies qu’à partir de la tradition philosophique. Et c’est ainsi que je me suis mis à lire Progoff. Je me suis mis à m’intéresser à la philosophie du récit … qui est devenue une part essentielle de mon développement intellectuel. En 1997, j’ai décidé d’écrire une biographie intellectuelle. À ce moment-là, je sentais depuis longtemps que l’on ne comprend pas un ouvrage créatif si on ne comprend pas la façon dont il est écrit. Et Insight est un ouvrage difficile à comprendre. Mais il y avait aussi la question de « l’autorat » comme manifestation première d’une démarche créative. Il est surprenant, de prime abord, de lire un commentaire sur la conception artistique d’un ouvrage, s’agissant d’Insight. Quand l’esprit produit quelque chose, il s’inscrit dans une démarche artistique. J’ai découvert cette dimension, et j’y tiens. Avant de présenter le connaître comme une structure, Lonergan l’a présenté dans les articles sur le Verbum comme un processus. Et le processus, la démarche, a été quelque peu occulté par la structure. Vous n’avez pas la structure cognitive dans Verbum. Il parle plutôt d’un processus, d’une série d’actes qui entrent en relation … Le processus n’est pas technique … cela vient d’une étude sur les processions trinitaires, n’est-ce pas? J’ai mis simplement le mot performance … la façon effective dont l’esprit fonctionne. Vous connaissiez personnellement Bernard Lonergan à cette époque? Je n’ai pas parlé avec lui à Dublin, où il est venu pour la grande conférence de 1971. Mais j’ai participé aux workshops à Boston dans les années 1970 et 1980. Je n’ai jamais fait partie de son cercle d’amis réellement. Mais vous aviez certains rapports … Oui, je m’entretenais avec lui. Il gardait une certaine réserve. Mais une fois que vous étiez sur la même longueur d’ondes, il s’ouvrait davantage … C’était un homme généreux. Oui, quand il était dans cet univers. Lui avez-vous parlé de votre projet? Aviez-vous conçu ce projet avant 1980? Non. J’ai décidé d’écrire mon livre en 1985 … Je ne pensais pas écrire une biographie intellectuelle … Valentine Rice voulait écrire une biographie … Je l’ai encouragé au début des années 1980 … Puis j’ai compris que manifestement il n’écrirait pas une biographie intellectuelle. La rédaction de Lonergan’s Quest a représenté une énorme tâche. J’ai décidé de laisser à quelqu’un d’autre le soin d’écrire la partie concernant le reste de la vie de Lonergan. Combien de temps avez-vous consacré à ce livre? Onze ans, environ. Il a été publié en … En 2006. Il était terminé en 2003-2004. Mais il a fallu faire beaucoup de travail de révision. Vous avez rencontré beaucoup de gens pour faire ce livre? Les cinq premières années, je recueillais des témoignages tout simplement … Lonergan a vécu à plusieurs endroits. Au départ, j’envisageais de raconter sa vie entière. J’ai passé du temps à Rome. J’ai passé du temps à tous les endroits importants de la vie de Lonergan, et j’ai parlé à bien des gens. J’ai ensuite commencé à écrire. J’ai rédigé une ébauche. Je me disais : j’ai deux chapitres sur Insight … ce sera facile. Je me suis lancé dans la rédaction. J’avais écrit certains chapitres sur la fin de sa vie … comme le temps passé à Pickering … L’un de mes chapitres a été publié … un article sur l’élaboration des fonctions constituantes (functional specialties) dans Method : Journal … où je présentais les grands moments de la phase Method in Theology dans sa vie … Quand j’ai commencé à explorer vraiment la façon dont Insight avait été rédigé … je me suis trouvé débordé par l’ampleur du projet. J’essayais de tout mettre ça ensemble. Et j’avais des surprises à propos de la manière dont l’ouvrage avait été élaboré. L’ordre de rédaction était intéressant. Nous avions l’habitude de penser que les chapitres 6 et 7 avaient été écrits les premiers. Mais vous bouleversez cette version. Lonergan dit quelque part qu’il a d’abord travaillé aux chapitres 6 et 7. En fait, il a travaillé sur la dialectique de l’histoire à Rome dans les années 1930. Les chapitres 6 et 7 découlent de ces travaux sur la dialectique de l’histoire. En ce sens, si vous y pensez bien, vous pouvez dire qu’il a travaillé à ces chapitres dès les années 1930. Mais en fait, dans le travail d’écriture, entre 1949 et 1953 … les chapitres 6 et 7 sont venus plus tard … Dans le manuscrit autographe. Dans le manuscrit autographe, les chapitres 9 à 13 ont été rédigés en premier lieu assurément. Puis sont venus les chapitres 1 à 8. Et les autres ont suivi. Lonergan passé soudainement de l’interligne simple à l’interligne double … il y a là un indice. Les premiers chapitres (9-13) sont à simple interligne … puis le double interligne apparaît soudainement … Pourquoi? Parce que la copiste avait du mal à suivre … Beatrice Kelly? Oui. Je ne l’ai jamais rencontrée, malheureusement … Dans cette phase de recherche vous avez interrogé des gens à Montréal, à Toronto … … et aussi à Boston, à Rome. Cette phase a duré cinq ou six ans. Puis je me suis demandé : quelle a été la dimension importante dans sa vie? C’est ça la question biographique. La chose, la dimension, qui fait que la personne est qui elle est. J’ai inséré une remarque en ce sens du Père Arrupe, dans mon introduction. Cette dimension, je l’ai découverte en1991-1992 : la passion intellectuelle. C’est ce qui ressort chez Lonergan. Là il fallait m’attaquer à l’écriture du récit. Il est bien difficile de dramatiser le désir intellectuel … Pour étudier la place du désir dans la conception d’Insight … vous devez passer par différentes phases. Vous pouvez par exemple parler du désir au niveau du sens commun. Mais vous ne savez pas vraiment de quoi vous parlez … Vous pouvez aussi aborder le désir en parlant de ce qu’il a déclenché … de la façon dont il agit … parler de différents types de désirs … vous commencez alors à avoir un début d’explication … En un sens, le désir intellectuel précède le langage et est la source d’un langage nouveau. Toute création artistique devient un nouveau langage. C’est là un des paradoxes qui se présent. Le désir est pré-linguistique et pourtant vous n’y avez accès que par ses produits, qui sont linguistiques. Cela nous ramène au troisième niveau du désir … que vous ne pouvez nommer. Vous avez la remarque de Bergman : « c’est un « désir sans nom » qui a donné naissance à mes films. » Le principe de croissance dans la créativité est tellement difficile à saisir, tellement étrange, qu’il vaut mieux ne pas chercher à le nommer. C’est quelque chose qui vous échappe, mais par contre vous ne pouvez comprendre que ce qui se présente sous un phantasme, une image. Quelles images avez-vous pour saisir le désir intellectuel, sinon les images linguistiques de l’écriture? Elles vous permettent de comprendre. Mais plus vous vous approchez du désir intellectuel, plus il vous paraît étrange. Votre livre nous parle de la subjectivité de Lonergan plus que d’autres biographies déjà publiées. Je dirais : accès à la personnalité … à un sens de l’unité de sa conscience. Une biographie est une étude objective d’un sujet. Toute la question est celle de la connaissance de l’autre. Comment pouvez-vous connaître quelqu’un? Non pas comme objet mais comme sujet. Je ne pense pas que nous puissions jamais avoir accès à la subjectivité de l’autre. Sa conscience est privée. Elle se révèle par la médiatisation du langage. Quand vous entrez dans le domaine de la connaissance de l’humain. Vous avez des catégories. Dans les premiers écrits de Lonergan, il s’agissait des catégories de la nature. Dans Dimensions de la signification il parle d’un passage de la réalité à la signification. Ce que vous cherchez à comprendre chez l’autre, c’est la personne comme créatrice de signification par le langage. En ce sens, vous avez accès à sa subjectivité par le langage. Vous n’avez plus affaire aux catégories de la nature, mais à celles de la signification. Dans Pour une méthode en théologie , vous avez tout un texte sur la signification et les fonctions de la signification. Très obscur.. Dans Dimensions de la signification il parle des sciences de la nature. D’une sorte d’essentialisme, portant sur l’abstrait, non le concret.. Dans une biographie vos catégories sont précisément ce que vous faites … les catégories de la signification que vous retrouvez dans Pour une méthode en théologie . Quand vous essayez de comprendre un autre sujet. C’était là un de mes insights … lorsqu’il parle de la conscience … comme d’une chose inimaginable. Comment peut-on la comprendre, si elle est inimaginable? Il dit dans un article que le dynamisme de la conscience est inimaginable? Il le dit dans une entrevue. Crowe a analysé cette affirmation et j’ai écrit un texte là-dessus. J’ai soulevé une question dans un texte présenté à Boston. Quel phantasme avons-nous pour les notions transcendantales? Les notions transcendantales de l’être et de la valeur ont trait au dynamisme de la conscience. Vous ne pouvez comprendre le dynamisme de la conscience dans une disposition particulière … vous ne pouvez la saisir dans une vie entière. La question que je pose dans ce texte est : Quelle image avons-nous pour comprendre le dynamisme de la conscience? J’ai répondu : c’est une trame linguistique … une signification découlant d’une trame narrative. La trame de l’œuvre d’une personne. C’est là une question speculative, mais vous devez avoir une image pour comprendre l’inimaginable. Pourtant, Lonergan s’oppose à la pensée visuelle … Vous ne pouvez avoir un insight sans image. Mais si le désir de comprendre de quelqu’un est inimaginable, comment le comprendre? La meilleure approche est de faire appel à l’évolution entre Insight et Method. Vous avez déjà exploré en partie cette deuxième partie de la vie de Lonergan. J’ai commencé. Mais à vrai dire, pour parler de la vie de Lonergan après Insight vous devez connaître sa théologie … sur le Verbo Incarnato … les traités … en profondeur. Puis il y a d’autres transitions. De la réalité à la signification … je sens que le temps n’est pas mûr … il faut laisser mûrir les questions liées à la deuxième partie de sa vie. J’avais une perspective sur certaines parties de la vie … J’ai écrit à propos de sa lutte contre le cancer, sur son séjour à Pickering … sur son départ de Boston. C’était tout un défi. Étiez-vous en contact avec lui à cette époque? Je lui ai rendu visite à Pickering … et j’ai aussi parlé aux infirmières. J’ai rencontré Soeur Florian … celle qui lui a sauvé la vie au moins une fois. Si j’étais malade, j’aimerais bien qu’elle s’occupe de moi … Vous avez écrit un livre et de nombreux articles sur Lonergan … En 1980 j’ai entrepris le « journal » de Progoff … J’ai toujours trouvé obscure la signification de l’introspection. Ce n’est pas évident. Quelle importance a Progoff pour vous? Pour en parler en termes lonerganiens … en fait, il m’apporte l’attention à ma subjectivité, un dialogue avec ma résolution de problèmes, une sorte d’objectivation. Vous avez un phantasme, qui est vous-même … Vous n’avez pas l’image … quand vous écrivez un journal, vous obtenez l’image. Si vous n’avez pas d’image, c’est comme si vous faisiez un travail scientifique sans mesures. Nous parlons d’appropriation de soi … pour moi, c’est une démarche sur l’ensemble de notre vie … Cette démarche est toujours ouverte sur un développement ultérieur. Le moi est toujours en croissance. Si vous tenez un journal … il faut prendre le temps … et quand vous vous relisez, il vous arrive de dire : je ne me souviens pas de ça. Vous parlez d’une démarche longue. Mais la notion de conversion semble liée à un changement rapide, à un événement bien précis dans le temps, et irréversible. Non. Je pense que toutes les conversions sont des démarches … la conversion intellectuelle est une transformation permanente de vos relations. Et la conversion religieuse est très étrange … Rosemary Haughton, dans son livre, The Transformation of Man … souligne que la tradition catholique est une tradition de formation, et non de transformation … Il y a toujours des expériences du moi … qui peuvent transformer nos perspectives. Si vous me demandez ce qu’est la conversion intellectuelle … c’est une croissance continuelle … dont la destination finale est le transcendant. Cela nous ramène à Progoff … la psychè est une semence qui croît sans cesse. La plupart des gens ont de la difficulté à saisir l’image de cette semence qui croît. À chaque étape de notre vie, de nouveaux enjeux s’ouvrent dans le domaine de la conscience. Lonergan je pense a suivi le même parcours. Il dit que son livre Insight a été écrit selon une perspective évolutive. Il essaie de systématiser sa pensée dans les cours qu’il donne à l’Institut Thomas More en 1951 … « Intelligence and Reality ». Et quand il a terminé la rédaction d’Insight il se rend compte que le questionnement ne s’arrête pas là … Crowe fait remarquer que les questions déployées dans ce livre vont se poursuivre, par exemple celles de la philosophie de l’histoire … et ainsi de suite … Lorsque je reviens aux sciences je constate qu’elles se développent sans arrêt. L’essentiel en sciences est le surgissement constant de nouveaux problèmes. La conversion intellectuelle est une démarche qui nous garde toujours conscients du mystère du moi. Vous avez mentionné que vous étiez en train d’écrire un livre où vous faites appel à la fois à Lonergan et Progoff … Quelle importance Lonergan accordait-il à Progoff? Lonergan admirait Progoff. Il avait lu Death and Rebirth of Psychology , et Depth Psychology and Modern Man … Lonergan s’est toujours intéressé à la psychologie des profondeurs. Progoff, dans Death and Rebirth of Psychology , cerne les insights de Freud, Adler, Jung et Rank … Progoff aborde ces auteurs du point de vue de l’histoire des idées. C’est fascinant … il dit : j’explore les insights de ces gens-là. C’est très éclairant, son insight sur l’insight. Depth Psychology and Modern Man concerne la finalité, l’intégration du psychique et de la compréhension de l’évolution, de la biologie évolutionnaire … l’intégration de la spiritualité avec l’évolution et la biologie … Lonergan fait une Remarque dans A Post-Hegelian Philosophy of Religion (Third Collection, p. 207) … Il mentionne Progoff à propos des « cognitypes » et des « dynatypes ». Depth Psychology and Modern Man est un livre qui se prête probablement davantage à une lecture spirituelle qu’à une lecture intellectuelle, à ce moment-ci de sa vie. Lonergan était toujours en train de découvrir de nouveaux auteurs … C’est pourquoi je dis que le questionnement à propos de la personne humaine ne connaît pas de fin. Cela se poursuit sans cesse. En vieillissant, vous perdez une partie de votre énergie, mais vous pouvez connaître des perspectives très riches. Lorsque j’ai terminé mon livre, j’ai constaté que son écriture avait ouvert en moi un horizon concernant l’étrangeté du désir … un horizon que je ne développe pas vraiment dans les deux dernières pages. C’est pourquoi j’explore … dans la ligne de Lonergan et Progoff. Vous avez d’autres interêt … Je travaille sur deux livres en ce moment. L’un s’appelle Emerging Realities. Cosmos, Nature and Human Cultures . J’ai entrepris ce projet. Je suis allé à une conférence à Madrid il y a deux ans, portant sur les relations interdisciplinaires … J’ai saisi quelques-unes de mes idées maîtresses dans les débats de cette conférence … sur la façon dont toutes les disciplines s’unissent. Le projet concerne une vision, un peu comme celle de John Henry Newman … celle d’un tout dans la connaissance, et d’une université qui serait ouverte au lieu d’être compartimentée … Bien sûr, il faut des départements, une division, mais sans oublier le tout de la connaissance. Lonergan, aux chapitres 8 et 15 de L’Insight, ouvre ces questions. Le chapitre 8 porte sur la notion de chose. Comment la compréhension dans les différentes sciences forme un savoir cumulatif, une relation image-insight, lorsque vous passez d’une science à une autre. Des images créées par les neuroscientifiq ues, les autres sciences de la conscience, et ainsi de suite. Voilà un monde totalement inexploré. J’ai beaucoup travaillé à ce projet. J’ai une ébauche. Mais en y travaillant, je me suis trouvé attiré dans une autre direction. Le deuxième projet a pour titre Adventure in Lifelong Journey . Progoff souhaitait que les gens puissent comprendre la dynamique de croissance de leur propre conscience. Ce qui voulait dire, non seulement de porter le jugement de l’affirmation de soi, mais de saisir les opérations cognitives dans une gamme d’exercices de résolution de problèmes. Je travaillais avec certaines personnes sur l’intégration de cette démarche en éducation. Si vous suivez un programme d’études, vous vous engagez dans une démarche d’apprentissage. Donc vous commencez à suivre un cours. Il y a des choses dont vous ignorez tout. À mesure que le cours se déploie, vous affrontez l’étrangeté du langage. Puis vous affrontez des choses à comprendre et le langage vous devient progressivement familier et vous vous demandez pourquoi vous le trouviez difficile … Cette démarche est différente de l’objet du cours que vous suivez. Voilà pourquoi maintenant dans toute une série de processus éducatifs il y a une dimension « journal personnel » qui vise à aider l’étudiant à relier la matière à sa propre vie et également à apprendre à connaître l’apprentissage. Cela est important pour leur avenir également. Ce qu’ils vont apprendre sera dépassé à un moment donné. Mais apprendre à apprendre c’est se doter d’une compétence vitale. Le journal peut être très utile à cette fin. Vous saisissez le dynamisme de la conscience, très important pour Progoff, qui pourtant n’a pas le langage des notions transcendantales. Il exprime tout ça de façon magnifique dans le « Journal ». Mais il n’a pas le vocabulaire de Lonergan. Je pense qu’il serait tout à fait éclairant de rapprocher Lonergan et Progoff à propos des notions transcendantales … c’est ce que je vais faire au cours de la prochaine année. Comment voyez-vous l’avenir immédiat pour la diffusion de la pensée de Lonergan? Il est intéressant de voir ce que la culture peut absorber. Quand Insight a paru en 1957 … le mot n’avait pas sa place. Maintenant, vous trouvez le mot « insight » partout, dans les revues scientifiques. Ce mot n’est pas répertorié dans les index, mais il est utilisé fréquemment. Il y a là un développement de la culture. Par ailleurs, il y a des possibilités d’établir des liens dans les études sur la conscience. Francis Crick, après avoir accompli un travail colossal en microbiologie sur la façon dont les gènes contrôlent les processus associés aux protéines, a écrit un livre, What Mad Pursuit … un petit livre, qui est l’un des meilleurs exposés qui soit sur l’insight. Crick est matérialiste. Mais il contredit son propre matérialisme … Si je devais donner un cours d’introduction à Insight, je recommanderais la lecture du livre de Francis Crick, What Mad Pursuit , qui concerne la démarche créative. Crick s’intéressait au passage du non-vivant au vivant. 1 Après avoir terminé ses travaux en biologie moléculaire, il a voulu revenir au problème de la conscience. Il s’est servi de l’analogie qu’il avait utilisée pour parler de l’ADN. La vie a une base chimique. Par analogie, Crick postule que la conscience a une base neurale. Si vous voulez découvrir le secret de la conscience, vous devez donc explorer les structures du c1erveau. Il y aurait dans notre cerveau un équivalent de l’ADN et des protéines. Avec Christoph Koch, Crick a consacré les 18 dernières années de sa vie à tenter de trouver ce qu’ils ont appelé le corrélat neural de la conscience. Une perspective purement réductionniste. Mais à Tucson, où se trouve le Center for Consciousness Studies, (où se tient une rencontre tous les deux ans – j’y suis allé tous les deux ans au cours des huit dernières années); cette année, pour la première fois, on a reconnu que la conscience met en jeu davantage que les processus du cerveau. L’identification de l’esprit et du cerveau commence à s’estomper. Nous avons besoin d’un nouveau paradigme pour résoudre le problème de la conscience. Il faut lire Alva Noë … Out of Our Heads … il conteste Crick à propos de ce paradigme. Il dit des choses très intéressantes à propos de la compréhension. La compréhension c’est le moment-Eurêka. Lorsque vous arrivez dans une ville et que vous apprenez comment utiliser une carte pour vous repérer, vous réussissez à vous orienter dans un endroit inconnu. Noë dit : lorsque vous apprenez une langue, l’apprentissage se fait presque inconsciemment, mais la compréhension entre en jeu. C’est seulement dans la démarche de l’apprentissage que vous expérimentez l’effort, quand vous n’avez pas acquis les habiletés voulues. Lorsque vous apprenez à maîtriser un langage, les choses se mettent en place. Les gens disent en conséquence qu’un langage c’est un processus du cerveau. Certains linguistes estiment que ce processus n’a aucune signification particulière. Mais les choses commencent à changer. Vous enseignez la philosophie de l’esprit? Les cours que j’ai donnés sont plutôt en anthropologie. Comment lire une biographie. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux biographies, je me suis interrogé sur les valeurs. Il y avait un article d’un certain M. Trainer, Autobiographies’ Argument . Il abordait Socrate, Descartes et Collingwood. Il disait que ces trois-là utilisaient leurs histoires pour fonder une méthode nouvelle. Une nouvelle façon de faire les choses. À la fin, il soutenait qu’ils défendaient des valeurs. En un sens, on peut dire : une vie est l’expression des valeurs d’une personne. Il y a un exercice chez Progoff, qui s’appelle : Les chemins empruntés et non empruntés. Il s’agit de se souvenir des grandes décisions que l’on a prises au cours de sa vie. Certaines décisions ont été prises pour vous, certaines autres, c’est vous qui les avez prises. Chaque grande décision met en jeu une valeur. Il est très intéressant de lire une biographie en fonction des décisions qui ont structuré une vie, et en fonction des échelles de valeurs de Lonergan. Quel genre de biographies lisez-vous? Des biographies de philosophes? De scientifiques? J’ai beaucoup travaillé des biographies de philosophes avec mes étudiants. Heidegger, Husserl, Simone de Beauvoir, Hannah Arendt, Edith Stein, Simone Weil … J’ai dirigé un séminaire à Marymount en 2002, sur la lecture des biographies de onze personnes. Chaque étudiant devait se charger d’un philosophe différent. Ils devaient rédiger une dissertation sur la façon dont l’identité philosophique particulière du sujet avait été façonnée. Il était fascinant de faire le tour du groupe et de voir comment chacun avait découvert tel ou telle philosophe. Les étudiants devaient ensuite rédiger une dissertation sur un chapitre de la vie de leur philosophe à l’époque de la maturité. Tout cet exercice montrait l’absence de communication entre les différents philosophes. Il était fascinant de voir les étudiants écouter leurs collègues. Nous avons également abordé la vie des grands scientifiques créateurs. Mais les autobiographies? Sont-elles bien différentes? Une autobiographie nous parle de la manière dont s’est forgée l’identité d’une personne. La biographie part de là. Le cours que je donnais était intitulé « Reading Lives. Narrative Selfhood and Value Ethics ». Avez-vous enseigné la pensée de Lonergan? J’ai enseigné Lonergan dans des circonstances spéciales. Mais je suis arrivé à la conclusion, à mon retour à Milton en 1980, que nos étudiants n’avaient pas assez de bagage en mathématiques et en sciences pour comprendre de quoi parle Lonergan. Il faut un type d’étudiants particuliers. La plupart de nos étudiants vont en sciences humaines. Dans mon enseignement, j’ai pris, non pas Lonergan, mais la personne humaine. J’ai travaillé avec une collaboratrice, qui a beaucoup exploré l’œuvre de Martin Buber. La première année, nous offrions l’histoire des origines de l’être humain dans le cosmos. La deuxième année, nous parlions du moi et de la société, et de la post-modernité. Et la troisième année, nous explorions une biographie particulière. Vos étudiants n’étaient pas que des Jésuites? Notre faculté est ouverte. Il y a peu de Jésuites en fait. Dans les années 1990, nous en avions une soixantaine en première année de philosophie. Pouvez-vous nous dire ce que Lonergan représente pour vous? Il fait partie de ma destinée. Ma rencontre avec Lonergan a quelque chose de providentiel. Ça a été pour moi un enrichissement immense. Par contre, il y a pour moi un risque d’être écrasé, de perdre ma propre individualité. Vous devez conserver votre indépendance. Savoir ce qu’est la créativité. Les « disciples » estiment que leur maître a réglé tous les problèmes. Marx … Heidegger … Wittgenstein … Mais chacun doit se définir soi-même comme un autre. Une partie de la destinée est une illumination de ce grand territoire humain. En écrivant une biographie, je sentais que j’avais une voix personnelle. Je produisais une version d’une histoire, et elle était le fruit de ma créativité. |