Les oeuvres de Bernard Lonergan
La notion de verbe : Réflexion et jugement

 

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Réflexion et jugement

Notre recherche se déploie selon le plan suivant : nous cherchons d’abord à déterminer les données de la psychologie introspective qu’implique le concept thomiste de verbum mentis ou de parole intérieure; deuxièmement, nous entendons examiner les catégories et les théorèmes métaphysiques dans lesquels Thomas d’Aquin a exprimé ces données introspectives; troisièmement, nous chercherons à suivre l’extrapolation de l’analyse de l’esprit humain à la présentation de l’intellect divin tel qu’il est connu naturellement; quatrièmement, nous étudierons la théorie de la procession de la Parole divine. La première tâche, celle de la psychologie introspective, se présentait en deux volets correspondant aux deux types différents de parole intérieure, soit la définition et la compositio vel divisio ou le jugement. Les deux types découlent d’un intelligere, mais une différence quant au produit postule une différence quant au fondement; dans le chapitre précédent, il a été établi que l’intelligere dont provient la définition est un acte direct de compréhension, un insight dans le phantasme; dans le présent chapitre, il sera affirmé que l’intelligere dont provient le jugement est un acte réflexif et critique de compréhension, qui n’est pas sans ressembler à l’acte illatif de Newman.

Il peut être utile d’indiquer dès maintenant le parallèle entre les deux types de procession des verbes intérieurs. Tant la définition que le jugement découlent d’un acte de compréhension, mais la première procède de la compréhension directe, alors que le dernier procède de la compréhension réflexive. Ces deux actes de compréhension ont leur cause principale dans l’intellect agent, mais l’acte direct provient de l’intellect agent comme esprit d’étonnement et de recherche, alors que l’acte réflexif provient de l’intellect agent comme esprit de réflexion critique, comme virtus iudicativa[1]. Et les deux actes de compréhension ont des causes instrumentales ou matérielles, mais l’acte direct tient cette cause dans une image schématique ou un phantasme, alors que l’acte réflexif examine non seulement les présentations de l’imagination, mais aussi celles des sens, de même que les actes directs de compréhension et les définitions, pour trouver dans tous ces éléments réunis le fondement suffisant ou les données probantes pour porter un jugement. Par conséquent, alors que l’acte de compréhension directe engendre dans la définition l’expression de l’intelligibilité d’un phantasme, l’acte réflexif engendre dans le jugement l’expression d’une vérité possédée consciemment par laquelle à la fois on connaît la réalité et on sait qu’on la connaît.

1 Composition ou division

Composition vel divisio est la désignation thomiste habituelle du deuxième type de parole intérieure. Elle tient son origine du recours grammatical d’Aristote pour la spécification des problème philosophiques. Les lecteurs des Catégories apprennent à distinguer entre les formes simples et composites du discours : la forme composée peut être illustrée par l’expression « l’homme court » ou « l’homme gagne »; la forme simple, par les mots « homme », « court », « gagne »[2]. Dans le Peri hermeneias est établie la concomitance de la vérité et de la fausseté dans l’esprit, d’une part et, d’autre part, une synthèse linguistique : le vrai ou le faux n’est pas signifié par un mot simple, ni même par la copule, mais seulement par une conjonction des mots; des exceptions se présentent semble-t-il, non pas parce qu’un mot simple signifie réellement en soi le vrai ou le faux, mais seulement parce que l’on peut parfois énoncer un mot unique et du même coup faire comprendre d’autres mots, comme disent les grammairiens[3]. Thomas d’Aquin analyse en profondeur ce passage, pour en tirer une distinction lumineuse entre les significations première et conséquente du verbe « est »; « ‘est’, dit tout seul, signifie ‘être en acte’ »; mais, de manière conséquente et implicite, « est » signifie le vrai ou le faux. Car la signification première de « est » est l’actualité de toute forme ou de tout acte, substantiels ou accidentels; mais conséquemment (puisque l’actualité comprend une synthèse avec ce qui est actué) et implicitement (puisque le sujet actué est compris lorsque l’actualité est affirmée), il y a connotation de la vérité ou de la fausseté dans ce verbe et en d’autres[4].

Cette distinction peut être mise en parallèle avec la division standard aristotélicienne et thomiste de l’ens en, d’une part, l’ens qui est équivalent au verum et, d’autre part, l’ens qui est divisé par les dix catégories[5]. Or, du point de vue d’une analyse génétique du jugement, notre attention immédiate est sollicitée par une distinction antérieure mais connexe. Comme le suggère le terme compositio, il y a dans le jugement un élément purement synthétique. C’est là la base de l’affirmation que la vérité ou la fausseté réside dans la conjonction comme telle et non dans les termes qui sont joints. Toutefois, outre cet élément de synthèse, le jugement renferme un autre élément dans lequel est établie la synthèse. Si vous comparez les termes d’un jugement à la matière et la synthèse des termes à la forme, alors l’acte de l’établissement de la synthèse par une affirmation ou une négation peut être assimilé à l’existence, qui actue la conjonction de la matière et de la forme. Sans un tel établissement il peut y avoir une synthèse, comme dans une question ou une hypothèse, mais il n’y a pas encore de jugement. Et la synthèse, même si elle n’est pas établie, peut être vraie ou fausse, mais sa vérité ou sa fausseté n’est pas encore connue. Enfin, tant que la synthèse n’est pas encore établie, la référence objective particulière du jugement fait défaut; la signification première de « est », l’affirmation (ou la négation) d’un « être en acte » n’est pas encore en jeu. Chez Aristote, certes, cette distinction entre l’élément purement synthétique dans le jugement, d’une part, et, d’autre part, l’établissement de la synthèse, n’est pas formulée clairement. À mon sens, dans les écrits thomistes le recours à la terminologie aristotélicienne obscurcit jusqu’à un certain point une analyse plus nuancée. Quoi qu’il en soit, il a fallu que je formule cette distinction pour être en mesure d’organiser les matériaux que j’avais recueillis. Par conséquent, le reste de cette section sera consacré à l’élément synthétique dans le jugement, alors que les sections suivantes aborderont successivement différents aspects de l’élément plus important et plus difficile permettant d’établir la synthèse.

En ce qui concerne l’élément synthétique dans le jugement, il faut formuler certaines distinctions préliminaires : il y a la composition réelle dans les choses elles-mêmes; il y a la composition des paroles intérieures dans l’esprit; il y a la composition des paroles extérieures dans le discours et l’écriture. Ce dernier volet est évident : les mots énoncés oralement sont joints dans une cadence vocale et temporelle; les mots écrits sont joints par le recours à des signes de ponctuation. La composition des paroles extérieures est grosso modo parallèle à la composition des paroles intérieures, de sorte qu’il peut être difficile parfois de dire à quelle composition on a affaire, comme dans la deuxième partie de l’énoncé « " Être "… se dit… pour marquer le lien d’une proposition, œuvre de l’âme joignant un prédicat à un sujet »[6]. Cependant, l’existence d’une composition intérieure ne fait pas de doute : elle découle du caractère discursif de nos intellects, qui forment des concepts séparés pour connaître, d’abord le sujet, puis l’accident, qui passent de la connaissance de l’un à la connaissance de l’autre, qui parviennent à la connaissance de l’inhérence des accidents aux sujets par une sorte de combinaison ou d’union des species[7]. Enfin, le fondement et la cause de la composition qui se produit dans l’esprit et dans le discours est une composition réelle dans la chose. Ainsi, la proposition « Socrate est un homme » tient son fondement et sa cause dans la composition d’une forme humaine avec la matière individuelle de Socrate; la proposition « Socrate est blanc » tient son fondement et sa cause dans la composition d’un accident réel « blancheur » avec un sujet réel « Socrate »[8].

Ce qu’il faut noter ici c’est que la vérité n’est pas seulement la synthèse subjective, mentale. Elle réside dans la correspondance entre la synthèse mentale et la synthèse réelle. Plus précisément, dans notre connaissance des choses composées, la vérité est la correspondance de la composition mentale avec la composition réelle ou de la division mentale avec la division réelle; la fausseté réside dans la non-correspondance de la composition mentale par rapport à la division réelle ou de la division mentale par rapport à la composition réelle[9]. Mais outre notre connaissance des substances composées il y a trois autres cas où l’exposé de la vérité énoncé ci-dessus admet des variations modales : dans notre connaissance des substances simples, les incomplexa sont connues complexe; inversement, lorsque des substances simples connaissent des sujets complexes, les complexa sont connues incomplexe[10]; enfin, dans la connaissance de soi de la substance absolument simple, le connaître et le connu forment une identité, et la vérité peut être désignée comme une correspondance dans ce cas uniquement par recours à l’artifice d’une double négation; on ne peut pas dire que l’intellect divin est similaire à l’être divin, car qui dit similarité dit dualité; on peut dire simplement que l’intellect divin n’est pas dissemblable à l’être divin[11]. Toutefois, pour le présent, le sens de ces variations modales se limite à souligner le fait que la synthèse mentale est une chose et que le jugement en représente une autre. Le jugement inclut la connaissance de la vérité[12]; mais la connaissance de la vérité est connaissance non seulement de la synthèse mentale mais essentiellement de la correspondance entre la synthèse mentale et la synthèse réelle. L’enjeu immédiat concerne la nature de l’origine et de la genèse de la synthèse mentale, de la conjonction simplement en tant que conjonction dans l’esprit et donc antérieure à la connaissance de sa correspondance avec la conjonction réelle.

La synthèse mentale est synthèse de concepts. Puisqu’un terme défini procède d’un insight dans le phantasme, deux termes définis procèdent de deux insights. De tels insights et définitions multiples peuvent être séparés, isolés, atomiques. Mais il arrive également qu’un insight se joigne à un autre, ou qu’un premier insight se développe de façon à inclure un deuxième insight. Un tel processus de développement de l’insight constitue la tâche entière d’apprentissage d’une science; et c’est peut-être là le point qu’Aristote avait particulièrement en tête lorsqu’il a tracé une distinction entre les deux opérations de l’intellect, soit la connaissance de l’indivisible et la connaissance du composé. Car il faisait appel à la théorie évolutionnaire naïve d’Empédocle qui imaginait un état initial de nature où les têtes existaient séparément des cous, et les troncs, séparément des membres; par la suite, « l’Amitié » a réuni ces éléments séparés dans les touts harmonieux des animaux qui, selon une loi bien connue, ont été les seuls à survivre. De même, affirmait Aristote, l’intellect réunit des éléments qui étaient séparés. Comprendre que la diagonale est au côté d’un carré ce qu’est la racine de deux à l’unité est une chose; saisir que la proportion est un irrationnel en est une autre; voir que l’irrationnel ne peut être une mesure en est une troisième. On peut comprendre de manière isolée tant la nature d’une mesure que le rapport entre la diagonale et le côté. Mais si l’on comprend également la nature des irrationnels, on détient le terme médian scientifique pour saisir que la diagonale d’un carré est incommensurable avec son côté; et dans cet état final on a affaire à des concepts, non pas isolés, mais unis de manière intelligible; on voit, en une même vision pour ainsi dire, la diagonale comme un irrationnel, et l’irrationnel comme un incommensurable[13].

Notez la nature de la conjonction : elle ne consiste pas dans la fusion de deux concepts en un même concept; il y aurait là une simple confusion; les concepts demeurent éternellement et immuablement distincts. Mais si deux concepts demeurent distincts en tant que concepts, ils peuvent cesser de constituer deux intelligibilités et fusionner en un même concept. « Parfois, l’intellect comprend séparément le commensurable et la diagonale, mais lorsqu’il combine les deux concepts, il en résulte une intelligibilité, et les deux concepts sont compris simultanément par l’intellect »[14]. Comment deux concepts peuvent-ils former une même intelligibilité? Cela s’opère non pas par un changement des concepts mais par une fusion ou un développement des insights : là où auparavant il y avait deux actes de compréhension, exprimés individuellement dans deux concepts, il n’y a maintenant qu’un seul acte de compréhension, exprimé dans la combinaison de deux concepts. Cette combinaison de deux concepts, en tant que combinaison, forme un intelligible simple, un objet simple mais composé d’un acte de compréhension simple.

Thomas d’Aquin connaissait très bien le fait psychologique que les insights ne sont pas des atomes sans rapports entre eux, qu’ils se développent, qu’ils fusionnent, qu’ils forment des unités supérieures. Il a parlé à répétition d’un intelligere multa per unum : dans un même intellect ne peuvent se déployer simultanément de nombreux actes de compréhension; mais un seul acte de compréhension peut saisir et saisit de fait de nombreux objets dans un même point de vue[15]. Comprendre une maison, ce n’est pas comprendre concurremment les fondations, les murs et le toit; c’est comprendre une totalité[16]. Le jugement a pour objet non pas les différents termes, mais la proposition singulière[17]. La connaissance des premiers principes ne tient pas exclusivement à une question de comparaison de termes ou de concepts abstraits; non moins que les termes, le lien entre les termes peut être abstrait directement du phantasme, de sorte que, tout comme le concept, le principe peut également être l’expression d’un insight dans le phantasme[18]. Le caractère synthétique de la compréhension est illustré non seulement dans le concept d’une totalité, telle une maison, et dans la saisie d’un principe, mais aussi dans l’apprentissage d’une science; car le type d’esprit moins intelligent doit se faire expliquer les choses en détail, péniblement, tandis que les plus intelligents saisissent à partir de quelques indications[19].

En outre, c’est ce caractère synthétique de la compréhension qui est particulièrement évident dans la théorie de la connaissance angélique et de la connaissance divine. Les anges doivent saisir le species pour connaître des choses extérieures à eux; mais les anges supérieurs sont supérieurs parce qu’ils saisissent plus de choses en recourant à moins de species que les anges inférieurs, qui recourent à plus de species; leurs actes de compréhension ont une portée plus large et une pénétration plus profonde[20]. Le sommet de cette portée et de cette pénétration est l’intellect divin; car l’acte de compréhension divin est un, et pourtant il embrasse dans une unique vision tous les possibles et la multiplicité immense des êtres existants[21]. Enfin, c’est à une telle vision de la réalité entière qu’aspire l’intellect humain. Le désir particulier de notre nature est un désir de comprendre[22], et en fait de tout comprendre, sans prendre les arbres pour la forêt et sans se contenter de contempler la forêt sans voir tous les arbres. Car l’esprit de la recherche en nous ne demande jamais de s’arrêter, ne peut jamais être satisfait, tant que nos intellects, unis à Dieu comme le corps à l’âme[23], connaissent ipsum intelligere et par cette vision, tout en sachant qu’elle seule importe[24], contemplent également l’univers[25].

Si la soif de cette consommation, aussi obscure soit-elle, est naturelle, son étanchement est surnaturel[26]. Mais elle est étanchée aussi partiellement sur le plan naturel, dans la mesure où notre compréhension progresse au sein du domaine naturel de notre développement. Un tel progrès, en tant que progrès, tient à la raison; car la raison est à la compréhension ce que le mouvement est au repos. La raison et la compréhension ne sont pas deux puissances; elles sont identiques sur le plan de la puissance; leur distinction est celle qui existe entre le processus pour réaliser une fin et cette fin en tant que réalisée[27]. Il importe d’illustrer cette disposition.

On objecte souvent que le syllogisme ne représente pas la manière dont nous apprenons et pensons de fait. Cette difficulté se fonde partiellement sur l’identité de la compréhension et de la raison, et partiellement sur le type d’exemples de syllogismes que l’on retrouve habituellement dans les manuels. Le syllogisme peut représenter soit le raisonnement, soit la compréhension. Lorsque nous comprenons, nous ne sommes plus en train de raisonner ou d’apprendre; nous avons atteint le terme et nous saisissons le multiple comme un; mais les exemples courants de syllogisme représentent des actes de compréhension, des choses qui nous ont intrigués depuis longtemps mais que nous considérons maintenant comme allant de soi. En conséquence, de tels syllogismes ne montrent pas comment la conscience courante apprend ou raisonne. Mais si vous prenez un syllogisme dans un domaine qui ne vous est pas familier, si vous en définissez les termes et démontrez les prémisses, vous constaterez que ce raisonnement fait naître un acte de compréhension et que, une fois cet acte réalisé, vous ne raisonnez plus mais vous saisissez le multiple dans une unité synthétique. Par exemple, pourquoi la diagonale d’un carré et le côté sont-ils incommensurables? Premièrement, qu’est-ce qu’une mesure? C’est une proportion quadruple dans laquelle, si M et N sont des nombres entiers, M est à N comme l’objet mesurable est à l’unité de mesure. Quel est le rapport entre la diagonale et le côté? C’est la racine de deux. Démontrez maintenant qu’il ne peut pas exister de nombres entiers M et N tels que M/N = v2. Aussi longtemps que le raisonnement se poursuit, nous ne comprenons pas. Mais une fois que le processus de raisonnement est achevé avec succès, nous comprenons : « Le mouvement discursif de la raison commence et se termine à l'intelligence »[28].

C’est par référence à l’expérience psychologique de la compréhension que Thomas d’Aquin caractérise le raisonnement ou le discours. Il y a une différence entre connaître une chose dans une autre et connaître une chose à partir de la connaissance d’une autre : dans le premier cas, il n’y a qu’un seul mouvement de l’esprit; dans le second cas, il y a un double mouvement, comme dans le syllogisme où on saisit d’abord les principes et ensuite la conclusion[29]. Dans la Summa l’analyse est poussée plus loin par l’introduction d’une distinction entre l’élément temporel et l’élément causal dans la connaissance discursive. Dans le discours il y a succession temporelle, car nous connaissons d’abord une chose et ensuite une autre; il y a également un lien causal, car la connaissance de la seconde chose dépend de la connaissance de la première. Mais en Dieu il n’y a pas de succession temporelle, car il connaît tout à la fois; et il n’y a aucun lien causal entre différents actes de connaissance, car sa connaissance est un acte unique. Cependant, même si sa connaissance n’a pas de cause, cela ne signifie pas que Dieu ne connaît pas de causes. Car toute connaissance discursive s’achève dans l’appréhension intuitive d’un domaine d’implications, d’interrelations, de dépendances; ayant connu une chose parce que nous en connaissons une autre, nous en venons à connaître l’une dans l’autre; mais en Dieu cette étape finale est éternelle, car Il connaît toutes choses dans leur cause, qui est Lui-même[30].

Thomas d’Aquin ne caractérise pas le raisonnement en référence à un texte sur la logique formelle; il le caractérise comme le développement de la compréhension, comme un mouvement vers la compréhension. Ce fait projette un éclairage sur une question que nous avons soulevée dans le chapitre précédent. Si nous concevons le raisonnement en termes de logique déductive, il ne peut y avoir de raisonnement que si on possède déjà les trois termes nécessaires, « sujet », « moyen terme » et « prédicat ». Mais si nous concevons le raisonnement comme un développement de la compréhension, nous n’aurons pas la moindre difficulté à admettre la conception thomiste selon laquelle nous devons raisonner pour saisir même les termes : « celui qui prononce le nom "pierre" n’exprime pas la substance de l’intelligence — ce n’est pas ce qu’il vise; il n’exprime pas la forme intentionnelle qui est ce par quoi l’intelligence saisit [la réalité] — ce n’est pas non plus ce qu’il veut nommer; enfin, il n’exprime pas davantage l’acte d’intelligence, car celui-ci n’est pas un acte procédant de manière extérieure de celui dont l’intelligence est en acte, mais une action qui demeure en lui-même »[31]. Comment Thomas d’Aquin obtenait-il son concept d’une pierre en raisonnant, je ne saurais le dire ; mais dans le deuxième livre du Contra Gentiles il déploie un raisonnement magnifique aboutissant au concept de l’âme humaine ; ce raisonnement s’étend sur pas moins de quarante-cinq chapitres [32]; et ce long argument illustre d’excellente manière ce qu’entendait Thomas d’Aquin par la connaissance de l’essence. Pour lui, la compréhension est une connaissance pénétrant jusqu’à la nature interne d’une chose. Les anges connaissent pareilles essences directement, car ils n’ont pas de sens ; mais les êtres humains connaissent les essences seulement à travers les portes sensorielles qui les entourent ; ils doivent raisonner pour passer des effets aux causes et des propriétés aux natures. C’est pourquoi à proprement parler la compréhension humaine est appelée raison, même si – il ne faut pas l’oublier – le raisonnement s’achève dans la compréhension dans la mesure où la recherche réussit à produire la connaissance de l’essence[33].

Le raisonnement non seulement s’achève dans la compréhension, mais il commence également par la compréhension ; car à moins de comprendre une chose, nous n’avons aucun raisonnement à amorcer. Par conséquent, pour éviter de régresser à l’infini, il est nécessaire d’établir l’existence d’un habitus principiorum, également désigné intellectus, que nous possédons naturellement. Un tel habitus naturel diffère à la fois d’un habitus acquis et d’un habitus infus. L’habitus naturel, même s’il reçoit une détermination des sens, résulte strictement de la lumière de l’intellect ; l’habitus acquis a dans les sens non seulement une détermination mais aussi une cause[34]. Ainsi, l’habitus naturel s’apparente plus à l’habitus infus que l’habitus acquis : l’habitus infus de la foi n’est pas causé par la prédication de l’Évangile, mais en reçoit simplement une détermination[35]. Cet état de choses tient d’une psychologie introspective très subtile. Pour le saisir, il faut comparer deux types de principe premier. Ainsi, le principe des carrés inversés présente au moins une certaine évidence en soi ; mais cette évidence ne saurait être appréhendée sans une image de l’extension spatiale. D’autre part, l’évidence du principe de non-contradiction est d’un autre type ; toute occurrence sensible est également pertinente à son égard, mais aucune ne constitue davantage qu’une illustration ; car ce principe n’est pas établi par un insight dans les données sensibles mais à partir de la nature de l’intelligence comme telle ; et son champ d’application ne se limite donc pas au domaine de l’expérience humaine possible, comme le principe des carrés inversés se limite à l’imaginable et comme certains principes géométriques se limitent à l’imaginable euclidien.

À ma connaissance, Thomas d’Aquin n’offre nulle part une liste complète des principes connus naturellement. Ses exemples de base sont le principe de non-contradiction et celui du tout plus grand que la partie[36]. Cela ne signifie pas toutefois que la liste de ces principes soit tout à fait indéterminée. Tout comme il y a des principes connus naturellement, il y a également un objet que nous connaissons en soi et naturellement. Cet objet, c’est l’ens ; et seuls les principes fondés sur notre connaissance de l’ens sont connus de façon naturelle[37]. Nous avons déjà abordé dans le chapitre précédent la nature de notre connaissance naturelle de l’ens[38], et nous devrons y revenir dans le présent chapitre.

Si nous avons raison de souligner que l’intelligibilité est le fondement de la possibilité et que la possibilité est la possibilité d’être, de sorte que le concept de l’être est connu naturellement parce qu’il découle de toute intelligibilité en acte (= toute intelligence en acte), alors il est clair également que le principe de non-contradiction est connu de façon naturelle; car, tout comme ce principe est la loi naturelle de la procession à partir de n’importe quel concept de l’intelligence en acte, et ainsi il est le premier principe régissant toute conceptualisation; et, comme l’affirmait Thomas d’Aquin[39], il est le premier principe régissant tout jugement.

L’autre exemple classique d’un principe connu naturellement est que le tout est plus grand que la partie[40]. Toutefois, les touts quantitatifs et les parties quantitatives sont connus, non pas naturellement, mais par l’insight dans le phantasme; et il semble difficile de montrer que la découverte de la relation entre le tout quantitatif et la partie quantitative ne tient pas d’une fusion ordinaire d’insights. Cela ne signifie pas que Thomas d’Aquin avait tort d’affirmer que nous connaissons naturellement la supériorité du tout sur la partie. Car si tout être est un, tout être fini est un tout composé de parties, un ens quod composé d’entia quibus. De plus, nous savons cela naturellement. La forme naturelle est à la matière naturelle ce qu’est la forme intelligible par rapport à la matière sensible[41]; et quand, en vertu d’une spontanéité naturelle, nous posons la question quid sit?, nous révélons notre connaissance naturelle du fait que la composante matérielle ou sensible n’est qu’une partie et que le tout inclut également une composante formelle. De même, quand, en vertu d’une spontanéité naturelle, nous posons la question an sit?, nous révélons là aussi notre connaissance naturelle du fait que le tout n’est pas simplement une quiddité mais qu’il inclut également[42] un actus essendi[43].

Nous pouvons résumer en terminant cette section sur l’élément synthétique qu’implique le jugement. L’insight dans le phantasme s’exprime dans une définition. Une telle expression n’est en soi ni vraie ni fausse. Deuxièmement, de nombreux insights dans de nombreux phantasmes s’expriment dans de nombreuses définitions différentes; aucune de ces définition, prise séparément, n’est vraie ou fausse; réunies, elles ne sont pas non plus vraies ou fausses car elles ne forment pas encore un ensemble. Troisièmement, ce qui crée un ensemble avec les définitions n’est pas un changement opéré dans les définitions elles-mêmes; c’est plutôt un changement dans les insights dont elles procèdent. Les insights fusionnent et se développent; ils croissent pour produire une appréhension d’intelligibilité d’un niveau plus profond et d’une portée plus large; et ces insights plus profonds s’expriment, parfois en fait par l’invention d’abstractions aussi déconcertantes que le classicisme ou le romantisme, l’éducation, l’évolution ou la philosophie pérenne, mais, plus couramment et de manière plus satisfaisante, par la combinaison, en tant que telle, de simples concepts. Quatrièmement, si les anges obtiennent à première vue une telle portée, une telle pénétration synthétiques, l’être humain y parvient au terme d’un raisonnement; son intellect est discursif. Mais son intellect n’est pas pur discours. Le raisonnement ne pourrait s’amorcer sans des actes de compréhension initiaux et naturels; et notre raisonnement ne produirait aucun bénéfice, n’aurait aucune fin, s’il ne s’achevait naturellement dans un acte de compréhension où les multiples éléments du processus de raisonnement se trouvent réunis dans un même point de vue. Cinquièmement, le raisonnement est simplement par essence le développement de l’insight; il est mouvement vers la compréhension. Concrètement, ce développement est une interaction dialectique des sens, de la mémoire, de l’imagination, de l’insight, de la définition, de la réflexion critique et du jugement; nous faisons appel, pour aborder l’objet de ce raisonnement, à toutes les ressources dont nous disposons. Pourtant, plus nous sommes intelligents, plus nous sommes capables de connaître ex pede Herculem (en projetant Hercule à partir de son pied); et plus nous progressons rapidement vers l’objectif de la compréhension, moins nous recourons au raisonnement stylisé des manuels de logique formelle. Et une fois que nous avons compris, nous ne cherchons plus à raisonner; nous embrassons le tout d’un seul coup. Thomas d’Aquin refuse, avec une pénétration remarquable, de considérer comme relevant de la raison le travail formel que les logiciens modernes accomplissent au moyen de machines. Il définit la raison comme un développement de la compréhension; et le raisonnement formel n’est qu’un moyen pour cette fin.

2 Le jugement

L’acte du jugement n’est pas simplement une synthèse mais aussi l’établissement de la synthèse. Nous avons vu dans la dernière section que l’élément purement synthétique dans le jugement se présente au niveau de la compréhension directe et consiste dans le développement d’insights aboutissant à des unités supérieures. La présente section abordera les aspects plus élémentaires de l’acte d’établissement de la synthèse. Cet acte peut être caractérisé par le fait qu’en lui émerge la connaissance de la vérité. Jusqu’ici, nous avons examiné la compositio mentale à son stade de base; nous devons maintenant aborder la connaissance de la correspondance entre la compositio mentale et la compositio réelle.

Il ne s’agit pas ici de la connaissance en tant qu’elle est vraie ou fausse; il s’agit de la connaissance en tant qu’elle est connue comme étant vraie ou fausse. Même la connaissance sensorielle peut être vraie ou fausse. De même que les qualificatifs bon et mauvais concernent la perfection d’une chose, les qualificatifs vrai et faux concernent la perfection de la connaissance. La connaissance vraie est similaire, et la connaissance fausse est dissemblable, au connu. Mais alors que la connaissance sensorielle doit être similaire ou dissemblable à l’objet, elle n’inclut pas, et ne peut pas inclure, une connaissance de sa similitude ou de sa dissimilitude. De même, un concept doit être similaire ou dissemblable à son objet; mais l’opération intellectuelle au niveau de la conceptualisation n’inclut pas la connaissance de cette similitude ou de cette dissimilitude. L’intellect non seulement atteint la similitude à son objet mais réfléchit également et porte un jugement sur cette similitude uniquement dans le second type d’opération intellectuelle, uniquement dans la production du second type de parole intérieure[44].

La réflexion sur cette similitude présente une énigme familière. Juger que mon connaître est similaire au connu implique une comparaison entre le connaître et son critère; mais un critère est, soit connu, soit inconnu; s’il est connu, alors la comparaison se fait réellement entre deux éléments de connaissance, et il vaut mieux qu’un insight maintienne que nous connaissons directement, sans comparaison; par ailleurs, si le critère est inconnu, il ne peut y avoir de comparaison. Le dilemme de la futilité ou de l’impossibilité effraie le réaliste naïf, qui se réfugie en conséquence dans l’affirmation simpliste que nous connaissons un point c’est tout. Et il n’est peut-être pas hors de propos d’indiquer que Thomas d’Aquin résout ce problème d’une façon différente.

Thomas d’Aquin admet la nécessité d’un critère dans le jugement : « Le nom de mens est pris de mensurare (mesurer) »[45]; « Le jugement sur chaque chose se fonde sur ce qui est la mesure de cette chose »[46]. Non seulement admettait-il la nécessité d’un critère, mais il ne semble pas avoir considéré comme critère un des éléments de l’alternative sur laquelle se déploie le dilemme ci-dessus; car le critère qu’il définit n’est ni la chose en soi comme chose en soi et donc inconnue, ni une seconde représentation intérieure de la chose en soi venant en aide à la première représentation dans un effort futile et superflu pour être utile. Le critère thomiste réside dans les principes de l’intellect lui-même : « le nom de mens se dit, dans l’âme, tout comme le nom d’intelligence. En effet, seule l’intelligence reçoit une connaissance en provenance des réalités en les mesurant pour ainsi dire à ses principes »[47]. L’intellect mesure les choses selon ses propres principes : nous verrons plus loin ce que cela signifie. Nous devons traiter trois questions, dont les deux premières dans la présente section. Premièrement, il faut traiter de l’effet de cette mesure s’appuyant sur un critère sur l’assentiment et la certitude. Deuxièmement, en ce qui concerne une telle mesure en fonction du niveau critériologique commun; à supposer que certains jugements sont vrais, comment distinguer le vrai du faux? Autrement dit, même si aucun jugement n’est vrai, certains jugements sont du moins subjectivement nécessaires; quels sont les fondements et les motifs de cette nécessité subjective? Troisièmement, reste le problème critique; si l’on suppose que la nécessité subjective de certains jugements peut être connue et est connue, comment l’esprit passe-t-il de cette contrainte immanente à la vérité objective et, à travers la vérité, jusqu’à la connaissance de la réalité? Dans notre exploration de la pensée thomiste sur ces questions nous pouvons espérer découvrir la nature de la procession du deuxième type de parole intérieure à partir d’un intelligere.

Au sujet de l’assentiment, nous pouvons formuler des observations brèves. Il s’agit d’un acte de l’intellect possible[48]. Il diffère donc du consentement qui est un acte de la volonté. Le bien réside dans les choses, mais le vrai réside dans l’esprit; le consentement est un mouvement de la volonté à l’égard de la chose, alors que l’assentiment est un mouvement de l’intellect à l’égard d’une conception[49]. De plus, l’assentiment a pour objet les deux volets d’une contradiction. Nous ne donnons pas notre assentiment en formulant une définition, ni en formulant un doute ou une simple opinion. Nous donnons notre assentiment aux principes premiers, à des conclusions démontrables, à l’affirmation d’une autorité digne de foi[50]. Il y a assentiment quand nous jugeons qu’une conception de la chose est vraie[51]. L’assentiment doit être motivé; ainsi, la lumière intellectuelle nous incite à donner notre assentiment aux premiers principes, et les premiers principes en retour nous incitent à donner notre assentiment à des conclusions démontrables[52]. Autrement dit, l’assentiment semble être identique au jugement, mais il fait ressortir ses aspects subjectifs et réflexifs; l’assentiment est le jugement en tant qu’acte personnel, puisqu’il engage la personne et la responsabilité de la personne; il est le jugement en tant qu’il se fonde sur une appréhension des éléments de preuve, en tant qu’il inclut une conscience de sa propre validité, en tant qu’il constitue une vérité dans le sujet plutôt qu’une vérité dans l’absolu, et qu’il forme un medium in quo la réalité est appréhendée[53].

Sur le plan critériologique, l’assentiment ou le jugement est atteint par une resolutio in principia. Cette expression est malheureusement ambiguë. Elle se rapporte parfois à l’opposition entre la via compositionis et la via resolutionis, c’est-à-dire entre les différents ordres dans lesquels on peut étudier une science. Ainsi, des chercheurs pourraient étudier la chimie uniquement en laboratoire, dans une série d’expériences déployées en fonction de l’histoire du développement de la science; ils commenceraient par se pencher sur des objets matériels courants, apprendre les arts de l’analyse qualitative et quantitative, pour progresser très graduellement vers la découverte de la table périodique et des structures subatomiques. Mais ils pourraient également aborder leur étude à l’autre extrémité, en faisant appel aux mathématiques pures, pour établir des hypothèses concernant les électrons, les protons et les neutrons, élaborer des structures atomiques puis moléculaires possibles, développer une méthode d’analyse, pour se tourner finalement vers des choses matérielles réelles. Ces deux voies d’approche sont de pures abstractions, car dans la réalité la pensée oscille dialectiquement entre les deux méthodes. Pourtant, même s’il s’agit d’abstractions, elles méritent des désignations : la première est la via resolutionis et la seconde, la via compositionis[54]. C’est à cette via resolutionis que réfère la resolutio in principia, lorsque l’on nous dit que la bonne façon de parvenir à savoir que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits n’est pas de prêter foi à la proposition, mais de la résoudre comme conclusion en revenant à ses principes premiers[55].

Cependant, l’expression resolutio in principia comporte une autre signification : elle coïncide dans ce cas avec la via iudicii par opposition à la via inventionis vel inquisitionis. Il s’agit là d’un contraste distinct, car la via inventionis peut être via compositionis[56] comme elle peut être via resolutionis[57]. Par ailleurs, la via iudicii concerne l’activité réflexive de l’esprit mettant sa connaissance à l’essai. Certaines vérités sont connues naturellement; elles forment la pierre de touche d’autres vérités; et le jugement est une démarche de réduction d’autres objets de recherche aux principes premiers connus naturellement[58]. Ainsi, la certitude est atteinte dans les démonstrations qui opèrent une résolution vers les premiers principes[59]; cette résolution est la cause efficiente de la certitude[60]; tant que la résolution n’est pas parvenue aux premiers principes, le doute est possible, mais une fois qu’elle les a atteints, le doute est exclu[61]. En fait, dans les sciences démonstratives, les conclusions sont tellement liées aux principes que, si les conclusions étaient fausses, les principes devraient également être faux; l’esprit est donc contraint, par sa propre acceptation naturelle des principes, d’accepter également les conclusions[62]. Eu égard au quod quid est et eu égard aux principes connus immédiatement à partir d’une telle connaissance de la quiddité, l’intellect est infaillible; mais eu égard à des déductions ultérieures, l’intellect peut faillir; pourtant, une telle faille est exclue absolument chaque fois qu’est accomplie correctement une resolutio in principia[63].

Cette activité réflexive du jugement comporte des conditions psychologiques. Les gens qui syllogisent dans leur sommeil sentent au réveil qu’ils ont commis une erreur[64]. Certes, les rêveurs peuvent avoir conscience de leur état de rêve[65], mais leur assurance n’est jamais que partielle[66]. Car la ligature des sens dans le sommeil empêche l’occurrence d’un jugement approprié établissant qu’une faute morale ne saurait être imputée dans cet état[67]. L’existence d’une telle condition psychologique renvoie à la conclusion que le jugement est une activité de l’être humain tout entier. La connaissance du quod quid est nous porte hors du temps et de l’espace; mais l’acte de la composition vel divisio comporte un retour vers le concret. En particulier, malgré tous les hymnes chantés au sujet des vérités éternelles, les jugements humains comportent toujours une spécification de temps[68]. De fait, puisque la vérité n’existe que dans un esprit, et puisque seul l’esprit de Dieu est éternel, il ne peut y avoir qu’une seule vérité éternelle[69]. Dans nos esprits, la vérité consiste ordinairement en l’application d’universaux abstraits à des choses sensibles, et cette application implique une qualification temporelle[70]. Même lorsque la pensée s’élève jusqu’au troisième degré d’abstraction, nos expressions gardent une connotation temporelle; ce qui est tout naturel, car l’objet approprié et proportionné de nos intellects est la nature des choses sensibles, et c’est par une extrapolation à partir des natures sensibles que nous concevons tout le reste[71].

Le jugement a donc pour condition nécessaire une maîtrise libre et entière de nos sens et de nos intellects[72]. Or nos sens importent aussi d’une autre façon pour notre jugement, car les données des sens constituent le commencement de la connaissance; ce que nous connaissons par les sens détermine le jugement, mais cette détermination décroît à mesure que nous nous élevons dans les degrés d’abstraction. Le spécialiste des sciences naturelles qui néglige le rôle des sens verse dans l’erreur; sa tâche est de juger des choses telles qu’elles sont présentées aux sens. Par ailleurs, le mathématicien ne doit pas être critiqué parce qu’aucune surface plane ne touche une sphère réelle en un seul point; le critère du jugement mathématique n’est pas les sens mais l’imagination. De même, on ne saurait remettre en question les entités métaphysiques parce qu’elles ne peuvent être imaginées; car la métaphysique dépasse non seulement les sens mais aussi l’imagination[73].

On peut donc dire que le jugement résulte, de loin et pour ainsi dire matériellement, de l’insight qui unit en se développant des intelligibilités distinctes en des intelligibilités uniques, mais de façon immédiate et, pour ainsi dire, formellement, d’une activité réflexive de la raison. L’activité réflexive fait appel à l’être humain tout entier et est donc conditionnée psychologiquement par la nécessité d’être bien éveillé. De plus, la connaissance humaine a une double origine – une origine extrinsèque dans les impressions sensorielles et une origine intrinsèque dans la lumière intellectuelle où est précontenu virtuellement l’ensemble de la science[74]. L’activité réflexive dont résulte le jugement marque donc une régression depuis les synthèses opérées par l’insight en développement jusqu’à leurs sources dans les données des sens et la lumière de l’intellect. C’est le second élément de la régression qui est mentionné le plus fréquemment; il est décrit comme un cas de « ratio terminatur ad intellectum » (le processus de la raison a pour terme l’intelligence); et, comme le montre bien le contexte, l’intellectus en question est l’habitus principiorum (l’habitus des principes)[75], les principes premiers connus naturellement qui sont particulièrement un effet de la lumière intellectuelle.

Toutefois, comme nous l’avons vu, l’expression « ratio terminatur ad intellectum » a une autre signification distincte. Elle renvoie également au fait que la raison est la compréhension en voie de réalisation, que le raisonnement s’achève comme acte de compréhension[76]. Cette définition du raisonnement vaut non moins pour la pensée réflexive que pour la pensée directe; et nous pouvons inférer que l’activité réflexive de la raison remontant de la synthèse des intelligibilités à son origine dans les données des sens et dans les principes connus naturellement s’achève dans un acte de compréhension réflexive, dans une appréhension synthétique unique de tous les motifs du jugement, qu’ils soient intellectuels ou sensibles, dans une saisie de leur suffisance comme motifs et donc de la nécessité de porter un jugement ou un acte d’assentiment. Car ce second type de parole intérieure, non moins que le premier, procède d’un intelligere[77]. La procession du deuxième type, non moins que celle du premier type, est une emanatio intelligibilis (émanation intellectuelle)[78]. De fait, la détermination de la rationalité par la raison suffisante est beaucoup plus manifeste dans le second type que dans le premier, car il est clair que le jugement survient uniquement s’il y a une raison suffisante au moins supposée. Nous donnons notre assentiment aux premiers principes à cause de la lumière intellectuelle, aux conclusions à cause de leur lien nécessaire avec les principes; mais si nous nous fondons sur des probabilités, nous ne pouvons que formuler une opinion; car, aussi fortes soient les probabilités, elles ne constituent pas une déterminant suffisant de la raison, elles ne forcent pas l’assentiment, elles ne produisent pas un jugement parfait[79].

Nous pouvons peut-être discerner maintenant les grands traits de l’analyse thomiste de l’intellect humain. Thomas d’Aquin distingue deux niveaux d’activité, l’activité directe et l’activité réflexive. Au niveau de l’activité directe deux types d’événements se produisent : les insights dans les phantasmes, qui s’expriment dans des définitions; la fusion ou le développement des insights qui produit les synthèses hypothétiques de simples quiddités. Au niveau de l’activité réflexive, ces synthèses hypothétiques sont connues comme étant hypothétiques; elles deviennent des questions auxquelles répond la resolutio in principia. Ce retour aux sources s’achève dans un acte de compréhension réflexive, qui est une saisie de la connexion nécessaire entre les sources et la synthèse hypothétique; de cette saisie découle sa propre expression, qui est la compositio vel divisio, le jugement, l’assentiment.

3 La sagesse

Il nous faut maintenant pénétrer plus profondément dans notre sujet. Les nuances les plus fines de la théorie trinitaire thomiste ne sauraient être saisies à partir de l’analogie du simple mécanisme de l’intellect humain. Il est également impossible d’assembler et de présenter toutes les données probantes à repérer dans les écrits thomistes pour l’interprétation de la pensée de Thomas d’Aquin, que nous entendons offrir, sans aborder les questions plus profondes liées à la nature du jugement. Nous devons donc intégrer à notre propos les énoncés de Thomas d’Aquin au sujet de l’habitude et de la vertu de la sagesse. Car la sagesse est la vertu du jugement droit[80]. La sagesse concerne la connaissance du réel comme réel[81], et c’est par le jugement que nous connaissons la réalité[82]. De fait, je dirais que la sagesse, l’acte de la compréhension réflexive, et l’acte du jugement, sont reliés entre eux comme l’habitus, l’acte second et l’acte qui procède de l’acte.

Il y a donc trois habitus de l’intellect spéculatif[83]. Le plus facile à reconnaître est l’habitus de la science, qui concerne la démonstration des conclusions. Cependant, comme on ne peut pas remonter à l’infini dans la démonstration, il doit y avoir un habitus antérieur qui a trait aux premiers principes. De fait, on désigne notamment comme habitus antérieurs l’intellect et la sagesse; ces deux habitus semblent liés entre eux de façon très similaire à la relation entre les deux types d’actes décrits plus haut, soit l’acte de compréhension directe et l’acte de compréhension réflexive. Car l’habitus de l’intellect concerne les premiers principes des démonstrations, alors que l’habitus de la sagesse concerne les premiers principes de la réalité. L’habitus de l’intellect est relativement simple : la saisie des premiers principes des démonstrations résulte de la connaissance des termes qui les composent; une personne qui sait ce qu’est un tout et ce qu’est une partie voit forcément que le tout doit être plus grand que la partie; l’habitus d’une telle constatation est l’habitus de l’intellect. D’autre part, l’habitus de la sagesse joue un double rôle. Il se rapporte principalement à l’ordre objectif de la réalité; car une personne sage contemple l’arrangement universel des choses et voit chacune dans la perspective de ses causes, en remontant jusqu’à la cause première. Tandis que l’art ordonne les produits humains, et que la prudence ordonne les conduites humaines, la science découvre l’ordre que l’art exploite avec prudence; mais il y a une science supérieure, une science architectonique, une science des sciences – et c’est la sagesse.

La sagesse n’est pourtant pas simplement une ontologie ou une théologie naturelle; elle présente également certaines des caractéristiques d’une épistémologie. L’habitus de l’intellect est l’habitus de la connaissance des premiers principes des démonstrations; mais la connaissance des premiers principes est tout simplement une fonction de la connaissance des termes qui les composent. Si la simple appréhension de ces termes relève de la compréhension directe, c’est tout de même la sagesse qui porte des jugements sur la validité de telles appréhensions et qui, en validant ainsi les termes composants, valide les premiers principes eux-mêmes[84]. De plus, la science dépend de l’habitus de l’intellect pour l’établissement du réseau théorématique des connexions entre les conclusions et les principes; or la sagesse porte un jugement sur ces connexions. L’intellect et la science dépendent donc tous deux du jugement de la sagesse. L’intellect, en ce qui concerne la validité des termes qui composent les principes; la science, en ce qui concerne la validité des conclusions provenant de l’intellect[85]; en sorte que la sagesse, en plus d’être par elle-même la science du réel comme réel, se présente elle-même comme « la vertu de toutes les sciences »[86].

Il semble donc juste de conclure que Thomas d’Aquin, à propos des habitus de l’intellect spéculatif, établit les distinctions mêmes que nous avons été amenés à tracer à l’égard des actes de l’intellect spéculatif. Là où Thomas d’Aquin parlait des habitus de l’intellect, de la science et de la sagesse, nous avons été amenés à distinguer entre la compréhension directe, le développement de la compréhension directe et la compréhension réflexive. Car les caractéristiques attribuées par Thomas d’Aquin aux habitus de l’intellect, à la science et à la sagesse peuvent être attribuées également aux actes de compréhension directe qui saisissent l’intelligibilité des données représentées schématiquement dans l’imagination, aux actes de la compréhension en développement qui tissent le réseau logique de la science, et aux actes de la compréhension réflexive dans lesquels un jugement est porté sur la validité de la compréhension directe et de son développement, et ainsi s’opère la transition depuis une construction mentale sur une base imaginaire jusqu’à la connaissance de la réalité par l’intermédiaire de la vérité.

La reconnaissance d’un élément épistémologique dans l’habitus de la sagesse remonte à son exposé classique dans La Métaphysique d’Aristote. La philosophie première est en réalité la sagesse; seules les prétentions des sophistes ont amené les sages à désigner leur propos comme l’amour de la sagesse, et non pas comme la sagesse elle-même[87]. La comparaison des animaux inférieurs et des animaux supérieurs, des animaux et des êtres humains, des hommes d’expérience et des hommes de science, force à conclure que la sagesse est affaire de connaissance des causes[88]. Et les six caractéristiques attribuées communément à une personne sage peuvent toutes être déduites du postulat que la sagesse est une science spéculative portant sur les causes et les principes premiers[89]. En outre, c’est le désir de connaître qui meut l’être humain depuis toujours vers la recherche et l’étude de la philosophie[90]; et c’est à la réalisation de la connaissance des causes que tient la science[91]. Le reste du premier livre de La Métaphysique est consacré à un examen des quatre causes. Mais pour la suite du propos objectif ainsi établi, il faut sauter au Livre 6 (E). Aristote y présente des exposés sur le réel, puis la substance ou l’essence[92], la puissance et l’acte[93], l’unité et l’opposition[94] et les substances séparées[95]. Quant aux Livres 2 à 5, leur propos est gnoséologique, méthodologique, presque épistémologique. La connaissance des causes doit être vraie. Or la vérité est particulière; personne n’en est privé totalement, mais personne ne la possède entièrement[96]. En outre, personne ne peut offrir un apport majeur à la vérité; mais un grand nombre de personnes, oeuvrant en collaboration, et notamment dans une collaboration qui se déploie dans le temps, par les accumulations permises par une culture stable, peuvent constituer une réalisation collective remarquable[97]. On pourrait comparer les philosophes à des piétons dans une ville; il est facile de connaître les façades des immeubles, mais plus difficile d’en connaître l’intérieur. Il en est de même des vérités palpables et des vérités cachées[98]. La connaissance des substances séparées en particulier est difficile à obtenir, car nous sommes en cette matière comme des hiboux en plein jour[99]; car les substances séparées sont de pures intelligibilités, alors que nos intellects sont constitués pour connaître l’intelligibilité, non pas dans sa forme pure, mais dans la condition où elle informe la matière sensible.

Le problème n’est pourtant pas insoluble; de même qu’il existe des techniques dialectiques, inconnues même à l’époque de Socrate, permettant de déterminer la méthodologie de l’étude des contraires sans une connaissance préalable de leurs essences[100], nous pouvons aborder la question plus vaste de la réalité universelle même si une grande partie nous en est cachée. La vérité et la réalité sont donc parallèles : ce qui possède une cause de sa réalité possède également une cause de sa vérité[101]; et de même que la réalité qui fonde d’autres réalités est la plus réelle, la vérité qui fonde d’autres vérités est la plus vraie[102]; de même qu’il est impossible de remonter à l’infini dans la démonstration des vérités, il est impossible de remonter à l’infini dans le fondement d’une réalité[103]. Il y a donc quelque chose dont la réalité est la plus réelle et la vérité la plus vraie, et ce quelque chose est l’objet de la sagesse[104].

Des considérations méthodologiques s’ensuivent. Des sciences différentes doivent être abordées de différentes façons[105]. L’approche de la métaphysique consiste à recueillir les problèmes métaphysiques et à en dresser la liste[106]. Une telle liste mène à une définition de la philosophie première, dont le propos est la réalité ultime. Or la science portant sur la réalité ultime portera également sur toute occurrence du réel en tant que réel[107], de sorte que la philosophie première est la science de l’être, de la substance et de l’accident, de l’unité, de la multiplicité et de l’opposition[108]. Mais ce n’est pas tout. La philosophie première doit traiter, non seulement du réel en tant que réel, mais aussi des principes premiers des démonstrations[109]. Elle ne doit pas se dérober à cette tâche. Elle doit se convaincre de la validité des principes de non-contradiction et de milieu exclu[110]. Elle doit affronter le problème de l’apparence et de la réalité[111]. Par-dessus tout, elle doit scruter chacun des termes faisant partie des premiers principes que l’intellect saisit et sur lesquels repose sa science[112], car « La vérité et la connaissance des principes indémontrables dépend de la raison de leurs termes… Or, bien connaître les notions d'être et de non-être, de tout et de partie, et des autres propriétés consécutives à l'être, toutes choses qui entrent comme termes dans la constitution des principes indémontrables, c'est du ressort de la sagesse »[113].

Il faut noter que le concept aristotélicien de la sagesse, ou de la philosophie première, même s’il comporte un élément épistémologique, peut difficilement être considéré comme soulevant le problème critique. Aristote s’en est tenu à une généralisation de la question critériologique. Il lui suffisait de poser l’impossibilité de penser sans appliquer le principe de non-contradiction, et d’établir que cette impossibilité se situait à l’intérieur d’une impossibilité plus vaste, que l’être humain connaît en connaissant le principe lui-même[114]. Par ailleurs, une personne sage connaît la différence entre l’apparence et la réalité. Elle est disposée à réfuter les sophismes qui confondraient les deux, mais elle n’est pas prête à analyser la façon dont nos activités immanentes comportent un élément de transcendance. La gnoséologie aristotélicienne est brillante mais incomplète : la connaissance repose sur l’identité; l’acte de la chose en tant que sensible est l’acte de la sensation; l’acte de la chose en tant qu’intelligible est l’acte de compréhension; mais l’acte de la chose en tant que réelle est l’esse naturale de la chose et, sauf dans la connaissance de soi de Dieu, cet esse n’est pas identique à la connaissance de la chose.

S’il faut convenir qu’Aristote s’en tenait à la critériologie, il reste cependant qu’il a ouvert la voie à une spéculation plus poussée dans le même ordre d’idées. Une telle spéculation peut paraître tout à fait étrange aux scolastiques modernes, qui y verront une distraction fascinante mais dangereuse née du doute cartésien et du criticisme kantien. Or Thomas d’Aquin n’aurait jamais eu de telles préventions : ses prédécesseurs n’étaient pas Descartes et Kant, mais Aristote et Augustin. Si la logique même de la position aristotélicienne établit clairement que notre connaissance des formes, qu’elles soient sensibles ou intelligibles, peut se fonder sur l’identité, cette même logique impose la conclusion que notre connaissance de l’essence et notre connaissance de l’existence doivent reposer sur des bases différentes. « …le sensible en acte est identique au sens en acte, et … l’intelligible en acte est identique à l’intellect en acte. Car sentir ou connaître intellectuellement en acte quelque chose, cela vient de ce que notre intellect ou notre sens est actuellement informé par la force du sensible ou de l’intelligible. Et si le sens ou l’intelligence diffèrent du sensible ou de l’intelligible, c’est seulement quand ils sont l’un et l’autre en puissance »[115]. Mais le problème de la connaissance, une fois admis que la connaissance est affaire d’identité, concerne la connaissance de l’autre. Tant que la faculté et l’objet sont en puissance de connaître et d’être connu, il n’y a pas encore de connaissance. Dans la mesure où la faculté et l’objet sont en acte de manière identique, il y a connaissance véritablement en tant que perfection, mais il n’y a pas encore connaissance de l’autre. La réflexion est nécessaire, premièrement, pour combiner les données sensibles et l’insight intellectuel dans l’expression d’un quod quid est, d’une essence qui se distingue de son être-connue et ensuite, à un niveau plus profond, pour affirmer l’existence de cette essence. Seule la réflexion sur l’identité de l’acte permet d’établir la différence de puissance. Et puisque la réflexion n’est pas une identité, la théorie aristotélicienne de la connaissance par identité est incomplète[116].

Mais il convient de saisir où se situe exactement la force de la position aristotélicienne. Nous pourrions prendre le parti de Platon pour dire que la connaissance est par nature connaissance de l’autre. Mais nous serions confrontés alors à des difficultés insolubles à propos de la connaissance chez l’être absolu; Platon lui-même a été forcé d’admettre, sur la base de ses présupposés, que l’être absolu, s’il connaît, doit subir le mouvement[117]. Cette difficulté n’existe pas dans la pensée aristotélicienne. Le principe de la connaissance par identité amène Aristote à affirmer : « en ce qui concerne les réalités immatérielles, il y a identité du pensant et du pensé, car la science théorétique et ce qu’elle connaît sont identiques »[118]. Le moteur non mû peut demeurer immobile et pourtant connaître, puisque, si la connaissance est identité, l’être et le connaître de l’absolu coïncident.

Thomas d’Aquin était bien conscient du profond clivage entre la gnoséologie platonicienne et la gnoséologie aristotélicienne : « Et telle doit bien être la vérité selon la doctrine d'Aristote qui fait consister l'opération intellectuelle en ce que l'objet d'intellection en acte ne fait qu'un avec l'intellect en acte… Mais d'après la thèse de Platon, l'intellection a lieu par contact de l'intellect avec la chose intelligible »[119]. Thomas d’Aquin a manifestement privilégié systématiquement la position aristotélicienne. Que Dieu doive connaître autre chose que l’essence divine faisait problème pour lui[120], un problème qu’il a résolu en faisant appel à l’analogie de la parole intérieure humaine[121]. C’est à la réflexion rationnelle qu’incombait la charge de la transition de la connaissance comme perfection à la connaissance comme connaissance de l’autre.

La validation thomiste de la réflexion rationnelle est liée à la vision augustinienne de la vérité éternelle. Augustin avait soutenu que nous connaissons la vérité non pas en regardant hors de nous mais en regardant en nous. Or nous pouvons tous connaître les mêmes vérités, et vous ne les connaissez pas en regardant en moi, pas plus que je les connais en regardant en vous, de sorte que la connaissance de la vérité ne tient pas uniquement à un regard porté par chaque personne en elle-même. Notre regard vers l’intérieur est en fait tourné vers le haut, vers ce qui nous dépasse, et c’est dans une vision d’une même vérité éternelle que tous peuvent trouver la même vérité. Cette position accuse un platonisme palpable, car la réponse ultime tient non pas à quelque chose que nous sommes, mais à quelque chose que nous voyons; elle suppose que la connaissance s’actualise essentiellement non pas par identité avec le connu, mais par un contact spirituel ou une confrontation avec le connu. Thomas d’Aquin ne pouvait accepter un tel point de vue. Nous connaissons par ce que nous sommes. Notre connaissance de la vérité ne saurait s’expliquer par une vision, un contact ou une confrontation avec l’autre, aussi élevé, aussi sublime soit-il. Le fondement suprême de notre connaître est de fait Dieu, la Lumière éternelle; mais la raison de notre connaître se situe en nous. Cette raison, c’est la lumière de notre propre intellect, et nous pouvons connaître par notre intellect parce que « la lumière intellectuelle qui est en nous n’est rien d’autre qu’une ressemblance participée de la lumière incréée »[122].

L’acte de la chose en tant que sensible est l’acte de la sensation; l’acte de la chose en tant qu’intelligible est l’acte de compréhension; or nous pouvons procéder de ces identités à des concepts valides d’essence et à des affirmations vraies d’existence, puisqu’une telle procession se fait en vertu de la lumière intellectuelle, qui est une participation de la Lumière éternelle. Telle est l’ontologie thomiste de la connaissance. Mais y a-t-il également une épistémologie thomiste? Certes, il est très bien de valider la réflexion rationnelle en attribuant la lumière de nos intellects à la Lumière éternelle qu’est Dieu. Mais une telle démarche présuppose que nous nous connaissions nous-mêmes et que nous connaissions Dieu validement. Cette démarche est satisfaisante comme ontologie du connaître, mais elle est nulle et non avenue comme épistémologie. Devons-nous affirmer que Thomas d’Aquin ignorait totalement les complexités critiques de la pensée moderne? Ou devons-nous soutenir plutôt que, puisque nous connaissons par ce que nous sommes, nous savons que nous connaissons du fait que nous savons ce que nous sommes? Nous ne pouvons pas analyser ici cet enjeu à la satisfaction des épistémologistes, mais nous ne pouvons pas l’écarter entièrement; car il constitue le sommet de la réflexion rationnelle, et c’est dans la réflexion rationnelle que Thomas d’Aquin a trouvé l’analogie créée par rapport à la procession éternelle du Verbe divin[123].

Or il se trouve que Thomas d’Aquin soutient que notre connaissance de la vérité découle de notre connaissance de nous-mêmes. La connaissance sensible, puisqu’elle est non-réflexive, n’est pas pertinente pour la procession du Verbe[124]. Pour la même raison exactement, c’est-à-dire parce qu’elle n’est pas réflexive, la connaissance sensible n’inclut pas une connaissance de la vérité. Par ailleurs, l’intellect inclut une connaissance de la vérité puisqu’il réfléchit sur lui-même : « l’intelligence connaît la vérité dans la mesure où elle fait retour sur elle-même »[125]. La connaissance sensible est vraie; elle a conscience de ses propres actes de sensation. Mais, même si elle est vraie et consciente, elle n’a pas conscience de sa propre vérité; car la connaissance sensible ne connaît pas sa propre nature, ni la nature de ses actes, ni leur proportion par rapport à leurs objets. La connaissance intellectuelle, par contre, est non seulement vraie mais également consciente de sa propre vérité. Non seulement a-t-elle conscience empiriquement de ses actes, mais elle réfléchit sur leur nature; pour connaître la nature de ses actes, elle doit connaître la nature de leur principe actif, qu’elle est elle-même; et s’il connaît sa propre nature, l’intellect connaît également son propre rapport à la connaissance de la réalité. En outre, cette différence entre les sens et l’intellect est une différence de capacité réflexive. En connaissant, nous sortons de nous-mêmes; en réfléchissant, nous faisons retour sur nous-mêmes. Or au niveau des sens, ce retour est incomplet, puisqu’il s’arrête à une conscience purement empirique du fait de la sensation. Quant à la substance intellectuelle, elle fait retour sur elle-même complètement. Elle ne s’arrête pas à une simple prise de conscience empirique; elle pénètre son essence propre[126].

Pour moi, ce passage n’est pas une simple affirmation du caractère réflexif que présente chaque jugement[127]. Nous ne réfléchissons pas, à chaque jugement porté, au point de connaître notre propre essence et de déterminer à partir de là notre capacité de connaître la vérité. Dans ce passage, plutôt, Thomas d’Aquin souscrit clairement au programme de la pensée critique : pour connaître la vérité nous devons nous connaître nous-mêmes et connaître la nature de notre connaissance, et la méthode à employer pour cette démarche est la réflexion. Or il y a un monde entre l’acte de souscrire au programme critique et l’exécution de ce programme; dans quelle mesure les écrits de Thomas d’Aquin témoignent-ils d’une telle exécution? Voilà la prochaine question que nous devons aborder. En l’abordant, nous aurons en tête une autre fin, soit une justification de la procédure suivie dans les présents articles, consistant à présenter les données de preuve pour notre conviction que la théorie thomiste de l’intellect s’appuyait sur une base empirique et introspective.

4 La connaissance de soi de l’âme

Thomas d’Aquin a tiré de l’œuvre d’Aristote une méthode d’introspection empirique. Dans le deuxième livre du traité De anima, après avoir défini l’âme en général, il prend acte du problème de la distinction de différents genres d’âmes. Or les différences entre les âmes tiennent à des différences entre leurs puissances. Et comme la puissance ne peut être connue que si elle est en acte, il faut, pour connaître différentes puissances, connaître leurs actes. Et comme les actes se distinguent entre eux par les différences entre leurs objets respectifs, il faut, pour connaître différents genres d’actes, établir des distinctions entre différents genres d’objets. La connaissance de l’âme commence donc par une distinction des objets; la spécification des objets mène à une distinction entre différents genres d’actes; différents genres d’actes révèlent des différences de puissances; et les différentes combinaisons de puissances mènent à une connaissance des différentes essences qui se conforment à la définition générique de l’âme[128].

L’âme humaine, par conséquent, ne se connaît pas elle-même en saisissant directement son essence propre; c’est là la prérogative de Dieu et des anges[129]. Si l’être humain connaissait son âme de cette manière immédiate, la démarche obligée via les objets, les actes et les puissances serait superflue[130]. Le fait est que l’intellect humain est in genere intelligibilium une simple puissance; à moins que sa puissance ne soit réduite à l’acte, il ne comprend pas et il n’est pas compris[131]. Par ailleurs, l’acquisition de la compréhension d’une chose quelconque, de toute connaissance scientifique habituelle, rend notre intellect capable habituellement non seulement de comprendre l’objet scientifique en question, mais aussi de se comprendre lui-même[132]. Nous pouvons savoir ce qu’est la compréhension en comprenant quelque chose et en réfléchissant sur la nature de notre compréhension; car le species de l’objet compris est également le species de l’intellect qui comprend. C’est en scrutant à la fois l’objet compris et l’intellect qui comprend qu’Aristote a exploré la nature de l’intellect possible. De fait, nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nos intellects sinon en réfléchissant à nos propres actes de compréhension[133]. Évidemment, le programme aristotélicien et thomiste ne tient pas à une perspective de vision oculaire servant à concevoir une vision spirituelle analogue attribuée à une faculté spirituelle appelée intellect. Au contraire, il tient à un processus d’introspection qui découvre l’acte de l’insight dans le phantasme et la définition comme expression de l’insight, qui saisit presque l’intellect en mouvement vers l’avant, vers la définition, et vers l’arrière, dans sa référence aux sens pour la réalisation concrète de ce qui est défini[134].

Si le commentaire du traité De anima ajoute au texte d’Aristote l’enrichissement dû à un système métaphysique entièrement développé, les écrits indépendants de Thomas d’Aquin recèlent de nombreux éléments de psychologie introspective. L’élément le plus fondamental est la distinction entre ce que nous devrions appeler une conscience empirique de nos actes internes et une saisie scientifique de leur nature. La saisie scientifique se décline en termes d’objets, d’actes, de puissances, d’essence de l’âme. Seule l’étude permet d’y parvenir; bon nombre d’esprits l’ignorent, bon nombre se sont égarés à son sujet; elle constitue une connaissance universelle; une connaissance qui ne s’atteint que de manière discursive, sauf chez les anges et les démons qui l’atteignent intuitivement, de sorte que même les démons connaissent l’essence de nos âmes mieux que nous-mêmes[135]. Cette connaissance scientifique est celle que les philosophes acquièrent par un raisonnement qui conclut, à partir de l’universalité des concepts, à l’immatérialité et à d’autres propretés de l’âme[136]; c’est cette connaissance que Thomas d’Aquin lui-même établit de façon magistrale dans le long raisonnement amorcé au chapitre 46 du deuxième livre de la Somme contre les Gentils, et poursuivi jusqu’au chapitre 90. Par ailleurs, la connaissance empirique de nos propres âmes est connaissance de l’existence de leurs actes[137], connaissance de ce qui est propre à l’individu[138], connaissance des mouvements intérieurs du cœur qui se dérobent à la connaissance intuitive des démons, exclusivement essentielle[139]. C’est de cette connaissance de soi que parle Aristote dans L’Éthique à Nicomaque, lorsqu’il souligne que chacun perçoit sa propre vision, sa propre audition, son propre mouvement, sa propre compréhension[140]. Lorsqu’une telle connaissance est en acte, elle tient de la connaissance de nous-mêmes comme étant en acte, par nos actes[141]; car ce n’est pas l’œil qui voit ni l’intellect qui comprend, mais l’être humain qui voit par l’intermédiaire de ses yeux et qui comprend par l’intermédiaire de son intellect[142]. D’autre part, la connaissance de soi empirique peut être considérée non pas comme un acte, mais comme un habitus. Or, de même que nous savons habituellement que nous possédons un habitus de science non pas par l’acquisition d’un autre habitus, mais simplement par notre capacité à produire les actes de l’habitus, ainsi, pour la possession habituelle de la connaissance de soi empirique nous n’avons besoin de rien de plus que l’âme elle-même, qui est présente à elle-même et capable de faire advenir des actes conscients[143].

Le rapport entre la connaissance de soi empirique et la connaissance de soi scientifique est clair et simple : la première forme la base de la seconde. Le recours à l’expérience dans la théorie psychologique thomiste, même s’il ne bénéficie pas du prestige de la méthodologie moderne, est tout de même fréquent et même manifeste. L’argument standard utilisé contre les averroïstes était l’affirmation : « hic homo intelligit » : si vous niez une telle proposition, comme vous êtes vous-même une instance du hic homo, vous vous déboutez-vous-même en vous posant comme quelqu’un qui ne comprend rien; si vous admettez cette proposition, vous devez admettre également que chaque personne possède son propre intellectus possibilis qui lui permet de comprendre[144]. De même, en affirmant l’immanence, en chacun de nous, d’un intellect agent, on fait appel à l’expérience : si nous n’avions aucune expérience de l’abstraction d’intelligibilités et de la réception de ces intelligibilités en acte, il ne nous viendrait jamais à l’esprit d’en parler et de raisonner sur leur existence[145]. Par ailleurs, en ce qui concerne notre connaissance des substances séparées, la question est résolue « selon la doctrine d’Aristote, plus conforme à notre expérience » et « selon la connaissance expérimentale que nous avons »[146]. Enfin, la méthode introspective employée dans le présent article et l’article précédent peut être considérée comme s’appuyant sur l’énoncé suivant : « L’âme humaine se connaît elle-même par son acte d’intelligence, qui est son acte propre, et révèle parfaitement sa capacité et sa nature »[147] : si vous saisissez la nature de vos actes de compréhension vous détenez la clé de toute la psychologie thomiste. De fait, vous détenez également ce que Thomas d’Aquin considérait comme la clé de la psychologie aristotélicienne : « Aussi le Philosophe a-t-il lui-même, plus haut, scruté la nature de l’intellect possible moyennant l’acte même de concevoir et l’objet conçu »[148].

Mais je pense que nous pouvons aller plus loin. Chez Thomas d’Aquin, l’expression « lumière intellectuelle » n’est pas simplement synonyme de « l’intellect agent » aristotélicien. Il a débattu avec les avicennistes de la nature immanente ou transcendante de l’intellect agent. Mais il n’a jamais songé à débattre de la nature immanente ou transcendante de la lumière intellectuelle. De fait, lorsqu’il affirme que l’intellect agent est immanent, il cherche à établir que l’intellect agent constitue la source de la lumière intellectuelle. Il formule donc sa conclusion de manière significative : « Par conséquent rien n'empêche d'attribuer à la lumière elle-même de notre âme le rôle de l'intellect agent d'autant plus qu'Aristote compare celui-ci à la lumière »[149]. La nature de l’intellect agent et, en particulier, la comparaison de l’intellect agent avec la lumière chez Aristote, amènent à identifier l’intellect agent avec la cause immanente de ce que nous appelons l’éclair de la compréhension, la lumière de la raison. Qu’est-ce donc que cette lumen animae nostrae?

Premièrement, le simple fait qu’une personne comprend quelque chose ne fait pas qu’inévitablement elle tourne réflexivement son attention vers la lumière intellectuelle en jeu dans cet acte[150]. Deuxièmement, chaque fois qu’un objet est compris, il est compris seulement tel qu’il est illustré par la lumière de l’intellect agent et reçu dans l’intellect possible. De même que nous voyons la lumière physique quand nous voyons une couleur, nous voyons la lumière intellectuelle quand nous appréhendons une intelligibilité. De même que la lumière physique est vue, non pas comme un objet, mais dans la connaissance d’un objet, la lumière intelligible est vue, non pas comme un objet, mais « sous la raison d’un moyen de connaître »[151]. Troisièmement, la lumière intellectuelle est un moyen, non pas au sens où il serait un objet connu au moyen duquel on peut connaître un autre objet, mais un moyen au sens où il rend d’autres objets connaissables. De même que l’œil ne voit pas la lumière sauf quand des couleurs sont illuminées, un moyen, au sens donné n’a pas à être connu en lui-même, mais seulement dans d’autres objets connus[152]. Quatrièmement, nous pouvons dire, une fois formulées ces réserves, que la lumière de l’intellect agent est connue per se ipsum. L’âme ne connaît pas son essence propre par son essence propre; mais, d’une certaine manière, elle connaît sa propre lumière intellectuelle par sa propre lumière intellectuelle, non pas en fait dans la mesure où cette lumière est un objet, mais dans la mesure où cette lumière est l’élément qui rend le species intelligible en acte[153].

Il y a donc une façon dont la lumière de nos âmes peut se situer dans la portée de l’observation introspective. L’exemple le plus évident semble être notre saisie des premiers principes. Les conclusions scientifiques sont acceptées parce qu’elles sont impliquées par les premiers principes; mais l’assentiment aux premiers principes a également son motif, car l’assentiment est rationnel; et ce motif est la lumière qui est en nous naturellement[154]. En outre, on dit que la lumière de l’intellect agent manifeste les premiers principes, qu’elle les rend évidents[155]. Toute la science nous appartient, dans cette lumière, depuis le tout début[156]. De même que les conclusions sont convaincantes parce que les principes sont convaincants, notre lumière intellectuelle tient son efficacité de la prima lux qui est Dieu[157]. Le maître divin et les maîtres humains peuvent donc collaborer sans aucune confusion des rôles. Le maître humain enseigne en réduisant les conclusions aux principes; mais toute la certitude que nous possédons, qu’elle soit certitude des conclusions ou des principes, vient de la lumière intellectuelle en nous, par laquelle Dieu nous parle[158].

Cependant, les effets expérimentés de la lumière intellectuelle, tels que l’évidence des principes, le motif de l’assentiment, le fondement immanent de la certitude, ne sont pas les seules occurrences où la lumière intellectuelle, de manière indirecte, entre dans le champ de la conscience. Cette lumière est constitutive de notre capacité même de comprendre[159]. Elle est le principe de la recherche et du discours; l’être humain raisonne, en discourant et en cherchant par sa lumière intellectuelle, qui est voilée sur le plan de la continuité temporelle parce que l’être humain acquiert sa connaissance à partir des sens et de l’imagination[160]. En tant que principe de recherche, la lumière intellectuelle est la source de cette quête des causes qui révèle le désir naturel de la vision béatifique chez l’être humain[161]. Notre connaissance tient à une double source – une origine extrinsèque au niveau des sens, mais aussi une origine intrinsèque dans la lumière de nos intellects[162]. Les sens ne sont que les materiae causae de notre connaissance[163]. L’objet de la compréhension nous est fourni et offert, matériellement pour ainsi dire, par l’imagination; formellement, comme objet de compréhension, il est complété par la lumière intellectuelle[164]. Il faut peut-être attribuer à l’intellect agent la fonction de l’effet subconscient de l’ordonnancement du phantasme, permettant de faire advenir l’image schématique appropriée qui déclenche le flash de la compréhension; car l’intellect agent est au phantasme ce que l’art est aux produits artificiels[165]. Lorsque l’âme est séparée du corps, les sens et l’imagination n’existent pas; les species, conférés par les substances séparées, sont alors reçus directement dans l’intellect possible; mais c’est l’intellect agent qui détient le pouvoir de la compréhension[166].

En ce qui concerne l’acte de compréhension lui-même, une distinction est établie en tout temps entre l’intellect possible, l’habitus de la science et l’actuation de cet habitus; or dans les écrits antérieurs une autre distinction est introduite à l’intérieur de l’habitus de la science entre un élément de lumière et le species comme élément de détermination[167]. Cette distinction ne revient pas sous la même forme dans les écrits ultérieurs, qui contiennent néanmoins des affirmations équivalentes. L’intellect agent et le phantasme interviennent de concert pour produire l’acte de compréhension, mais jouent chacun un rôle distinct au sein de cette coopération. De même que la lumière physique, supposait-on, n’incluait pas en elle-même les diverses couleurs du spectre mais réduisait simplement l’acte, soit aux couleurs elles-mêmes, soit au diaphanum par lequel les couleurs étaient perçues, ainsi l’intellect agent n’incluait pas les déterminations spécifiques des diverses natures des choses matérielles mais pouvait simplement rendre ces natures intelligibles en acte[168]. Par conséquent, alors que le phantasme causait dans l’intellect possible la détermination de l’acte de compréhension, l’intellect agent causait l’élément d’immatérialisation, l’intelligibilité en acte[169].

Cette distinction semble appropriée pour la distinction entre, d’une part, les [deux types de] parole intérieure, entre le concept au sens moderne étroit de ce terme et, d’autre part, le jugement. Car nous lisons que l’opération intellectuelle humaine est perfectionnée de deux manières, soit par le species intelligible, soit par la lumière intellectuelle; le species nous permet d’appréhender les choses; la lumière nous permet de porter des jugements sur nos appréhensions[170]. Or nous avons vu que la parole intérieure, qu’elle soit définition ou jugement, est l’expression de soi de l’acte autonome de la compréhension : la définition est à la fois expression d’un insight dans le phantasme et expression par un insight dans le phantasme; le jugement est à la fois expression d’un acte réflexif de compréhension et expression par un acte réflexif de compréhension. En fonction de la division énoncée plus haut, ces deux types d’expression se fondent respectivement sur l’un des deux éléments de la détermination et de la lumière qui se trouvent dans l’acte de compréhension. Dans la mesure où l’acte de compréhension saisit ses propres conditions comme la compréhension de ce type de choses, il abstrait de ce qui est non pertinent et s’exprime dans la définition d’une essence. Mais dans la mesure où l’acte de compréhension saisit sa propre transcendance-dans-l’immanence, sa qualité de lumière intellectuelle comme participation de la Lumière divine et incréée, il s’exprime dans un jugement, dans l’établissement d’une vérité, dans l’affirmation ou la négation d’une réalité.

Or cette relation entre la lumière intellectuelle et le jugement déborde la théorie aristotélicienne de l’intellect agent. Aristote avait soutenu que, puisque notre compréhension est parfois en puissance, parfois en acte, il doit y avoir en nous à la fois un principe de compréhension actif et un principe de compréhension passif[171]. Ce principe actif s’apparente à un habitus, mais, comme l’a noté Thomas d’Aquin, il ne faut pas le confondre avec l’habitus principiorum[172]. Aristote, au contraire de Platon, ne considérait pas les essences des choses matérielles comme existant séparément, et intelligibles en acte par elles-mêmes; par conséquent, il soutenait que leur immatérialisation exigeait le recours à une cause, permettant de les réduire d’une intelligibilité potentielle à une intelligibilité actuelle[173]. Tout comme l’intellect possible, l’intellect agent est séparable, impassible, exempt de toute confusion avec la matière; mais, de par sa nature également, il n’est jamais en acte[174]. Même s’il est participation de la lumière intellectuelle des substances séparées, il constitue une possession immanente et privée de chacun et chacune d’entre nous[175]. Autrement dit, Thomas d’Aquin ne se faisait pas scrupule d’adapter le texte aristotélicien dans un contexte de spéculation médiévale contemporaine; malgré tout, il n’a pas établi de rapport dans son commentaire entre l’intellect agent et le jugement.

Ce rapport est établi clairement et de façon répétée dans ses écrits indépendants. Car c’est la lumière de l’intellect qui remplace la vision aristotélicienne de la vérité éternelle; et nous pouvons lire régulièrement que nous connaissons, nous comprenons, nous jugeons toutes choses grâce à une lumière créée qui est en nous et qui est une participation, une résultante, une similitude, une impression de la lumière et de la vérité premières et éternelles[176]. Et le rapport entre la lumière intellectuelle et le jugement n’est pas confiné à de telles affirmations générales. La portée d’un pouvoir cognitif est fixée par la lumière qui détermine son régime de fonctionnement; la vision oculaire couvre l’ensemble des couleurs; l’âme humaine peut connaître tout ce qui entre dans la portée de la lumière de l’intellect agent; le prophète connaît en vertu de la lumière divine qui manifeste toutes choses, physiques ou spirituelles, humaines ou divines[177]. La connaissance de la vérité est une utilisation, un acte de la lumière intellectuelle[178], et le jugement se produit donc selon la force de cette lumière[179]. Le prophète juge donc en fonction d’une lumière infuse, et l’essence de la prophétie réside dans un tel jugement; car un prophète n’a pas besoin d’avoir eu le privilège d’une révélation, il n’a qu’à porter un jugement sur les données révélées à un autre prophète; ainsi, Joseph a porté un jugement sur les rêves du pharaon[180]; c’est aussi le cas peut-être de Salomon, qui portait des jugements avec une plus grande certitude et avec un instinct divin sur ce qui est connu naturellement au sujet de la nature et de la morale humaine[181].

En particulier, la lumière intellectuelle est pertinente pour le problème critique, car c’est par la lumière intellectuelle que nous pouvons dépasser la simple relativité pour atteindre la vérité immuable et que nous pouvons discerner entre l’apparence et la réalité[182]. Comme nous l’avons vu déjà, c’est par la réflexion sur la nature de l’intellect et particulièrement sur la nature du principe actif de la lumière intellectuelle que nous parvenons à connaître la vérité[183]. Mais il est quelque peu risqué de chercher à préciser la nature exacte de cette réflexion. Thomas d’Aquin lui-même n’a pas expliqué la démarche qu’il suivrait; c’est donc seulement en rassemblant des matériaux épars que nous pouvons constituer une position épistémologique qui pourrait être qualifiée de thomistique, mais qui correspondrait difficilement à une épistémologie thomiste. Cependant, deux points fondamentaux peuvent se dégager avec clarté. La réflexion épistémologique fera appel à une forme de raisonnement, mais ce raisonnement ne sera pas une sorte de déduction, puisqu’aucune prémisse ne peut être supposée, mais plutôt un développement de la compréhension nous permettant de saisir comment il se fait que notre esprit est proportionné à la connaissance de la réalité. Ce point découle de l’analyse du jugement déjà exposée; il cadre avec la nature du problème; il n’a pas à être élargi. L’autre point concerne le contenu précis de l’acte de compréhension réflexive et critique. Il semble que cet acte consiste en une saisie de l’infinité innée de l’intellect; car, d’une part, la pensée thomiste n’accentue pas cette infinité innée et, d’autre part, on peut saisir, à partir de cette infinité, la capacité de l’esprit de connaître la réalité.

La pensée thomiste accentue l’infinité innée de l’intellect; car la nature de l’intellect en tant qu’il est actif est potens omnia facere (capable de tout faire); en tant qu’il est passif, sa nature est potens omnia fieri (capable de devenir toutes choses). Il ne s’agit pas là simplement d’un lieu commun aristotélicien répété constamment par Thomas d’Aquin, qui savait par ailleurs le transposer et l’appliquer de manière plutôt étonnante. Un acte de compréhension fini doit être un pati (subir), puisque l’intellect comme intellect est infini[184]. En raison de sa portée infinie, l’intellect doit avoir pour objet l’ens[185]; cet objet ne peut être inconnu[186]; il est connu en soi, de manière naturelle[187]. Tout comme il y a différents types d’intellect, il y a différents modes de connaissance de l’ens. Puisque la compréhension est compréhension par identité et que l’ens inclut toute réalité, seule une compréhension infinie peut être l’appréhension directe et immédiate de l’objet propre de l’intellect, l’ens intelligibile[188]. L’intellect humain est puissance. Or, de même que la main est l’instrument capable de se servir de tout autre instrument, l’âme humaine est la forme capable de recevoir toute autre forme[189]. Dieu est totum ens sans réserves[190], alors que l’être humain est totum ens seulement quodammodo[191]. Par conséquent, dans ses actes de compréhension directe, l’être humain entre dans une identité avec l’intelligibilité de telle ou telle nature matérielle seulement; c’est dans un acte de compréhension réflexive, où la nature de la compréhension est elle-même comprise comme potens omnia facere et fieri, que l’être humain devient capable de saisir le concept analogue de l’ens. Car la connaissance de l’être et du non-être, en entier et en partie, et des autres concepts qui découlent du concept de l’être, relève non pas de l’habitus direct de l’intellect ni de l’habitus dérivé de la science, mais de l’habitus réflexif et critique de la sagesse[192]. Car le concept de l’ens n’est pas un concept parmi d’autres, un quod quid est parmi d’autres, une essence parmi d’autres, mais très générale; le concept de l’ens est n’importe quel concept, n’importe quel quod quid est, n’importe quelle essence, lorsqu’il ou elle est considéré(e), non pas comme un facteur commun supérieur, ni même simplement en soi, mais dans sa relation avec son propre actus essendi[193], qui est connu dans l’acte du jugement[194]. Le concept de tous les concepts est réellement proportionné à la réalité – est réellement le concept de l’ens – uniquement à la condition que l’intellect humain soit potens omnia facere et fieri. Par ailleurs, si l’intellect est potens omnia facere et fieri, alors, puisque nous connaissons par ce que nous sommes, nous connaissons l’ens en soi et naturellement; de plus, puisque nous connaissons notre connaissance en connaissant ce que nous sommes, c’est par la réflexion sur la nature de l’intellect que nous connaissons notre capacité d’atteindre la vérité et de connaître la réalité[195]. Or l’infinitude innée de l’intellect comme intellect est une donnée de la conscience rationnelle. Il se manifeste dans l’esprit insatiable de la recherche, la recherche incessante des causes qui, soutenait Thomas d’Aquin, peut trouver le repos et s’achever uniquement dans une vision surnaturelle de Dieu[196]. Il se manifeste dans l’exigence absolue de la pensée réflexive, qui ne donnera son assentiment que si est exclue la possibilité de la proposition contradictoire[197]. De même que la pensée thomiste est une ontologie de la connaissance en ce sens que la lumière intellectuelle y est présentée en référence à son origine dans la Lumière incréée, elle est davantage qu’une épistémologie embryonnaire en ce sens que la lumière intellectuelle saisit réflexivement sa propre nature et la commensuration de cette nature à l’univers de la réalité[198].

Un commentaire peut être permis : car dans la mesure où l’on saisit le caractère et l’implication de l’acte par lequel la lumière intellectuelle réfléchit par la lumière intellectuelle sur la lumière intellectuelle pour se comprendre elle-même et déclarer sa validité universelle, dans cette mesure on saisit l’une des deux analogies exceptionnelles vers la procession d’une Parole infinie à partir d’une Compréhension infinie. Par ailleurs, le raisonnement qui précède, précisément parce qu’il colle aux textes thomistes de façon à écarter toute apparence inutile de spéculation désinvolte, trouvera sans doute peu de résonances chez un esprit contemporain. Deux remarques peuvent accentuer ces résonances. Premièrement, notre connaissance du réel n’est pas connaissance d’une note, d’un aspect ou d’une qualité des choses. C’est le tout de chaque chose qui est réel; et par réalité nous n’entendons rien de moins que l’univers dans la multiplicité de ses membres, dans la totalité et l’individualité de chacun, dans les interrelations de tous. Connaître le réel c’est connaître l’univers. Comme nos intellects sont potentiels, notre connaissance du réel est un développement. L’enfant doit apprendre à distinguer nettement les faits et la fiction; une jeune personne n’a pas encore acquis une saisie suffisamment nuancée de la vie humaine pour bénéficier vraiment de l’étude de l’éthique; chacun, chacune d’entre nous, devant une chose hors des sentiers battus de son expérience, se tourne vers une personne experte pour apprendre ce qu’est cette chose au juste. Or dans toute cette progression, nous ne faisons que distinguer, différencier, catégoriser les détails d’un schème que nous possédions de quelque façon depuis le début. Si nous disons que X est réel, nous lui attribuons simplement une place dans ce schème; si nous nions la réalité d’un Y, nous lui nions une place dans ce schème universel.

Mais comment saisissons-nous le schème lui-même? À la source, il n’est que le principe du milieu exclu : X est ou n’est pas. Et le schème, dans ses détails, est simplement l’actuation de notre capacité de concevoir une essence et d’affirmer rationnellement son existence et ses relations. Puisque, au sein de ce schème, nous-mêmes et tous nos actes de conception et de jugement ne formons que des éléments particuliers sans grande importance, le problème critique – et c’est là notre seconde remarque – n’est pas un problème de déplacement de l’intérieur vers l’extérieur, de déplacement d’un sujet vers un objet extérieur au sujet. C’est un problème de déplacement du haut vers le bas, de déplacement depuis une potentialité infinie proportionnée à l’univers, vers une appréhension rationnelle qui saisit la différence entre le sujet et l’objet de la façon essentiellement la même que la saisie qu’elle opère de toute autre distinction réelle. Le réalisme est donc immédiat, non pas parce qu’il est naïf, non raisonné et affirmé aveuglément, mais parce que nous connaissons le réel avant de connaître une telle différence au sein du réel comme la différence entre le sujet et l’objet. De même, le problème critique paraît insoluble uniquement parce que le véritable concept du réel est caché ou obscurci, et il est remplacé par le faux substitut selon lequel nous entendons par le réel une autre essence simplement, ou encore selon lequel nous entendons par le réel l’objet de l’expérience existentialiste moderne – le simple donné de l’actualité interne ou externe, qui n’est en fait rien de plus que la condition de la transition rationnelle de l’affirmation du possible à l’affirmation de l’être contingent actuel.

5 L’unité de la sagesse

La sagesse, en tant que philosophie première, concerne directement le réel comme réel et les principes premiers des démonstrations[199]. Il s’agit d’une dualité, dans la définition même de son objet. Loin d’atténuer le contraste violent de l’objet et du sujet, la disposition pédagogique actuelle du traitement dans des ouvrages et des cours séparés de la métaphysique et de l’épistémologie tend à la faire paraître comme absolue et irréductible. Or l’être n’est pas une chose tout à fait différente du connaître. Nous connaissons par ce que nous sommes; nous connaissons notre connaissance en connaissant ce que nous sommes; et puisque même notre connaissance qui se fonde sur notre connaissance de ce que nous sommes s’opère par ce que nous sommes, la réflexion rationnelle sur nous-mêmes est un dédoublement de nous-mêmes. En nous, le principe et le terme de ce dédoublement ne sont pas identiques. Dans la procession du Verbe divin le principe et le terme du dédoublement sont identiques, mais les rapports du principe au terme et du terme au principe demeurent des personnalités réelles, opposées, subsistantes, éternelles, égales – Père et Fils dans la consubstantialité de la génération intellectuelle[200]. Même dans la Divinité la dualité de la sagesse n’est pas entièrement dépassée; on peut même parler, en un certain sens, d’une sapientia genita[201]. Or même si la dualité de la sagesse ne disparaît jamais totalement, elle tend à s’approcher de cette limite. Nous conclurons cette section en formulant quelques remarques sur le cheminement vers cette limite.

Tous nos actes de compréhension présentent un élément commun : une qualité pure, qui advient lorsque nous nous demandons quid sit et an sit, et qui est partiellement réalisée lorsque nous comprenons directement une essence et lorsque nous comprenons réflexivement la nécessité d’affirmer son existence. Cette qualité pure est la lumière intellectuelle. Or nous n’en avons aucune expérience dans sa forme pure. Il ne s’agit jamais simplement d’une recherche, mais d’une recherche au sujet de quelque chose. Il ne s’agit jamais d’une compréhension pure, mais il s’agit toujours de la compréhension de ceci ou de cela. Pourtant, nous pouvons discerner cette compréhension pure de manière introspective, tout comme nous pouvons discerner de manière externe la lumière en voyant la couleur. Mais, même si la lumière externe et corporelle qui atteint et stimule nos yeux ne peut être produite, même en imagination, jusqu’à l’infini, la lumière intellectuelle accuse un mouvement vers l’infini. Aristote affirme d’entrée de jeu, dans sa Métaphysique, que tous les humains ont naturellement un désir de connaître. Or Thomas d’Aquin a mesuré ce désir, pour découvrir, dans l’inquiétude incessante et l’exigence absolue de l’esprit humain, que l’intellect comme intellect est infini, que l’ipsum esse est ipsum intelligere et Lumière incréée, illimitée, que, même si nos intellects, étant en puissance, ne peuvent atteindre naturellement à la vision de Dieu, nos intellects comme intellects présentent pourtant une orientation dynamique, un désir naturel, que rien ne saurait satisfaire tout à fait sauf cette vision inconnue. Pour Augustin, nos cœurs sont inquiets tant qu’ils ne reposent pas en Dieu; pour Thomas d’Aquin, ce ne sont pas nos cœurs, mais d’abord et avant tout nos esprits qui sont inquiets tant qu’ils ne se reposent pas dans la vision de Dieu.

La dualité fondamentale de notre sagesse polarise notre lumière intellectuelle immanente et la Lumière incréée qui est l’objet de ses recherches et de ses efforts. Cette même dualité forme également l’instance de base de l’opposition et de la distinction entre ce qui est d’abord quoad nos et ce qui est d’abord quoad se; ontologiquement, la Lumière incréée est première; épistémologiquement, notre propre lumière immanente est première, car elle est connue non pas par quelque species mais per se ipsum comme l’élément actuant de tout species intelligible. Connue avec cette immédiateté qualifiée, elle se justifie elle-même comme la base potentiellement illimitée d’où nous pouvons établir, et par là même connaître, l’univers; et comme le principe de notre connaissance de la réalité, elle constitue également l’échantillon le plus convaincant en nous de la substance dont consiste l’auteur de l’univers et notre esprit. Entre ces pôles, ce qui est le plus élevé en nous et ce qui en Dieu nous ressemble le plus, notre sagesse, chemine vers la connaissance d’elle-même et de sa source. Si notre sagesse était substantielle, elle ne se prêterait pas à ce genre de dualité. Mais de fait elle est accidentelle, elle est une perfection qui nous lie à la Perfection. Non seulement elle est accidentelle, mais elle est acquise graduellement. Nous nous acheminons vers elle en accusant une oscillation dialectique, en envisageant plus clairement un pôle, puis un autre, chaque ajout à la considération de l’un ou l’autre pôle éclairant davantage l’autre pôle et soulevant de nouvelles questions à son sujet.

Sous ce rapport, nous pouvons peut-être noter plus commodément un aspect particulier de la connaissance de soi de l’âme. La présentation la plus nuancée de cet aspect se trouve dans le De Veritate[202], où sont distingués trois types de connaissance de soi. La première est la connaissance de soi empirique, actuelle ou habituelle, fondée sur la présence à soi du sujet; vient ensuite la présence à soi scientifique et analytique, qui passe des objets aux actes, des actes aux puissances, des puissances à l’essence; au-delà de ces deux types, qui nous sont déjà familiers, se profile un troisième. Celui-là se déploie dans l’acte du jugement qui passe de la conception de l’essence à l’affirmation de la réalité. Mais ce type ne concerne pas telle ou telle âme, mais ce que toute âme devrait être selon les raisons éternelles; la réalité de l’âme qui est envisagée n’est donc pas une réalisation malheureuse mais une norme dynamique. Or la connaissance de la norme, de ce qui doit être, ne s’obtient pas à partir de ce qui se trouve exister simplement et qui trop souvent ne respecte pas la norme. La connaissance normative doit s’appuyer sur les raisons éternelles. Mais cet appui, ce repos, explique Thomas d’Aquin, n’est pas une vision de Dieu mais une participation et une ressemblance à Dieu nous permettant de saisir les premiers principes et de juger toutes choses en les examinant à la lumière des principes[203].

La sagesse acquise par la connaissance de soi ne se limite pas à la progression de la connaissance empirique à la connaissance normative, en passant par la connaissance scientifique. À la sagesse que nous pouvons atteindre par la lumière naturelle de notre intellect s’ajoute une autre sagesse, atteinte par la lumière surnaturelle de la foi, lorsque l’humble abandon de notre propre lumière à la Lumière incréée qui se révèle elle-même fait de cette dernière la loi aimée de tous nos assentiments. Enracinée dans cette foi, la sagesse surnaturelle se déploie dans deux directions. Entrant en contact avec la raison humaine, elle produit la science de la théologie, qui ordonne les données de la révélation et porte jugement sur toute autre science[204]. Or la foi, en plus d’un contact avec la raison, comporte aussi un contact avec Dieu. La sagesse, de ce côté, est un don de l’Esprit Saint, nous rendant docile à ses mouvements, où nous pouvons dire de quelqu’un, manifestement : « il les a non seulement apprises, mais ces vérités divines, il les a aussi vécues »[205].

Notre propos sur les données introspectives qui sous-tendent une interprétation de la théorie trinitaire thomiste serait incomplet s’il ne faisait pas mention de la pertinence potentielle de l’expérience mystique. Au début des Sentences[206], Thomas d’Aquin se demande, en rapport à l’imago Dei dans l’âme humaine, si la connaissance et l’amour de Dieu et de soi sont constamment en acte. Dans la Somme, il répond à cette question négativement pour la raison péremptoire que chacun et chacune doit dormir de temps à autre[207]. Mais dans l’œuvre antérieure il répond positivement sous deux formes – premièrement, dans un contexte de termes augustiniens, deuxièmement, dans un contexte de termes aristotéliciens. Il appert que la différence entre les deux réponses n’est pas simplement d’ordre terminologique; car le second exposé est introduit par l’énoncé : « Mais selon les philosophes, il y a une autre façon de comprendre l’affirmation que l’âme se comprend toujours »[208]. Non seulement cet énoncé ne semble pas préfacer une répétition de la même doctrine en des termes différents, mais les points de vue des philosophes présentés par la suite semblent s’acheminer vers un plan différent. Il s’agit tout au plus du point de vue souligné plus haut, selon lequel nous percevons la lumière intellectuelle non pas comme un objet mais comme un moyen dans nos actes de compréhension. Cela revient à dire que l’âme est présente à elle-même dans la conscience rationnelle. Mais de cette présence à soi on ne saurait sauter trop facilement à la présence de Dieu à lui-même. La pensée philosophique peut y parvenir en recourant au théorème mentionné dans l’article précédent[209], sur l’ubiquité divine. Mais il faut une saisie plutôt formidable de ce théorème métaphysique pour qu’en découlent de manière constante une connaissance actuelle et un amour de Dieu. De fait, c’est plutôt dans l’énoncé précédent, augustinien, que l’attention est portée à cette connaissance et à cet amour. La connaissance en question n’est pas un discernere qui distingue un objet d’un autre, ni un cogitare qui relie les parties d’un objet au tout, ni un intelligere qui fixe l’attention d’une manière déterminée; ce qui est affirmé dans une intuition simple et continue en vertu de la présence par laquelle l’âme connaît et aime à la fois elle-même et Dieu d’une manière indéterminée. Or il est vrai que, sauf dans une introspection indiscrète, la connaissance de soi dans la conscience rationnelle n’est ni un discernere, ni un cogitare, ni un intelligere visant un objet fixe. Mais ne faut-il pas entrer dans le domaine de l’expérience religieuse pour voir cette conscience du moi spirituel se prolonger en conscience de Dieu? Un tel prolongement n’apparaît pas dans les données de l’introspection ordinaire; par contre, nous pouvons donner aux mots de Thomas d’Aquin une interprétation tout à fait satisfaisante à la lecture des descriptions des auteurs mystiques sur la présence de Dieu habituelle ressentie[210].

Une question similaire, quoique moins pénétrante, est soulevée dans le De Veritate, où Thomas d’Aquin écrit que la présence de Dieu dans l’esprit est la mémoire de Dieu dans l’esprit[211]. Un tel énoncé a une consonance mystique, dans la mesure où une présence sous forme de mémoire apparaît comme une présence connue. Cependant, le même passage se termine par une remarque qui confine l’interprète à l’intérieur de l’expérience ordinaire. La compréhension doit obéir à une condition nécessaire, soit se situer à l’intérieur de la nature, et le texte porte que de la présence divine dans l’âme l’intellect reçoit la lumière nécessaire à la compréhension[212]. En outre, si nous retournons aux exposés explicites de Thomas d’Aquin sur le terme memoria, nous constatons qu’il entend par là une connaissance habituelle[213], et même que l’esprit est présent à lui-même et que Dieu est présent à l’esprit avant que les sens ne présentent quelque species, de sorte que l’imago Dei humaine possède sa memoria constitutive avant que ne se produise un acte intellectuel conscient[214]. Les lecteurs peu avertis pourront avoir l’impression qu’une présence de Dieu qui est une mémoire doit être une présence connue; mais l’explication que donne Thomas d’Aquin des termes qu’il emploie ne soutient pas une telle conclusion.

La série de propositions qui suit rendra peut-être justice à la question : quelle est la pertinence de l’expérience mystique pour le concept thomiste de l’imago Dei? Premièrement, la description thomiste de cette expérience, en sa forme générale, offre, de manière extrêmement simple, la triade voulue de l’imago. « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ». « Goûtez » désigne une expérience intérieure, une experientia consortii divini; ce mot fournit la memoria en acte. « Voyez » désigne un jugement conséquent, une certitudo intellectus; ce mot fournit la parole intérieure. « Comme est bon le Seigneur » désigne l’effet second de l’expérience, l’acte d’amour ineffable, la securitas affectus; ce bout de phrase offre le troisième élément de la triade[215]. Deuxièmement, même s’il faut admettre la pertinence possible de l’expérience mystique pour une interprétation de l’imago Dei et même la profonde influence de la mystique sur Thomas d’Aquin et sa pensée, il faut éviter de sauter de la possibilité à une affirmation de réalité. Quoi qu’il en soit, Thomas d’Aquin n’était certes pas exclusivement un théologien de la mystique. Il s’intéressait profondément à la nature; il a eu le mérite de tout embrasser et de tracer toutes les distinctions; par ailleurs, les références indubitables à l’expérience mystique dans ses propos sur l’imago Dei sont rares et très peu explicites, du moins si l’on en juge selon les normes thérésiennes ultérieures. Enfin, comme en témoigne Thomas d’Aquin lui-même, l’image de Dieu se trouve chez tous les êtres humains. Elle se trouve chez ceux qui n’ont pas l’usage actuel de la raison; elle se trouve chez les pécheurs; elle se trouve de façon nette et appropriée chez les humains en état de grâce[216]. Il appert que la théorie thomiste des processions trinitaires est essentiellement, dans son analogie fondamentale, non pas mystique mais psychologique. Même si l’image créée devient plus nette à mesure que se développe l’usage de la raison, même si elle devient plus appropriée quand la grâce est ajoutée à la raison, même si elle devient manifeste quand des grâces spéciales révèlent les potentialités de notre consortium divinum, toutes ces différences sont toutefois accidentelles; elles doivent concerner le développement de la sagesse et de l’amour chez l’être humain et non l’essence de ce qui se développe.

6 Conclusion

Ces deux chapitres complètent la première partie de notre recherche sur la notion de verbum dans les écrits de Thomas d’Aquin. Le propos de cette première partie était de construire un pont entre l’esprit d’un lecteur ou d’une lectrice du vingtième siècle et celui de l’auteur du treizième siècle. Ils possèdent tous deux une expérience psychologique; cette expérience est essentiellement la même chez les deux; ils peuvent tous deux, par introspection, observer et analyser cette expérience. Le postulat de la méthode employée et la conclusion tirée des données assemblées dans ces deux chapitres nous ont permis d’affirmer que Thomas d’Aquin a pratiqué effectivement l’introspection psychologique et que, grâce à cette connaissance expérimentale de son âme, il est parvenu à établir une théorie de la nature de l’intelligence humaine très nuancée et pénétrante. Par conséquent, la lumière de l’intelligence, l’insight dans le phantasme, les actes de la pensée qui définit, du raisonnement réflexif et de la compréhension, les actes de jugement, sont avant tout des faits psychologiques. La parole intérieure de la définition est l’expression d’un insight dans le phantasme, et l’insight est le but vers lequel tend l’étonnement de la recherche. La parole intérieure du jugement est l’expression d’un acte de compréhension réflexif, et cet acte réflexif est le but vers lequel tend l’étonnement critique. La première répond à la question Quid sit? La seconde répond à la question An sit? Certes, dans l’expression que leur confère Thomas d’Aquin, ces faits psychologiques sont enchâssés dans des catégories et des théorèmes métaphysiques. Mais si nous ne saisissons pas d’abord de façon assez détaillée le contenu empirique ainsi enchâssé, nous risquons, sinon de vider les catégories et les théorèmes de tout contenu, du moins de les interpréter avec une généralité appauvrie qui ne peut porter le poids de la formidable superstructure de la théorie trinitaire. Par ailleurs, on constatera, je crois, que notre intérêt préliminaire pour les faits psychologiques permet d’aborder avec une assurance autrement inatteignable l’interprétation des catégories métaphysiques; car l’application thomiste de la métaphysique aux tâches de l’analyse psychologique ne saurait être étudiée dans un vide préliminaire. L’application n’existe que dans des contextes psychologiques; et il est plus facile d’interpréter la métaphysique telle qu’elle s’applique à la psychologie si l’on a conscience des faits psychologiques en cause. Sans une telle prise de conscience l’interprétation doit s’appuyer tant bien que mal sur des analogies non psychologiques plus ou moins éloignées. Finalement, nous prions nos lecteurs de noter que nous n’avons pas encore atteint le point où il soit possible de tirer des conclusions. Si l’interprétation de la métaphysique appliquée dépend de la psychologie, l’interprétation de la psychologie dépend en retour de la métaphysique appliquée. Il reste donc toute une série de questions à aborder avant de pouvoir prétendre que nous avons rendu justice aux données sur le verbum dans les écrits de Thomas d’Aquin.


1 Question disputée sur les créatures spirituelles, a. 10, ad 8 m.

2 Aristote, Catégories, 2, 1a 17.

3 Aristote, De l’interprétation, 3, 16b 19-25.

4 « est, simpliciter dictum, significat in actu esse ». Commentaire au Traité de l’interprétation d’Aristote, leçon 5, ad fin. h

5 Commentaire du Livre V de La Métaphysique, ch. 9, § 889-896; L’être et l’essence, c. 1 init.; et passim.

6 « ‘esse’… significat compositionem propositionis, quam anima adinvenit coniugens praedicatum subiecto ». Somme théologique, I, q. 3, a. 4, ad 2 m.

7 Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 7 c. post med.

8 Commentaire du Livre IX de La Métaphysique, ch. 11, § 1898.

9 Ibidem, § 1896; Commentaire du Livre VI de La Métaphysique, ch. 4, § 1225-1226.

10 L’analyse de base se trouve dans le Commentaire du Livre IX de La Métaphysique, ch. 11, § 1901-1903; voir les Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 7; q. 8, a. 14-15; Somme théologique, I, q. 14, a. 14; q. 58, a. 2-4; q. 85, a. 4-5; II-II, q. 1, a. 2c.; et des textes parallèles.

11 Somme théologique, I, q. 16, a. 5, ad 2 m.

12 Ibidem, a. 2.

13 Commentaire du Traité de l’âme, III, § 747-749; au sujet des irrationnels, Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 17, § 1020.

14 Commentaire du Traité de l’âme, III, § 749. [Traduction personnelle. La référence ne permet pas de retracer la citation. Ndt.].

15 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 3, q. 3, a. 4; Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. 1, a. 2, sol, 4 c et ad 1 m; Questions quodlibétiques, 7, a. 2; Questions disputées sur la vérité, q. 8, a. 14; Somme contre les Gentils, 1, c. 55; Questions disputées sur le Traité de l’âme, a. 18, ad 5 m; Somme théologique, I, q. 85, a. 4.

16 Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 4, § 1229.

17 Ibidem; Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. 1, a. 2, sol. 4; Questions disputées sur la vérité, q. 8, a. 14 c. ad fin.; Somme contre les Gentils, 1, c. 55, § 2.

18 Voir Peter Hoenen, « De origine primorum pricipiorum scientiae », Gregorianum 14, 1933, p. 153-184; 19, 1938, p. 498-514; 20, 1939, p. 19-54; 321-350 (voir note 126 du ch. 1 ci-dessus).

19 Somme théologique, I, q. 55, a. 3 c.

20 Ibidem; Commentaire des Sentences, Livre II, d. 3, q. 3, a. 2; Questions disputées sur la vérité, q. 8, a. 10; Somme contre les Gentils, 2, c. 98.

21 Somme contre les Gentils, 1, c. 46-52; Commentaire des Sentences, Livre I, d. 35-36; Questions disputées sur la vérité, q. 2-3; Somme théologique, I, q. 14, a. 5-6; q. 15, a. 1-3.

22 Questions disputées sur la vérité, q. 14, 1 c. : « … amenée à son terme propre – la vision de quelque intelligible – … l’intelligence ».

23 Somme contre les Gentils, 3, c. 51.

24 Somme théologique, I, q. 12, a. 8, ad 4 m.

25 Ibidem, I-II, q. 3, a. 8.

26 Somme contre les Gentils, 3, c. 52; voir Henri Rondet, « Nature et surnaturel dans la théologie de s. Thomas d’Aquin », Recherches de science religieuse 33, 1946, p. 56-91.

27 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 9, q. 1, a. 8, ad 1 m; Questions disputées sur la vérité, q. 15, a. 1; Somme théologique, I, q. 79, a. 8 c.; voir J. Peghaire, Intellectus et Ratio selon s. Thomas d’Aquin, (voir chapitre 1, note 51).

28 « Le mouvement discursif de la raison commence et se termine à l'intelligence; nous raisonnons en effet à partir de certaines choses dont nous avons l'intelligence, et le mouvement de la raison est achevé dès que nous parvenons à l'intelligence de ce qui jusque-là nous était inconnu ». Somme théologique, II-II, q. 8, a. 1, ad 2 m. Sur cette question, voir J. Peghaire, Intellectus et Ratio, p. 261-272. En ce qui concerne la distinction entre la priorité naturelle et chronologique des prémisses et la connaissance des conclusions, voir Commentaire sur les Seconds Analytiques, I, leçon 2.

29 Questions disputes sur la vérité, q. 8, a. 15.

30 Somme théologique, I, q. 14, a. 7c.

31 « Nam cum volo concipere rationem lapidis, oportet quod ad ipsam ratiocinando perveniam : et sic est in omnibus aliis quae a nobis intelliguntur; nisi forte in primis principiis, quae cum sint simpliciter nota, absque discursu rationis sciuntur ». Commentaire de l’Évangile de saint Jean, ch. 1, leçon 1.

32 Somme contre les Gentils, 2, c. 46-90.

33 Commentaire des Sentences, Livre III, d. 35, q. 2, a. 2 sol. 1; voir les Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 12 c.; Commentaire de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, 6, leçon 5; Somme théologique, II-II, q. 8, a. 1 c.

34 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 24, q. 2, a. 3 sol.; Questions disputées sur la vérité, q. 8, a. 15 c. ad fin.

35 Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 3, a. 2, ad 1 m.

36 Commentaire du Livre II de La Métaphysique, ch. 1, § 277; Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 6, § 605; Commentaire des Sentences, Livre II, d. 24, q. 2, a. 3 sol.; et passim.

37 Somme contre les Gentils, 2, c. 83, § 31.

38 Voir les deux dernières pages du premier chapitre.

39 Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 6, § 605.

40 Commentaire du Livre II de La Métaphysique, ch. 1, § 277; Commentaire des Sentences, Livre II, d. 24, q. 2, a. 3; Somme théologique, I-II, q. 66, a. 5, ad 4 m.

41 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8, ad 1 m (1ae ser.).

42 Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 2, § 553.

43 La version originale de ce paragraphe se trouve dans la revue Theological Studies, 8, 1947.

44 Commentaire du Livre VI de La Métaphysique, ch. 4, § 1232-1236; Somme théologique, I, q. 16, a. 2 c.

45 « nomen mentis a mensurando est sumptum ». Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 1 c.

46 « Iudicium autem de unoquoque habetur secundum id quod est mensura illius ». Ibidem, a. 9 c.

47 « nomen mentis… dicitur in anima, sicut et nomen intellectus. Solum enim intellectus accipit cognitionem de rebus quasi mensurando eas ad sua principia ». Ibidem, a. 1 c.

48 Ibidem, q. 14, a. 1 c.

49 Questions disputées sur le mal, q. 6, a. 1, ad 14 m.

50 Questions disputées sur la vérité, q. 14, a. 1 c.

51 Questions disputées sur le mal, q. 6, a. 1, ad 14 m.

52 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 3, a. 1, ad 4 m.

53 Voir le Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 2, a. 2 sol. 3; Questions disputées sur la vérité, q. 14, a. 1; Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 3, a. 1; Somme théologique, II-II, q. 2, a. 1. Au sujet de la vérité comme medium in quo, voir la Somme théologique, I, q. 3, a. 4, ad 2 m.

54 Commentaire du Livre II de La Métaphysique, ch. 1, § 278.

55 Questions disputées sur la vérité, q. 12, a. 1 c.; q. 15, a. 3 c.

56 Somme théologique, I, q. 79, a. 8 c. : « le raisonnement humain procède, par la méthode de recherche ou d’invention, de quelques connaissances intellectuelles simples, les premiers principes ».

57 Ibidem, a. 9 c. : « Dans l’ordre d’invention, nous parvenons par les choses temporelles à la connaissance des éternelles. Comme dit S. Paul (Rm 1, 20) : " Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres. Mais dans l’ordre du jugement, nous jugeons des choses temporelles d’après les vérités éternelles déjà connues, et nous les ordonnons d’après elles’’ ».

58 Ibidem, a. 8 c. : « le raisonnement humain … par la voie du jugement … retourne de nouveau vers ces premiers principes, à la lumière desquels il vérifie les résultats de sa découverte ». Ibidem, a. 12 c. : « le raisonnement humain, étant une sorte de mouvement, procède de la simple appréhension de quelques termes, à savoir de termes naturellement connus sans recherche rationnelle, comme d’un principe immobile ; et qu’il s’achève également dans un acte simple de l’intellect, lorsque nous jugeons, à l’aide de principes naturellement connus, les conclusions trouvées en raisonnant ». Voir ci-dessus, note 28.

59 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 9, q. 1, a. 8, ad 1 m.

60 Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 2, a. 2 sol. 1.

61 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 7, q. 1, a. 1 sol.

62 Questions disputées sur la vérité, q. 22, a. 6, ad 4 m; q. 24, a. 1, ad 18 m.

63 Ibidem, q. 1, a. 12 c.

64 Somme théologique, I, q. 84, a. 8, ad 2 m.

65 Questions disputées sur la vérité, q. 12, a. 3, ad 2 m.

66 Somme théologique, I, q. 84, a. 8, ad 2 m.

67 Ibidem, « En sens contraire ».

68 Commentaire du Traité de l’âme, III, leçon 11, § 749-751; Commentaire du Livre IX de La Métaphysique, ch. 11, § 1899-1900.

69 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 19, q. 5, a. 3; Somme théologique, I, q. 16, a. 7.

70 Somme contre les Gentils, 2, c. 96, ad fin.

71 Somme théologique, I, q. 84, a. 7, ad 3 m.

72 Cette discussion tient au problème posé par le scepticisme : comment savons-nous que nous ne sommes pas en train de dormir? Voir Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 14, § 698; ch. 15, § 708-709. Elle se prolonge dans un questionnement théologique : comment pouvons-nous prêter foi à un jugement prophétique formulé au cours d’une transe extatique? Voir la Somme théologique, II-II, q. 173, a. 3 c. et ad 3 m; q. 172, a. 1, ad 2 m; Questions disputées sur la vérité, q. 12, a. 3, ad 2 m.

73 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 6, a. 2 c.

74 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 5 c. ad fin.

75 Voir J, Peghaire, Intellectus et Ratio, p. 269-272.

76 Ibidem, p. 261-272. Voir la note 28 ci-dessus.

77 Questions disputées sur la vérité, q. 3, a. 2 c.; Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1 c.; q. 9, a. 5 c.; Questions quodlibétiques, 5, a. 9 c.; Commentaire de l’Évangile de saint Jean, c. 1, leçon 1.

78 Voir la section 5 du premier chapitre.

79 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 3, a. 1, ad 4 m.

80 Somme théologique, I, q. 1, a. 6 c. : « il appartient au sage d’intimer l’ordre et de juger ». Voir Ibidem, q. 79, a. 10, ad 3 m; II-II, q. 45, a. 1 c.; a. 2 et 5.

81 Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 5, § 593. Il faut se souvenir que la philosophie première est véritablement la sagesse (Commentaire du Livre I de La Métaphysique, ch. 3, § 56.)

82 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 19, a. 1, ad 7 m.

83 Ce qui suit se fonde principalement sur le Commentaire de l’Éthique à Nicomaque, 6, leçon 5.

84 Ibidem. Voir également la Somme théologique, I-II, q. 66, a. 5, ad 4 m.

85 Somme théologique, I-II, q. 57, a. 2, ad 2 m.

86 « virtus quaedam omnium scientiarum ». Commentaire de l’Éthique à Nicomaque, Livre 6, leçon 5.

87 Commentaire du Livre I de La Métaphysique, ch. 3, § 56.

88 Ibidem, ch. 1.

89 Ibidem, ch. 2.

90 Ibidem, ch. 3.

91 Ibidem, ch. 4, § 70.

92 Commentaire du Livre VII et Commentaire du Livre VIII de La Métaphysique.

93 Commentaire du Livre IX de La Métaphysique.

94 Commentaire du Livre X de La Métaphysique.

95 Commentaire du Livre XII de La Métaphysique.

96 Commentaire du Livre II de La Métaphysique, ch. 1, § 275.

97 Ibidem, § 276.

98 Ibidem, § 277.

99 Ibidem, § 285.

100 Aristote, Métaphysique, XIII, 4, 1078b 25-28.

101 Commentaire du Livre II de La Métaphysique, ch. 2, § 298.

102 Ibidem, § 292-298.

103 Ibidem, ch. 3 et 4.

104 Ibidem, ch. 2, § 292-298.

105 Ibidem, ch. 5.

106 Commentaire du Livre III de La Métaphysique, ch. 1-15.

107 Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 5, § 593.

108 Ibidem, ch. 1-4.

109 Ibidem, ch. 5, § 595.

110 Ibidem, ch. 5-10, 16, 17.

111 Ibidem, ch. 11-15.

112 Commentaire du Livre V de La Métaphysique, ch. 1-22.

113 « veritas et cognitio principiorum indemonstrabilium dependet ex ratione terminorum… Cognoscere autem rationem entis et non entis, et totius et partis, et aliorum quae consequuntur ad ens, ex quibus sicut ex terminis constituuntur principia indemonstrabilia, pertinet ad sapientiam ». Somme théologique, I-II, q. 66, a. 5, ad 4 m.

114 Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, ch. 6, § 606. : « nous avons établi comme le principe le plus assuré de tous les principes, que jamais les deux assertions opposées ne peuvent être vraies à la fois ; et nous avons fait voir, d’une part, les conséquences où l’on est entraîné quand on prétend qu’elles sont vraies toutes deux, et, d’autre part, les motifs de cette erreur. Or, du moment qu’il est impossible que les deux assertions opposées soient vraies de la même chose en même temps, il est clair également que les contraires ne peuvent pas coexister davantage dans une même chose ; car, entre les contraires, l’un n’exprime pas moins que l’autre la privation ».

115 « sensibile in actu est sensus in actu, et intelligibile in actu est intellectus in actu. Ex hoc enim aliquid in actu sentimus vel intelligimus, quod intellectus noster vel sensus informatur in actu per speciem sensibilis vel intelligibilis. Et secundum hoc tantum sensus vel intellectus aliud est a sensibili vel intelligibili, quia utrumque est in potentia ». Somme théologique, I, q. 14, a. 2 c.

116 Par conséquent, au théorème aristotélicien de la connaissance par immatérialité Thomas d’Aquin a dû ajouter un théorème de la connaissance par intentionnalité. La différence entre ces deux théorèmes se manifeste clairement dans le cas d’un ange immatériel qui connaît un autre ange immatériel sans que la connaissance de l’un soit la réalité de l’autre. Somme théologique, I, q. 56, a. 2, ad 3 m.

117 Platon, Le Sophiste, 248e.

118 Aristote, De l’âme, III, 4, 430a 3-4. Voir la Somme théologique, I, q. 87, a. 1, ad 3 m.

119 « Et hoc quidem oportet verum esse secundum sententiam Aristotelis, qui ponit quod intelligere contingit per hoc quod intellectum in actu sit unum cum intellectu in actu… Secundum autem positionem Platonis, intelligere fit per contactum intellectus ad rem intelligibilem… » Somme contre les Gentils, 2, c. 98, ad fin.

120 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 35, q. 1, a. 2, ad 1 m.; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 3, ad 1 m; Somme contre les Gentils, 1, c. 51, « Adhuc »; Somme théologique, I, q. 14, a. 5, ad 2 m.

121 Questions disputées sur la vérité, q. 3, a. 2; Somme contre les Gentils, 1, c. 53; Somme théologique, I, q. 15, a. 2c.

122 « ipsum enim lumen intellectuale quod est in nobis, nihil est aliud quam quaedam participata similitudo luminis increati ». Somme théologique, I, q. 84, a. 5 c.

123 Somme contre les Gentils, 4, c. 11.

124 Ibidem.

125 « secundum hoc cognoscit veritatem intellectus quod supra se ipsum reflectitur". Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 9 c.

126 Ibidem.

127 Voir la Somme théologique, I, q. 16, a. 2, ou le Commentaire du Livre VI de La Métaphysique, ch. 4, § 1236.

128 Commentaire du traité De l’âme, Livre II, leçon 6, § 304-308.

129 Commentaire du traité De l’âme, Livre III, leçon 9, § 726.

130 Commentaire du traité De l’âme, Livre II, leçon 6, § 308.

131 Commentaire du traité De l’âme, Livre III, leçon 9, § 725.

132 Ibidem, leçon 8, § 704.

133 Ibidem, leçon 9, § 724.

134 Ibidem, leçon 8, § 713.

135 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 3, q. 4, a. 5 sol.; Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 1, a. 2, ad 3 m; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8 c.; Somme contre les Gentils, 2, c. 75, § 13; Ibidem, 3, c. 46; Somme théologique, I, q. 87, a. 1-4; et au sujet de la connaissance que les démons ont de nous, Questions disputées sur le mal, q. 16, a. 8, ad 7 m.

136 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8 c.

137 Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 1, a. 2, ad 3 m.

138 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8.

139 Questions disputes sur le mal, q. 16, a. 8, ad 7 m.

140 Aristote, Éthique à Nicomaque, IX, 9, 1170a 29-34.

141 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8.

142 Questions disputées sur les créatures spirituelles, a. 10, ad 15 m; Commentaire du traité De l’âme, I, leçon 10, § 152; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6, ad 3 m; Somme théologique, I, q. 75, a. 2, ad 2 m.

143 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8; voir la Somme théologique, I, q. 87, a. 1.

144 Commentaire au traité de l’âme, Livre III, leçon 7, § 690 : « Manifestum est enim quod hic homo intelligit. Si enim hoc negetur, tunc dicens hanc opinionem non intelligit aliquid, et ideo non est audiendus; si autem intelligit, oportet quod aliquo formaliter intelligat. Hic autem est intellectus possibilis, de quo Philosophus dicit : ‘Dico autem intellectum quo intelligit et opinatur anima’ » [« Il est manifeste, en effet, que chaque homme pense. Si en effet on le nie, alors celui qui tient cette opinion ne pense lui-même rien et on n’a pas à l’écouter. Mais si chaque homme pense, il faut bien qu’il le fasse avec quelque chose, à parler formellement. C’est cela l’intellect possible dont le Philosophe dit : ‘J’appelle intelligence ce avec quoi l’âme forme des conceptions et juge’. »]. Voir Commentaire des Sentences, Livre II, d. 17, q. 2, a. 1; L’unité de l’intellect, § 71-79; Articles disputés de l’âme, a. 2; Questions disputées sur les créatures spirituelles, a. 2; Résumé de la foi catholique, c. 85; Somme théologique, I, q. 76, a. 1 c.

145 Somme contre les Gentils, 2, c. 76, § 17; Questions disputées sur les créatures spirituelles, a. 10 c.; Articles disputés de l’âme, a. 5 c.; Somme théologique, I, q. 79, a. 4 c. ad fin.

146 « secundum Aristotelis sententiam quam magis experimur », et « secundum modum cognitionis nobis expertum ». Somme théologique, I. q. 88, a. 1 c.

147 « anima humana intelligit seipsam per suum intelligere, quod est actus proprius eius, perfecte demonstrans virtutem eius et naturam ». Ibidem, a. 2, ad 3 m. Il faut noter que l’intelligere est le proprius actus non seulement de l’âme humaine, mais également des substances séparées (Somme contre les Gentils, 2, c. 97). Notons également l’affirmation répétée que Dieu est ipsum intelligere.

148 « Unde et supra Philosophus per ipsum intelligere et per illud quod intelligitur, scrutatus est naturam intellectus possibilis ». Commentaire au traité de l’âme, Livre III, leçon 9, § 724.

149 « Unde nihil prohibet ipsi lumini animae nostrae attribuere actionem intellectus agentis; et praecipue cum Aristoteles intellectum agentem comparet lumini ». Somme contre les Gentils, 2, c. 77, ad fin.

150 Questions quodlibétiques, 10, a. 7, ad 2 m.

151 « in ratione medii cognoscendi ». Commentaire des Sentences, Livre I, d. 3, q. 4, a. 5 sol.

152 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 1, a. 3, ad 1 m.

153 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8, ad 10 m (2ae ser.).

154 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 3, a. 1, ad 4 m.

155 Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 2, a. 1, ad 4 m; voir la Somme contre les Gentils, 3, c. 46, « Amplius ».

156 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 6 c. ad fin. : « … in lumine intellectus agentis nobis est quodammodo omnis scientia originaliter indita… ». « … dans la lumière de l’intellect agent, toute science nous est donnée en quelque sorte originairement ».

157 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 1, a. 3, ad 1 m.

158 Questions disputées sur la vérité, q. 11, a. 1, ad 13 m.

159 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 1, a. 3 c. : « ,… lux naturalis, per quam constituitur vis intellectiva ». « … la lumière naturelle qui constitue la vie intellectuelle ».

160 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 3, q. 1, a. 2 sol.

161 Somme théologique, I-II, q. 3, a. 8 c.

162 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 6 c., ad fin.

163 « la matière sur laquelle agit cette cause ». Somme théologique, I, q. 84, a. 6 c. ad fin.

164 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 20, q. 2, a. 2, ad 2 m. On pourrait poser que les données des sens ne sont pas illuminées par l’intellect agent comme les données pures du positiviste, alors que les données des sens illuminées constituent une connaissance partielle de la réalité conçue de manière hylomorphique. Le positiviste tient toute connaissance autre que celle des données des sens pour purement subjective; l’aristotélicien considère la connaissance intellectuelle comme aussi objective que la connaissance sensible; et l’illumination du phantasme est la supposition qu’il y a une intelligibilité à connaître.

165 Articles disputés de l’âme, a. 5 c. Il semble que cette influence de l’intellect agent sur le phantasme est médiatisée par la puissance sensible appelée cogitativa. Voir la Somme théologique, I, q. 78, a. 4, ob. 5 et ad 5 m.

166 Articles disputés de l’âme, a. 15, ad 9 m.

167 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 3, q. 5, a. 1 ad 1 m; Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. 1, a. 1 sol. 3; Questions quodlibétiques, 7, a. 1; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 6; q. 18, a. 8, ad 3 m.

168 Commentaire au Traité de l’âme, Livre III, leçon 10, § 739; Questions disputées sur le mal, q. 16, a. 12, ad 1 m et ad 2 m.

169 Commentaire au traité De l’âme, Livre III, leçon 10, § 737-739; Somme contre les Gentils, 2, c. 77; Somme théologique, I, q. 79, a. 4, ad 4 m; Questions disputées sur les créatures spirituelles, a. 10, ad 4 m; Articles disputés de l’âme, a. 5 c.

170 Questions disputes sur le mal, q. 16, a. 12 c.

171 Commentaire du traité De l’âme, Livre III, leçon 10, § 728.

172 Ibidem, § 729; voir Commentaire des Sentences, Livre II, d. 17, q. 2, a. 1 sol.; Traité De l’âme, a. 5 c.

173 Commentaire du traité De l’âme, Livre III, leçon 10, § 730-731.

174 Ibidem, § 732-733. Voir le Commentaire des Sentences, Livre II, d. 3, q. 3, a. 4, ad 4 m; Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. 1, a. 1, sol. 2, ad 2 m; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 8, ad 11 m (2ae ser.); Somme théologique, I, q. 54, a. 1, ad 1 m.

175 Commentaire du traité De l’âme, Livre III, leçon 10, § 734-739.

176 Commentaire des Sentences, Livre IV, d. 49, q. 2, a. 7, ad 9 m; Questions quodlibétiques, 10, a. 7 c.; Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 1, a. 3, ad 1 m; Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 4, ad 5 m; q. 10, a. 8 c., ad fin; q. 11, a. 1 c. ad fin; Somme théologique, I, q. 12, a. 11, ad 3 m; q. 16, a. 6, ad 1 m; q. 84, a. 5; q. 88, a. 3, ad 1 m; Questions disputées sur les créatures spirituelles, a. 10 c. et ad 8 m.

177 Somme théologique, II-II, q. 171, a. 3 c.; voir I-II, q. 109, a. 1 c.

178 Ibidem, I-II, q. 109, a. 1 c. init.

179 Ibidem, II-II, a. 2 c.

180 Questions disputées sur la vérité, q. 12, a. 7 c.

181 Ibidem, a. 12 c.

182 Somme théologique, I, q. 84, a. 6, ad 1 m : « Requiritur enim lumen intellectus agentis per quod immutabiliter veritatem in rebus mutabilibus cognoscamus, et discernamus ipsas res a similitudinibus rerum ». « La lumière de l’intellect agent est requise, par laquelle nous connaissons sous un mode immuable les choses changeantes, et nous discernons les réalités de leurs images ».

183 Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 9 c.

184 Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, a. 1 sol. 2; Somme contre les Gentils, 2, c. 98; Somme théologique, I, q. 79, a. 2 c.

185 Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 2, ad 4 m; Somme théologique, I, q. 79, a. 7 c.

186 Questions disputées sur la vérité, q. 11, a. 1, ad 3 m.

187 Somme contre les Gentils, 2, c. 83, § 31.

188 Somme contre les Gentils, 2, c. 98.

189 Commentaire du traité De l’âme, leçon 13, § 790.

190 Somme contre les Gentils, 2, c. 98.

191 Commentaire du traité De l’âme, Livre III, leçon 13, § 790.

192 Somme théologique, I-II, q. 66, a. 5, ad 4 m.

193 L’être et l’essence, c. 1. « Le terme de quiddité quant à lui est tiré du fait que l’essence est ce qui est signifié par la définition. Mais elle est appelée essence en tant que l’étant possède l’être en elle et par elle ».

194 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 19, q. 5, a. 1, ad 7 m : « tout comme encore l’être de la quiddité est un certain être de raison, et c’est d’après cet être qu’on dit de la vérité qu’elle est dans la première opération de l’intelligence : et c’est aussi suivant cette modalité qu’on dit de la définition qu’elle est vraie ».

195 De là, Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 9 c.

196 Somme théologique, I-II, q. 3, a. 8 c.

197 Questions sur le Livre de la Trinité de Boèce, q. 3, a. 1, ad 4 m.

198 Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 9 c.

199 Commentaire du Livre IV de La Métaphysique, leçon 5, § 595.

200 Somme contre les Gentils, 4, c. 11.

201 La difficulté que présente cette expression tient au fait que la sapientia est identique à l’essence divine, et que l’essence divine n’est ni génératrice ni générée. Voir Commentaire des Sentences, Livre I, d. 5, q. 1, a. 2 sol; d. 32, q. 2, a. 1-2; Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2, ad 2 m; a. 4, ad 3 m; a. 5c med.; Somme contre les Gentils, 4, c. 12; Commentaire de la 1 Épitre aux Corinthiens, leçon 3 ad fin,; Somme théologique, I, q. 34, a. 1, ad 2 m et ad 4 m.

202 Questions disputes sur la vérité, q. 10, a. 8 c.

203 Ibidem.

204 Somme théologique, I, q. 1, a. 6 c. et ad 2 m; voir a. 8 c.

205 « non solum discens, sed et patiens divina ». Commentaire du Livre III des Sentences, d. 15, q. 2, a. 1, qc. 2; d. 35, q. 2, a. 1; Questions disputées sur la vérité, q. 26, a. 3, ad 18 m; Commentaire sur Le Noms divins de Denys, c. 2, leçon 4, § 191; Somme théologique, II-II, q. 45, a. 2 c.

206 Commentaire du Livre I des Sentences, d. 3, q. 4, a. 5 sol.

207 Somme théologique, I, q. 93, a. 7, a. 7, ad 4 m.

208 « Alio tamen modo secundum Philosophos intelligitur quod anima semper se intelligit ». Commentaire du Livre I des Sentences, d. 3, q. 4, a. 5 sol.

209 Ibidem, a. 4 sol.

210 Par exemple, Augustin-François Poulain, Des grâces d’oraison: Traité de théologie mystique, 11e edition, Paris, Beauchesne, 1931, chapitres 5 et 6.

211 Questions disputées sur la verité, q. 10, a. 7, ad 2 m.

212 Ibidem.

213 Ibidem, a. 3 c.

214 Ibidem, a. 2, ob. 5 et ad 5 m.

215 Commentaire du psaume 33, v. 9. Voir F. D. Joret, La contemplation mystique d’après saint Thomas d’Aquin, édition révisée, Desclée de Brouwer, Lille-Bruges, 1927, p. 112-113 et 122.

216 Somme théologique, I, q. 93, a. 8, ad 3 m.

 

 

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