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La pensée de Lonergan : la conscience historique et l’explicitation des fondements
Pierrot Lambert
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Aggiornamento
- Dans un texte important, L’absence de Dieu dans la culture moderne (1968), Lonergan parle de l’aggiornamento lancé par Jean XXIII : « L’aggiornamento n’est pas l’abandon du passé mais uniquement un désengagement réfléchi et critique à l’égard de ses limites. L’aggiornamento n’est pas une simple acceptation du présent, c’est aussi une reconnaissance de ses vices et qualités… »
- Le passé concerne notamment le monde de la culture classique. Le présent, lui, est marqué par la notion moderne de culture.
- Le théologien Lonergan cherche à affronter les défis de cette culture moderne. Il ne fait pas partie de ces gens qui sont, comme il dit, « déterminés à vivre dans un monde qui n’existe plus ».
- En fait, Lonergan nous dit que la crise que traverse le christianisme en ce moment est « une crise, non pas de la foi, mais de la culture »… il précise ailleurs : « La culture classique a fait place à une culture moderne et je pense que la crise de notre temps vient dans une large mesure du fait que la culture moderne n’a pas encore atteint sa maturité » (Dimensions de la signification).
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La culture classique et ses limites
- Le grand défaut de la culture classique était sa prétention à l’universalité.
- C’était une notion normative, portant qu’il n’existe qu’une culture, en droit tout au moins, à la fois universelle et permanente.
- Elle venait de Rome et d’Athènes, en passant par l’idéal de l’homme universel de la Renaissance et les humanités de nos collèges classiques
- Elle véhiculait une notion de science devenue désuète avec la création de la science moderne, et n’avait pas prévu la révolution historique et l’arrivée d’une nouvelle notion, empirique, de la culture
- La culture classique ignorait la genèse des choses, elle ignorait la dimension du devenir
- Elle se concevait comme la civilisation, que les missionnaires apportaient avec l’Évangile
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La culture moderne
- Bernard Lonergan, dès les années 1930, s’est éloigné, en lisant Christopher Dawson, d’une notion classique de la culture.
- Imaginez, à côté des humanités gréco-romaines et de la synthèse médiévale, les réflexions de Claude Lévi-Strauss par exemple qui étudie différentes civilisations « dans leur irréductible altérité » et va même, pour lutter contre l’impérialisme européen, jusqu’à parler semble-t-il d’un relativisme absolu (un oxymore, n’est-ce pas?).
- Imaginez aussi la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles qui est entrée en vigueur le 18 mars 2007. À ce jour, 121 États membres de l’UNESCO ont ratifié la Convention.
- Cette Convention « reconnaît la nature spécifique des biens et services culturels en tant que porteurs d’identité, de valeurs et de sens. »
- Mais doit-on faire de la diversité, comme dit l’UNESCO, et du relativisme, un cadre absolu?
- À l’UNESCO même, on a fait face à un problème. Comment accepter par exemple au nom de la diversité culturelle certaines pratiques concernant les femmes?
- Je rappelle l’affirmation de Lonergan : « L’aggiornamento n’est pas une simple acceptation du présent, c’est aussi une reconnaissance de ses vices et qualités… »
- Et l’un de ces vices est certainement le relativisme, qui apparaît à première vue comme une attitude favorisant le vivre-ensemble, mais qui en fait est la négation même du devenir (qui suppose une identité) et nous prive des raisons communes (Fernand Dumont) qui reposent sur des jugements de valeur et des affirmations de réalité.
- Alors, comment éviter le relativisme? Quelle est la réponse de Lonergan?
- J’ai peu de temps, mais je veux esquisser ici trois voies de solution.
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Le réalisme critique
- Lonergan nous propose dans Insight notamment une philosophie de la connaissance qu’il appelle réalisme critique.
- Cette philosophie définit le réel comme ce qui est perçu par les sens, compris par un acte d’intellection et connu par un jugement qui saisit les conditions d’une affirmation rationnelle.
- Cette position épistémologique, basée sur les données de la conscience, donc empirique, donc vérifiable, est un rempart sûr contre le relativisme qui est au fond une sorte de déterminisme, puisqu’il implique que chaque être humain est marqué par son milieu et ne peut pas s’élever au-dessus de ce milieu.
- Lonergan nous fait découvrir en chacun de nous les opérations de l’intentionnalité humaine, mais aussi, et je dirais surtout, les opérateurs, les exigences, qui déploient ces opérations en une série de dépassements.
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Les domaines et les phases de la signification
- La philosophie de Lonergan est une philosophie du développement et de la pluralité
- Lonergan a exprimé dans plusieurs textes importants, notamment dans Time and Meaning, Le temps et la signification (1962, TMI), l’idée, résumée par le p. Crowe, que nous recherchons un fil conducteur qui soit celui d’une conscience historique nous permettant d’éviter la rigidité du classicisme et la confusion qui accompagne souvent la multiplicité.
- La différentiation de la conscience prend chez Lonergan la forme notamment de la distinction des domaines de la signification, dont celui de l’intériorité (qui s’intéresse aux données de la conscience) et celui de la transcendance.
- La transcendance, ou religion, s’attache à des questions fondamentales (la question de Dieu sur le plan cognitif : l’univers pourrait-il être intelligible s’il n’avait pas un fondement intelligent? Et la question de Dieu sur le plan moral : Y a-t-il un fondement transcendent et intelligent de l’univers, avec qui nous cherchons à correspondre? Ce fondement est-il l’instance première de la conscience morale ou est-ce nous qui le sommes?)
- Pour Lonergan, l’expérience religieuse nous établit dans un horizon nouveau et constitue l’achèvement du dynamisme de notre conscience intentionnelle.
- La vision de la pluralité actuelle se rattache bien sûr à une nouvelle définition de la culture, mais la conscience historique nous permet de voir entre autres fils conducteurs l’émergence d’exigences qui fondent des domaines de signification, du sens commun à la transcendance en passant par la théorie et l’intériorité
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La conversion et l’explicitation des fondements
- Le niveau de la décision, encore plus que le niveau du jugement de valeur, contribue à façonner la seule et unique édition de chacun et chacune d’entre nous.
- Le niveau de la décision est celui du devenir, où se conjuguent l’identité et le changement.
- Il y a des décisions qui sont capitales. Ce sont des prises de position existentielles. Lonergan parle de conversions. Nous pouvons dire qu’il s’agit de transformations de notre horizon.
- L’une de ces transformations d’horizon concerne l’engagement à l’égard d’une tradition religieuse.
- Elle tient aussi à ce moment crucial qu’il appelle l’explicitation des fondements, dans la démarche théologique. Cette « fonction constituante » de la théologie est un moment d’appropriation personnelle du message d’une tradition religieuse, une fois que nous avons étudié les données des Écritures et de la tradition et réfléchi à leur sens dans le contexte historique où nous vivons.
- Il ne s’agit pas d’un acte de volonté pour trancher de manière arbitraire en faveur d’un engagement qui met fin au questionnement. (La volonté fait partie du vocabulaire de la psychologie des facultés, abandonnée par Lonergan).
- La conversion est en fait un passage à l’authenticité, elle est le fait de se rendre sans condition aux exigences de l’esprit humain.
- Et le moment capital de l’explicitation des fondements est celui d’une option personnelle, où l’on est appelé à se prononcer sur les propositions d’une tradition religieuse (doctrines) et à les affronter avec la science la philosophie et l’histoire, pour trouver un langage nouveau permettant de communiquer avec les cultures contemporaines.
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