Entretiens
Entrevue avec Alessandra Drage

 

Originaire de la Nouvelle-Écosse (Canada),
Alessandra Drage s’est intéressée d’abord à l’éducation physique
et à la musicologie avant de connaître l’œuvre de Lonergan.
Elle est co-auteure de Introducing Critical Thinking .
Elle a exploré, dans son ouvrage, Thinking Woman,
les relations entre la pensée de Lonergan et le féminisme.
Cet ouvrage invite à un exercice d’appropriation de soi
et élabore la notion d’intégralité de l’être personnel.
Mme Drage vit et enseigne maintenant à Vancouver.

 

Pouvez-vous nous parler de vos origines, de vos études?

Je suis née et j’ai grandi à Halifax, en Nouvelle-Écosse. J’aime l’océan, les paysages maritimes, l’odeur du sel marin, les sons étranges des signaux de brume et les cris des mouettes. Mes grands-parents avaient une petite ferme sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse où nous passions beaucoup de temps l’été. J’adorais l’atmosphère paisible et la beauté des lieux, la tranquillité de l’endroit – je m’y sentais chez moi, c’était mon refuge durant mon enfance; je sens encore profondément le besoin de ce havre de paix. Ma grand-mère adorait les oiseaux. C’était une personne gentille, contemplative. Elle comptait beaucoup pour moi.

Après mes études secondaires, je me suis dirigée vers l’éducation physique (kinésiologie), et j’ai suivi des cours de danse. Un an plus tard, j’ai entrepris quatre année d’études en musique (guitare classique).

Après avoir eu mon diplôme en musique, j’ai voulu obtenir une maîtrise en musicologie (philosophie de la musique). C’est à cette époque que j’ai été mise en contact avec l’œuvre de Lonergan. Mes travaux de maîtrise exploraient le processus créateur dans la composition musicale, en faisant appel comme ouvrages de base à Insight et Method in Theology; Philip McShane était un des principaux patrons de thèse. La décennie qui a suivi mes études secondaires a été consacrée surtout à mes études universitaires. Cette année (mai 2010), soit 16 ans plus tard, j’ai enfin obtenu un diplôme en éducation pour devenir une enseignante professionnelle.

Pouvez-vous nous parler de votre carrière?

Comme vous pouvez le constater, ma carrière n’a pas suivi la trajectoire toute simple de la plupart des gens. Quand j’ai terminé ma maîtrise, je me suis mariée avec un militaire qui était en mesure de prendre une retraite anticipée de la marine. Nous désirions tous les deux nous installer à la campagne et nous sommes allés vivre au Cap Breton, où nous avons possédé une petite ferme pendant 12 ans. Nous avons eu deux bovins Highland pendant quelque temps (ce sont de très beaux animaux) et nous nous sommes adonnés beaucoup au jardinage. C’était merveilleux. Au cours de ces années-là, j’ai pu me consacrer à l’étude des oeuvres de Lonergan et à mon propre développement fondamental. Je pensais et je lisais, j’écrivais un peu, et je menais de façon générale une vie contemplative plutôt solitaire. Avec le temps, je me suis sentie de plus en plus inconfortable, déconnectée; j’avais envie d’être « parmi le monde », si je peux dire. J’ai décidé que je devais aller vivre dans une ville assez importante pour me permettre d’y chercher un travail qui soutienne et complète ma vie et ma vocation contemplatives. J’ai choisi Vancouver (une ville bordée par un océan – un océan bien différent de l’Atlantique, bien sûr). Comme j’avais travaillé comme bénévole en éducation des adultes au Cap Breton, j’ai fait une demande d’emploi dans ce secteur à la Commission des écoles de Vancouver et j’ai été embauchée. J’ai travaillé quatre ans dans ce domaine, et j’ai obtenu mon certificat d’enseignement tout en travaillant.

L’obtention de cette accréditation professionnelle a représenté une énorme transition pour moi. J’avais envisagé à un certain moment de faire un doctorat, mais, malgré les efforts que j’ai déployés, cela ne s’est pas matérialisé. Pendant ce temps, le programme d’éducation avec tout ce qui l’entoure est tombé en place, tout simplement. Je n’avais jamais imaginé devenir professeure dans une école traditionnelle (le programme d’accréditation est axé sur le système scolaire régulier), et je ne pouvais donc pas voir où tout cela allait me conduire. L’obtention de cette attestation devait améliorer mon salaire d’enseignante en éducation des adultes, que je considérais comme un emploi plus ou moins temporaire, transitoire. Quand j’ai accepté ma situation professionnelle et mon attestation comme professeure, mettant ma confiance en la Providence, un grand changement s’est produit dans ma vie; je commence déjà à sentir qu’il est plus sage de laisser la Providence divine émerger plutôt que de vouloir façonner mon existence par ma seule volonté.

Il y a donc un aspect de ma carrière (ou de ce que je suis) qui a trait à l’éducation, à l’enseignement, alors que l’autre concerne la pensée, la croissance fondamentale et l’écriture. J’ai enseigné diverses choses plus tôt dans ma vie, notamment en éducation physique et en musique : un peu de gymnastique, un peu de danse, un peu de soccer, et beaucoup d’enseignement de plein air, notamment le canotage; pendant et après mes études de musique j’ai donné des leçons privées de guitare classique et de théorie musicale (à la maison et pendant une couple d’années à l’École de musique d’Ottawa). J’enseigne maintenant diverses matières au niveau secondaire (j’ai affaire à divers sujets, dans les deux sens du mot « sujet »). Bien des gens considèrent l’enseignement aux adultes comme de l’« éducation spécialisée » ou de l’« ESL », mais en fait la ville de Vancouver possède un vaste système alternatif d’écoles secondaires pour adultes. Nous travaillons avec de jeunes élèves qui ont abandonné l’école et qui reviennent, ou encore qui ont opté pour une école secondaire alternative. Nous travaillons également avec des adultes de tous âges (nous avons un Chinois très gentil de plus de 80 ans qui vient tous les jours et qui a pris presque tous les cours du programme) qui viennent pour terminer leurs études et obtenir un diplôme, ou qui améliorent leur scolarité pour se lancer dans une nouvelle carrière. Nous avons aussi de nouveaux immigrants qui ont besoin d’une accréditation pour exercer leur profession ici, et ainsi de suite. C’est un merveilleux mélange : des gens de différents âges, nationalités, cultures, milieux sociaux, qui travaillent tous ensemble. C’est fantastique. Nous offrons tout le programme du secondaire – les mathématiques et l’anglais, mais aussi les études sociales, les civilisations comparées, l’histoire, les études féminines, les communications, les sciences … je donne même parfois des cours d’éducation physique. Vous pouvez donc vous consacrer à toute une gamme d’activités d’enseignement et de mentorat individuel dans ce système.

Mon emploi offre un autre avantage : il me laisse beaucoup de temps libre. Je peux donc me consacrer à ma vocation de réflexion fondamentale et d’écriture. Il se peut que je veuille explorer différentes approches de l’enseignement qui soient plus directement reliées à mes intérêts en philosophie/en théologie/dans les humanités. Mais je n’en suis pas encore sûre.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la pensée de Lonergan?

Au tout début de mes études de musique, j’ai rencontré Philip McShane. Un de mes amis, Terry Quinn (que j’avais rencontré à l’Université Dalhousie, à Halifax) et ses frères avaient connu Phil à Toronto. Terry m’a emmenée à une réception chez Phil – et cette rencontre a transformé ma vie, en fait. Tout au long de mon adolescence j’avais toujours eu des tas de questions, des questions notamment sur ce qui est juste ou injuste, bon ou mauvais, et nos critères pour déterminer si une décision que nous pensons être une bonne décision est en fait une bonne décision. Et j’avais beaucoup de questions sur Dieu, la vérité, le sens de la vie, et spécialement sur le Christ (j’ai été élevée dans un milieu anglican). Quand j’étais enfant, j’ai toujours senti une très forte présence de l’inconnu, de ce que je pourrais appeler « la tranquillité de Dieu » (qui s’apparente fort à ce que Wordsworth appelle la gloire et la fraîcheur du rêve) … je n’aurais pas pu mettre ces mots-là, ni quelque autre mot, sur mon expérience. Mais au cours des cinq premières minutes de conversation avec Philippe j’ai vécu une sorte d’épiphanie – le sujet que nous abordions, et la façon dont nous en parlions, évoquaient en moi quelque chose d’étrangement familier. J’ai su tout à coup que cette « quête de sens » avait une grande portée dans ma vie. Je me sentais comme quelqu’un qui arrive chez soi.

Par la suite, j’ai eu d’autres conversations avec Phil, qui m’a remis un exemplaire de son livre Wealth of Self, Wealth of Nations, puis un exemplaire d’Insight. Chaque fois que mes études de musique me laissaient un moment libre (à Noël, à Pâques, durant l’été), je passais tout mon temps à lire et à penser. Au cours de l’automne, après l’obtention de mon diplôme, j’ai vécu cet insight « étrangement bizarre » qui a marqué le début de mon passage à l’intériorité ... Puis j’ai entrepris ma maîtrise en musicologie …. Je me suis installée au Cap Breton, et ainsi de suite.

Parlez-nous de ce que vous avez publié.

Je n’ai pas publié beaucoup de choses. Je ne suis pas une universitaire qui publie beaucoup. Les choses que j’ai écrites reflètent mes intérêts personnels. Ce sont des textes que j’ai rédigés pour une conférence, une revue, ou quelque chose du genre. J’ai écrit un article sur le féminisme et les fonctions constituantes pour une conférence Lonergan tenue à Los Angeles, en 2004, et un autre sur l’éthique féministe et l’éthique de Lonergan, pour cette même conférence, cette fois en 2007; un certain nombre d’entre nous, sous la direction de Phil McShane, avons abordé en 2004 l’interprétation fonctionnelle et j’ai réalisé une interprétation de la période axiale dont parle Phil – ça a été un projet fabuleux; ensuite, j’ai collaboré à Introducing Critical Thinking avec Phil et John Benton (2005); puis peu après j’ai écrit Thinking Woman (2006). Je songe actuellement à retourner à mes travaux de maîtrise et à explorer à nouveau la philosophie de la musique – ce qui m’intéresse particulièrement, c’est l’évocation de l’Ultime dans l’art et l’esthétique. J’aimerais approfondir ce sujet à la lumière des éclairages de Lonergan.

Pouvez-vous nous parler un peu de ce livre que vous avez écrit avec Philip McShane et John Benton?

Le projet d’écrire Introducing Critical Thinking est né quand John Benton s’est vu offrir l’occasion de donner un cours d’introduction à la philosophie à son école secondaire, à des élèves de 12e année. C’est une élève qui avait eu l’idée que l’école devrait offrir une introduction à la philosophie et elle avait fait signer une pétition à l’intention du conseil scolaire. Elle a demandé à John de l’aider et voilà : John se voyait offrir la possibilité d’enseigner ce qu’il avait toujours exploré en privé. Il a pu proposer d’utiliser son propre manuel pour le cours. Et c’est comme ça qu’est né le projet d’écrire Introducing Critical Thinking. C’est sans doute un texte difficile à utiliser si vous ne connaissez pas l’oeuvre de Lonergan et la démarche d’appropriation de soi, mais c’est une ressource très valable. John a créé beaucoup d’exercices complémentaires je crois.

Avez-vous enseigné la pensée de Lonergan vous aussi?

Non – Lonergan n’a pas besoin de moi pour enseigner sa pensée! Sérieusement, je ne serais pas portée à « enseigner la pensée de Lonergan »; je veut plutôt enseigner l’appropriation de soi et la méthode de Lonergan. Ce que je dis peut paraître un peu déconcertant, mais Lonergan dit bien, dans l’Introduction d’Insight, que ce qu’il présente n’est pas « son modèle ». Il cherche à favoriser une appropriation personnelle de ce que chacun et chacune d’entre nous possède et peut objectiver, au prix d’un certain effort. Je pense que nous devons changer notre façon de parler.

Mais pour revenir à la question, j’aimerais avoir l’occasion d’entreprendre ce genre d’enseignement à l’avenir. L’appel que j’ai perçu il y a quelques années concernait précisément cet enseignement, et j’attends toujours d’avoir la possibilité de m’y consacrer.

Et vous avez écrit Thinking Woman … Vous étiez particulièrement préoccupée par les problèmes de la femme, les mouvements féministes ?

Au début de mes études universitaires, j’ai suivi un cours un cours sur la philosophie féministe. Le cours était plutôt moche, mais il éveillait certaines idées fondamentales à propos des femmes et de la société et il m’a aidée à mieux cerner une part de la colère que j’avais en moi. J’avais pris conscience, dès mon enfance, de certains préjugés tenaces envers les femmes, et le cours m’a aidée à percevoir certaines nuances et subtilités à l’intérieur de ces préjugés dans nos vies quotidiennes. J’ai donc commencé je pense à me considérer comme une féministe au début de la vingtaine. Je n’étais pas en mesure de le proclamer ouvertement, pas plus que je ne suis capable de parler ouvertement à tout le monde de mes pratiques et convictions religieuses, mais je portais cela comme une certitude intime.

Au début des années 2000, Phil McShane m’a suggéré d’explorer le féminisme et d’écrire ma propre « philosophie féministe ». Je me souviens qu’il m’a posé la question : Les femmes ont-elles un être plus intégral que les hommes? Cette question a véritablement fasciné et fascine encore ma curiosité. De fait, cette question occupe une place centrale dans mon livre. Donc toute cette démarche d’exploration du féminisme m’a semblée être tout à fait un parcours naturel, mais je n’y avais jamais pensé moi-même. Et c’est ainsi que j’ai rédigé Thinking Woman. J’ai fait beaucoup de recherches pour m’informer des idées et des positions courantes du féminisme contemporain. Mais mon livre n’expose pas vraiment les « questions féministes » de façon standard; ce n’est pas vraiment mon propos. D’une part, j’invite mes lectrices (mes lecteurs) à s’approprier leur propre esprit comme penseures (penseurs) – je cherchais à accomplir une démarche d’appropriation de soi, autrement dit (un thème qui ne se vend pas beaucoup en général). Et, d’autre part, je voulais aborder le féminisme dans son ensemble et tenter de présenter la méthode, les fonctions constituantes, comme quelque chose qui pouvait faire avancer le féminisme (ça aussi ce n’est pas un thème très populaire); je ne pense pas que mon bouquin va devenir un best-seller dans un avenir prochain!

Quel a été votre parcours depuis l’écriture de ce livre?

Oh, j’ai parcouru un chemin immense … j’ai connu beaucoup de changements, dont ceux que je vous ai mentionnés … je me suis installée à Vancouver … je me suis interrogée sur la voie que je devais prendre … j’ai été attentive aux occasions qui se présentaient … j’ai trouvé la sagesse de la Providence émergente … toutes sortes d’évolutions personnelles … Je suis plus enthousiaste que jamais à l’égard de mon travail. J’ai toutes sortes d’idées au sujet de ce que je veux faire, des suites à donner à différentes choses … j’ai une liste qui s’allonge … maintenant que j’ai terminé mes études de pédagogie, je fais des plans à court et à long terme …

Avez-vous eu une rétroaction à propos de votre livre?

J’ai eu peu de réactions à propos de Thinking Woman. Une femme qui a tenté de le mettre en œuvre m’a dit que c’était trop difficile pour elle, et je ne serais pas surprise que ce commentaire soit le plus courant. J’ai entendu dire que ce livre avait transformé la vie de quelques femmes en Australie. Et vous m’avez bien sûr fourni une rétroaction très positive que j’apprécie beaucoup. J’ai eu ce bref contact téléphonique avec les participants du cours donné à l’Institut Thomas More . J’ai trouvé encourageante cette conversation au sujet des fonctions constituantes appliquées au féminisme, et du mouvement des femmes. Je crois que la plupart des gens recherchent des livres qui abordent le féminisme du point de vue du sens commun … et qu’ils ne savent vraiment pas quoi faire avec un bouquin comme le mien … ce qui est bien normal.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce qu’est l’appropriation de soi?

Oh mon Dieu, ce serait trahir le sujet que d’essayer de le résumer. Je crois en fait qu’il faudrait en parler longuement, sans chercher de raccourci … nous parlons ici d’un parcours d’attention à soi qui embrasse toute l’existence, et qui graduellement nous amène sur le plan de l’explication … dans son déploiement intégral, c’est une science. Si vous cherchez un résumé, vous pouvez peut-être consulter les quatre définitions progressives de la méthode empirique généralisée proposées récemment par Philip McShane …

Vous faites appel dans votre livre à la notion d’intégralité comme à une notion centrale ... pouvez-vous nous en parler?

Je pense que la notion de l’intégralité est essentielle à la compréhension de ce que nous sommes comme êtres humains, et de qui nous sommes comme femmes ou comme hommes ... Après avoir dit cela, j’ai un moment d’hésitation … plus j’explore ces questions, plus je me demande s’il est justifié d’employer ces catégories : « femmes » et « hommes ». Quelque part, dans Insight, Lonergan parle du lecteur moyen, qui probablement n’existe pas … je me sens un peu comme ça … pourtant il semble y avoir suffisamment d’unité et de différence dans le développement fonctionnel des femmes et le développement fonctionnel des hommes pour que je sois en mesure de déceler des tendances possiblement significatives en ce qui a trait au développement humain global … et à partir des quelques réflexions que j’ai pu formuler jusqu’ici, je suis convaincue que les femmes ont tendance à avoir un développement plus intégral que les hommes ...

En ce qui concerne cet effort de compréhension de l’intégralité, il peut être utile de préciser que le deuxième chapitre de Thinking Woman constitue un effort, sur le plan du sens commun, pour illustrer l’intégralité chez la femme, alors que le huitième chapitre reprend ce propos sur un autre plan. Il ne s’agit pas encore d’un exposé explicatif, mais je m’oriente dans cette direction. Là encore, j’emprunte à Philip McShane un symbolisme très pertinent, celui de l’« aggréformisme ontique » (ontic aggreformism) : f {pi; cj; bk; zl; um; sn} (Philip sera célèbre pour ses apports en fait de représentations symboliques, s’il ne l’est pas déjà). Tout le propos du livre Insight sur le développement est très pertinent également … en fait, depuis les chapitres sur le sens commun jusqu’aux chapitres sur le développement humain et la métaphysique (chapitres 14 à 18). Et le spirituel ne peut être séparé de la signification et du développement … ce qui fait appel à tout le reste d’Insight; c’est là un très vaste sujet. Je suis une débutante qui cherche encore sa voie, tout enthousiaste, dans cet immense domaine …

Quels sont vos projets d’avenir?

Je veux à coup sûr poursuivre mon propre développement fondamental, et je commence à considérer l’écriture comme un élément essentiel de cette démarche. Je vais examiner mon enseignement aux adultes – cette activité m’offre beaucoup d’avantages et m’a permis de croître considérablement sur le plan personnel. Si je décide de poursuivre à long terme, j’aimerais commencer à enseigner les mathématiques (et peut-être aussi à enseigner les mathématiques dans le système scolaire régulier). Il serait très précieux d’avoir l’occasion de réorienter les étudiants vers la compréhension en les détournant du simple processus technique en maths. Et ce serait pour moi une grande expérience d’apprentissage – s’il est possible bien sûr de faire cela à l’intérieur du système. J’ai quelques idées également sur la diffusion des nouvelles « théories de l’apprentissage » dans le monde de l’éducation. Il y a tout le domaine du perfectionnement professionnel pour les professeurs, qui pourrait être le lieu d’une exploration d’idées nouvelles sur la façon dont nous apprenons. Le domaine de l’éducation est un domaine très pratique, cependant, et l’appropriation de soi exige un retrait du monde pratique et un engagement dans une démarche fondamentalement solitaire, et je voudrais réfléchir aux meilleures stratégies possibles pour présenter tout ça (un problème de communication dans un monde ultérieur, informé par les fonctions constituantes, je crois).

Je suis ouverte également à d’autres possibilités d’enseignement qui me permettraient de manière plus explicite d’introduire l’appropriation de soi et la méthode … Mais c’est une entreprise difficile; nous sommes un peu comme les premiers chrétiens qui tentaient d’introduire un élément tout à fait inconnu dans la culture de leur temps …. Il n’y a pas beaucoup de postes disponibles qui appuieraient mes projets centraux …. Mes réflexions et mon écriture constituent actuellement mon espoir pour l’avenir. J’espère collaborer avec des gens qui prennent au sérieux l’entreprise envisagée …. Je pense qu’il sera très important d’établir et de déployer les fonctions constituantes dans l’avenir, mais pour le moment je cherche à tâtons avec quelques personnes qui comme moi ignorent l’approche à adopter …

Et que représente pour vous la pensée de Lonergan?

Wow! Quelle question! Il a changé ma vie complètement. Dans Topics in Education (231-232) (Philosophie de l’éducation, p. 217-218), Lonergan parle du théâtre et de la destinée, de l’interdépendance des décisions individuelles et des événements de « la façon dont une situation mène à la suivante ». La logique à laquelle obéit l’enchaînement des situations est une façon de concevoir la destinée, dit Lonergan; une façon de concevoir la manière dont Dieu influence notre volonté, même si notre volonté est libre. Vous trouvez chez Jérémie cet énoncé merveilleux à propos des cœurs des rois qui sont dans la main de Dieu. Parfois je m’arrête et je médite sur l’ensemble de circonstances étranges qui m’a conduite à Lonergan, et je suis vraiment étonnée. Plus je poursuis dans cette voie, plus je ressens cette « acceptation inévitable » dont il parle dans Pour une méthode en théologie (p. 275). En un sens, cela a créé en moi une double personnalité, puisque je vis dans un monde semi-privé d’intériorité que je ne peux tout simplement pas communiquer à la plupart des gens que je rencontre tous les jours … Lonergan doit avoir été incroyablement seul dans son monde … Je dois dire que d’entrer en contact avec ses écrits et d’essayer constamment de le rencontrer … ça a été le plus grand privilège de ma vie.

 

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