Les oeuvres de Bernard Lonergan
La notion de verbe : La notion de verbe et l’abstraction

 

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La notion de verbe et l’abstraction

Deux observations générales sur la théorie trinitaire thomiste ont inspiré la présente recherche sur la notion de verbe. Premièrement, l’analogie de la procession du Verbe divin tient de l’analyse, non pas de la connaissance en général, mais de la réflexion intellectuelle, de la conscience rationnelle. Deuxièmement, l’analogie de la procession du Saint Esprit tient de l’acte d’amour, non pas en tant qu’acte intérieur de la volonté puisqu’il s’agirait d’une processio operationis (procession des opérations), mais en tant qu’il se fonde sur une parole intérieure parfaite, un jugement de valeur. Or, étant donné que les commentateurs et les auteurs de manuels accordent étonnamment peu d’attention à la conscience rationnelle, non seulement dans leurs écrits concernant la Trinité, mais aussi dans leur psychologie et dans la métaphysique correspondante, nous avons dû effectuer une recherche assez approfondie. Nous pouvons résumer nos conclusions en trois volets : 1) il existe un acte de compréhension (intelligere), 2) la conscience rationnelle (dicere) est l’acte de compréhension comme fondement et origine des paroles intérieures de conceptualisation et de jugement, et 3) les paroles intérieures procèdent des actes de compréhension, non en fonction d’une analogie obscure de l’émergence des états terminaux comme dernière étape de processus matériels[1], mais « l’acte qui nait de l’acte »[2]. Au centre de l’analyse de l’intelligence chez Thomas d’Aquin figurent, non pas les produits de l’intelligence en acte tels que les concepts, les liens, les jugements, les syllogismes, mais l’intelligence en acte elle-même. Pour Thomas d’Aquin, même le raisonnement n’est pas une simple affaire de concepts et de jugements, mais principalement un cheminement depuis un acte de compréhension moins complet vers un plus complet[3]. En outre, les habitus spéculatifs que sont l’intellectus, la scientia, la sapientia, sont aux actes de compréhension ce que les actes premiers sont aux seconds; et cette relation est la même que celle de la species à l’intelligere, de la forme à l’esse, du principium actionis (principe d’action) à l’actio manens in agente (l’action demeurant dans l’agent). Enfin, les objets de l’intelligence selon Thomas d’Aquin sont les objets de la compréhension : premièrement, il y a l’objet mouvant de la compréhension directe, c’est-à-dire l’intelligibilité actuée de ce qui est présenté par l’imagination; deuxièmement, il y a l’objet terminal de la compréhension directe, l’essence exprimée dans une définition; troisièmement, il y a l’objet mouvant de la compréhension réflexive, l’agrégat des éléments de preuve concernant un enjeu à trancher; quatrièmement, il y a l’objet terminal de la compréhension réflexive, le verum exprimé dans un jugement; cinquièmement, il y a l’objet transcendant, la « réalité », connu imparfaitement dans les actes antérieurs mais qui n’est connu parfaitement que par la vérité du jugement.

Cette interprétation intellectualiste de la pensée de Thomas d’Aquin va tout à fait à l’encontre du conceptualisme courant, mais le conflit apparent tient surtout à l’aspect auquel les conceptualistes s’attachent presque exclusivement, soit l’abstraction des concepts. Nous allons maintenant nous pencher sur cet enjeu, en nous demandant : premièrement, de quoi l’intelligence tire-t-elle ses abstractions; deuxièmement, qu’est-ce que l’immatérialité grâce à laquelle l’intelligence connaît; troisièmement, qu’est-ce que l’abstraction qui forme le concept; quatrièmement, quelle est l’abstraction appréhensive antérieure de l’insight dans le phantasme; cinquièmement, en quoi consiste la connaissance intellectuelle du singulier.

1. L’analogie de la matière

Les anciens naturalistes concluaient, non seulement à l’existence d’un sujet sous-jacent aux lits et aux tables, « le bois », mais aussi à l’existence d’un élément derrière le bois et les os, « la terre », et, derrière l’or et l`airain (qui peuvent être fondus », à l’existence d’un autre élément, « l’eau ». Aristote admettait le principe de cette analyse : tout changement se définit pour la pensée par l’affirmation d’un sujet sous-jacent et d’une détermination variable ou d’une forme; et ce qui vaut pour la pensée qui définit vaut aussi pour la chose réelle[4]. Il en admettait le principe, mais il a tout de même corrigé la conclusion. Les anciennes philosophies tenaient toujours un corps sensible pour le sujet ultime du changement; ce corps était l’étoffe de l’univers; il formait la seule entité substantielle et permanente; tout le reste était accidentel et muable[5]. Aristote s’opposait à ce matérialisme en montrant que tout objet pouvant être distingué est soumis au changement; l’élément « air » peut se transformer en l’élément « eau »; il concluait que l’ultime sujet du changement ne peut être un objet désignable; il ne peut être ni quid (une nature) ni quantum (une quantité) ni quale (une qualité), ni aucun autre type de réalité déterminée[6]; il ne peut être connaissable en soi[7]; sa nature ne peut être exprimée que par recours à l’analogie.

ce qui se rapporte aux substances naturelles comme l’airain à la statue et le bois au lit, et toute matière informe à la forme, voilà ce qu’on appelle matière première[8].

… la matière première… se rapporte aux formes substantielles comme les matières sensibles aux formes accidentelles[9].

… la matière première… se rapporte à toutes les formes et à toutes les privations de la même manière que le sujet de l’altération se rapporte aux qualités contraires[10].

Telle est l’analogie qui définit la matière. À l’intérieur de ses limites, elle définit la matière première, qui est proportionnée à la forme substantielle. Et comme la matière première n’est pas connaissable par elle-même, la forme substantielle présente la distinction complémentaire de n’être connaissable que par la seule intelligence[11].

Il n’est pas facile de mesurer toute la portée de cette analogie. Elle élimine le matérialisme des anciens naturalistes qui tenaient le réel pour le sensible[12]. Elle corrige l’intellectualisme de Platon, pour qui l’intelligible était réel, mais étranger au monde présent. On pourrait même dire, par anticipation, qu’elle situe de manière juste, dans une perspective appropriée, celle de la matière première, la pensée de Kant à propos de la chose en soi. Elle a cette portée puisqu’elle introduit, dans le plus matériel des objets matériels désignables, une composante intelligible connue par nos intelligences et repérable dans nos connaissances; cette composante intelligible, la forme, l’espèce, la quiddité, peut à juste titre être appelée « cause » et « nature » tout autant que la matière elle-même; et ce qui est établi par sa relation à « l’essence conçue d’une chose », « la forme dont on tire la définition de la chose », la « notion dont dépend ce qu’une chose est »[13]. Par contre, c’est seulement du fait que la chose réelle d’Aristote n’est pas la chose réelle des matérialistes qu’Aristote a pu se conformer à sa propre loi épistémologique : à moins que les choses particulières ne soient identiques, même de manière inadéquate, à leurs quiddités, elles ne peuvent être objets de connaissance scientifique et les quiddités ne peuvent être des réalités[14].

Mais la portée de l’analogie n’est pas restreinte à sa limite métaphysique de la matière première et de la forme substantielle. Au-delà de la matière première, il y a la matière sensible et la matière intelligible, la matière commune et la matière individuelle, les dépendances de la matière, les parties de la matière, les conditions matérielles et individuelles. Que sont tous ces éléments? La réponse est simple si nous saisissons que la forme naturelle est à la matière naturelle ce que l’objet de l’insight (« la forme intelligible ») est à l’objet des sens (« matière sensible »)[15]. Mais il faut adopter une autre approche pour convaincre les conceptualistes. De même que la correspondance entre les définitions et les choses était le fondement ultime de l’analyse du changement distinguant le sujet, la privation et la forme[16], d’où procédait la notion de matière première, ainsi un examen plus détaillé de la correspondance entre les parties de la définition et les parties de la chose devrait éclairer les autres éléments de l’analogie. Nous allons donc offrir un exemple d’une analyse longue et complexe d’Aristote[17].

Les segments sont des parties de cercles, et les lettres, des parties de syllabes. Pourquoi la définition d’un cercle ne mentionne-t-elle pas les segments, alors que la définition de la syllabe doit mentionner les lettres? Une solution typique nous est offerte par le contraste entre la « courbure » et la « camardise » (snubness); la courbure est courbure, qu’elle se trouve ou non dans le profil d’un nez, mais la camardise est associée exclusivement au nez. On peut dire généralement que, tout comme sans matière proportionnée il ne peut y avoir la forme matérielle correspondante (et comme sans un phantasme proportionné il ne peut y avoir l’insight correspondant), ainsi, pour différentes formes, différentes mesures de matière sont nécessaires. Une syllabe requiert nécessairement des lettres, mais les lettres nécessaires n’ont pas forcément à faites de cire, d’encre ou de pierre. Les lettres sont quant à l’espèce (de ratione speciei) ou d’une partie de l’espèce (partes speciei); mais du fait qu’elles sont de cire, d’encre ou de pierre, elles sont parties de la matière (partes materiae). De même, il ne saurait y avoir de cercle particulier sans des segments potentiels; or la notion de cercle est antérieure à la notion de segment, puisque la notion de segment ne peut se définir sans que soit présupposée la notion de cercle; on peut donc faire appel, soit à la potentialité des segments, soit à l’antériorité de la définition du cercle, pour conclure que les segments sont, par rapport au cercle, parties de la matière (partes materiae)[18].

L’application de la notion d’antériorité est vaste et nuancée. L’angle droit est antérieur à l’angle aigu, le cercle, au demi-cercle, l’homme, à la main ou au doigt. Dans chacun de ces cas, le premier est un tout et le second, la partie; dans chaque cas, la définition du premier doit être présupposée par une définition du second; par conséquent, le second terme n’entre pas dans la définition du premier et constitue donc une partie de la matière (pars materiae). Or les cas complexes ne peuvent se résoudre aussi facilement. Les parties d’un corps vivant ne peuvent se définir sans référence à leur fonction dans l’ensemble; par ailleurs, l’ensemble lui-même ne peut se définir sans référence à son principe formel, qui le constitue comme un tout; par conséquent, l’âme et ses puissances doivent être antérieures au corps et à ses parties. Cela ne signifie pas cependant que les parties du corps sont de simples parties de la matière, que l’on peut définir « l’homme » sans tenir compte des parties corporelles, comme on peut définir « le cercle » sans tenir compte du matériel, bois ou bronze, dont il est fait. S’il y a une différence, c’est qu’ici le principe de priorité doit être complété par le principe de proportion entre la forme et la matière; un cercle ne requiert rien de plus que la matière intelligible; l’homme requiert la matière sensible[19]; et ainsi, alors que le bronze et le bois « n’appartiennent pas à la définition de l’essence spécifique » du cercle, la chair et les os « appartiennent à la définition de l’essence spécifique » de l’homme[20].

Nous avons retenu de notre analyse complexe de la pensée d’Aristote un exemple suffisant à établir que la matière n’est pas simplement la matière première, mais aussi la matière perçue par les sens et représentée par l’imagination. Si nous souhaitons en outre comprendre pourquoi l’analyse est si complexe, pourquoi Aristote a voulu mettre en garde contre les règles de solution simples[21], même un conceptualiste, peut-être, pourrait envisager l’hypothèse que le principe réel d’une solution n’est ni une simple règle, ni un ensemble de règles, mais plutôt l’intelligence en acte, qui façonne toutes les règles, et qui détermine ce qui relève d’elle et qui donc « appartient à la définition de l’essence spécifique » et ce qu’elle écarte comme ne relevant pas d’elle et qui appartient aux « parties de la matière ».

Quoi qu’il en soit, terminons cette section par un exposé sommaire de l’analogie de la matière. Premièrement, la matière est la matière du sens commun, le bois de la table et le bronze de la statue. Mais si elle n’est pas corrigée, cette notion mène facilement au matérialisme, que ce soit le matérialisme grossier des anciens naturalistes ou le matérialisme élaboré des atomistes du dix-neuvième siècle, qui eux aussi définissaient le réel comme étant le sensible. Par ailleurs, le monde matériel n’est ni un simple flot, comme chez Platon, ni une entité inconnaissable en soi, comme chez Kant. La plus haute synthèse de ces vues opposées tient à la définition de la matière comme ce qui est connu indirectement par l’intelligence. L’intelligence connaît directement les formes, les espèces, les quiddités; mais ce qui est ainsi connu présuppose des entités antécédentes, simultanées ou conséquentes, qui sont toutes connues indirectement. Les entités antécédentes supposées, c’est la matière au sens où le genre est désigné comme la matière et la différence spécifique est désignée comme la forme, et en outre au sens où la substance est désignée comme la matière et l’accident est désigné comme la forme; ces équations correspondent à la pensée d’Aristote et de Thomas d’Aquin, mais de façon quelque peu impropre. Les entités supposées concurremment se divisent en deux classes : s’ils relèvent de l’unité intelligible de la forme, comme les lettres par rapport à la syllabe, ils font partie de la forme, « selon la définition de l’essence spécifique », et, selon la terminologie de Thomas d’Aquin, ils sont la matière commune; s’ils ne relèvent pas de l’unité intelligible de la forme mais sont tout de même inclus de quelque façon dans la présentation concrète, ils sont « parties de la matière » ou des conditions matérielles ou une matière individuelle. Enfin, les conséquents qui sont contingents et potentiels, comme les segments par rapport aux cercles, sont également « parties de la matière ». Manifestement, c’est le deuxième de ces trois types de choses connues indirectement qui offre la signification principale du terme « matière » et c’est cette signification que l’analogie de la matière concerne principalement. L’analogie générale est la proportion du bois par rapport aux tables et du bronze par rapport aux statues; mais l’analogie spécifiquement aristotélicienne établit que la forme naturelle est à la matière naturelle ce que la forme intelligible est à la matière sensible[22], c’est-à-dire ce que l’objet de l’insight est à l’objet de la perception sensible.

2. L’immatérialité de la connaissance

Il sera très commode de partir du théorème selon lequel connaître implique une identité en acte du connaissant et du connu. Cette identité est une extension du théorème de la Physique affirme l’identité de l’action et de la passion; un seul et même mouvement réel est action s’il vient de l’agent et passion s’il se situe dans le patient[23]; or dans le Traité de l’âme il ressort que ce théorème ne vaut pas moins à l’égard des opérations (actus perfecti – l’acte complet) que des mouvements (actus imperfecti – l’acte incomplet). La même opération, la sensation, est produite par l’objet sensible et reçue dans la puissance sensitive; quant à l’objet, elle est action; quant au sujet, elle est passion. Par exemple, « sonner » est l’action de l’objet, et « entendre », la passion du sujet, et ainsi, par le théorème de l’identité, sonner et entendre ne sont pas deux réalités mais une seule et même réalité[24]. Aristote a déduit immédiatement de ce théorème, premièrement, une nouvelle explication de la conscience empirique sensible[25], deuxièmement, une solution à la question : les choses que personne ne voit sont-elles colorées[26], et troisièmement, une explication du fait que les stimuli trop puissants détruisent les sens[27].Thomas d’Aquin ne manifeste aucune difficulté au sujet de ce théorème dans son commentaire, mais il ne l’emploie que rarement sinon jamais dans ses écrits indépendants. On peut y lire à plusieurs endroits que « le sensible en acte et le sens en acte sont une seule chose... » et que « ce qui se trouve conçu en acte et l’intelligence en acte sont une seule chose ». Mais le sens ici n’est pas l’identité aristotélicienne originale du second acte[28], mais plutôt l’assimilation au niveau des species[29]. Ce passage de l’identité à l’assimilation tient très probablement à l’imbroglio terminologique au sujet du terme « action », que nous avons déjà mentionné[30].

Le théorème selon lequel la connaissance tient de l’assimilation ne pose pas de difficulté particulière. Il est admis communément : « Les anciens philosophes… étaient unanimement persuadés que "le semblable est connu par le semblable’’[31]».Il est facile d’en retracer les fondements dans la théorie aristotélicienne : de même que la chose est ce qu’elle est en vertu de sa forme ou de sa species, ainsi le connaître est la réalité ontologique qu’elle est en vertu de sa propre forme ou species ; en outre, si la forme de la chose et la forme du connaître étaient similaires, il n’y aurait aucune raison d’affirmer que le connaître est connaissance de la chose.

Il n’y a qu’un pas entre un théorème de l’assimilation et un théorème de l’assimilation immatérielle. Si le connaissant et le connu doivent être similaires au niveau de la forme, il n’y a aucune nécessité, ni même aucune possibilité, d’assimilation au niveau de la matière. Le point de vue contraire a été soutenu par Empédocle, auquel Aristote a opposé pas moins de dix arguments[32]. Sa thèse fait appel à la puissance et à l’acte, à l’action et à la passion : le sens en puissance ne ressemble pas au sensible en puissance[33]; mais le sens en acte ressemble à l’objet sensible pour la raison générale que les effets sont semblables à leurs causes[34]; il s’ensuivait que les sens étaient réceptifs à des formes sensibles sans la matière naturelle à ces formes, de manière assez semblable à la cire qui est réceptive à l’empreinte d’un sceau sans être réceptive à l’or dont est fait le sceau[35]. Dans l’intelligence humaine, l’assimilation immatérielle atteint sa plénitude dans la réception immatérielle : non seulement la matière de l’agent n’est pas transférée au récepteur, comme l’or du sceau n’est pas transféré à la cire; non seulement la forme de l’agent n’est pas reproduite dans la matière qui lui est naturelle, comme dans la sensation; mais la forme de l’objet agent est reçue dans une puissance strictement immatérielle, l’intellect possible. Ainsi, la structure du sens et celle de l’intellect diffèrent radicalement. La puissance sensitive, telle que la vue, est forme de l’organe sensitif, l’œil; tout comme l’âme est forme du corps[36]. La sensation elle-même est l’opération, non pas du seul organe ni de la seule puissance, mais du composé de l’organe et de la puissance[37]. Directement, l’objet sensible agit sur l’organe sensitif[38]; mais puisque la matière et la forme, l’organe et la puissance sont un, le mouvement de l’organe entraîne immédiatement l’opération de sa forme, le sens[39]. Par ailleurs, l’intellect possible n’est la forme d’aucun organe[40]; Il n’a pas d’autre nature que la capacité de recevoir[41]; il est à toutes les formes intelligibles ce que la matière première est à toutes les formes sensibles[42]; et précisément parce qu’il n’est en acte aucune des choses à connaître, il n’offre aucune résistance subjective à une connaissance objective[43]. Ainsi, l’intellect possible est à son acte premier, la science, ce que l’organe sensitif est à son acte premier, la puissance sensitive[44]; tant la sensation que la compréhension sont les opérations de composés, mais la sensation est l’opération d’un composé matériel, alors que la compréhension est l’opération d’un composé immatériel; et donc, puisque l’opération suit l’être, la forme substantielle de l’être humain doit être subsistante mais la forme substantielle d’une brute ne saurait être subsistante[45].

Nous nous sommes penché sur l’assimilation immatérielle et la réception immatérielle; il nous faut aussi considérer un théorème général voulant que la connaissance tient à l’immatérialité. Si ce théorème général est pris hors de son contexte historique et établi comme prémisse de déductions purement dialectiques, nous nous retrouverons devant des difficultés innombrables. Mais le théorème général ne peut manifestement avoir une signification différente de ses applications particulières. Il signifie, non pas que les autres patients reçoivent à la fois la matière et la forme de la part des agents, mais que les puissances cognitives ne reçoivent que la forme; la cire ne reçoit pas la matière du sceau[46] Il ne signifie pas que les autres choses qui reçoivent sont matérielles mais que les puissances cognitives sont immatérielles : tant les sens externes que les sens internes sont des formes d’organes corporels; et ils connaissent le singulier parce que les species qu’ils reçoivent sont individués par la matière et par les dimensions déterminées des organes qu’ils informent[47]. Il ne signifie pas que les objets doivent être matériels pour être réellement distincts des sujets qui les connaissent : les anges sont immatériels et réellement distincts des similitudes grâce auxquelles d’autres anges les connaissent[48] Mais s’il n’est pas nécessaire que l’objet soit matériel, ni que le sujet soit immatériel, et si l’action de l’objet sur le sujet n’a aucunement à être immatérielle, quelle peut être la signification du théorème général? Premièrement, cette signification sera négative; le connaissant n’a pas à être le connu; l’assimilation est nécessaire de fait, mais au niveau de la forme et non de la matière; une assimilation complète, à la fois matérielle et formelle, ferait en sorte que le connaissant soit connu mais ne donnerait aucune garantie de connaissance. Une signification positive ressort de cette signification négative, anti-Empédocle. La forme du connaître doit être similaire à la forme du connu, mais elle doit aussi être différente; elle doit être similaire essentiellement pour que le connu soit connu; mais elle doit différer modalement pour que le connaissant connaisse et ne soit pas uniquement le connu. La différence modale des formes tient à la différence des entités qui les reçoivent : la forme de la couleur existe naturellement sur le mur mais intentionnellement dans l’œil parce que le mur et l’œil sont différents en tant qu’entités qui reçoivent[49]; de même, les anges ont une existence naturelle propre et une existence intentionnelle dans l’intellect des autres anges[50]. Ainsi, le concept négatif « immatérialité » acquiert un contenu positif de l’existence intentionnelle; et l’existence intentionnelle est une différence modale découlant de la différence entre les entités qui reçoivent. Il faut faire un autre pas. D’où vient-il que les formes aient deux modes d’existence différents, l’un naturel et l’autre intentionnel, selon la différence entre les entités qui reçoivent? C’est que le système de Thomas d’Aquin conçoit la perfection comme une totalité : si les êtres finis, qui ne peuvent être la totalité, doivent de quelque façon s’approcher de la perfection qui est la totalité, ils doivent en quelque sorte être capables non seulement d’être eux-mêmes mais, de quelque façon, les autres en tant qu’autres; or, être eux-mêmes correspond à l’existence naturelle, et être les autres en tant qu’autres correspond à l’existence intentionnelle. En outre, si la puissance et spécialement la matière sont des principes de limitation, restreignant les choses à n’être que ce qu’elles sont, il s’ensuit que le mode intentionnel de l’existence découle de la négation de la puissance et spécialement de la négation de la matière[51]. C’est seulement dans la perspective de ces principes systématiques que peut se comprendre le théorème général « la connaissance tient à l’immatérialité ».

3. L’abstraction formative

Nous avons examiné la matière dont l’intellect abstrait et maintenant nous nous penchons sur l’abstraction elle-même. Dans la présente section nous abordons l’abstraction qui suppose la formation d’une parole intérieure et produit la connaissance de « la chose en tant que séparée des conditions matérielles sans lesquelles elle ne peut exister dans la réalité »[52]. Dans la prochaine section nous aborderons une abstraction appréhensive antérieure, déjà décrite comme l’insight dans le phantasme; son objet est différent modalement de l’objet de l’abstraction formative, car il permet à l’être humain de connaître non pas l’objet abstrait de la pensée, l’universel commun à un grand nombre, mais l’universel existant dans le particulier[53], la « quiddité ou nature qui existe dans une matière corporelle »[54]. Selon l’interprétation conceptualiste de la pensée de Thomas d’Aquin, l’abstraction formative est inconsciente et non rationnelle; elle précède l’abstraction appréhensive. Selon l’interprétation intellectualiste, que nous trouvons plus conforme au texte de Thomas d’Aquin, l’abstraction appréhensive précède et l’abstraction formative conséquente est un acte de la conscience rationnelle. Pour traiter cette question, nous partirons de ce qui est le plus évident pour aller vers les aspects plus fondamentaux de la pensée de Thomas d’Aquin.

La réflexion élémentaire sur l’abstraction porte sur les noms communs, les concepts correspondants et la relation des concepts avec la réalité. Deux exemples de la façon dont Thomas d’Aquin aborde ces questions seront utiles. Dans les Sentences il explique que la ratio est ce que l’intellect appréhende de la signification d’un nom. Que la signification soit primitive ou dérivée ne fait aucune différence, en fin de compte. Dans chaque cas, l’attribution d’une ratio à une réalité est attribution, non pas d’une signification active (qui est un acte de l’esprit ou l’intention d’un acte), mais ce qui est signifié passivement; c’est l’affirmation de l’existence dans la chose de ce qui correspond au concept, de même que ce qui est signifié correspond au signe ou à la signification[55]. La même question est traitée de manière plus expéditive dans la Somme. Les noms sont les signes des significations, et les significations sont les similitudes des choses; par conséquent, les noms renvoient aux choses par l’intermédiaire des concepts dans l’intellect; et la mesure de l’utilisation des noms est la connaissance dans l’intellect. Puisque nous connaissons l’essence de l’être humain, l’expression « être humain » signifie la définition exprimant l’essence d’un être humain. Or nous ne connaissons pas l’essence de Dieu, et ainsi, puisque la signification dépend de la connaissance, nous ne pouvons employer aucun nom pour exprimer l’essence de Dieu[56].

Cette réduction nette de la signification à la connaissance suggère qu’il vaudrait mieux aborder le problème de l’abstraction à un niveau plus profond, soit celui de la connaissance et particulièrement celui de la science. Or la science porte sur le nécessaire et l’universel; mais toutes les choses matérielles sont contingentes et particulières. Un être humain se compose, non pas de tel genre de forme et de tel genre de matière, mais de cette forme-ci et de cette matière-ci[57]. Comment alors la science est-elle possible? C’est là, apprenons-nous, le problème même qui a forcé Platon à poser ses Idées séparées. Puisqu’il entérinait l’opinion de Cratyle et d’Héraclite selon qui tout ce qui est sensible est dans un mouvement perpétuel, il devait choisir entre une négation de l’objectivité des définitions et de la science, d’une part et, d’autre part, l’établissement d’objets universels et nécessaires. Il a choisi la deuxième option, mais ce choix n’était pas réellement inévitable. Il est vrai que toutes les choses sensibles sont assujetties au changement, mais ce changement n’est pas absolu; on peut distinguer d’une part la chose composée, et d’autre part, sa ratio ou forme; la chose change en soi, mais la forme ne change que par accident. Et puisque l’intellect peut faire abstraction de tout ce qui n’appartient pas à une chose en soi, l’intellect peut établir des définitions universelles et établir des déductions nécessaires en se fondant sur les formes immuables des choses en devenir[58]. On demandera toutefois ce qu’est cette forme ou cette ratio immuable d’une chose en devenir; pour répondre à cette question, il faut explorer les conditions du changement. Selon la physique d’Aristote, tout nouveau changement suppose un mouvement local; en retour, un mouvement local suppose qu’une chose soit en un lieu donné à un moment donné; et une chose se trouve en un lieu donné à un moment donné pour autant qu’elle est individuée par la matière existant sous des dimensions déterminées (et non simplement spécifiées). Par conséquent, on considère la ratio immuable d’une chose dans la mesure où on considère la chose indépendamment de la matière déterminée et donc indépendamment de ce qui découle de la matière déterminée, soit un lieu déterminé, un moment déterminé et la mobilité. Par ailleurs, on ne fait pas abstraction d’autres éléments que la matière déterminée; sinon on ferait abstraction de la matière corrélative à la forme qui, en vertu de sa proportion, détermine une quantité de matière qui lui est propre; ainsi, la définition de l’être humain de même que la connaissance scientifique de l’être humain font abstraction de ces os-ci, de cette chair-ci, mais non des os et de la chair de façon générale[59].

Après le problème de la science nécessaire des choses contingentes vient le problème de la science universelle des choses particulières. Les rationes abstraites sont examinées et employées de deux manières différentes. Elles peuvent être examinées en elles-mêmes et employées comme objets de pensée, et c’est là leur premier et principal usage. Mais elles peuvent aussi, avec l’aide des puissances sensibles, être examinées de manière relative, employées comme instruments de connaissance, et appliquées à l’aide des sens à des choses particulières; cette utilisation est secondaire et implique une mesure de réflexion[60]. Dans ce passage tout à fait clair Thomas d’Aquin résout une antinomie récurrente dans la pensée d’Aristote : la science porte sur l’universel[61]; toute la réalité est particulière[62]; la science n’est donc pas science de la réalité. Aristote se penche sur ce problème en dressant sa liste de questions de base au Livre B de la Métaphysique[63],et il y revient en des termes semblables dans les Livres K et M[64]. C’est dans ce dernier qu’il offre l’analyse la plus complète : il distingue la science en puissance et la science en acte; il affirme que la science en puissance est indéterminée et porte donc sur l’indéterminé et l’universel, alors que la science en acte est déterminée et porte sur le déterminé et le particulier; il conclut que d’une façon la science porte sur l’universel et d’une autre, qu’elle porte sur le particulier[65].[U1] Thomas d’Aquin précise quelles sont ces deux façons : premièrement, la science s’occupe des objets de pensée universels; deuxièmement, avec l’aide des sens, l’intellect utilise ces objets universels comme des instruments et les applique aux choses particulières. Cette solution, présentée dans les Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, n’est nullement en désaccord avec les écrits postérieurs. La Somme contre les Gentilsétablit que par l’usage de paroles intérieures l’intellect est capable de connaître « la chose en tant que séparée des conditions matérielles sans lesquelles elle ne peut exister dans la réalité »[66]. La Prima Pars affirme que « l’idée d’une œuvre est dans l’esprit de l’opérateur comme ce qui est connu, non comme la forme intelligible par quoi cela est connu »[67]. La cinquième des Questions quodlibétiques,datant de Noël 1271, soutient que l’intellect comprend de deux façons : formellement, par l’espèce intelligible par laquelle il passe à l’acte ; et de manière instrumentale, en utilisant une parole intérieure pour connaître une chose[68]. Enfin, il est évident que, sans les objets instrumentaux de pensée, Thomas d’Aquin n’aurait pas pu expliquer comme il l’a fait la signification des noms communs et des fausses propositions[69]. Cependant, puisque j’ai été taxé d’idéalisme[70], il convient ici d’offrir quelques explications. Premièrement, la ratio universelle, ou l’objet de pensée, connue par une parole intérieure, n’est pas subjective mais objective; il ne s’agit pas du pensant, signifiant, définissant, mais du pensé, signifié, défini; or, si elle est objective, elle est tout de même universelle, et toute réalité est particulière; par conséquent, elle ne se réfère pas immédiatement à la chose, sinon potentiellement, dans la mesure où la réflexion et l’usage du sens nous permettent d’appliquer la ratio universelle aux choses particulières. Deuxièmement, avant de citer un passage tel que celui de la Somme théologique, I, q. 85, ad 1 m, pour l’opposer aux énoncés clairs des Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, il faut montrer que les deux textes traitent de l’abstraction qui forme le concept; de fait, comme nous le verrons, le passage cité de la Somme traite non pas de l’abstraction qui forme le concept, mais de l’abstraction appréhensive antérieure. Troisièmement, il est tout à fait plausible que, si les énoncés clairs des Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce sont interprétés selon la perspective conceptualiste courante, ils impliquent une position idéaliste. Si l’abstraction qui forme le concept n’est pas précédée par l’abstraction appréhensive, par l’insight dans le phantasme, alors l’application des rationes universelles aux choses particulières doit se déployer aveuglément; mais il y a là justement une objection à formuler contre l’interprétation conceptualiste. L’interprétation intellectualiste ne trouve aucune implication d’idéalisme dans les Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, parce qu’elle ne tient pas l’abstraction formant le concept pour la seule abstraction, tout comme l’universel commun à une multiplicité n’est pas le seul universel[71]; antérieurement à la connaissance des essences sans l’existence par des définitions, il y a les insights dans des phantasmes permettant de connaître les universaux, les natures, les quiddités existant dans la matière corporelle; et comme cet insight régit la formation des significations et des définitions, il régit également leur application à des choses particulières.

Nous avons examiné deux voies d’approche de la pensée de Thomas d’Aquin sur l’abstraction formant des concepts, par les significations des noms communs et par la possibilité d’une connaissance nécessaire et universelle de la réalité contingente et particulière. Une troisième approche fait appel à la possibilité de l’abstraction elle-même[72]. Les deux opérations de l’intellect sont distinguées : la première est la connaissance de la quiddité; la seconde, la connaissance de l’existence. À cette dernière opération sont attribuées des distinctions qui concernent des choses séparées, telles que l’être humain et la pierre, et des abstractions (plus précisément des séparations) sur la plan de la pensée métaphysique ou théologique[73]. Or à la première opération, la connaissance des quiddités, sont attribuées des abstractions physiques et mathématiques. Leur possibilité générale s’explique par la nature de l’intelligibilité et les lois de son unité. Une chose est intelligible dans la mesure où elle est en acte : par conséquent nous devons comprendre les natures des choses d’au moins trois façons différentes : la chose elle-même peut être acte, telle la substance séparée; ou elle peut posséder un acte constituant, telle la substance composée; ou elle peut être reliée à l’acte, telle la matière à l’égard de la forme ou un vide à l’égard de ce qu’il peut contenir. Or, dans la mesure où la nature d’une chose est constituée intelligiblement par sa relation ou sa dépendance à l’égard de quelque autre chose, il est impossible de faire abstraction de cette autre chose; par ailleurs, dans la mesure où la nature d’une chose ne dépend pas intelligiblement d’une autre chose, il est possible de faire abstraction de cette autre chose. Ainsi, on peut abstraire « animal » de « pied », mais non « pied » d’« animal »; on peut abstraire « blancheur » d’« être humain » et « être humain » de blancheur »; on ne peut abstraire « fils » de « père » ni « père » de « fils », et ni « forme substantielle » de « matière », ni « matière » de « forme substantielle ». Évidemment, l’intelligibilité régit l’abstraction sur la plan de l’intelligentia indivisibilium (l’indivisibilité intelligible); précisément à cause de l’unité intelligible, l’intelligence en acte connaît ce qui est intelligiblement indivisible et abstrait de tout ce qui n’appartient pas à cette indivisibilité intelligible. En vertu de ce principe général, dans un passage qui fait plus que rappeler les complexités du passage parallèle dans la Métaphysique d’Aristote[74], l’abstraction physique et l’abstraction mathématique sont expliquées. Dans l’ordre de priorité intelligible, une chose est constituée, premièrement par sa substance, deuxièmement par sa quantité, troisièmement par sa qualité, quatrièmement par les passions et les mouvements. Or on ne peut concevoir ce qui est intelligiblement postérieur et faire abstraction de ce qui est antérieur : la substance entre dans la définition de l’accident; de même, les qualités sensibles présupposent la quantité, et les changements présupposent les qualités sensibles; on ne peut donc pas abstraire les accidents de la substance, la qualité sensible de la quantité, le changement de la qualité sensible. Par ailleurs, on peut concevoir ce qui est intelligiblement antérieur et le détacher de ce qui lui est postérieur. Comme nous l’avons vu, abstraire de la matière attribuée élimine la possibilité du changement mais laisse la substance, la quantité et la qualité sensible; abstraire laisse la chair et les os, mais non cette chair-ci ni ces os-ci. On peut aller plus loin pour abstraire non seulement de la matière attribuée mais aussi de la qualité sensible ou, comme on l’appelle, de la matière sensible[75]. Il reste la substance et la quantité et ce qui suit nécessairement la quantité comme la figure; il s’agit là de l’abstraction du mathématicien; et quand on parle d’abstraction de la forme de la matière, cela signifie non pas l’abstraction impossible de la forme substantielle de la matière correspondante (les deux sont corrélatives) mais l’abstraction de la forme de la quantité et de son conséquent, la figure, des qualités sensibles telles que le dur et le mou, le chaud et le froid[76]. Enfin, aller au-delà de l’abstraction mathématique et se détacher de la quantité de même que de la qualité sensible et des conditions du changement c’est, comme l’affirme explicitement Thomas d’Aquin, opérer non pas tant une abstraction qu’une séparation; cela relève du niveau du jugement et des domaines de la métaphysique et de la théologie[77].

4. L’abstraction appréhensive

À plusieurs reprises, dans le traité lumineux sur l’intellect humain dans la Prima Pars[78], Thomas d’Aquin affirme que l’objet propre de l’intellect est « la quiddité ou nature qui existe dans une matière corporelle »[79]. Cet objet propre est aussi l’objet proportionné de notre intellect[80], son objet premier[81], ce qui est connu premièrement et en soi[82], son objet dans l’état de la vie présente[83], et enfin un objet qui ne peut être connu que par la conversion de l’intellect dans le phantasme[84]. Cette position se fonde sur des raisons à l’échelle de l’univers. Dans la hiérarchie universelle des puissances cognitives, l’intellect humain occupe une position intermédiaire. Le sens est l’acte premier d’un organe matériel, et son objet est donc une forme qui existe dans la matière comme lui-même existe dans la matière. L’intellect d’un ange est la puissance d’une forme pure, et son objet est donc une forme pure. Or l’intellect humain n’est ni l’acte d’un organe, comme le sens, ni la puissance d’une forme pure, comme l’intellect d’un ange; il est la puissance d’une forme qui actue la matière, et son objet doit donc être une forme, existant de fait dans la matière, mais non telle qu’elle existe dans la matière[85]. Des motifs d’ordre historique, moins frappants, peuvent également appuyer cette position. Le troisième livre du Traité de l’âme d’Aristote, cité constamment, rappelle la distinction établie dans la Métaphysique Z, 6, entre l’eau et la quiddité de l’eau, la magnitude et la quiddité de la magnitude, Socrate et la quiddité de Socrate; ce livre énonce également que directement, par le sens, nous connaissons l’eau, la magnitude, la chair, que nous connaissons directement, par l’intellect, les quiddités de l’eau, de la magnitude et de la chair, et que nous connaissons indirectement, par l’intellect, nous connaissons ce que nous connaissons directement par le sens[86]. Thomas d’Aquin tire trois conclusions de ce passage, dont la première concerne l’objet propre de l’intellect humain. Cet objet est la quidditas rei (la quiddité de la chose) qui n’est ni séparée de la chose, comme le soutenaient les platoniciens, ni située hors des choses sensibles, même si l’intellect l’appréhende sans appréhender les conditions individuelles qu’elle possède dans les choses sensibles[87]. Il est peut-être assez clair que l’objet propre de l’intellect humain est le même que l’objet propre défini dans la Prima pars; il est clair également qu’il tient sa source dans Aristote, et son fondement ultime dans le principe aristotélicien voulant que les quiddités et les particuliers soient identiques (au moins inadéquatement) si les premières doivent être des réalités et les derniers des objets de science[88].

Il reste qu’il y a une anomalie à écarter. Selon le Commentaire du Traité de l’âme, l’intelligence « saisit directement la quiddité de la chair, tandis que, en se recourbant, elle connaît la chair elle-même »[89]. Selon la Prima pars, « pour que l’intelligence connaisse en acte son objet propre, il est nécessaire qu’elle se tourne vers l’image »[90]. Il semble donc que l’appréhension directe passe par une conversion! Le texte nous dit que l’objet premier, ce que l’intellect connaît en premier lieu, est la quiddité de la chose matérielle[91]. Comment ce qui est connu, non seulement directement, mais aussi en premier lieu, peut-il être connu nécessairement par une conversion vers le phantasme?

Pour résoudre cette difficulté, il faut d’abord distinguer la conversion vers le phantasme de la réflexion sur le phantasme, et préciser ensuite ce qu’on entend par conversion. La conversion et la réflexion sont tout à fait distinctes en elles-mêmes et dans leurs conséquences. Elles sont distinctes en elles-mêmes : la conversion vers le phantasme est nécessaire pour connaître la quiddité, l’objet propre de l’intellect humain[92]; la réflexion sur la phantasme présuppose à la fois la conversion vers le phantasme et la connaissance de la quiddité; elle est nécessaire non pas pour la connaissance de l’objet propre, mais simplement pour la connaissance de l’objet indirect, le singulier[93].

Cette distinction des objets, et donc des actes, entraîne une distinction ultérieure des problèmes concernant l’âme séparée : puisque l’âme séparée n’a pas de corps et n’a donc plus d’imagination, il pourrait sembler qu’elle ne puisse pas connaître l’objet propre de l’intellect humain, qui exige la conversion vers le phantasme; Thomas d’Aquin se demande donc régulièrement si l’âme séparée peut comprendre quoi que ce soit[94]; en outre, puisque l’âme séparée n’a pas d’imagination et ne peut donc pas réfléchir sur le phantasme, il pourrait sembler que même si elle connaissait l’objet propre, elle pourrait ne pas connaître le singulier; et Thomas d’Aquin se demande donc régulièrement dans un article séparé si les âmes des défunts peuvent connaître le singulier[95].

À tout le moins, alors, la conversion vers le phantasme n’est pas le genre de réflexion permettant de connaître le singulier. Mais est-elle de quelque manière une réflexion? L’étymologie du mot « conversion » suggère assurément une réflexion; par ailleurs, un usage assez répandu dans les écrits de Thomas d’Aquin exclut de la conversion ce qui est l’implication essentielle de la réflexion, soit l’existence d’une autre connaissance ou activité antérieure à la réflexion ou supposée par la réflexion. Ainsi, lorsque l’intellect possible d’Avicenne se convertit vers son intellect agent séparé pour recevoir les species[96], on ne peut dire que, antérieurement à cette conversion et à cette réception, l’intellect possible ait été engagé dans quelque activité. De même, lorsque Thomas d’Aquin parle de son propre intellect agent immanent se convertissant vers les phantasmes[97], il n’est pas nécessaire de se demander de quoi se détourne ainsi l’intellect agent. Plus précisément, la conversion de l’intellect possible vers le phantasme est décrite par Thomas d’Aquin non pas comme une activité ni comme un changement d’activité mais comme une orientation naturelle de l’intellect humain en cette vie : elle résulte de la perfection de l’union de l’âme au corps[98]; elle consiste dans le regard (aspectus) de l’intellect humain tourné vers les phantasmes[99] et vers les choses inférieures[100]; et cet état présent de l’intellect est mis en contraste avec celui de la vie future où la conversion ne se déploiera pas vers les phantasmes ni vers les corps mais vers les choses supérieures et les intelligibles purs[101]. Que l’on s’étonne ou non de l’emploi du terme conversio pour désigner ce qui est strictement une orientation naturelle, les faits que nous avons notés demeurent et, si l’on trouve plus convaincants les énoncés abstraits, voici les mots mêmes de Thomas d’Aquin :

Nulle puissance ne peut connaître quelque chose sans se tourner vers son objet, comme la vue ne connaît rien si elle ne se tourne vers la couleur. Puis donc que le phantasme est à l’intellect possible ce que les réalités sensibles sont au sens, comme le montre le Philosophe au troisième livre sur l’Âme, quelque espèce intelligible que l’intelligence ait en elle, ce n’est cependant jamais qu’en se tournant vers le phantasme qu’elle considère actuellement quelque chose par cette espèce. Voilà pourquoi, de même que notre intelligence dans l’état de voie a besoin des phantasmes pour considérer actuellement avant de recevoir un habitus, de même elle en a besoin aussi après qu’elle l’a reçu[102].

Or manifestement il n’est pas difficile de concilier la nécessité de convertir la vue vers la couleur avec le fait que la couleur est ce que la vue connait premièrement et directement; de même, il n’est pas difficile de concilier la nécessité de convertir l’intellect possible vers le phantasme pour connaître la quiddité avec l’affirmation que l’intellect possible connait premièrement et directement la quiddité dans le phantasme.

Cet exposé sur la conversion projette une lumière nouvelle sur un passage tel que Somme théologique, I, q. 84, a. 7. L’influence de l’ouvrage douteux La nature du verbe de l’intellect[103] a forcé les anciens interprètes à tenir pour authentiquement thomiste l’énoncé que le verbe était formé avant toute compréhension; par conséquent, ils soutenaient que l’intellect connaissait d’abord la quiddité dans le verbe puis se convertissait vers le phantasme pour le connaître de nouveau comme existant dans la matière corporelle. Mais si l’on reconnaît que l’authenticité de cet opuscule est douteuse, toute cette position s’écroule. La conversion selon Thomas d’Aquin signifie non pas une réflexion ou un renversement, mais simplement une orientation naturelle; la question 84 de la Prima pars ne semble pas faire mention du verbe; en fait, tout le traité sur l’intellect humain qui se trouve dans la Prima pars ne mentionne le verbe qu’incidemment[104]. Lorsque dans la Somme théologique, I, q. 84, a. 7, Thomas d’Aquin affirme la nécessité d’une conversion vers le phantasme et d’actes d’imagination et d’autres puissances sensitives tant pour l’acquisition initiale de la science que pour son utilisation subséquente; lorsqu’il fonde son raisonnement à la fois sur le fait expérimental que la lésion d’un organe sensitif entrave la connaissance scientifique, et sur l’expérience universelle où, chaque fois que nous tentons de comprendre, nous construisons des images dans lesquelles, pour ainsi dire, nous inspectons la solution; lorsqu’il conclut que l’objet propre de l’intellect humain en cette vie est la quiddité ou la nature existant dans la matière corporelle; lorsqu’il soutient que la connaissance véritable et complète de cet objet ne peut s’obtenir que si l’on présuppose un acte de l’imagination ou des sens appréhendant le singulier matériel et si survient un acte de l’intellect appréhendant la nature universelle existant dans ce singulier; Thomas d’Aquin décrit ainsi ce que nous avons présenté, en nous référant à un enchainement de textes, comme l’insight dans le phantasme[105].

Penchons-nous sur un autre point. Il est à remarquer que la description de l’objet de l’intellect comme « quiddité de la chose matérielle » semble confinée au traité de l’intellect humain de la Prima pars. Ailleurs on peut lire que l’objet de l’intellect, l’objet propre de l’intellect, l’objet selon le troisième livre du Commentaire du Traité de l’âme, est le « quid » (quoi), ou le « quod quid est » (ce qui est) ou la « quidditas rei » (la quiddité de la chose)[106]. Et ailleurs, au besoin, la particularité de l’intellect humain en cette vie est énoncée carrément par l’affirmation que l’objet de l’intellect humain est le phantasme[107]. Mais c’est dans la Prima pars que l’on trouve la synthèse de ces deux courants de pensée complémentaires, car elle affirme que l’objet propre n’est pas simplement la « quiddité de la chose », mais la « quiddité de la chose matérielle » et elle indique en même temps la condition nécessaire de la conversion vers le phantasme. La dualité qu’accusent les écrits de Thomas d’Aquin prend sa source dans Aristote, qui non seulement a élargi sa pensée à partir du to ti estin (la substance) et du to ti ên einai (la forme), mais a aussi affirmé que l’âme ne comprend jamais sans le phantasme[108], que les phantasmes sont à l’âme rationnelle ce que les objets sensibles sont aux sens[109], que l’intellect comprend la species (eidê) dans les phantasmes[110].

Il est assez naturel que cette dualité aristotélicienne réapparaisse chez Thomas d’Aquin; il n’est pas moins naturel qu’il y ait dans les écrits de Thomas d’Aquin une série de tentatives pour la décomposer. Dans les Sentences il est affirmé que le phantasme est intelligible seulement en puissance et ne peut donc être l’objet propre et prochain de l’intellect, qui est la species comprise[111]. Dans les Questions disputées sur la vérité, Thomas d’Aquin atténue le parallélisme aristotélicien voulant que les phantasmes soient à l’intellect ce que les objets sensibles sont aux sens; car les sens connaissent directement l’objet sensible, mais l’intellect connaît directement non pas le phantasme mais la chose que représente le phantasme; par conséquent, l’insight dans le phantasme s’apparente à l’action de regarder dans un miroir et non de regarder un miroir[112]. Dans la Somme contre les Gentils est clarifiée l’intelligibilité actuelle d’un phantasme : dans l’obscurité les couleurs sont visibles en puissance; à la lumière elles sont visibles en acte mais vues en puissance; elles sont vues en acte seulement dans la mesure où la vue est en acte; de même, avant l’illumination de l’intellect agent, les phantasmes sont intelligibles en puissance; par cette illumination ils deviennent intelligibles en acte mais compris seulement en puissance; ils sont compris en acte dans la mesure où l’intellect possible est en acte[113]. En outre, il se présente une description de l’intelligibilité en acte du phantasme; le texte dit que le species intelligible se manifeste brillamment dans le phantasme comme l’exemplaire dans l’exemple d’une image[114].

Comme nous l’avons déjà expliqué, l’objet de l’insight dans le phantasme est pré-conceptuel, de sorte que toute expression qui le désigne l’exprime tel qu’il est conçu et non comme ce qu’il est, tout comme l’expression de l’objet de la vision l’exprime tel qu’il est conçu et non comme ce qu’il est. C’est ce fait qui explique la diversité des descriptions présentées. Le plus couramment, il s’agit de l’intelligibilité en acte du phantasme. Dans la Prima pars il s’agit d’une forme qui existe dans une matière corporelle. Mais Thomas d’Aquin précise : « connaître une forme qui existe individuée dans une matière corporelle, mais non de connaître cette forme en tant qu’elle est dans telle matière »[115]. Dans les Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce se trouvent identifiées 1) la forme intelligible, 2) la quiddité de la chose et 3) l’objet de l’intellect[116]. Puisque « species » (l’espèce) traduit l’eidos d’Aristote, qui d’ordinaire signifie la forme[117], il n’est pas étonnant que l’objet de l’insight soit appelé non seulement « forme intelligible », mais aussi « species (espèce) intelligible ». Ainsi, la species qui est mise en lumière dans le phantasme[118] est un objet de connaissance intellectuelle; de même, la species que l’intellect comprend, connaît, appréhende dans le phantasme[119], est manifestement un objet; et dans ces énoncés non seulement la pensée mais même l’expression est aristotélicienne[120]. Enfin, l’objet de l’insight, en plus d’être une forme qui existe dans une matière corporelle, une forme intelligible et une espèce intelligible, est également l’universel qui est non pas postérieur mais antérieur, qui n’est pas avec mais sans « un universel abstrait », et qui est concrètement mais inadéquatement identique à la chose matérielle particulière[121], tout comme la quiddité aristotélicienne est concrètement mais inadéquatement identique au particulier[122].

Nous avons caractérisé l’objet agent de l’abstraction appréhensive (insight) et nous nous penchons maintenant sur l’acte lui-même. Cet acte est défini comme un cognoscere (connaître) ou un considerare (considérer)[123]. Non seulement il est lui-même cognitif, mais ce dont il abstrait est aussi connu, c’est-à-dire la matière individuelle représentée par le phantasme[124] ou encore la matière sensible du chaud et du froid, du dur et du mou[125], qui peut également être imaginée. Or même si l’abstraction appréhensive est elle-même cognitive et abstrait de l’individuel connu sensiblement ou de la matière sensible, elle peut aussi être considérée dans la mesure où elle entre dans les catégories métaphysiques. De ce point de vue elle est une opération, un acte second, un actus perfecti (acte complété). Parce qu’elle implique une nécessité et une universalité psychologiques, métaphysiquement la forme d’où elle procède doit être reçue universellement, immatériellement et immuablement; « car la manière d’être de l’action se modèle sur la forme de l’agent »[126]. Une telle forme n’est pas l’essence même de l’âme mais une similitude immatérielle de la forme qui est reçue matériellement dans la chose connue[127]. Elle n’est pas innée[128], et elle ne vient pas non plus des substances séparées hors de ce monde[129], ni ne consiste exclusivement en une lumière intellectuelle[130]; mais elle est reçue des choses matérielles dans la mesure où les phantasmes sont rendus intelligibles en acte par l’intellect agent[131] ; par conséquent, ni l’acquisition ni l’utilisation de la science ne peuvent avoir lieu sans conversion vers le phantasme[132]; et nous ne pouvons pas juger proprement si les sens ne fonctionnent pas librement[133]. Or cette forme est désignée également « species intelligibilis » (espèce intelligible) ; manifestement, elle est tout à fait différente de la species du paragraphe précédent, qui est un objet. Si cette dernière est appelée « species quae », alors cette forme est « species qua intelligitur » (l’espèce qui est comprise) ; la « species quae » est l’une des diverses tentatives déployées pour caractériser l’objet pré-conceptuel de l’insight ; la « species qua » (l’espèce par laquelle) n’est pas un objet direct mais une conclusion de la réflexion métaphysique[134]. Quand l’intellect possible est actué par la « species qua » (l’espèce par laquelle), il est constitué en acte premier d’abstraction appréhensive ; cet acte premier d’abstraction appréhensive est à l’acte second ce que la forme est à l’esse et à ce que le principe d’action est à l’action. Enfin, au niveau sensitif les opérations passives se déploient dans les sens externes, et les opérations constructives dans l’imagination. Mais au niveau de l’intellect les opérations tant passives que constructives relèvent toutes de la même puissance, l’intellect possible ; la réception de la « species qua » (l’espèce qui) est une passion[135], et l’acte second qui la suit est pareillement un pati (subir) au sens général du terme ; grâce à cet acte second est connu(e) la « quidditas rei materialis » (la quiddité de la réalité matérielle) préconceptuelle ou la « forma intelligibilis » (la forme intelligible) ou la « species qua » (l’espèce par laquelle) ou l’universel dans le singulier ; mais en vertu de cet acte second s’élabore la définition, l’acte de la pensée qui définit, l’acte de signification[136] ; et celui-ci est considéré parfois comme étant ou contenant une troisième « species intelligibilis » (espèce intelligible), qui peut être distinguée de la « species quae » (espèce qui) et de la « species qua » (espèce par laquelle) en étant désignée comme une « species in qua » (espèce dans laquelle)[137].

Une question demeure : que signifie « abstraire le species du phantasme »? Cette expression signifie surtout, manifestement, qu’est produite dans l’intellect possible une similitude de la chose présentée par le phantasme; cette similitude est semblable à la chose, non pas sous tous les aspects, mais seulement quant à sa nature spécifique[138]; elle doit être identifiée avec la « species qua » (l’espèce par laquelle)[139]. Cette signification n’est toutefois pas exclusive; Thomas d’Aquin lui-même écrit : « Procéder ainsi, c’est abstraire l’universel du particulier, ou l’espèce intelligible de l’image, c’est-à-dire considérer la nature de l’espèce, sans considérer les principes individuels présentés par les images »[140] ; ici l’action d’abstraire est l’acte second de la considération, et ce dont on abstrait est désigné comme le phantasme mais ici ce terme représente les principes individuels que représente le phantasme. Or, lorsque l’abstraction est assimilée à la considération, l’espèce abstraite semble être l’espèce considérée ; l’espèce considérée pourrait être la « species in qua » (l’espèce en laquelle) que pourrait préférer une interprétation intellectualiste ; mais il est peut-être plus plausible que l’espèce considérée soit la « species quae » (l’espèce qui) qui se manifeste dans le phantasme ; certes, il semble qu’il en soit ainsi lorsque Thomas d’Aquin réécrit le texte d’Aristote : « La faculté de compréhension saisit donc les espèces dans les phantasmes », en la formulation suivante : « la partie intellective de l’âme conçoit les espèces une fois abstraites des phantasmes »[141].

5. Les sens et la compréhension

Comme le sensible est l’objet des sens, l’intelligible est l’objet de l’intellect[142]. Le sensible est confiné à la réalité matérielle, mais l’intelligible est coextensif à l’univers : tout ce qui peut être peut aussi être compris[143]. L’intelligible suprême, c’est la substance divine, qui dépasse la capacité de l’intellect humain, non pas à la manière du son qui se trouve hors de la portée de la vision, mais comme une lumière excessive qui l’éblouit[144]. En outre, il y a deux classes d’intelligibles et deux modes de compréhension : ce qui est intelligible en soi est l’objet direct des intellects des substances séparées, spirituelles; mais ce qui n’est pas en soi actuellement intelligible et n’est rendu intelligible que par l’intellect agent, c’est-à-dire le matériel et le sensible, n’est compris directement par l’intellect que s’il est d’abord appréhendé par les sens et représenté par l’imagination et illuminé par l’intellect agent[145]. Mais alors que la différence entre les deux classes d’intelligible est réelle et intrinsèque, la différence entre les deux genres de compréhension n’est qu’une différence de mode; par conséquent, que l’âme soit dans le corps ou hors du corps, c’est le même intellect humain, spécifié par le même objet formel, mais opérant selon des modes différents selon que l’intelligibilité actuelle lui est présentée ou non dans les phantasmes[146]. De même, tout comme la compréhension de l’intelligibilité actuée des choses sensibles fait abstraction de l’espace et du temps[147], ainsi les substances spirituelles qui sont en elles-mêmes actuellement intelligibles existent hors de l’espace et du temps[148].

Il ne s’ensuit pas que les substances spirituelles ne sont pas individuelles mais seulement qu’elles ne sont pas matérielles[149]. Mais il s’ensuit que notre connaissance intellectuelle directe des choses matérielles est incomplète; les sens connaissent les accidents externes, et l’intellect connaît l’essence interne ou la quiddité[150]; en connaissant l’essence, l’intellect connaît tout ce qu’implique l’essence; mais alors qu’une telle connaissance de Dieu serait compréhensive[151], elle ne saurait inclure la connaissance de l’existence contingente[152], ni une connaissance des actes contingents de volonté[153], ni une connaissance de l’individualité matérielle. Notre science porte donc sur l’universel et le nécessaire, et, pour rendre compte d’un jugement contingent et particulier, tel que : « Socrate vivait à Athènes », nous devons faire appel à la compréhension en tant qu’elle réfléchit sur la connaissance sensible[154].

Cette connaissance intellectuelle indirecte et réflexive du singulier et du contingent est présentée par Thomas d’Aquin de deux manières. Les premiers écrits déterminent une série d’étapes : premièrement, l’intellect saisit l’universel; deuxièmement, il réfléchit à l’acte par lequel il saisit l’universel; troisièmement, il vient à connaître l’espèce (species) qui est le principe de l’acte; quatrièmement, il se tourne vers le phantasme d’où l’espèce est tirée; et cinquièmement, il parvient à connaître la chose singulière qui est représentée par le phantasme[155]. Il est frappant de constater le parallèle entre ce processus de réflexion et la réflexion permettant de parvenir à la connaissance scientifique de l’essence de l’âme; comme les lecteurs se le rappelleront, cela incluait d’abord la réflexion sur l’acte, puis que la puissance, en enfin sur l’essence de l’âme[156].

Par conséquent, je ne puis admettre l’affirmation du R.P. Wébert selon qui la réflexion de Thomas d’Aquin sur le phantasme permettant la connaissance du singulier est une réflexion en un sens unique et qui n’aurait pas de parallèle dans d’autres types de réflexion; en fait, même si l’on peut convenir que le regard dévié qu’il postule serait unique, il faut dire je crois qu’un tel regard non seulement ne satisfait pas aux exigences théoriques (l’intellect ne regarde pas plus que la vue ne sent les odeurs) mais ne trouve pas non plus de fondement dans les textes[157]. Par ailleurs, il faut faire ressortir la différence entre la réflexion qui ne parvient qu’à une notion générale de la singularité, d’une part, et, d’autre part, une réflexion qui atteint cette chose singulière. Tout comme on peut inférer de la notion universelle de la forme une notion universelle de la matière[158], on peut inférer de la notion [159]de la quiddité ou de toute quiddité spécifique une notion abstraite de la singularité[160]; mais la notion abstraite de matière ne suffit pas pour la connaissance d’une matière individuelle[161], et aucune raison manifeste ne permet d’établir qu’une notion abstraite de la singularité suffirait pour une connaissance des choses concrètes singulières. Quoi qu’il en soit, la réflexion que décrit Thomas d’Aquin marque une transition non pas de la connaissance de la quiddité à la connaissance d’une singularité proportionnée; il s’agit d’une réflexion qui mène de la connaissance de la quiddité à la connaissance de l’acte par lequel la quiddité est connue; cet acte est un singulier immatériel; il est connu en tant que singulier dans la conscience empirique; à partir de cet acte singulier est connue l’espèce (species) singulière qui est son principe, puis le phantasme singulier qui est sa source, et enfin la chose singulière. Le processus que décrit Thomas d’Aquin porte véritablement sur le singulier, il est vraiment réflexif et vraiment intellectuel.

Il appert toutefois que Thomas d’Aquin a modifié cette conception par la suite. La réflexion dont il s’agit dans au moins trois des quatre passages susmentionnés[162] est de nature métaphysique; elle introduit la « species qua » (l’espèce par laquelle) qui est le principe de l’acte de compréhension; elle explique comment un métaphysicien thomiste pourrait rendre compte de la connaissance intellectuelle du singulier; mais elle n’explique pas comment la masse de l’humanité est capable d’affirmer que Socrate vivait à Athènes. Il est difficile de déterminer si Thomas d’Aquin a porté attention à cette difficulté ou s’il a été influencé par les Paraphrases de Themistius, qui ne supposent pas une connaissance métaphysique[163]. Ce qui est manifeste, c’est que la Pars prima présente un changement important. Elle mentionne non seulement la « species qua » (l’espèce par laquelle) de la connaissance métaphysique, mais aussi celle de la connaissance ordinaire, la « species quae » (l’espèce qui) que l’intellect comprend dans le phantasme[164]. Évidemment, ce changement explique pourquoi « quasi quamdam reflexionem » (comme par une certaine réflexion) a remplacé le processus complexe de réflexion indiqué dans les textes antérieurs.

Revenons au problème : l’être humain par son imagination connaît le singulier et par son intellect comprend une nature universelle; la question qui se pose est la suivante : comment peut-il savoir que la nature universelle qu’il comprend est bien la nature du singulier qu’il imagine? Les termes mêmes de la question impliquent une réflexion sur nos propres actes de compréhension et d’imagination, et la nature même de la compréhension, qui originairement est un insight dans le phantasme, fournit la réponse.

La connaissance intellectuelle du contingent ne soulève pas de nouveau problème[165]. Mais il reste une question antérieure, c’est-à-dire : comment l’acte existant dans un organe matériel, tel que le phantasme, peut-il être l’objet agent de l’intellect immatériel? Thomas d’Aquin lui-même s’est préoccupé de cette possibilité. Il soulignait que, puisque les objets de la science platonicienne étaient des idées immatérielles, la doctrine platonicienne n’avait pas besoin d’un intellect agent; par ailleurs, puisque les objets de la science aristotélicienne étaient des choses matérielles, intelligibles seulement en puissance, il fallait une puissance de l’âme pour illuminer les phantasmes, les rendre intelligibles en acte, en faire des objets en acte[166], produire l’immatériel en acte[167], produire l’universel[168], en abstrayant la species (l’espèce) de la matière individuelle ou des conditions matérielles[169]. Ces énoncés soulèvent trois questions : qu’est-ce qui, précisément, est illuminé, immatérialisé, universalité? En quoi consiste l’illumination, l’immatérialisation, l’universalisation? Comment ces processus peuvent-ils fournir un objet en acte pour l’intellect possible?

Pour ce qui est de la première question, il est manifeste que les phantasmes sont illuminés, immatérialisés, universalités, rendus intelligibles en acte. Thomas d’Aquin l’affirme en plusieurs occasions. Plus précisément, c’est le phantasme qui est illuminé, non pas au sens de l’acte de l’imagination, mais au sens de ce qui est imaginé; car ce qui est illuminé est ce qui sera connu; et, certes, les insights dans le phantasme ne sont pas des insights dans la nature des actes de l’imagination mais des insights dans la nature de ce que présente l’imagination; comme le dit Thomas d’Aquin, l’insight dans le phantasme s’apparente à l’action de regarder dans un miroir et non de regarder un miroir[170].

Pour ce qui est de la deuxième question, il faut noter une objection thomiste intéressante contre une explication alternative de notre connaissance proposée par les averroïstes, qui fait appel à un intellect possible séparé, en se fondant sur le postulat que les species (les espèces) dans l’intellect séparé illuminent nos phantasmes :

Deuxièmement, qu'une telle illumination des images ne permet pas de les rendre intelligibles en acte: de fait, les images ne deviennent intelligibles en acte que par une abstraction, or ce est plus une réception qu'une abstraction, En outre, puisque toute réception dépend de la nature du récepteur, l'illumination des espèces intelligibles qui sont dans l'intellect possible ne parviendra pas sur un mode intelligible aux images qui sont en nous, mais seulement sur un mode sensible et matériel[171].

Selon ce passage, il semble que Thomas d’Aquin n’a pas jugé que sa propre théorie impliquait la réception dans le phantasme de quelque vertu ou qualité; ce qu’il affirme, c’est une abstraction qui s’oppose à la réception.

Ce qui précède est négatif. Du côté affirmatif, quatre choses sont requises : la présence d’un intellect agent, la présence de phantasmes, les dispositions propres des facultés sensitives, et, dans la mesure où la compréhension d’une chose dépend de la compréhension d’une autre chose, la pratique[172]. Les deux premières exigences sont réitérées dans une description de l’illumination du phantasme comme cas particulier de l’accroissement général d’un pouvoir sensitif résultant de la conjonction des sens et de l’intellect[173]. La troisième exigence est reliée au travail de la cogitiva qui opère sous l’influence de l’intellect[174] et prépare des phantasmes appropriés[175]; l’importance de cette préparation se manifeste dans l’énoncé affirmant que différentes species intelligibles résultent de différents de différents arrangements de phantasmes tout comme différentes significations résultent de différents arrangements de lettres[176]. La quatrième exigence concerne une expérience commune : l’expert peut comprendre là où le profane demeure perplexe; l’expert décèle des problème là où le profane peut à peine les soupçonner.

La troisième question porte sur la pertinence des considérations précédentes. Elles sont vraiment suffisantes si elles permettent d’établir une distinction entre l’intelligible en puissance, l’intelligible en acte mais compris en puissance, et l’intelligible en acte compris en acte, tout aussi clairement et exactement qu’une distinction entre les couleurs dans l’obscurité, les couleurs à la lumière du jour mais qui ne sont pas vues effectivement et les couleurs qui sont vues effectivement. En outre, puisque le travail de la cogitativa et l’influence de l’expérience passée concernent des cas particuliers de compréhension, c’est aux deux premières exigences, soit la présence de l’intellect agent et la présence des phantasmes, qu’il faut faire appel surtout pour rendre compte de la triple distinction.

Les lecteurs qui se rappelleront ce que nous avons recueilli des énoncés de Thomas d’Aquin sur la lumière intellectuelle verront sans doute aussi que Thomas d’Aquin, en affirmant une illumination abstractive du phantasme, nous a laissé non pas une énigme, mais une solution. L’objet imaginé en tant que purement imaginé et en tant que présent à une conscience (un sujet) purement sensible n’est pas, à proprement parler, intelligible en puissance[177]; mais le même objet présent à un sujet qui est à la fois intelligent et sensible peut justement être considéré comme intelligible en puissance. Ainsi, la rêverie pure, où les images se succèdent dans notre cinéma intérieur, sans déclencher un questionnement de type : ,pourquoi? dans quel but?, illustre l’intelligible en puissance. Mais si intervient l’intelligence active[178], se posent les questions du pourquoi et du but; l’étonnement et la recherche apparaissent; l’attention se manifeste chez le scientifique ou le technicien, le mathématicien ou le philosophe, pour qui l’objet imaginé n’est plus un pur donné mais aussi quelque chose à comprendre. C’est l’objet imaginé, en tant que présent à la conscience intelligente comme une chose à comprendre, qui constitue l’intelligible en acte. En outre, cette illumination de l’objet imaginé, sa réception dans le champ de la lumière intellectuelle, est de nature abstractive; car ce n’est pas l’objet imaginé sous tous les aspects qui est considéré comme ce qu’il faut comprendre; personne ne s’efforce spontanément de comprendre pourquoi « ici » est « ici » ni pourquoi « maintenant » n’est pas « alors »; l’effort se limite à la saisie des natures, tout comme une explication est toujours associée au caractère des personnes, à la nature des choses, aux circonstances des événements, mais jamais au fait de se trouver ici et là. Enfin, la recherche et l’étonnement font place à la compréhension effective; l’objet imaginé n’est plus une chose à comprendre mais une chose effectivement comprise; cela n’implique aucune différence dans la phantasme, mais uniquement dans l’intellect possible, tout comme la différence entre les couleurs à la lumière du jour et les couleurs effectivement vues n’impliquent aucune différence dans les couleurs, mais uniquement dans les yeux et la vue; en conséquence la « species quae » (l’espèce par laquelle) intelligible, qui est comprise dans le phantasme, est comme la couleur effectivement vue, vue dans la chose colorée[179].

Il faut ajouter une note sur l’infaillibilité per se de l’intellect. Chez Aristote comme chez Thomas d’Aquin elle est décrite en lien avec l’affirmation que les définitions ne sont ni vraies ni fausses[180]. Mais l’infaillibilité semble signifier davantage qu’une telle négation et, de fait, il y a un autre élément à observer dans l’énoncé original d’Aristote et dans le commentaire de Thomas d’Aquin. Cette infaillibilité se rapporte au premier objet de l’intellect, le quod quid est, le to ti ên einai (ce qui est); en outre, l’infaillibilité de la compréhension directe est similaire à l’infaillibilité de la vue. Cela semble clairement suggérer un examen de l’insight quant à son infaillibilité; par ailleurs, le résultat d’un tel examen me semble apporter un complément positif désirable à la négation de la neutralité (ni vraies ni fausses) des définitions. Personne ne se méprend quant à ce qu’il imagine : pour que l’insight dans le phantasme soit erroné, il faut, soit que l’on imagine ce qui n’est pas, soit que l’on n’imagine pas ce qui est; de soi-même, per se, mises à part les erreurs commises en imaginant, l’insight est infaillible; s’il n’en était pas ainsi, on ne s’attendrait pas à corriger les méprises en montrant ce qui avait été négligé ou en corrigeant ce qui avait été imaginé par erreur.

6. Conclusion

On abstrait de la matière, et la matière est une forme analogue. Une première approximation de l’analogie fait appel à la proportion du bois aux tables et du bronze aux statues; selon cette analogie au sens large la matière est le sujet du changement ou de la différence, et la substance et le genre sont des occurrences de la matière. Or une observation d’Averroès, reprise par Thomas d’Aquin[181], établit l’analogie qui nous intéresse immédiatement; la forme naturelle est à la matière naturelle ce que l’objet de l’insight (forma intelligibilis) est à l’objet de l’imagination (materia sensibilis); le premier volet de cette analogie fonde une explication des conditions métaphysiques de l’abstraction; le deuxième volet fonde sa description psychologique.

Du point de vue métaphysique, parce que la chose matérielle possède une composante intelligible, la forme, ce qui est connu par la compréhension est bien réel et non purement idéal comme sont portés à le supposer les matérialistes, les idéalistes et les pseudo-réalistes. En outre, puisque la chose est forme et matière, il est possible de connaître la chose en abstrayant la forme de la matière. Par ailleurs, parce que la matière est principe de limitation, de sorte que la forme en soi est universelle[182], cette connaissance abstraite sera universelle. Or l’acte de connaître est une réalité ontologique tout autant que ce qui est connu : de même que la chose est constituée dans sa détermination par sa forme, le connaître est constitué dans sa détermination par sa forme, qui deviendra semblable à la forme du connu; par ailleurs, il ne peut y avoir une assimilation tant matérielle que formelle du connaître au connu, car autrement le connaître serait le connu mais ne le connaîtrait pas; en outre, là où le connaître possède les caractéristiques de la nécessité et de l’universalité, sa forme doit être reçue immatériellement; enfin, un théorème général portant que la connaissance se produit grâce à l’immatérialité peut être construit à l’intérieur des postulats du système thomiste.

Sur le plan psychologique, puisque l’objet de l’insight est l’objet du connaître préconceptuel, il y a un certain flottement dans sa description. Premièrement, l’insight ajoute à notre connaissance une saisie de l’unité intelligible dans la multiplicité sensible; en tant que saisie de cette unité, l’insight est intelligentia indivisibilium[183]. Or, ce n’est pas une unité quelconque ou l’unité en général qui est saisie, mais l’unité spécifique et proportionnée à la multiplicité sensible présentée; cette unité intelligible divise la multiplicité sensible, d’une part, en une partie nécessaire pour que l’unité soit l’unité et, d’autre part, en un résidu qui se trouve à être donné; le premier élément est décrit comme partes speciei, de ratione speciei, materia communis (« partie de l’espèce », « quant à l’espèce », « matière commune »); le second élément, résiduel, est décrit comme partes materiae. La division ne se fait pas toujours au même endroit : l’abstraction physique écarte la matière individuelle ou déterminée avec ses attributions locales et temporelles et la possibilité du changement; l’abstraction mathématique écarte la matière sensible (le chaud et le froid, l’humide et le sec, le clair et l’obscur, etc.). Ce qu’on appelle le troisième degré d’abstraction est appelé plus proprement séparation; il n’est pas du même genre que les précédents; puisqu’il s’agit d’une séparation, les discussions sur les distinctions réelles portent en réalité sur la validité des concepts métaphysiques. La forma intelligibilis (forme intelligible) semble être, normalement du moins, l’unité intelligible spécifique. La quidditas rei materialis (quiddité de la chose matérielle) est l’unité intelligible plus la matière commune; en premier lieu elle est la quiddité de la substance[184]; mais parler de la quiddité des accidents semble correspondre à la pensée d’Aristote[185]. La species signifie à la fois la forme et la quiddité[186].

Il y a trois stades dans l’abstraction physique et mathématique : l’objectif, l’appréhensif et le formatif. L’abstraction objective est l’illumination du phantasme, l’objet imaginé; elle consiste à traiter l’objet imaginé comme une chose à comprendre dans toute la portée de sa nature spécifique; comme l’action et la passion, elle est une seule et même réalité sous deux aspects; en tant qu’elle est affectée par l’intellect agent, elle peut être qualifiée d’efficiente; en tant qu’elle affecte l’objet imaginé, elle peut être qualifiée d’instrumentale. S’agissant de l’abstraction appréhensive, il faut distinguer un acte premier et un acte second; l’acte premier est l’intellect possible éclairé et actué par une species qua (une espèce qui); l’acte second procède du premier comme l’esse procède de la forme et l’action du principe d’action; en conséquence, la procession est une processio operationis (procession de l’opération); le second acte consiste à saisir, à connaître, à considérer une species quae (espèce par laquelle) intelligible dans l’objet imaginé. Cet acte second est infaillible en soi; par une sorte de réflexion, il en découle une connaissance indirecte, intellectuelle du singulier, c’est-à-dire une saisie réflexive du fait que la nature universelle comprise est la nature du particulier imaginé. Troisièmement, il y a l’acte de l’abstraction formative; il s’agit d’un acte qui signifie ou définit; par le fait même, il y a quelque chose qui est signifié ou défini; par conséquent, l’abstraction formative peut aussi être décrite comme l’établissement d’une ratio universelle ou d’une intentio intenta (intention comprise).

La cause efficiente principale de l’abstraction appréhensive est l’intellect agent; la cause efficiente instrumentale est le phantasme illuminé; en conséquence, non seulement l’impression de la species qua est une passio, mais l’acte second conséquent, intelligere, est un pati; en outre, la procession de la species qua et de l’intelligere de l’intellect agent et du phantasme est une processio operati; mais, tel que noté précédemment, la procession de l’intelligere de la species qua est une processio operationis. Or l’abstraction formative procède de l’abstraction appréhensive tout comme l’abstraction appréhensive procède de l’intellect agent et du phantasme; sa procession est donc une processio operati; et, en tant que fondement de cette procession, l’intelligere est appelé dicere; toutefois, la procession de l’abstraction formative a une propriété spéciale; elle est une emanatio intelligiilis, une activité de la conscience rationnelle, la production d’un produit parce que et pour autant que sont connues comme suffisantes les raisons suffisantes de son affirmation. De même que nous affirmons l’existence parce que et pour autant que sont connues comme suffisantes les raisons suffisantes de son affirmation, nous signifions et définissons les essences parce que et pour autant que nous les comprenons. Pareillement, par processio operati et emanatio intelligibilis un acte rationnel d’amour procède d’un jugement de valeur.

Comparons maintenant les objets. L’abstraction objective, l’illumination du phantasme, constitue l’objet imaginé comme une chose à comprendre en ce qui concerne sa nature spécifique. L’abstraction appréhensive, l’insight dans le phantasme, comprend effectivement ce que l’abstraction objective a présenté pour que ce soit compris. Or ce qui a été présenté pour être compris, c’était l’objet imaginé, le phantasme; il était donc tout à fait naturel et non moins rationnel pour Thomas d’Aquin d’affirmer aussi souvent que l’objet de l’intellect humain en cette vie était le phantasme; une personne qui ne saisit pas cela semble ne pas comprendre grand-chose du propos de Thomas d’Aquin. Mais si ce qui est compris est le phantasme, l’objet imaginé, alors ce qui s’ajoute à la connaissance, ce qui est onnu, précisément par la compréhension, est la forma intelligibilis (la forme intelligible), la quiddité, la species intelligibilis quae (l’espèce intelligible qui). Cela est connu dans le phantasme tout comme les couleurs effectivement vues sont vues dans les choses colorées. Il ne s’agit pas simplement de la coexistence de deux actes simultanés, l’acte de compréhension et l’acte d’imagination, chacun ayant son objet respectif. Les deux objets en fait sont liés intrinsèquement : l’objet imaginé est présenté comme une chose à comprendre; et l’insight ou l’abstraction appréhensive saisit l’intelligibilité de l’objet imaginé dans l’objet imaginé; ainsi, l’insight saisit les rayons égaux imaginés sur une surface plane comme la condition nécessaire et suffisante d’une courbe uniforme imaginée; l’imagination présente les termes que l’insight relie de manière intelligible ou unifie[187].

Ainsi, si l’abstraction appréhensive n’est pas abstraction des conditions matérielles, elle n’est pas à l’écart de ces conditions matérielles. C’est l’abstraction formative qui constitue l’objet qui se trouve à l’écart des conditions matérielles, en le signifiant ou en le définissant; on peut vouloir dire « cercle » sans signifier aucun cas particulier du cercle; mais on ne peut saisir, intuitionner, connaître par inspection la condition nécessaire et suffisante de la circularité si ce n’est dans un diagramme. En ce qui a trait à l’universel, l’abstraction appréhensive connaît l’universel dans un cas particulier; l’abstraction formative connaît l’universel qui est commun à une multiplicité; et la réflexion sur l’abstraction formative connaît l’universel en tant qu’universel, l’universel précisément en tant que commun à une multiplicité. Les objets de l’abstraction appréhensive et de l’abstraction formative sont essentiellement les mêmes, mais ils diffèrent sur le plan modal; ils sont essentiellement les mêmes, car c’est la même essence qui est connue; ils sont différents sur le plan modal, car ce que l’abstraction appréhensive ne connaît que dans le cas imaginé, l’abstraction formative le connaît hors de n’importe quel cas. Par ailleurs, même si l’abstraction appréhensive doit se rapporter à un cas, elle doit toujours être abstraction d’un universel, car l’individuel est toujours pars materiae (partie matérielle); mais alors que l’abstraction formative peut poser l’universel en dehors de tout cas particulier, il reste que l’acte de signification peut signifier l’individuel tout aussi facilement qu’il peut signifier l’universel; mais il signifie l’universel en vertu de l’abstraction appréhensive, et il signifie le particulier en vertu d’une connaissance indirecte, conséquente, du particulier; et si le particulier peut être signifié, il ne peut donc être défini de manière explicative, quidditative. Enfin, il y a le contraste entre quidditas (quiddité) et res (chose). L’abstraction appréhensive connaît la quidditas telle que humanitas (humanité); l’abstraction formative pose la res telle que homo; l’abstraction appréhensive connaît la forma intelligibilis (forme intelligible), mais l’abstraction formative pose la chose dans laquelle l’analyse métaphysique découvrira une forma naturalis (forme naturelle).

Notre plan d’opération consistait à investiguer, premièrement la psychologie appropriée pour rendre compte du concept de verbum de Thomas d’Aquin; deuxièmement, la métaphysique pertinente; troisièmement, les questions où la psychologie et la métaphysique pertinentes sont inextricablement reliées; et, quatrièmement, l’application de cette psychologie et de cette métaphysique à la connaissance divine. Le présent chapitre conclut les trois premiers volets de l’investigation. Tout ce qui a été dit jusqu’ici et tout ce qui reste à dire peut se réduire à une seule proposition : quand Thomas d’Aquin emploie le terme intelligibile, le sens premier qu’il donne à ce mot n’est pas tout ce qui peut être conçu, tel que la matière, le rien et le péché, mais tout ce qui peut être connu par la compréhension. La preuve de cette affirmation ne peut être qu’inductive, c’est-à-dire qu’elle gagne en force à mesure qu’est observée une correspondance exacte, large et éclairante entre, d’une part, l’affirmation avec toutes ses implications et, d’autre part, les énoncés de Thomas d’Aquin. Or, notons-le, la preuve de toute opinion opposée doit forcément avoir le même caractère inductif; dans la mesure où de telle preuves d’opinions opposées existent, certains lecteurs m’accorderont qu’elles ne correspondent pas aussi exactement, largement et clairement aux énoncés de Thomas d’Aquin.


1 Lorsque l’insight dans le phantasme est ignoré, l’intelligere doit produire le verbum pour avoir un objet. Il produit vraiment, mais n’est pas une action prédicamentale (mouvement matériel provenant du moteur) sauf d’une manière éminente : il a la vertu et l’actualité pour produire, sans la potentialité, le mouvement, l’imperfection de l’action. Comme regard vers son objet, il s’agit d’une qualité qui est un acte second. Voir Jean de Saint Thomas, Cursus theologicus, Paris, Desclée, 1946, tome 1, disputatio 32, a. 5, § 18 (p. 74), 37 (p. 80). Selon notre analyse, un intelligere qui produit avant d’être un connaître est une simple activité spontanée et non le fondement d’une emanatio intelligibilis. L’intelligere exerce une causalité efficiente; l’action prédicamentale, telle que définie, est l’effet in fieri et ainsi, même eminenter, n’inclut pas l’exercice de la causalité efficiente. Enfin, une qualité est une essenceet un acte second est au-delà de l’essence; la qualité est à l’acte second ce que l’habitus est à l’opération ou l’essence substantielle à l’existence.

2 « actus ex actu ». Somme contre les Gentils, 4, c. 14, § 3.

3 Somme théologique, I, q. 79, a. 8 c.

4 Commentaire du Livre I de la Physique, leçon 13, § 2 : « Ea in quae resolvitur definitio alicuius rei, sunt componentia rem illam » (« Les éléments en lesquels se résout la définition d’une chose, voilà ce qui la compose ».

5 Commentaire du Livre II de la Physique, leçon 2, § 1.

6 Aristote, La Métaphysique, VII, 10, 1029a 20; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique d’Aristote, leçon 2, § 1285.

7 Aristote, La Métaphysique, VII, 10, 1036a 8; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique d’Aristote, leçon 10, § 1496.

8 « Quod igitur sic se habet ad ipsas substantias naturales, sicut se habet aes ad statuam et lignum ad lectum, et quodlibet materiale et informe ad formam, hoc dicimus esse materiam primam ». Commentaire du Livre I de la Physique, leçon 13, § 9.

9 « … materia prima… se habet ad formas substantiales, sicut materiae sensibiles ad formas accidentales ». Ibidem, leçon 15, § 10.

10 « … (materia prima) ita se habet ad omnes formas et privationes, sicut se habet subiectum alterabile ad qualitates contrarias ». Commentaire du Livre VIII de la Métaphysique, leçon 1, §1689.

11 Commentaire du Livre II du Traité de l’âme, leçon 14, §420; leçon 13, § 395-398.

12 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, leçon 2, § 1284.

13 « ratio rei », « ratio definitiva rei », « ratio quidditativa rei ». Commentaire du Livre II de la Physique, leçon 2, § 3; leçon 5, § 3.4.

14 Aristote, Métaphysique, VII, 6, 1031b 3-5; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, leçon 5, § 1363,

15 « forma intelligibilis », « materia sensibilis ». Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8, ad 1 m (1ae ser.).

16 Voir note 4 ci-dessus.

17 Aristote, Métaphysique, VII, 10 et 11; voir Thomas d’Aquin, Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 5, a. 3.

18 Aristote, Métaphysique, VII, 10, 1034b 20 – 1035b 1; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, leçon 9, § 1461-1463, 1474-1481.

19 Aristote, Métaphysique, VII, 10, 1035b 2 – 10, 14 – 32; Ibidem 11, 1036b 24-29; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, leçon 10, § 1483-1491; leçon 11, § 1519.

20 « de ratione speciei circuli », « de ratione speciei hominis ». Voir la Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 2m.

21 Aristote, Métaphysique, VII, 10, 1036a 13-26.

22 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8, ad 1 m. (1ae ser.).

23 Aristote, la Physique, III, 3, 202a 22- b 29; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre III de la Physique, leçons 4 et 5; voir Bernard Lonergan, « ‘St Thomas’ Theory of Operation », Grace and Freedom, p. 64-69.

24 Aristote, Traité De l’âme, III, 2, 425b 26 – 426a 26; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre III du Traité De l’âme, leçon 2, § 591-596.

25 Ibidem, § 591.

26 Ibidem, § 594-596.

27 Ibidem, § 597-598.

28 Ibidem, § 592 : « unus et idem sit actus sensibilis et sentientis » (« l'acte de n'importe quel sens est le même et unique en sujet avec l'acte du sensible ».

29 Somme théologique, I, q. 87, a. 1, ad 3 m : « Dicendum quod verbum illud Philosophi universaliter verum est in omni intellectu. Sicut enim sensus in actu est sensibile, propter similitudinem sensibilis, quae est forma sensus in actu ; ita intellectus in actu est intellectum in actu, propter similitudinem rei intellectae, quae est forma intellectus in actu ». « Cette parole du Philosophe est vraie universellement de toute intelligence. Car le sens en acte est identique au sensible, en raison de la ressemblance de l’objet sensible, laquelle est forme du sens en acte ; et ainsi l’intelligence en acte est identique au connu en acte, à cause de la ressemblance de la réalité connue, qui est la forme de l’intelligence en acte ».

30 Bernard Lonergan, « ‘St Thomas’ Theory of Operation », Grace and Freedom, p. 64-69.

31 « hoc enim animis omnium communiter inditum fuit, quod simile simili cognoscitur ». Somme théologique, I, q. 84, a. 2 c.

32 Aristote, Traité De l’âme, I, 5, 409a 19 – 411a 7.

33 Commentaire du Livre II du Traité De l’âme, leçon 12, § 382. Il doit tout de même y avoir une proportion et, en ce sens, une similitude entre l’objet et la puissance, sinon les yeux entendraient et les oreilles verraient. Voir ibidem, leçon 11, § 366; la Somme théologique, I, q. 12, a. 2 et 5, applique ces considérations à la vision béatifique.

34 Aristote, Traité De l’âme, II, 5, 416b 35 – 417a 2; 5, 417a 18; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II du Traité De l’âme, leçon 10, § 351 et 357.

35 Aristote, Traité De l’âme, II, 12, 424a 17-23; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II du Traité De l’âme, leçon 24, § 551.

36 Ibidem, leçon 2, § 239, 241; Somme théologique, I, q. 85, a. 1 c.

37 Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 3, a. 9, ad 22 m; Somme théologique, I, q. 75, a. 2, ad 3 m; a. 3, q. 77, a. 5, ad 3 m; q. 84, a. 6; q. 89, a. 1, ad 1 m; Commentaire du Livre I du Traité De l’âme, leçon 2, § 19-20; leçon 10, § 159; Commentaire du Livre II du Traité De l’âme, leçon 2, § 241; leçon 12, § 377; Commentaire du Livre III du Traité De l’âme, leçon 7, § 684-688 (voir § 679-682); Somme contre les Gentils, 2, c. 57, 82; voir c. 49, § 8; c. 50, § 4.

38 L’unité de l’intellect contre les disciples d’Averroès, c. 1. « Sensitiva enim pars non recipit in se species, sed in organo; pars autem intellectiva non recipit eas in organo, sed in se ipsa »… « en effet la partie sensitive ne reçoit pas les formes en elle-même, mais dans un organe, tandis que la partie intellective ne les reçoit pas dans un organe, mais en elle-même ».

39 Ibidem, § 23 : « Sensus enim proportionatur suo organo et trahitur quodammodo ad suam naturam; unde etiam secundum immutationem organi immutatur operatio sensus ». « En effet, chaque sens est proportionné à son organe et est d'une certaine manière attiré par sa nature; c'est pourquoi l'opération des sens varie en fonction des changements subis par les organes ». Voir § 35, 37, 38, 46. Voir la présentation de la position de Cajetan dans Yves Simon, « Positions aristotéliciennes concernant le problème de l’activité du sens », Revue de philosophie 4, 1933, p. 229-258.

40 Somme théologique, I, q. 75, a. 2 et passim.

41 Aristote, Traité De l’âme, III, 4, 429a 21-22; voir 429b 30 – 430a 2.

42 Somme théologique, I, q. 87, a. 1 c.

43 Ibidem, q. 75, a. 2 c.

44 Aristote, Traité De l’âme, II, 5, 417b 16-19; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II du Traité De l’âme, leçon 12, § 373-374.

45 Somme contre les Gentils, 2, c. 57, 82; Somme théologique, I, q. 75, a. 3 et 6; L’unité de l’intellect contre les disciples d’Averroès, c. 1.

46 Commentaire du Livre II du Traité De l’âme, leçon 24, § 551-554.

47 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 5 c; q. 8, a. 11 c.

48 Somme théologique, I, q. 56, a. 2, ad 3 m; Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 8, ad 14 m.

49 Commentaire du Livre II du Traité De l’âme, leçon 24, § 551-554; voir la Somme contre les Gentils, 2, c. 50, § 5.

50 Somme théologique, I, q. 56, a. 2, ad 3 m.

51 Ibidem, q. 84, a. 2 c.; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 2 c.

52 « rem ut separatam a conditionibus materialibus, sine quibus in rerum natura non existit ». Somme contre les Gentils, 1, c. 53, § 3.

53 Somme théologique, I, q. 85, a. 3, ad 1 m; a. 2, ad 2 m.

54 « quidditas sive natura in materia corporali existens ». Ibidem, q. 84, a. 7 c.

55 Commentaire du Livre I des Sentences, d. 2, q. 1, a. 3 sol.

56 Somme théologique, I, q. 13, a. 1 c.

57 Aristote, Métaphysique, ?, 10, 1035b 27-30; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, leçon 10, § 1490.

58 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 2 c.

59 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 2 c.

60 Ibidem et ad 4 m.

61 Aristote, Métaphysique, Z, 15, 1039b 27, K, 1, 1059b 26; Traité De l’âme, II, 5, 417b 22; voir les Analytiques postérieurs, I, 31, 87b 27 – 88a 4.

62 Aristote, Métaphysique, Z, 13, 1038b 35.

63 Ibidem, B, 6, 1003a 6-17, surtout 14-17.

64 Ibidem, K, 1060b 20-23; M, 10, 1087a 10-25.

65 Ibidem. Voir W. D. Ross, Aristotle’s Metaphysics, vol. 1, Oxford, At the Clarendon Press, 1924, p. cviii-cx.

66 « rem ut separatam a conditionibus materialibus, sine quibus in rerum naturam non existit ». Somme contre les Gentils, 1, c. 53, § 3.

67 « ideam operati esse in mente operantis sicut quod intelligitur; non autem sicut species qua intelligitur ». Somme théologique, I, q. 15, a. 2 c.

68 Questions quodlibétiques, 5, a. 9, ad 1 m.

69 Commentaire du Livre I du Traité de la proposition d’Aristote, leçons 2 et 3.

70 (Matthew J. O’Connell, dans The Modern Schoolman 24, 1946-1947, p. 228, soutient qu’une proposition de Lonergan concernant la distinction entre la connaissance d’une chose et la connaissance de l’idée de la chose a des relents d’idéalisme). Note de l’édition critique des Collected Works of Bernard Lonergan.

71 Somme théologique, I, q. 85, a. 3, ad 1 m; a. 2, ad 2 m.

72 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 3 c.; Wyser, Divus Thomas 25, 1947, p. 472-475; Wyser sous forme de livre, p. 38-40; Decker, p. 181-186.

73 Wyser, Divus Thomas 25, 1947, p. 472; Wyser sous forme de livre, p. 38; Decker, p. 182 et 186.

74 Aristote, Métaphysique, Z, 10 et 11.

75 Aristote, Métaphysique, K, 3, 1061a 28 – 1061b 1; voir M, 3, 1077b 17-23; Traité De l’âme, III, 7, 431b 15-16.

76 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 3 c.; voir Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 2 m.

77 Wyser, Divus Thomas 25, 1947, p. 474; Wyser sous forme de livre, p. 40; Decker, p. 186.

78 Somme théologique, I, q. 79, 84-89.

79 « quidditas rei materialis ».Ibidem, q. 84, a. 7; a. 8; q. 85, a. 5, ad 3 m; a. 8; q. 86, a. 2, q. 87, a. 2, ad 2 m; a. 3; q. 88, a. 3; voir q. 12, a. 4; q. 85, a. 1.

80 Ibidem, q. 84, a. 8 c.

81 Ibidem, q. 87, a. 3; q. 88, a. 3 c.

82 Ibidem, q. 85, a. 8 c.

83 Ibidem et q. 88, a. 3 c.

84 Ibidem, q. 84, a. 7 c.

85 Ibidem, q. 85, a. 1 c.; voir q. 12, a. 4 c.

86 Aristote, Traité de l’âme, III, 4, 429b 10-21; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 8, § 705-716.

87 Ibidem, § 717.

88 Aristote, Métaphysique, Z, 6, 1031b 3-5; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, leçon 5, § 1363.

89 « directe apprehendit quidditatem carnis; per reflexionem autem, ipsam carne ». Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 8, § 713.

90 Somme théologique, I, q. 84, a. 7 c.

91 Somme théologique, I, q. 85, a. 8; q. 87, a. 3; q. 88, a. 3 c.

92 Ibidem, q. 84, a. 7 c.

93 Ibidem, q. 86, a. 1 c.

94 Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 50, q, 1, a. 1, sol.; Questions disputées sur la vérité, q. 19, a. 1 c.; Commentaire du Traité de l’âme, a. 15; Somme théologique, I, q. 89, a. 1 c.

95 Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 50, q, 1, a. 3; Questions disputées sur la vérité, q. 19, a. 2; Commentaire du Traité de l’âme, a. 20; Somme théologique, I, q. 89, a. 4.

96 Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 50, q, 1, a. 2, sol.; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 2 c.; Commentaire du Traité de l’âme, a. 15 c.; Somme théologique, I, q. 84, a. 4 c..

97 Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 3 m.

98 Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 50, q. 1, a. 2 sol..

99 Commentaire du Traité de l’âme, a. 16 c..

100 Ibidem, a. 17 et 18 c..

101 Somme théologique, I, q. 89, a. 1 c. et ad 3 m.. Il faut noter que la conversion avicennienne est appelée simplement conjonction. Somme contre les Gentils, 2, c. 74, § 3.

102 « nulla potentia potest aliquid cognoscere nisi convertendo se ad obiectum suum, ut visus nihil cognoscit nisi convertendo se ad colorem. Unde, cum phantasmata se habeant hoc modo ad intellectum possibilem sicut sensibilia ad sensum, ut patet per Philosophum in III de Anima, quantumcumque aliquam speciem intelligibilem apud se habeat, numquam tamen actu aliquid considerat secundum illam speciem, nisi convertendo se ad phantasmata. Et ideo, sicut intellectus noster secundum statum viae indiget phantasmatibus ad actu considerandum antequam accipiat habitum, ita et postquam acceperit ». Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 2, ad 7 m..

103 La nature du verbe de l’intellect, V, 368-375, notamment 372-374 (édition Mandonnet pour l’original).

104 Par exemple, Somme théologique, I, q. 85, a. 2, ad 3 m.

105 Ibidem, q. 84, a. 7 c..

106 Commentaire du Livre I des Sentences, d. 19, q. 5, a. 1, ad 7 m; Commentaire du Livre II des Sentences, d. 13. q. 1, a. 3 sol.; Commentaire du Livre III des Sentences, d. 23, q. 1, a. 2 sol.; d. 35, q. 2, a. 2, qc. 1 sol.; Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 12, q. 1, a. 1 sol. 2, ad 2 m; d. 49, q. 2, a. 3, sol.; a. 7, ad 6 m; Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 12 c.; q. 8, a. 7, ad 4 m (3ae ser,); q. 14, a. 1, c.; q. 15, a. 2, ad 3 m; a. 3, ad 1 m; q. 25, a. 3 c.; Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 2, ad 2 m; Somme contre les Gentils, 1, c. 58, § 5; 3, c. 41, § 3; c. 56, § 5; c. 108, § 4; Somme théologique, I, q. 17, a. 3, ad 1 m; q. 18, a. 2 c.; q. 57, a. 1, ad 2 m; q. 58, a. 5 c.; q. 67, a. 3 c.; q. 85, a. 5 c.; a. 6 c.; I-II, q. 3, a. 8 c.; q. 10, a. 1, ad 3 m; q. 31, a. 5 c.; II-II, q. 8, a. 1, c.; III, q. 10, a. 3, ad 2 m; q. 76, a. 7 c.; Commentaire du Livre des causes, leçon 6, ad fin.; Commentaire du Livre I du Traité de la proposition, leçon 10, § 5; Commentaire du Livre II des Seconds Analytiques, leçon 5, § 9. Vingt de ces textes renvoient au Traité de l’âme d’Aristote; seize, de l’objet propre de l’intellect; quatre désignent l’objet propre comme quid; un, quod quid; vingt-et-un, quod quid est; huit, quidditas; la répartition est fortuite, sauf pour quid et quod quid, qui sont restreints aux premiers écrits. Somme théologique, III, q. 75, a. 5, ad 2 m établit que l’objet propre de l’intellect selon le Traité de l’âme est la substantia.

107 Commentaire du Livre I des Sentences, d. 3, q. 4, a. 3 sol.; Commentaire du Livre II des Sentences, d. 8, q. 1, a. 5 sol.; d. 20, q. 2, a. 2, ad 3 m; d. 23, q. 2, a. 2, ad 3 m; Commentaire du Livre III des Sentences, d. 14, q. 1, a. 3, sol. 2; d. 27, q. 3, a. 1 sol.; Questions disputées sur la vérité, q. 18, a. 8, ad 4 m; Somme contre les Gentils, 2, c. 73, § 38; c. 80, § 6; c. 81, § 6; c. 96, § 3; Commentaire du Traité de l’âme, a. 1, ad 11 m; a. 15 c., ad 3 m, ad 8 m; Somme théologique, I-II, q. 50, a. 4, ad 1 m; L’unité de l’intellect, c. 1; Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 6, a. 2 c. et ad 15 m. Il y a un grand nombre de textes équivalents associés au parallèle aristotélicien selon lequel le phantasme est à l’intellect ce que le sensible est aux sens.

108 Aristote, Traité de l’âme, III, 7, 431a 16.

109 Ibidem, 14.

110 Ibidem, 431b 2.

111 « species intellecta ». Commentaire du Livre III des Sentences, d. 31, q. 2, a. 4, ad 5 m; pour des modifications similaires, voir « quasi obiecta » (comme des objets), Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 50. q. 1, a. 2, sol.. ad fin.; Questions disputées sur la vérité, q.10, a. 11 c.; également « species phantasmatum quae sunt obiecta intellectus nostri » (le species des phantasmes, qui sont les objets de nos intellects »), Commentaire du Livre II des Sentences, d. 24, q. 2, a. 2, ad 1 m.

112 Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6 c.; voir q. 10, a. 9 c.

113 Somme contre les Gentils 2, c. 59, § 14.

114 Ibidem, c. 73, § 38; voir Commentaire du Livre II des Sentences, d. 20. q. 2, a. 2, ad 2 m.

115 « formam in materia quidem corporali individualiter existentem, non tamen prout est in tali materia ». Somme théologique, I, q. 85, a. 1 c..

116 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 2, ad 2 m; Wyser, Divus Thomas 25, 1947, p. 469; Wyser sous forme de livre, p. 35, Decker, p. 177.

117 Une convention subséquente s’est manifestée, tendant à restreindre la sens de « species » aux formes dans les puissances cognitives. Thomas d’Aquin pouvait écrire, dans les Commentaires sur le Livre III des Sentences, d. 18, q. 1, a. 1 sol. : « Causa actionis est species » (Mais la cause de l’action est le species), p. ex., la forme de la chaleur dans le feu; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8, ad 10 m (2ae ser.) : « species lapidis non est in oculo, sed similitudo eius » (« ce n’est pas l’espèce de la pierre qui est dans l’œil, mais sa ressemblance »); Somme contre les Gentils, 2, c. 93, § 2 : « quidditates subsistentes sunt species subsistentes » (« les quiddités subsistantes sont des espèces subsistantes »); Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 8, § 707 : « naturalia habent speciem in materia » (les choses naturelles ont leur species dans la matière).

118 Somme contre les Gentils, 2, c. 73, § 38.

119 Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ob. 5 et ad 5 m; q. 86, a. 1 c.; III, q. 11, a. 2, ad 1 m.

120 Aristote, Traité de l’âme, III, 7, 431b 2; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 12, § 777.

121 Somme théologique, I, q. 85, a. 2, ad 2 m; a. 3, ad 1 m.

122 Aristote, Métaphysique, Z, 6; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique d’Aristote, leçon 5.

123 Somme théologique, I, q. 85, a. 1 c. et ad 1 m.

124 Ibidem, c.

125 Ibidem, ad 2 m.

126 « modus enim actionis est secundum modum formae agentis ». Somme théologique, I, q. 84, a. 1 c.; q. 76, a. 2, ad 3 m; L’unité de l’intellect contre les disciples d’Averroès, c. 5.

127 Somme théologique, I, q. 84, a. 2 c..

128 Ibidem, a. 3 c.

129 Ibidem, a. 4 c.

130 Ibidem, a. 5 c.

131 Ibidem a. 6 c.

132 Ibidem, a. 7 c.

133 Ibidem, a. 8 c.

134 Somme théologique, I, q. 85, a. 2 c.; voir Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 4, ad 1 m; a. 8, ad 2 m (2 ae ser.); ad 9 m (1ae ser.); a. 9 c., ad 1 m, ad 3 m, ad 5 m, ad 10 m; a. 11, ad 4 m; dans certains de ces passages la species (l’espèce) est un medium qui doit être connu non pas directement, mais par la réflexion, et peut être identique à la « species quae » (l’espèce qui) même si elle est conçue différemment; voir la formulation antérieure dans les Questions quodlibétiques, 7, a. 1 c.; Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 49, a. 1, ad 15 m.

135 Somme théologique, I, q. 85, a. 2 c. et ad 3 m.

136 Somme théologique, I, q. 85, a. 2, ad 3 m.

137 Dans tous les écrits, sauf les premiers écrits, la parole intérieure est appelée forme ou espèce uniquement pour la raison secondaire qu’il s’agit de la forme en vertu de laquelle œuvre l’artisan : voir les Questions disputées sur la vérité, q. 3, a. 2 c.; Questions quodlibétiques, 5, a. 9 c. Tel que noté précédemment, le verbe des premiers écrits est le concept des écrits ultérieurs auquel s’ajoute une ordination à la manifestation (Commentaire du Livre II des Sentences, d. 11, q. 2, a. 3 sol.; voir Commentaire du Livre I des Sentences, d. 27, q. 2, a. 1 sol.); ce qui est conçu est la species intelligibilis (l’espèce intelligible) (Commentaire du Livre I des Sentences, d. 27, q. 2, a. 1 ob. 4; a,2, ob. 4). Questions quodlibétiques 8, a. 4, décrit la formation d’une définition permettant de classer la charité et la désigne comme la connaissance de la quiddité de la charité; il appert que la définition formée doit être identifiée à la species intelligibilis (l’espèce intelligible); il est affirmé que nous connaissons le quid (quoi) de la charité (Commentaire du Livre III des Sentences, d. 23, q. 1, a. 2, ad 1 m) mais cette affirmation est niée du fait que nous ne connaissons pas son objet, Dieu, de manière quidditative (Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 10 c.). Questions quodlibétiques, 7, a. 2 c., parle de connaissance, en se référant à la terminologie augustinienne, comme d’une intentio coniugens (une intention unitive). Palémon Glorieux, « Les Quodlibets VII-XI de s. Thomas d’Aquin » (Recherches de théol. Ancienne et médiévale 13, 1946, p. 282-283), soulève la possibilité de mettre en doute l’authenticité de ces Quodlibeta. D’autre part, ils projettent peut-être quelque lumière sur le Commentaire du Livre I des Sentences, d. 35, q. 1, a. 2 sol., qui distingue la species sensible reçue dans la pupille comme ce qui est vu en premier et la chose externe comme ce qui est vu en second et, de même, une similitude reçue dans l’intellect comme ce qui est compris en premier et la chose externe elle-même comme ce qui est compris en second. Voir la note 134 ci-dessus. Enfin, il y a la species intellecta (l’espèce intelligible) qui est récurrente dans les Sentences (notamment II, d. 17, q. 2, a. 1 sol.) mais qui n’apparaît plus tard que dans les discussions d’Averroès (Somme contre les Gentils, 2, c. 75, § 3; voir § 7; d’où L’unité de l’intellect, 5, § 110 : « c'est en effet sur les choses mêmes que portent la science naturelle et les autres sciences, non sur les espèces pensées »; Somme théologique, I, q. 85, a. 2 c. : « l’espèce intelligible est ce qui est connu en second lieu ». L’espèce intelligible du début peut être un concept mais elle peut être également « l’espèce qui » (species quae) que suggère le Commentaire du Livre IV des Sentences d. 49, q. 2, a. 6, ad 3 m : « En effet, la faculté de notre intellect est déterminée aux formes sensibles qui sont rendues intelligées en acte par l’intellect agent, du fait que les fantasmes ont avec notre intellect le même rapport que les objets sensibles avec le sens, comme il est dit dans le Commentaire du Traité de l’âme, III ». Toutefois, la Somme théologique I, q. 85, a. 3 c. interdit d’attribuer trop de précision sur ce point aux ouvrages de jeunesse.

138 Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 3 m.

139 Ibidem, a. 2 c.; Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 9, ad 6 m.

140 « hoc est abstrahere universale a particulari, vel speciem intelligibilem a phantasmatibus, considerare scilicet naturam speciei absque consideratione individualium principiorum, quae per phantasmata repraesentantur ». Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 1 m.

141 « pars animae intellictiva intelligit species a phantasmatibus abstractas ». Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 12, § 777.

142 Somme contre les Gentils, 2, c. 55, § 10.

143 Ibidem, 2, c. 98, § 9.

144 Ibidem, 3, c. 54, § 8.

145 Ibidem, 2, c. 91, § 8; c. 94, § 5; c. 96, § 3-5.

146 Questions disputées sur la vérité, q. 19, a. 1, ob. 4 et ad 4 m; ob. 5 et ad 5 m; Commentaire du Traité de l’âme, a. 15, ad 8 m et ad 10 m.

147 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 2 c.; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6, ad 1 m; Somme théologique, I, q. 57, a. 2 c.; q. 86, a. 4 c.

148 Somme contre les Gentils, 2, c. 96, § 9-10.

149 Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 9, ad 15 m.

150 Questions disputées sur la vérité, q. 8, a. 7, ad 4 m (3ae ser.); q. 10, a. 4, ad 1 m; Commentaire du Livre I des Seconds analytiques, leçon 42, §5.

151 Questions disputées sur la vérité, q. 20, a. 5 c.

152 Ibidem, q. 15, a. 2, ad 3 m.

153 Somme contre les Gentils, 3, c. 56, § 5.

154 Somme théologique, I, q. 86, a. 1 et 3.

155 Commentaire du Livre IV des Sentences, d. 50, q. 1, a. 3 sol.; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6, c.; q. 10, a. 5, c.; Commentaire du Traité de l’âme, a. 20, ad 1 m (2ae ser.)

156 Commentaire du Livre III des Sentences, d. 23, q. 1, a. 2, ad 3 m; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8 c.; Somme théologique, I, q. 87, a. 1-4; Commentaire du Livre II du Traité de l’âme, leçon 6, § 308; Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 9, § 724-725.

157 Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 9, ad 15 m.

158 Voir les Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 4 c.

159 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. a. 2 c.; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6, ad 1m; Somme théologique, I, q. 57, a. 2 c.; q. 86, a. 4 c.

160 Voir le commentaire de Cajetan sur la Somme théologique, I, q. 86, a. 1, §6-8. Sancti Thomae Aquinatis… Opera omnia 5 : Pars 1a, q. 50-119; Joseph de Tonquédec, La critique de la connaissance, Paris, Beauchesne, 1929, p. 146-150.

161 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 5, ad 1 m.

162 Tous ces passages, sauf Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6 c., traitent de la species (l’espèce) qui est le principe de l’acte; la connaissance de la species suppose une analyse et une réflexion métaphysiques.r

163 Themistii Paraphrases Aristotelis librorum quae supersunt; voir le Commentaire du Livre III du Traité de l’âme 4. Voir Gérard Verbeke, « Les sources et la chronologie de Commentaire de s. Thomas d’Aquin au De anima d’Aristote », Revue philosophique de Louvain 45, 1947, p. 314-338; voir p. 317.

164 Somme théologique, I, q. 86, a. 1 c. Voir ibidem, q. 85, a. 1, ad 5 m; III, q. 11, a. 2, ad 1 m; etc.

165 Ibidem, I, q. 86, a. 3 c.

166 Ibidem, q. 79, a. 4, ad 3 m; a. 7 c.

167 Ibidem, a. 4, ad 4 m.

168 Ibidem a. 5, ad 2 m; Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 10. Ad 14 m.

169 Somme théologique, I, q. 79, a. 3 et 4; Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 10; Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 9 et 10; Somme contre les Gentils, 2, c. 76-78.

170 Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6 c. Voir q. 10, a. 9 c.

171 « Secundo, quod talis irradiatio phantasmatum non poterit facere quod phantasmata sint intelligibilia actu: non enim fiunt phantasmata intelligibilia actu nisi per abstractionem; hoc autem magis erit receptio quam abstractio. Et iterum, cum omnis receptio sit secundum naturam recepti, irradiatio specierum intelligibilium quae sunt in intellectu possibili, non erit in phantasmatibus quae sunt in nobis, intelligibiliter, sed sensibiliter et materialiter… ». L’unité de l’intellect contre les disciples d’Averroès, c. 4.

172 Somme théologique, I, q. 79, a. 4, ad 3 m.

173 Ibidem, q. 85, a. 1, ad 4 m.

174 Ibidem, q. 78, a. 4, ob. 5 et ad 5 m.

175 Somme contre les Gentils, 2, c. 73, §14-16 et 26-28.

176 Somme théologique, II-II, q. 173, a. 2 c.

177 Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 7, a. 10 c. : « ipsa res quae est extra animam, omnino est extra genus intelligibile » (« ce qui est hors de l'âme est tout à fait hors du genre intelligible ». Ce passage signifie que les entités matérielles n’ont aucun rapport en elles-mêmes à la connaissance intellectuelle; le contexte a trait à la relation réelle non réciproque entre la scientia et le scibile (la connaissance et le connaissable).

178 Une telle intervention correspondrait à ce que signifie Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 3 m : « ex conversione intellectus agentis supra phantasmata… » « l’intellect agent produit une certaine ressemblance du réel dans l’intellect possible par une conversion de l’intellect agent vers les images ».

179 « effectivement vue » est attribué à la couleur par dénomination extrinsèque; de même, l’actu intellectu (ce qui est compris effectivement) n’est pas une réalité reçue dans le phantasme. D’où la précision de l’expression (Somme contre les Gentils, 2, c. 59, § 14) voulant que les phantasmes soient compris effectivement dans la mesure où ils ne font qu’un avec l’intellect possible actué. Il faut garder ce facteur à l’esprit en lien avec les problèmes déjà mentionnés. Bien que j’ai parlé tout au long en termes de ce que s’avère être finalement la species qua, c’est-à-dire un principium formale quo (principe formel par lequel) (Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 9, ad 6 m), une interprétation juste doit inclure une conscience d’un processus graduel de clarification et, tout autant, des occurrences plus diffuses dans les ouvrages postérieurs qui n’affectent pas l’enjeu immédiat.

180 Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 11, § 762.

181 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8, ad 1 m (1ae ser.).

182 Ibidem, q. 10, a. 5 c.

183 L’étude de l’unité chez Aristote est étude de l’adiaireton; Métaphysique, I, 1052a 36; b 15. D’où Traité de l’âme, III, 6, 430a 26; 430b 5; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre III du Traité de l’âme, leçon 11.

184 Somme théologique, I, q. 85, a. 5 c.

185 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, leçon 4.

186 Ibidem, leçon 9, § 1473.

187 Il s’agit là d’un enjeu critique en philosophie. Pour un matérialiste, les termes sont réels, l’unification intelligible subjective; pour un idéaliste les termes ne peuvent être la réalité et l’unification intelligible n’est pas objective; pour un platonicien les termes ne sont pas la réalité mais les unifications intelligibles sont objectives dans un autre monde; pour un aristotélicien les deux sont objectifs dans ce monde-ci; le thomisme ajoute une troisième catégorie, l’existence, à la matière et à la forme aristotéliciennes.

 

 

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