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Louis Roy
But de cette conférence : montrer quels aspects de la pensée de Lonergan nous permettraient de clarifier philosophiquement et théologiquement certaines ambiguïtés du spirituel. Il serait intéressant que d’autres aspects soient signalés durant la journée.
- Le schéma fondamental de l’intentionnalité
Lonergan part du sujet humain en quête de connaissances, de valeurs et d’amour, bref en recherche de sagesse et de spiritualité. Par « intentionnalité » (tension vers le réel) il désigne non pas un moi subjectiviste, replié sur sa vie intérieure ou sur ses intérêts propres, mais un sujet sans cesse en mouvement dans une poursuite d’objectivité, c’est-à-dire essentiellement ouvert ce qui est autre que lui-même.
Deux mouvements : de bas en haut et de haut en bas.
Quatre niveaux, dont chacun est caractérisé par une activité principale :
4. Décision
4.2 Décision verticale (face au mystère transcendant)
4.1 Décision horizontale (en rapport avec des personnes et des situations)
3. Jugement
2. Compréhension
1. Expérience
- Distinction entre le sens, la vérité et les valeurs
Bien des choses peuvent avoir du sens sans être vraies ou encore sans être valables. Il existe des critères de vérification dans les sciences ; de même, il existe des critères de discernement dans les traditions religieuses. Sans ces critères de discernement, chaque individu retient, souvent arbitrairement, ce qui a du sens pour lui-même ; c’est une religion à la carte, ou, plus exactement, une religion buffet.
Notons l’influence de l’amour et des valeurs sur les jugements de vérité et les insights, aussi bien dans la vie courante qu’en ce qui concerne l’horizon spirituel d’une personne.
En plus du mouvement de bas en haut, il y a le mouvement de haut en bas : être en amour sans restriction (parole originelle ou parole intérieure) → la foi (connaissance née de l’amour religieux) → la parole comme expression (parole extérieure) → la croyance → l’engagement dans le monde (grâce à un dépassement de soi qui renverse le processus du déclin et favorise le progrès).
- Complémentarité entre l’intelligence et l’affectivité
D’une part, la question de Dieu est intrinsèque à la raison ; d’autre part, l’expérience religieuse est principalement une question d’amour.
La « religion » est d’abord et avant tout une expérience d’ordre affectif, antérieure à toute expression ; c’est la dimension personnelle, intérieure, silencieuse. Par ailleurs, les grandes religions millénaires se sont toutes incarnées dans des doctrines (vérités partagées) et dans des institutions (valeurs partagées) ; c’est la dimension communautaire, extérieure, vocale, fruit de la compréhension intelligente de ce qu’une tradition offre.
Le partage de convictions non négociables, dont certaines proviennent de la révélation judéo-chrétienne, permet d’avoir confiance en la raison et de répudier le scepticisme ambiant. Sans tomber dans le relativisme, on peut néanmoins accepter une saine relativité dans les perspectives concernant le sens de la vie et dans les expressions variées de la vérité. Il s’agit alors d’un pluralisme modéré, tout à fait compatible avec des échanges de vues et des apprentissages qui se vivent dans une mutualité.
- Le problème de l’authenticité
Le développement religieux est dialectique. Pour être pleinement humains, tant les individus que les groupes doivent affronter le rude défi d’intensifier leur authenticité (qualité de la personne et de la communauté) et de diminuer leur inauthenticité, en prenant au sérieux les préceptes transcendantaux : sois attentif, sois intelligent, sois rationnel, sois responsable, sois amoureux. C’est dire que l’entrée dans le spirituel n’est pas une affaire de curiosité, un hobby pour gens raffinés, une simple entreprise d’équilibre psychologique (grâce à la méditation, par exemple), même si l’on ne doit pas mépriser les moyens à prendre pour acquérir une certaine paix, valable quoique inférieure à la paix du Christ. Il reste qu’il y a un danger, pour les non-pratiquants, de s’évader dans un spirituel accommodant et rêveur, comme il y a un danger, pour les catholiques, d’escamoter les exigences de l’authenticité personnelle et communautaire en majorant indûment l’importance des dogmes ou en se perdant dans des discussions subtiles qui ne mènent guère à ce que Newman appelait des appréhensions réelles.
- Une exigence de transformation personnelle
La vraie spiritualité consiste en une praxis exigeante, qui requiert une triple conversion : religieuse, morale et intellectuelle. La meilleure façon de rater sa vie est de sous-estimer le caractère dramatique de l’existence et de méconnaître l’inévitabilité de l’option fondamentale.
Différence entre ceux qui consomment du spirituel et les moines de Tibhirine (voir le film « Des hommes et des dieux ») ou encore ceux qui luttent et souffrent pour la cause des droits humains, jusqu’à être jetés en prison, torturés ou assassinés.
Différence entre une spiritualité apolitique et l’engagement de Catherine de Sienne, dominicaine laïque, dans la réconciliation des cités italiennes au XIVe siècle.
- Honnêteté dans le dialogue
Bien des gens intéressés au spirituel ont fait une option fondamentale pour l’amour ; pensons aux millions de personnes dans les pays sécularisés qui donnent généreusement de leur temps et de leur argent à des œuvres de secours ou de bienfaisance. Ainsi la spiritualité peut être vécue authentiquement sans qu’il y ait une allégeance à une dénomination religieuse. Le Dieu personnel du monothéisme est alors absent de la superstructure intellectuelle (la croyance) tout en étant présent dans l’infrastructure qu’est la conscience profonde, non thématisée (la foi). Ce fait rend possible un dialogue respectueux et franc entre ceux qui sont affiliés à une religion institutionnalisée et ceux qui ne le sont pas.
L’humilité est une autre exigence qui favorise la discussion en adultes. Loin de se penser supérieurs, les adeptes d’une religion institutionnalisée doivent se rappeler que les critères de discernement de leur religion réprouvent cette religion elle-même lorsque la pratique de leurs membres est infidèle à ses principes, donc inauthentique. Cependant, pour se juger soi-même et s’amender, ne faut-il pas des critères qui soient vrais et non négociables ? Ces critères viennent principalement d’une superstructure. En revanche, la superstructure ne saurait se passer d’une infrastructure.
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