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Entretiens |
Vous
connaissiez Bernard Lonergan déjà à l’époque de la création de l’Institut
Thomas More?
Je connaissais le P. Lonergan par réputation, par l’intermédiaire
du P. O’Connor. Puis il y a eu son cours. « Thought and Reality ». J’ai suivi
ce cours.
Vous étiez aux études à ce moment-là?
Oui, j’ai obtenu mon baccalauréat à l’Institut Thomas More.
Vous faisiez donc partie du premier groupe, en 1945? Oui. Vous avez fréquenté aussi l’École normale? Oui. C’est là que j’ai rencontré Emmet Carter. Mon
beau-frère, Thomas Francoeur, y était aussi. Il allait voir Lonergan avec Stan
Machnik. Lonergan était à l’Immaculée-Conception à cette époque. Et par la suite vous êtes devenu professeur? J’ai obtenu mon brevet d’enseignement à l’École normale Jacques-Cartier, dans la
section anglaise. Puis pendant neuf ans, j’ai enseigné au niveau élémentaire. Vous avez enseigné, ensuite, au niveau secondaire? J’ai enseigné quatre ou cinq ans au niveau secondaire, puis j’ai obtenu une bourse
d’études du Conseil de recherches en sciences humaines et je suis allé étudier
en Angleterre pendant un an et demi. Mais entre-temps, j’avais décroché une
maîtrise à l’Université de Montréal, en lettres. J’ai toujours été intéressé à
la littérature et aux arts. Lorsque
vous étiez à l’École normale, vous avez participé aux activités d’éducation des
adultes données au Collège Loyola? Oui. Puis vous avez pris part aux cours donnés à l’Institut
Thomas More? Oui. L’Institut venait de naître. Il offrait des cours du soir. Puis il a créé un
programme de crédits universitaires avec l’Université de Montréal. Par la
suite, l’Institut s’est affilié à l’Université Bishop. Parlons un peu du cours « Thought and
Reality ». Ce premier contact avec Lonergan a eu une incidence dans votre
formation intellectuelle? Oui. Pour moi, le monde s’ouvrait. J’avais suivi certains cours de philosophie
scolastique thomiste, très élémentaires. Ces cours étaient arides. Nous lisions
tout, sauf Thomas d’Aquin. On nous transmettait des notes. Cet enseignement traçait pour vous des
perspectives importantes? J’ai appris à porter attention à mes propres jugements. J’ai compris que le jugement se produit au
terme d’une démarche. Et qu’il ne se produit pas fréquemment. Avez-vous
eu de la difficulté à saisir le propos de Lonergan? Non, pas vraiment. Je n’avais pas beaucoup à désapprendre. J’ai accueilli sans préconception cet
enseignement sur la façon dont nous pensons. À la fin, il nous a demandé de lui
montrer les notes que nous avions prises. Il voulait voir comment nous avions
noté ce qu’il avait dit. Il m’a remis mes notes et je les ai données au P.
Crowe. Elles sont dans les filières des archives. Cet
enseignement a été important pour votre carrière? Très important. Quand nous enseignons la littérature, nous demandons aux étudiants de réagir et de
porter un jugement quant au sens qu’ils ont trouvé dans ce qu’ils ont lu. Selon
une ancienne méthode d’enseignement, le professeur disait aux étudiants quel
était le sens des ouvrages inscrits au programme. Je n’ai jamais dit à mes étudiants quel était le sens qu’ils
devaient trouver dans leurs lectures. Si j’avais un groupe assez important, je
le divisais en petits groupes qui devaient discuter du sens des textes au
programme. Les petits groupes devaient ensuite échanger entre eux sur ce qu’ils
avaient conclu. C’est ce que vous voulez dire quand vous
parlez des étudiants qui ferment … Qui ferment leur monde. Porter
un jugement, c’est donc se situer dans l’optique intellectualiste. Dans la perspective intellectualiste et exploratoire. Dans cette perspective, on reste toujours
ouvert … À de nouvelles expériences, à de nouveaux insights. Avez-vous
suivi les autres cours ou conférences de Lonergan à l’Institut? J’ai assisté à chacune de ses prestations. Vous aviez donc une relation personnelle
avec lui? Oui, mais pas une relation intime. Quand j’étudiais en
Angleterre, je suis allé à Rome à Noël. Il était à la Grégorienne cette
année-là. Je le connaissais assez pour communiquer avec lui pendant la semaine
de Noël. Il m’a invité à monter sur le toit de la Grégorienne, qui offrait l’un
des meilleurs points de vue de Rome. Vous avez suivi la publication des œuvres du
P. Lonergan? Je n’avais pas beaucoup de temps pour lire, avec mon
enseignement à McGill. J’étais président de mon département. J’étais aussi président du Canadian Council of
Teachers in English. Mais j’ai lu partiellement ses textes. Avez-vous animé des groupes de discussion à
l’Institut Thomas More? Oui, et j’ai conçu un bon nombre de cours. Vous
avez donc participé à la vie de l’Institut. Je fais partie du conseil de direction depuis 1946. Je participe encore à la vie
de Thomas More. Vous
deviez concevoir des cours spéciaux? Il fallait fournir les livres et tenir compte des deux langues. Les participants
faisaient les lectures en français ou en anglais, à leur convenance. Donc,
malgré toutes vos occupations ailleurs, vous avez toujours pris le temps de
vous engager à l’Institut Thomas More? Pour moi, l’Institut est une histoire d’amour. Et quand je concevais un cours, je
partais d’une question, d’un thème qui excitait ma curiosité. Je ne voulais pas
donner un cours sur ce que je connaissais déjà. Je voulais explorer avec le
groupe. Je me disais : voici un livre que je veux lire cette année, donc
je vais le lire avec un groupe. Et quand vous lisez un livre de cette façon,
vous le lisez avec le regard et la conscience des autres tout autant que les
vôtres. Voilà une façon très ouverte d’explorer des questions. Dans
votre carrière d’enseignement, au niveau collégial ou à l’université, avez-vous
fait appel aux insights acquis à partir du cours « Thought and
Reality »? Oui. La méthode apprise de Lonergan était une dimension essentielle. J’enseignais en
faisant appel au questionnement. Comment
réagissaient vos étudiants? Ils réagissaient très bien. À l’université, ils se retrouvaient dans de grands
groupes, et n’avaient jamais la possibilité d’exprimer leur propre pensée. Ils
devaient se contenter de noter ce qu’on leur disait. Vous
avez utilisé la méthode de l’appropriation de soi … Dans mon enseignement, cela voulait dire : amener les étudiants à prendre
conscience du fait qu’ils réalisaient leur propre apprentissage. Même les
jeunes enfants … En Angleterre, j’ai passé deux mois à visiter des
écoles. À cette époque, on modifiait de fond en comble le curriculum en
Angleterre. J’ai observé ce qu’ils faisaient dans les cours de science avec les
enfants. On leur faisait faire des expériences. On les amenait près d’un ruisseau
ou d’un étang. Ils découvraient les petits animaux qui s’y trouvaient. Ils les
observaient, en parlaient. Ils en parlaient dans leur propre langage. Ils
n’apprenaient la terminologie que quand ils avaient compris de quoi il
s’agissait. L’expérience précédait le vocabulaire. Dans
votre carrière d’enseignement, vous avez dû vivre des moments exaltants, des
réussites? J’allais dans les classes voir mes étudiants en pédagogie qui faisaient des stages
pratiques. J’ai constaté que bon nombre de mes étudiants appliquaient les
notions, la méthode que je cherchais à leur apprendre. Ils cherchaient à
susciter la compréhension chez les élèves. Donc,
ces élèves n’avaient aucune confiance en leur propre capacité de penser? Non. Vous vous en rendez compte quand vous parlez de poésie ou de mathématiques.
L’élève vous dit : « Je ne peux pas faire ça, je ne pourrai
jamais comprendre ça. » Vous leur demandez : « Quelle est votre
chanson favorite? » Et l’enfant vous présente une chanson remplie de
métaphores. Vous lui dites : « Mais c’est de la poésie, ça! Tu
aimes la poésie, n’est-ce pas? » Avez-vous
été en butte à certaines résistances dans les milieux où vous étiez actif,
quant à ces perspectives pédagogiques? Si on m’avait interrogé, j’avais des réponses à donner … Certaines
méthodes considèrent l’esprit humain comme un conteneur … Pourquoi perdre notre temps à interroger des étudiants?
Au fond, si vous ne connaissez pas les dates et les faits, vous n’avez
qu’à consulter des ouvrages de référence. Vous
avez d’autres souvenirs du P. Lonergan dont vous aimeriez nous faire part? Je pense au P. Doran. Le P. Lonergan était très malade, à Pickering. Bob Doran
allait le voir régulièrement, pour bavarder avec lui. Pat Coonan y est allée de
temps à autre. Eric O’Connor restait en contact par téléphone. Eric et Bernard
Lonergan se parlaient au téléphone régulièrement depuis longtemps. Quand le P.
Lonergan était à Boston, Eric l’appelait toutes les semaines. Vous
avez correspondu avec le P. Lonergan? J’ai une seule lettre, amusante. J’étais à Londres. Une femme voulait le rencontrer.
Une économiste. Le P. Lonergan devait passer
par Londres pour se rendre à Rome. Il y avait une soirée sociale et je voulais
que cette femme rencontre le P. Lonergan. Insight venait de paraître. Je
voulais que cette femme connaisse ce livre. Ils se sont rencontrés. Mais quand
le P. Lonergan est arrivé à Rome. Il m’a écrit pour me remercier en disant que
la soirée avait été une soirée sociale, mais rien de plus. Est-ce
que la pensée de Lonergan a eu une influence sur votre vie personnelle? En ce qui a trait à ma vie religieuse, Lonergan m’a permis de me sentir libre de
ne pas prendre à la lettre tout ce qu’on me présentait comme des vérités
religieuses. J’ai appris à me demander qui était l’auteur de telle ou telle
affirmation, quelle était sa formation, sur quelles bases il se fondait. J’ai
appris à poser des jugements critiques. Considériez-vous
parfois le questionnement comme une activité subversive? Non, jamais. Mais l’attitude critique me permettait de tout
situer dans une perspective historique. Cela permet de mieux comprendre. De
clarifier des choses. Et c’est en évolution constante. Oui, toujours en mouvement. Donc la pensée de Lonergan a eu une influence importante
dans votre vie? J’ai pris conscience de la dimension historique. De la
genèse des configurations existantes. La pensée de Lonergan est toujours pertinente selon vous
dans le contexte actuel? Je pense que la perspective lonerganienne concernant
l’acquisition de la signification répond à une immense quête de la société
actuelle. J’espère que la pensée de Lonergan continuera d’être diffusée, grâce
aux nombreux centres qui ont été créés à cette fin. |