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Oeuvres de Lonergan |
Cet article a paru dans les Proceedings
Pour amorcer un débat sur Insight Dans son aimable invitation, le président de lAmerican Philosophical Association ma demandé de vous parler dInsight. Je pensais à ce moment-là pouvoir assister à votre réunion et y présenter une corrélation entre le développement personnel et les divergences philosophiques. Jai dû y renoncer, à mon grand regret. Je dois plutôt me contenter doffrir lamorce dune discussion; jai choisi à cette fin trois questions que mon livre semble avoir soulevées et qui peuvent de toute façon avoir un intérêt intrinsèque propre. Il sagit 1) de la primauté de lontologique, 2) de la notion finaliste de lêtre, et 3) de la connaissance de lexistence concrète, réelle. Lincongruité majeure dInsight tient à la primauté qui y est accordée à la connaissance. Dans les écrits de Thomas dAquin, la théorie de la connaissance est exprimée en termes métaphysiques et établie par des principes métaphysiques. Dans Insight, la métaphysique est exprimée en termes cognitifs et établie par des principes cognitifs. Le renversement semble complet. Si Thomas dAquin avait posé les choses dans le bon ordre qui va le nier? alors moi jai tout mis à lenvers. Or, attention, il arrive à Thomas dAquin lui-même de mettre les choses « à lenvers ». Il écrit : Lâme humaine se connaît elle-même par son acte dintelligence, qui est son acte propre, et révèle parfaitement sa capacité et sa nature1 Ce passage semble établir clairement quun acte psychologique, appelé intelligere, constitue le fondement dune révélation parfaite de la nature et de la capacité de lâme humaine. La capacité et la nature sont toutefois des entités métaphysiques. Leur révélation parfaite exige une longue série de théorèmes métaphysiques. Pourtant, Thomas dAquin lui-même dit que dun examen de lintelligere, lacte propre de lâme humaine, on peut tirer une révélation parfaite de ces entités métaphysiques. Je ne crois pas être en train détablir cette perspective à partir dune phrase isolée. Selon la doctrine aristotélicienne et thomiste, la connaissance des objets précède la connaissance des actes, la connaissance des actes précède la connaissance des puissances, la connaissance des puissances précède la connaissance de lessence de lâme. Lenseignement scolastique contemporain nadopte pas une approche différente. Il fait appel à la puissance quest lintellect pour distinguer lâme humaine de la brute. Il fait appel, sinon à lacte de compréhension, du moins au concept universel, pour arriver à la connaissance de la puissance quest lintellect. Cette affirmation claire de la primauté du cognitif sintègre dans une doctrine plus vaste. La doctrine aristotélicienne et thomiste porte une distinction habituelle entre ce qui est dabord quoad se et ce qui est dabord quoad nos. Dans la perspective de ce qui est dabord quoad se, des causes ontologiques, lessence de lâme fonde les puissances, les puissances fondent les actes, et les actes fondent la connaissance des objets. Par contre, dans la perspective de ce qui est dabord quoad nos, des raisons cognitives, lordre est inversé : la connaissance des objets fonde la connaissance des actes, la connaissance des actes fonde la connaissance des puissances, la connaissance des puissances fonde la connaissance de lessence de lâme. Cela dit, lontologique et le cognitif sont des démarches interdépendantes, et non les éléments incompatibles dune alternative. Si lon veut attribuer des causes ontologiques, il faut commencer par la métaphysique; si lon veut attribuer des raisons cognitives, il faut commencer par la connaissance. On ne peut pas attribuer de causes ontologiques sans avoir de raisons cognitives, pas plus quil ne peut exister de raisons cognitives sans causes ontologiques correspondantes. Cette interdépendance ne se limite pas au cas particulier de lâme humaine. Elle est universelle, et cela tient à la nature même de la connaissance rationnelle et objective. Ainsi, bon nombre dentre vous conviendrez que Thomas dAquin a ajouté lexistence, lactus essendi, aux causes ontologiques dAristote; mais vous reconnaîtrez également que, correspondant à cette cause ontologique, il y a une raison cognitive, le jugement dexistence. Aristote a établi que la matière et la forme sont des causes ontologiques; mais il na pas posé ces causes ontologiques sans avoir de raisons cognitives, cest-à-dire les sens et linsight sur le phantasme. Enfin, non seulement y a-t-il interdépendance, mais il est vrai également que cest à partir des raisons cognitives que le développement doit commencer. Ce nest pas la forme, mais la connaissance de la forme qui a commencé avec Aristote. Ce nest pas lexistence, mais la connaissance de lexistence qui a commencé avec Thomas dAquin. Ainsi, tout développement authentique de la pensée aristotélicienne et thomiste, sil se réalise selon les principes aristotéliciens et thomistes, senracinera dans un développement de notre compréhension de lunivers matériel; dune compréhension plus profonde des choses matérielles, ce développement nous conduira à une compréhension plus profonde de la compréhension humaine; et, dépassant cette compréhension plus profonde de la compréhension humaine, il mènera à une conception plus claire ou plus complète ou plus méthodique des raisons cognitives et des causes ontologiques. Insight traite justement de ce développement-là. Depuis lépoque de Thomas dAquin, une foule de questions disputées ont surgi, que Thomas dAquin lui-même navait jamais traitées de façon directe et explicite. Depuis ce temps-là, notre compréhension de lunivers matériel sest développée considérablement, et une foule de disciplines nouvelles sont nées, qui présentent de nouveaux problèmes au philosophe catholique, et surtout au théologien catholique. Depuis cette époque, la situation de lhumanité sest profondément modifiée dans de nombreux sens. Pour aborder de front ces questions, je pense quil est nécessaire, mais non suffisant, de choisir un minimum de certitudes unanimement reçues, de chercher à connaître en profondeur la pensée médiévale, et de tirer de nouvelles conclusions des anciennes prémisses. Or notre époque nous demande plus que cela. Elle nous demande, je crois, de connaître et de mettre en oeuvre la méthode aristotélicienne et thomiste; de reconnaître dans la compréhension humaine approfondie de lunivers matériel un principe permettant dobtenir une compréhension approfondie de la compréhension elle-même; et enfin dutiliser cette compréhension plus profonde de la compréhension humaine pour ordonner, éclairer et unifier tout un ensemble de disciplines et de modes de connaissance qui autrement continueraient à navoir aucun lien entre eux, à ignorer leurs fondements et à ne pas pouvoir être intégrés par la reine des sciences, la théologie. Mon deuxième sujet touche la notion de lêtre. Pour laborder je vais dabord soulever un problème. Vous admettrez, je crois, lexistence dun seul ens per essentiam, qui nest pas un objet immédiat de notre connaissance en cette vie; vous admettrez aussi que les seuls objets immédiats de notre connaissance présente sont les entia per participationem. Notre connaissance intellectuelle de lêtre ne peut donc pas résulter dune abstraction de lessence. Car si dun cheval jabstrais lessence, ce que jabstrais, cest lessence du cheval, et non de lêtre : si jabstrais lessence dun être humain, jabstrais lessence de lêtre humain, et non de lêtre; et cela est vrai pour tout autre objet immédiat de notre connaissance présente. Il nest pas possible de tirer dun être par participation une connaissance de lessence de lêtre, parce quaucun être par participation na lessence de lêtre, et ce qui est vrai de lessence est également vrai de la quiddité, de la nature, du species et de la forme. Un être par participation na pas plus la quiddité de lêtre, la nature de lêtre, le species de lêtre, la forme de lêtre, quil na lessence de lêtre. Ce fait pose un problème. Lintellect se différencie des sens, précisément par sa saisie de lessence, ou, si vous préférez, sa saisie de la quiddité, ou de la nature, ou du species, ou de la forme. Or en cette vie nous ne saisissons ni lessence, ni la quiddité, ni la nature, ni le species, ni la forme de lêtre. Alors, comment pouvons-nous avoir une notion intellectuelle, un concept intellectuel, une connaissance intellectuelle de lêtre? Pour situer le problème dans son acuité essentielle, comment se fait-il que nous ayons précisément une notion intellectuelle de lêtre telle que 1) nous puissions concevoir lens per essentiam et que 2) nous puissions déterminer que les seuls êtres connus directement ne sont que des entia per participationem? De plus, ce problème de la notion de lêtre nest pas unique, isolé, exceptionnel. En cette vie nous ne pouvons connaître Dieu par son essence. Et nous ne pouvons connaître les essences des choses matérielles que rarement, et de façon imparfaite et douteuse. Si notre connaissance de lessence est si rare et imparfaite, ne faudrait-il pas conclure, soit quAristote et Thomas dAquin se sont trompés en faisant de la connaissance de lessence la caractéristique de lintellect humain, soit, peut-être, que nous ne possédons pas dintellect au sens plein du terme? Un certain nombre dentre vous, je pense, pencheront vers la deuxième affirmation. Lintellect humain est in genere rerum intelligibilium ut ens in potentia tantum; il appartient au royaume de lesprit simplement comme puissance. La connaissance de lintellect humain est un processus. Elle ne se résume pas en la seule saisie de lessence et la seule affirmation de lexistence. Étalée dans le temps, elle est affaire de questionnement, délaboration de réponses possibles, puis de découverte dun nouveau questionnement suscité par ces réponses. Notre intellect en cette vie est fondamentalement un dynamisme, un processus, une finalité. La connaissance des choses en leur essence est donc pour nous, non un fait accompli, mais simplement le but, la fin, lobjectif dun désir naturel. De plus, selon Thomas dAquin, lobjet du désir naturel de nos intellects comprend lens per essentiam. Lorsquon nous parle de lexistence de Dieu, nous nous demandons spontanément ce quest Dieu. Or le fait de se demander ce quest une chose déclenche un processus qui ne sarrête quune fois atteinte la connaissance de lessence. Nous avons donc un désir naturel de connaître Dieu par son essence. Cest par un tel raisonnement que jai été amené dans Insight à affirmer que notre désir intellectuel naturel de connaître est un désir intellectuel naturel de connaître lêtre. Le désir est une notion, précisément parce quil est intelligent. Or, la notion nest pas une idée ou un concept ou une connaissance innée quelconque. Il sagit du désir davoir des idées, des concepts, une connaissance; mais en soi cest une simple ignorance inquiète, dépourvue didées, de concepts, de connaissance. Et ce nest pas un postulat. Les postulats font partie des réponses hypothétiques, alors que le désir de connaître fonde les questions. Nul besoin non plus de postuler des questions. Ce sont des faits. Quest-ce qui est en jeu ici? Quelque chose de très simple et de très fondamental à la fois, je pense. Si lintellect nest pas caractérisé par sa capacité de saisir lessence, alors je crois que nous nous éloignons dAristote et de Thomas dAquin et que nous perdons du même coup la possibilité de rendre compte adéquatement de la nature de lintelligence humaine. Si, dautre part, lintellect est caractérisé par sa capacité de saisir lessence, alors le fait que notre connaissance des essences est si ténue ne peut sexpliquer que par une pleine reconnaissance du caractère essentiellement dynamique de nos intellects et, en particulier, de notre notion de lêtre. Le troisième sujet que je veux aborder a trait à lunivers objectif de lêtre. Dans Insight, je pose que notre doit être connu par la totalité des jugements vrais, et quil ne doit pas être connu humainement sans des jugements vrais. Une telle affirmation soulève quatre grandes questions. Dabord, est-ce que lunivers de lêtre est le monde réel? Deuxièmement, est-il concret? Troisièmement, est-ce lunivers qui existe de fait, ou simplement un univers essentialiste? Quatrièmement, comment peut-on connaître lexistence concrète, lexistence de fait, dans la démarche cognitive que présente Insight? Dabord, est-ce que cet univers de lêtre est le monde réel? Si par monde réel on entend ce qui doit être connu par la totalité des jugements vrais, alors, par définition, lunivers de lêtre et le monde réel sont sûrement identiques à tous égards. Il arrive néanmoins fréquemment que lexpression le monde réel soit employée dans un sens très différent. Dans ce sens, chacun de nous vit dans son monde réel à soi, dont le contenu est déterminé par sa Sorge, par ses intérêts et ses préoccupations, par lorientation de sa vie, par lhorizon inconscient qui lui masque le reste de la réalité. Chacun considère son monde réel privé comme vraiment très réel. Spontanément ce monde se présente comme le seul monde réel, la norme, le critère, labsolu, ce par quoi tout est jugé, mesuré, évalué. Une telle qualification, il faut le dire, nest pas admissible. Il y a une seule norme, un seul critère, un seul absolu, et cest le jugement vrai. Dans la mesure où mon monde réel privé ne satisfait pas à cette norme, il est une sorte de produit douteux de la confiance animale et de lerreur humaine. Dautre part, dans la mesure où mon monde réel privé est constamment et assidûment soumis aux corrections quapportent les jugements vrais, alors il en viendra nécessairement à être conforme à lunivers de lêtre. Deuxièmement : est-ce que cet univers de lêtre, connu par le jugement vrai, est lunivers concret? Je dirais que oui. Connaître le concret dans son caractère concret, cest connaître tout ce quil y a à connaître de chaque chose. Connaître tout ce quil y a à connaître de chaque chose, cest précisément connaître lêtre. Pour moi, en somme, lêtre et le concret sont des termes identiques. Cette façon de voir le concret présuppose néanmoins que les concepts expriment des insights et que dans linsight lesprit saisisse des formes immanentes dans les données des sens. Autrement dit, elle présuppose que le sensible ait été intellectualisé à travers des schèmes, des séquences, des processus, des développements. Dans cette supposition, la connaissance humaine forme un tout, et la totalité des jugements vrais est nécessairement la connaissance du concret. Si, dautre part, on ignore ou on néglige linsight, alors la connaissance humaine se dédouble. Les concepts ne sont liés aux données des sens que comme des universaux à des éléments particuliers. Les concepts et les jugements sont abstraits en eux-mêmes; pour atteindre le concret, il faut ajouter une série indéterminée de données sensibles sans relations internes entre elles. Dans cette perspective, que je rejette carrément, il est paradoxal de maintenir que la totalité des jugements vrais constitue la connaissance du concret. Dans cette perspective, on atteint la connaissance du concret en ajoutant à la connaissance de labstrait la totalité humainement inaccessible des perceptions sensibles. Troisièmement : cet univers concret est-il essentialiste, ou existe-t-il de fait? La question se pose, je crois, parce quil y a deux façons danalyser les jugements, donc deux façons de réfuter lessentialisme. On peut soutenir que certains jugements sont tout simplement une synthèse de concepts (un cheval est un quadrupède), mais il y a dautres jugements qui comprennent un simple acte daffirmation ou de rejet (le cheval existe). En fonction de cette analyse, on soulignera lextrême importance du deuxième type de jugement et on en arrivera à rejeter lessentialisme. On peut soutenir dautre part que tout jugement comprend un simple acte daffirmation ou de rejet; tout jugement humain en cette vie repose, en fin de compte, sur des questions de fait contingentes, et aucune synthèse de concepts ne peut en elle-même constituer un jugement. Cela entraîne des conséquences de deux ordres : sur le plan cognitif, il ne peut y avoir de connaissance humaine de la possibilité réelle ou de la nécessité réelle sans jugements sur des questions de fait; sur le plan ontologique, il ne peut y avoir de nécessités réelles sans puissances actives ou passives existantes. Vous trouverez dans Insight un exposé détaillé de ce rejet radical de lessentialisme. Le jugement nest pas une synthèse, mais létablissement ou le rejet dune synthèse. La synthèse est établie ou rejetée en fonction dun inconditionné de fait, cest-à-dire dun inconditionné dont les conditions sont remplies effectivement. Un principe analytique exige donc plus quun lien (nexus) nécessaire; les termes du principe doivent aussi, dans leur sens défini, se présenter dans des jugements de fait concrets. En conséquence, notre connaissance de la métaphysique (et non pas seulement notre connaissance de lunivers concret) est tout simplement factuelle. Enfin, la théorie est suffisamment affinée pour répondre aux problèmes soulevés par la logique symbolique, par les mathématiques, par les principes probables auxquels on a recours en sciences de la nature, et par largument ontologique sur lexistence de Dieu. Quatrième question : comment connaissons-nous lexistence concrète, lexistence de fait? Pour établir la cause ontologique de la connaissance de lexistence, il faut manifestement faire appel à lexistence de la chose, à lexistence immanente dans la chose. Quant à la raison cognitive permettant daffirmer que lon connaît lexistence, elle est un jugement vrai du même genre que ceci existe. La vérité est, en effet, le médium dans lequel lêtre est connu; la vérité ne se trouve formellement que dans le jugement et lexistence est lacte dêtre. Comment peut-on savoir que le jugement ceci existe est vrai? Dans ce cas, nous faisons appel, non à une cause ontologique mais à une raison cognitive. Il ny a quune réponse possible : avant le jugement, il se produit une saisie de linconditionné. Car seul linconditionné peut fonder lobjectivité de la vérité, son caractère absolu, son indépendance par rapport aux points de vue, aux attitudes, à lorientation du sujet qui juge. Troisièmement, en quoi consiste cette saisie de linconditionné? Il ne sagit pas dune saisie dun inconditionné formel, dun inconditionné qui na aucune condition, de Dieu lui-même. Il sagit dune saisie dun inconditionné de fait, dun inconditionné qui a ses conditions, conditions qui cependant sont remplies. Donc la question Est-ce que cela existe? fait appel à un jugement qui sera un inconditionné. Dans une compréhension réflexive lesprit saisit les conditions et la satisfaction des conditions. De cette saisie découle rationnellement le jugement : cela existe. Quatrièmement : quelles sont les conditions? Prenons un exemple. Supposons que sur cette table il y a un petit chien très agité qui bouge, qui exige de lattention, qui pleurniche, qui dérange. Cette supposition ne nous fournit toutefois quune cause ontologique. Ce qui vient en premier lieu dans notre connaissance, cest un flot de données sensibles. Ce flot peut être organisé ou désorganisé de diverses façons. Il peut entraîner la réaction décrite par Sartre dans La Nausée; par contre, si le chien se met à japper ou à me mordre, il provoquera chez moi une adaptation vitale. Le flot de données sensibles peut aussi, à divers degrés, être perçu sans être remarqué, être remarqué sans attirer lattention, ou encore éveiller lattention, mais là il y a de nombreux processus psychologiques possibles. Toutefois, vous êtes des philosophes. Les données qui vous sont présentes sont organisées chez vous par une recherche intellectuelle désintéressée. Vous établissez quelles ne relèvent ni de lillusion ni de lhallucination. Vous leur prêtez attention, non dans leur aspect générique, mais dans leur particularité concrète. Dans ce flot de données, malgré leur multiplicité spatiale et temporelle, vous saisissez une unité intelligible, un tout simple, une identité qui unit ce qui dans lespace est ici ou là, ce qui dans le temps a été et sera. De cet insight découle le concept dune chose. Vous retournez du concept aux données pour concevoir lobjet particulier de la pensée quest cette chose. En fait, toute cette supposition ne nous a donné quun objet de pensée. Mais si cette supposition était entièrement vraie, vous seriez tous sûrs de lexistence réelle et concrète du chien. Pourquoi? Parce que jai énuméré des conditions de lexistence concrète et que vous avez pu le constater la satisfaction des conditions commande rationnellement une affirmation de lexistence concrète, de lexistence de fait. Vous allez me dire pourtant : où exactement lexistence entre-t-elle en jeu? Dans une partie des données, ou dans leur totalité? En fait, les données, séparément et globalement, sont tout à fait compatibles avec le phénoménalisme, le pragmatisme, lexistentialisme : pourtant aucune de ces philosophies nintègre lactus essendi de Thomas dAquin. Est-ce que lexistence vient avec linsight alors, ou avec le concept, ou avec le concept particularisé? En fait, les idéalistes et les relativistes connaissent tous linsight, le concept et leur particularisation; supposer que ces activités produisent plus quun objet de pensée relève simplement de lessentialisme dans sa forme radicale. Doù peut bien provenir alors la notion dexistence, si ni les sens, ni la compréhension ne suffisent? Revenez au processus que je viens de décrire; vous constaterez, je crois, que la notion dexistence a émergé lorsquon sest demandé si le concept particularisé appelé cette chose était quelque chose de plus quun simple objet de pensée. Autrement dit, comme lexistence est lacte de lêtre, la notion dexistence est lélément qui couronne la notion de lêtre. Or la notion de lêtre est notre désir de savoir, notre exigence de questionnement. La question qui couronne les autres est la question relevant de la réflexion : An sit? En est-il bien ainsi? Une réponse affirmative à cette question établit une synthèse. Par cet établissement, le « oui », le « est », nous connaissons lexistence et plus généralement le fait. Par la synthèse établie nous connaissons ce qui existe ou, plus généralement, ce qui existe ou se produit. À quoi sommes-nous confrontés ici? À une question de fait, purement et simplement. Le fait à établir est le suivant : est-ce que notre connaissance intellectuelle comprend, oui ou non, une appréhension, une exploration, une intuition de lexistence concrète, de lexistence de fait? Si oui, un jugement dexistence est simplement une reconnaissance de ce que nous connaissons déjà. Fondamentalement, dans cette perspective, ce nest pas par le jugement vrai que nous parvenons à la connaissance de lexistence, mais cest par la connaissance de lexistence que nous parvenons à un jugement vrai. Si nous répondons par la négative à la question posée, lordre des choses est le suivant : nous parvenons dabord à linconditionné, puis nous portons un jugement dexistence vrai, et ensuite seulement, dans et par le jugement vrai, nous parvenons à la connaissance de lexistence de fait, de lexistence concrète. Dans cette optique, cest la réalité de la vérité qui permet de connaître la réalité de lêtre; et la vérité ne satteint pas par lintuition de lexistence de fait, de lexistence concrète, mais par une saisie réflexive de linconditionné. Voilà comment je perçois ce qui est en jeu. Enjeux énormes, qui ont des répercussions sur lensemble de notre attitude philosophique : enjeux déterminants pour qui veut porter un jugement sur louvrage Insight. Par contre, lattention aux conséquences peut obscurcir les enjeux sont dune simplicité radicale. Cest pourquoi je les ai présentés de façon simple : quels sont les faits? Y a-t-il, oui ou non, une intuition humaine, intellectuelle, de lexistence concrète, de lexistence de fait? Je vous remercie. 1 Somme théologique, I, question 88, article 2, solution 3m.
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