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Eileen O’BRIEN a fait des études
d’économie et de sciences politiques à l’Université McGill.
Elle a épousé Pieter de Neeve, un ingénieur originaire de Hollande.
Ils ont quatre enfants et six petits-enfants.
Mme de Neeve a été engagée activement à l’Institut Thomas More
depuis 1951. Elle était jusqu’en décembre 2002 présidente de cet
institut,
où elle conçoit et donne des cours d’économie depuis plusieurs années.
Elle représente l’Institut auprès de la
Fédération canadienne des sciences humaines et sociales.
Après avoir obtenu un doctorat en économie de l’université McGill,
elle a travaillé comme économiste pour l’Institut C. D. Howe.
Elle a enseigné l’économie au Collège Vanier et au Collège Branson.
Elle a été directrice de recherche au sein de la commission créée à
l’université McGill sur la nature de l’université.
Mme de Neeve a publié, entre autres,
« Suspicion
and Recovery: Ethical Approaches
to Economics »,
dans
METHOD: Journal of Lonergan Studies 15 (1997)
et« The
Possibility of a Pure Cycle », dans Religion and Culture,
un ouvrage
publié sous la dir. de Timothy Fallon et Philip Riley
(New
York: University of Albany Press 1987)
Vous avez connu personnellement Bernard Lonergan?
J'ai assisté à certaines conférences que Lonergan a données à l'Institut Thomas More
dans les années 1950 et 1960. J'ai participé aux rencontres qui se tenaient
après ces cours, mais j'étais intimidée et je me contentais d'observer.
En 1970 Lonergan a été invité à un colloque organisé à Thomas More, sur le thème The
Question as Commitment (le questionnement comme forme d'engagement). L'idée
avait été inspirée par Elaine Cahn.
Eric Voegelin y avait été invité aussi. Les actes de ce colloque ont été
publiés. Après le colloque, Eric et Ruth Poznansky ont réuni autour d'un repas
les invités et les organisateurs. C'est là que j'ai pour la première fois
réussi, malgré ma timidité, à
converser avec Lonergan. Lonergan s'est montré très accueillant, mais sa
conversation s'éloignait des entretiens familiers. Au Boston Workshop, il
recueillait les questions posées par écrit, pour y répondre aux séances prévues
à cet effet. Lonergan m'a toujours semblé plus à l'aise lorsqu'il s'exprimait
dans une conférence ou, bien sûr, par l’écriture. Je pense que son travail méthodologique est difficile à
communiquer dans une conversation.
À partir de 1979, j'ai assisté à
plusieurs des Lonergan Workshops tenus annuellement à Boston. J'y suis allée le
plus souvent en voiture avec Patricia Coonan qui connaissait Lonergan depuis
qu'il était venu à Montréal en 1945, à l'Institut Thomas More, donner un cours
intitulé « La pensée et la réalité » (Thought and Reality). On dit
que l'accueil fait à ce cours a encouragé Lonergan à entreprendre la rédaction
d'Insight. À Boston, Pat
Coonan invitait Lonergan au restaurant. Et elle m'invitait aussi. Nous ne
discutions ni de philosophie ni d'économie, mais pour moi c'était là des
rencontres extraordinaires. Lonergan animait brillamment la conversation à
laquelle Pat assurait une teneur familière.
Au début des années 1980, Lonergan est venu à Montréal se prêter à des entrevues
menées par Cathleen Going, Pierrot Lambert et Charlotte Tansey, entrevues
consignées dans Caring About Meaning. Pendant son séjour à Montréal, je l'ai interviewé dans le
cadre d'un cours de l'Institut Thomas More sur l'économie. Nous lui avons demandé de nous expliquer
le fameux « losange d'un terrain de baseball » servant à illustrer
ses théories économiques. Il s'agit là d'un diagramme simple qui explique que
dans un contexte macroéconomique la circulation de l'argent concerne les
producteurs et les consommateurs tant de
biens d'équipement que de biens de consommation, de même que le système
bancaire, l'administration publique et le commerce extérieur. Il s'agit là d'un
merveilleux diagramme. Lonergan le présentait brillamment.
Pouvez-vous nous parler un peu de la participation de Lonergan
aux activités de l'Institut Thomas More?
Au cours des années 1950 et au début des années 1960 Lonergan est souvent venu
donner la première conférence à l'intérieur du cours de philosophie ou de
théologie offert à l'Institut. Eric O’Connor l'invitait à s'arrêter à Montréal,
avant de retourner à la Grégorienne, à Rome, pour y reprendre son enseignement,
et à venir exposer ses dernières recherches. O’Connor et Lonergan étaient des
amis, ils étaient Jésuites tous les deux, et s'étaient connus à l'époque où
Lonergan enseignait à Montréal. Lonergan nous a présenté des exposés sur des
thèmes tels que la rédemption, le temps et la signification, la créativité et
la guérison dans l'histoire, et l'histoire de la philosophie. Ces conférences magnifiques
nous ouvraient progressivement à l'intelligence d'un monde tout nouveau. Nous
faisions l'expérience du pur désir de connaître et expérimentions la vie de
l'esprit.
Assez tôt dans son histoire l'Institut a fait appel aux écrits de Lonergan dans ses
cours. Nous avons lu les premiers chapitres d'Insight dès sa
publication. Nous saisissions que pour parvenir à comprendre, à juger, à
connaître, l'esprit humain devait passer par un questionnement. Nous
comprenions que nos choix existentiels se fondaient sur notre connaissance.
Nous percevions de quelle manière il fallait généraliser la méthode
scientifique et quel effet pervers les déviations pouvaient avoir sur la
compréhension. Ces perspectives nous apportaient un vent de libération, à nous
qui avions grandi dans le giron de l'orthodoxie catholique de l'époque. C'est
grâce à cet élargissement de nos horizons, certes, que bon nombre d'entre nous
sommes demeurés au sein de l'Église.
Après la publication de Method in Theology, l'Institut a fait appel assez
souvent dans ses cours aux chapitres de ce livre sur la signification et le
bien humain, ainsi qu'à d'autres passages. Quand la version française (Pour
une méthode en théologie) a paru, Louis Roy et Roberta Machnik ont dirigé
un atelier de lecture et de commentaires de l'ouvrage. J'ai participé à cet
atelier. Et en 1977, alors que Lonergan reprenait ses travaux sur l'économie,
Eric O’Connor a organisé un séminaire spécial sur le manuscrit économique de
Lonergan, Essay in Circulation Analysis. J'ai pris part à ce séminaire, auquel participaient entre autres
Eric O’Connor, Eric Kierans,
Maurice Scarpaleggia - le directeur général du Collège
Vanier - et Joe Listaeghe.
De quelle façon la pensée de Lonergan a-t-elle influencé votre
propre développement?
C'est par l'Institut Thomas More que j'ai appris à connaître la pensée de Lonergan.
Après avoir obtenu un diplôme en économie et en sciences politiques à
l'Université McGill, j'ai suivi un cours sur la philosophie moderne à
l'Institut Thomas More. Je suis par la suite devenue membre du conseil de
direction et secrétaire bénévole de l'École des travailleurs, que l'Institut a
maintenue de 1951 à 1956. Cette école était le fruit d'une merveilleuse
collaboration entre le président de la Fédération des travailleurs du Québec,
Marcel Francq, Marc Lapointe, spécialiste en droit du travail, et Joseph Ledit,
un Jésuite. Le Père Ledit exerçait son ministère auprès des chrétiens de rite
oriental, il parlait russe et était un spécialiste de l'histoire du travail.
J'ai continué à cette époque à suivre des cours et aussi à diriger des groupes de
discussion, après avoir acquis la formation sur la méthode de discussion de
l'ITM. Ces cours portaient sur la politique à l'échelle mondiale et sur les
peuples d'autres cultures. Ces cours faisaient appel à des lectures sur
l'histoire de l'économie et sur le développement des idées économiques. J'ai
conçu moi-même des cours plus tard, suivant ce modèle. Les cours de l'ITM sont
multidisciplinaires, parce que les adultes vivent dans un monde qui ne saurait
être compris par recours à une seule discipline. J'ai suivi également des cours
de littérature, de philosophie et de théologie où j'ai eu à lire des textes de
Lonergan, en particulier des passages d'Insight.
Au milieu des années 1970, mes quatre enfants étaient devenus plus autonomes, la
crise des prix du pétrole faisait rage et les théories économiques étaient
prises à partie. J'ai décidé de reprendre ma formation économique, en
poursuivant un programme de maîtrise. Pour m'y préparer, j'ai suivi le cours de
mathématiques d'Eric O’Connor portant sur le calcul différentiel et la théorie
des ensembles, à l'Institut Thomas More, ainsi qu'un cours de statistiques de
premier cycle à l'Université Concordia. Lonergan revenait à ses travaux en
économie. Le moment était donc bien choisi.
Lonergan est allé s'installer à Boston en 1977. Professeur invité à la Harvard Divinity
School, il a résidé pendant plus de cinq ans à Boston College, où il a
travaillé à ses théories économiques avec un groupe du Lonergan Workshop. Il
dirigeait un séminaire annuel sur la macroéconomie, tout en peaufinant son
manuscrit sur l'économie. Le texte qu'il a produit à cette époque forme le
volume 15 des œuvres complètes (Collected Works Edition) publiées par University
of Toronto Press, Macroeconomic
Dynamics: An Essay in Circulation Analysis. Ce volume contient également l'article « Healing and
Creating in History » (Créativité, guérison et histoire), une conférence
prononcée à l'ITM. Le volume 21 des œuvres complètes, For a New Political
Economy comprend les écrits économiques antérieurs de Lonergan, soit
« An Essay in Circulation Analysis » (1944) ainsi qu'un texte de 1942
et d'autres fragments. L'essai de 1944 résume la pensée économique de Lonergan
et son analyse des relations entre les variables économiques, qu'il a élaborée
au cours de la Crise économique précédant la Deuxième Guerre mondiale. Lonergan
avait alors quarante ans.
En 1977, je poursuivais des études de maîtrise en économie à l'Université Concordia
et je me préparais à rédiger un mémoire sur les économies de l'Europe centrale.
Mon directeur pour ce mémoire était Stephen Marglin, professeur d'économie à
Harvard, d'allégeance marxiste, quand
Eric O’Connor m'a parlé des travaux de Lonergan en économie et de
l'intérêt que Lonergan portait aux idées de Kalecki, proches des siennes. J'ai
donc réorienté mon mémoire et, en utilisant des données d'un ou deux pays de
l'Europe communiste, j'ai fait appel aux thèses de Kalecki et de Lonergan sur
les cycles de croissance.
Après avoir obtenu ma maîtrise, j'ai travaillé pendant quelques années à l'Institut
C.D. Howe, en tant que chargée de recherche en économie, jusqu'à ce que
l'Institut aille s'installer à Toronto. Je suis demeurée à Montréal, où
j'enseignais à temps partiel, tout en travaillant à l'Institut Thomas More.
Après la mort de Lonergan, survenue en 1984, j'ai décidé d'entreprendre des
études doctorales à l'Université McGill. Ma thèse portait sur les travaux de
Lonergan et leur relation avec les théories macroéconomiques. J'ai obtenu mon
doctorat en 1990.
Pouvez-vous nous exposer en quelques mots la contribution de
Lonergan en économie?
Dans son manuscrit, Lonergan manifeste une excellente connaissance des économistes
d'avant la Deuxième Guerre mondiale, y compris Keynes et Schumpeter, qui
cherchaient eux aussi à expliquer la conjoncture et à résoudre la problématique
liée à la Crise économique. Cependant, la
théorie des cycles économiques a
dévié après la guerre, sous l'influence des travaux de Samuelson concernant l'équilibre général, alors en vogue.
Samuelson et d'autres économistes estimaient que l'économie devait se trouver
près de la position d'équilibre de
plein-emploi, une position qui pouvait et devait être maintenue, soit
par elle-même, soit, dans la perspective de Keynes, par une action des
gouvernements sur les leviers
monétaires, budgétaires et fiscaux.
Après la guerre, l'économie semblait bien fonctionner, du moins dans les pays
industrialisés, et les cycles économiques
paraissaient bien contrôlés. Le Bureau national de la recherche économique
et les agences gouvernementales canadiennes et américaines, de même que
Statistique Canada, recueillaient des données macroéconomiques. Ces données
servaient à orienter les décisions stratégiques du gouvernement, mais on avait
oublié la théorie des cycles
économiques. Dans ce contexte, il n'est guère surprenant que le
manuscrit de Lonergan, Essay on Circulation Analysis, n'ait intéressé
personne après 1945.
Après la guerre, les théories de la croissance
se sont développées séparément des théories
des cycles. Les principales variables auxquelles faisait appel l'analyse
de la croissance économique étaient la
croissance de la population active et les investissements de capital ou les
changements dans le stock de capital. On présumait que l'épargne et l'investissement
représentaient une proportion fixe de la production (output). De façon générale, la pensée économique se concentrait sur l'utilisation des
mathématiques comme outil d'analyse et sur l'élaboration de modèles pour
baliser l'économie et produire des prédictions à court terme. Ces approches
posent un problème, qui tient en partie à la difficulté mathématique de faire
varier à la fois les prix et la
production dans une certaine période de temps, à l'intérieur d'un
modèle, puisque ces variables se déterminent l'une l'autre. L'une des deux
variables doit être fixe au moins pendant la période analysée. La théorie de
l'équilibre général peut considérer comme fixe soit les prix, soit la production; en général, on présume que la production sera
constante.
Les crises économiques des années 1970 et 1980 ont remis sur la sellette la
théorie des cycles économiques. De nouvelles éditions des œuvres de Kalecki ont
paru et les post-keynésiens ont recommencé à lire Keynes lui-même et les autres
économistes de Cambridge. Même si de nouveaux modèles de cycles économiques sont apparus dans les années 1980, la théorie économique a
continué d'expliquer séparément la croissance à long terme et les cycles à court
terme.
En outre, comme la macroéconomie dépend énormément des politiques
gouvernementales, la science économique souffre parfois des perspectives
politiques que lui imposent les économistes : les économistes « de
gauche » souligneront volontiers les lacunes du système du marché, tandis
que les économistes « de droite » feront ressortir plutôt les lacunes
des gouvernements que celles du marché. Cependant, les deux groupes veulent
souvent que le gouvernement épouse leurs intérêts et cherchent à influencer
différents cercles politiques.
Dans son analyse, Lonergan établit un cycle
pur ou équilibré qui tient
compte des relations entre la croissance et les cycles. Sa fonction de production dynamique est
associée aux « instincts » des entrepreneurs, à l'existence d'une
demande suffisante pour le lancement de la production, ainsi qu'à la
technologie ou aux délais de production (« temps de construction
nécessaires »). Pour Lonergan la variation des prix dépend des taux de
changement étalés dans les productions des biens d'équipement et des biens de
consommation. Une saisie du rôle de cette dynamique de la production dans la
détermination des prix laisse place à une théorie des profits qui ouvre la
porte au choix social et à l'éthique. La théorie de l'équilibre général ne
comporte pas de théorie du profit. La théorie du profit n'existe que dans la
microanalyse ou la théorie de l'entreprise.
Ce que Lonergan a apporté à la théorie macroéconomique, c'est une distinction
entre les biens d'équipement et les biens de consommation, axée sur une
définition selon leur fonction dans l'économie et leurs relations réciproques
déployées en différentes phases, l'intégration de la théorie de la croissance
et de la théorie des cycles en une même analyse, et une forme d'intégration de
la théorie des prix et des profits qui informe une éthique personnelle et une
éthique sociale.
Comment la forme d'enseignement pratiquée à l'Institut Thomas
More s'appuie-t-elle sur la pensée de Lonergan?
Dans la période d’après-guerre, l'Institut a lancé un programme de lecture des
grands classiques, « Great Books » organisé par Mortimer Adler de
l’Université de Chicago. Des groupes abordaient les grands ouvrages de la
civilisation occidentale dans des ateliers de discussion animés par deux personnes.
Les responsables du curriculum ont associé ce programme à la méthode empirique
généralisée de Lonergan, de façon à favoriser, chez la personne inscrite à
notre cycle d'études des humanités, une appropriation de soi, de sa démarche
intellectuelle et de sa vie. Dès les années 1960, Eric O’Connor, Charlotte
Tansey et les autres fondateurs-directeurs ont élargi le programme « Great
Books » pour y inclure des œuvres de fiction, des ouvrages récents ainsi
que des écrits d'autres horizons culturels, sur des thèmes importants touchant
la vie des personnes et des sociétés.
La philosophie de l'appropriation de soi de Lonergan est au cœur de la démarche
proposée à l'Institut Thomas More, qui propose à ses étudiants d'aborder les
humanités par des discussions thématiques autour de lectures dirigées. Les
cours sont axés sur des questions touchant les grandes problématiques
personnelles et sociales du jour (les relations humaines, l'environnement, la
bioéthique, la mondialisation) ou des thèmes classiques (la justice, la
spiritualité). Dans la plupart des cours, les lectures comprennent des œuvres
de fiction, permettant d'imaginer des comportements, des idées, des mondes, qui
nous sont nécessaires pour parvenir à une compréhension nouvelle, comme
l'explique Lonergan. Les lectures choisies permettent d'aborder divers points
de vue, de fournir des données
pour la compréhension et de minimiser les déviations possibles. Les animateurs questionnent
les participants de sorte à explorer avec bienveillance l'apport de chaque texte
proposé à la thématique du cours. Nous nous abstenons de porter un jugement sur
les points de vue explorés au cours des discussions, mais demandons aux
participants d'exprimer leur jugement dans une dissertation personnelle qui
fait partie du processus d'apprentissage. Nous ne cherchons pas à établir un
consensus chez les participants. Nous cherchons simplement à susciter
l'expression de la dialectique de la discussion, qui met en question, confirme,
fait évoluer la pensée de chacun.
Le quatrième niveau de l'analyse de l'intentionnalité de Lonergan, celui du choix,
se reflète davantage dans les orientations de vie des gens. Les cours de
l'Institut Thomas More ne visent pas directement l'agir. Cependant, les choix
et les orientations de chaque personne sont fonction de sa culture et de ses
états mentaux, comme le montre Robert Doran dans son ouvrage Theology and the Dialectic of History; ils sont fonction des connaissances
acquises, de l'ouverture ou de l'absence de déviation de la personne dans
l'exploration des questions qui se posent. L'étude des humanités offerte à
l'Institut amène souvent ceux qui en ont bénéficié à s'engager pleinement dans
leur milieu.
Est-ce que l'Institut fait encore appel à la méthodologie de
Lonergan?
La façon dont l'Institut organise ses cours, soit par groupe de lecture et de
discussion, et qui est fondée sur la méthode d'appropriation de soi de
Lonergan, demeure unique dans le milieu académique. Il importe cependant de
souligner que cette approche vise à favoriser chez les personnes inscrites à
l'Institut une appropriation de soi dans leur vie et dans leurs démarches
d'apprentissage. Pour réaliser cet objectif, nous devons l'exposer clairement
aux animateurs des groupes de
discussion dans la formation
que nous leur donnons, ainsi que dans certaines publications de l'Institut.
Vous
êtes l'actuelle présidente de l'Institut (Note : l'entrevue a été réalisée à l'automne 2002). Comment voyez-vous son avenir?
Croyez-vous que l'Institut puisse avoir un rayonnement chez les francophones?
L'Institut Thomas More est un navire solide, mais tout petit, dans une société québécoise
en grande majorité francophone. L'Université Bishop reconnaît nos programmes et
nous permet de décerner des Baccalauréats ès Arts. Le département de
l'Éducation supérieure du Québec nous accorde une subvention annuelle,
essentielle pour notre survie. Au-delà de ce financement, nous devons chaque
année recueillir des dons de 100 000 $ pour équilibrer notre budget.
Ces dons nous proviennent jusqu'ici des Amis de l'Institut, une collectivité en
grande partie anglophone, et de grandes sociétés telles que Imperial Tobacco,
BMO Nesbitt Burns, la Banque Royale et Power Corporation. Nous envoyons
maintenant des lettres de sollicitation en français, lorsque nous le jugeons
à-propos.
Nos cours sont conçus par des personnes expertes, qui désirent partager leurs
connaissances tout en continuant d'apprendre. Les projets sont approuvés par un
comité du curriculum. Nous avons une centaine de personnes qui animent nos groupes de discussion.
Ces animateurs possèdent
des diplômes universitaires, des qualifications professionnelles ou une
expérience significative de la pratique d'apprentissage de l'Institut. Nous
avons eu certains francophones au sein de notre conseil de direction. Le
conseil est entièrement anglophone actuellement, mais il y a des francophones
au sein du comité des finances et chez nos animateurs. Nous jouissons du statut
d'institution bilingue auprès de l'Office de la langue française.
Le programme d'études universitaires de Thomas More a toujours comporté un cours de
littérature française. Bon nombre de francophones participent à nos groupes de
discussion en anglais, mais nos groupes de discussion en français n'attirent
pas encore beaucoup de participants. Nous cherchons à nous faire connaître
davantage auprès de la population francophone par des annonces publiées dans Le
Devoir et La Presse, ou diffusées à la radio.
Quelle est l'importance de la pensée de Lonergan aujourd'hui?
Il y a aujourd'hui un plus grand nombre de jeunes universitaires que jamais qui
s'intéressent à la philosophie et à la théologie de Lonergan. Internet est un
excellent moyen de diffusion de sa pensée. Quand je lis des philosophes
contemporains tels que Ricoeur, Nussbaum ou Taylor, je suis frappée par la
clarté incisive de la méthodologie et de l'analyse de Lonergan, qui pénètre
vraiment au cœur de ce qui forme le propos des autres auteurs mentionnés. Le
langage de ces contemporains, plus exploratoire, plus indéfini, plus narratif,
est peut-être cependant plus attirant à notre époque marquée par une pensée
déconstructionniste, post-moderne.
La science économique est encore plongée dans un désarroi auquel les travaux de Lonergan pourraient
je crois remédier. Malheureusement, trop peu d'économistes se sont intéressés
jusqu'ici aux théories économiques de Lonergan. Les économistes possédant une
certaine connaissance de l'histoire de la pensée économique ainsi que des
mathématiques appliquées à l'économie seraient ceux qui seraient le plus en
mesure d'explorer son apport. Internet permettra peut-être de tels échanges. Le
Journal of Macrodynamic Analysis, consacré à la pensée économique de Lonergan,
possède maintenant un forum sur Internet (http://mun.ca/jmda). L'interaction
souhaitée m'intéresse au plus haut point.
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