Les oeuvres de Bernard Lonergan
La notion de verbe : définition et compréhension

 

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La notion de verbe :
définition et compréhension

Voilà près de dix ans déjà que M. T.-L. Penido a publié son article « Gloses sur la procession d’amour dans la Trinité[1] ». Les lecteurs se souviendront peut-être que ce texte abordait les aspects spéculatifs de la deuxième procession divine, explorait les efforts déployés par un très grand nombre de théologiens pour parvenir à un énoncé cohérent, pour conclure finalement que ces tentatives avaient échoué. Penido classait d’emblée les théologiens en deux catégories : ceux qui ne prétendaient pas pouvoir cerner la question, et ceux qui s’étaient lancés dans une telle entreprise, mais sans parvenir à offrir de résultats convaincants. Le jugement est accablant.

Mais ce que je veux aborder ici maintenant, c’est une question qui apparaît bien différente de celle-là. Dans son propos sur la procession intellectuelle, L. Billot commente : « Et simile omnino est in imaginatione » [Et il en est tout à fait de même dans l’imagination][2]. Si nous nous en remettons aux suppositions de l’auteur, cette remarque est tout à fait juste; car la procession intellectuelle est conçue non pas comme une particularité de l’intellect, mais comme un conséquent nécessaire de l’analyse métaphysique d’un acte cognitif portant sur un objet qui peut être absent; puisque ces conditions sont remplies non seulement dans la conception mais aussi dans l’imagination, le parallèle est pleinement justifié. Mais si l’on se tourne vers les écrits de Thomas d’Aquin, il devient très difficile de voir se profiler le moindrement un tel parallèle; en fait, ces écrits nous forceront à nier carrément l’existence de ce parallèle. Car Thomas d’Aquin établit une distinction entre l’image et le vestige de la Sainte-Trinité; et l’image, il ne l’a trouvée que chez les créatures rationnelles et, de fait, seulement dans les esprits de ces créatures[3].

En outre, comme le montre nettement l’échelle des capacités croissantes de réflexion manifestées dans la Somme contre les Gentils[4], l’analyse métaphysique générale des actes cognitifs n’est pas immédiatement pertinente pour la théorie trinitaire de Thomas d’Aquin; le propos de ce passage tient qu’aucune puissance sensible ne réfléchit sur elle-même; que l’intellect humain réfléchit sur lui-même, mais que l’être humain ne se connaît pas lui-même par son essence; que l’intellect angélique est réflexif, que l’ange se connaît par son essence mais que pourtant l’intentio intellecta n’est pas l’essence; qu’en Dieu seul il y a une réflexion parfaite, où le principe et le terme, l’essence et l’intentio intellecta sont identiques. Manifestement, il ne s’agit pas là d’une procession du Verbe où l’imagination fournit un point de départ aussi bon que l’intellect; il s’agit d’une théorie qui extrapole uniquement à partir de la nature de la conscience rationnelle.

Revenons maintenant à l’affirmation de Penido, mais simplement pour soulever une question. Par définition, la volonté est un appétit rationnel. Ne se pourrait-il pas que la procession selon la volonté ne puisse être saisie qu’en fonction d’une analyse de la rationalité et de la conscience rationnelle? Ne se pourrait-il pas que Penido ait jugé les propos de nombreux théologiens insatisfaisants sur ce point pour les raisons mêmes qui nous ont amené à discerner une différence entre Billot et Thomas d’Aquin sur la procession intellectuelle, c’est-à-dire l’occultation de ce qui est propre aux créatures rationnelles? J’estime que ces questions sont importantes. C’est pour les analyser que j’ai entrepris la présente recherche sur la notion de verbedans les écrits de Thomas d’Aquin.

1. La notion générale de « parole intérieure »

L’étymologie et l’usage biblique favorisent l’emploi de « parole intérieure » ou simplement « parole » pour rendre les termes synonymes qu’utilise Thomas d’Aquin : verbum interius, verbum cordis, verbum mentis, et, plus communément, simplement verbum. La seule complication qui se présente concerne la division des mots en mots simples et composés. Il est bizarre, en fait, de parler d’un mot composé pour signifier une phrase ou un jugement; or un tel discours est rare; et les inconvénients de son étrangeté seront compensés, je crois, par l’avantage de disposer d’un mot (parole) au centre de notre propos.

Le premier élément de la notion générale de parole intérieure tient à une mise en contraste avec les paroles extérieures – énoncées de vive voix, écrites, imaginées ou signifiées. Les paroles énoncées de vive voix sont des sons possédant une signification : en tant que sons, elles proviennent du tract respiratoire; en tant que possédant une signification, elles tiennent de l’imagination, selon Aristote, ou de l’âme, comme Thomas d’Aquin semblait préférer le dire; c’est la signification qui différencie les paroles énoncées de vive voix des autres sons, notamment la toux, produite également dans le tract respiratoire[5]. Les paroles écrites sont simplement des signes des paroles énoncées de vive voix[6]; les idéogrammes chinois en offrent un exemple tout à fait simple. Une simplicité semblable caractérise de manière rafraichissante le propos sur l’imaginatio vocis[7] : une expression qui semble embrasser toute la masse mnémonique et le mécanisme sensoriel des images motrices, auditives et visuelles associées au langage. Enfin, la parole extérieure qui est une chose ou une action externe signifiée par un mot est ici écartée comme une simple figure de discours[8].

Entre la parole intérieure et la parole extérieure se tisse une double relation : la parole intérieure est cause efficiente de la parole extérieure; la parole intérieure est ce qui est signifié immédiatement par la parole extérieure. Le volet de la causalité efficiente semble être le seul pris en compte dans le commentaire sur les Sentences : la parole intérieure est comparée à la prémisse majeure d’un syllogisme; la parole imaginée, à la prémisse mineure, et la parole énoncée de vive voix, à la conclusion[9]. Les ouvrages ultérieurs n’occultent pas ce volet[10], mais je peux affirmer je pense que par la suite l’accent est mis entièrement sur la seconde des deux relations susmentionnées. Thomas d’Aquin répète constamment que la parole intérieure est ce qui peut être signifié (significabile) ou ce qui est signifié (significatum) par des paroles extérieures, ou, à l’inverse, que la parole extérieure est ce qui peut signifier (significativum) ou ce qui signifie (significans) la parole intérieure[11].

Ce propos ne fait aucun doute, même si, franchement, il est tout à fait l’opposé de ce qu’on pourrait attendre. L’on est porté à concevoir la parole intérieure, non pas comme ce qui est signifié par la parole extérieure, mais comme ce qui signifie la parole extérieure; à poser que la parole extérieure tient sa signification de la parole intérieure; et à soutenir en conséquence que la parole intérieure possède une signification par essence, alors que la parole extérieure possède une signification par participation. Cela est tout à fait vrai, et Thomas d’Aquin le savait[12]. Mais il s’interrogeait souvent sur ce que signifiaient les paroles extérieures et répondait qu’en premier lieu elles signifiaient les paroles intérieures. Il était facile d’étayer cette affirmation. Nous discourons sur « l’être humain », ou sur « le triangle ». De quoi parlons-nous? Certes, nous ne parlons pas directement de choses réelles, sinon nous serions tous platoniciens. Nous parlons directement d’objets de pensée, de paroles intérieures, et indirectement seulement de choses réelles, dans la mesure où nos paroles intérieures ont une référence objective[13]. Nous pourrions établir le même raisonnement d’une autre façon. Quoi qu’en disent les positivistes logiques, les propositions fausses ne sont pas insignifiantes; elles signifient quelque chose; ce qu’elles signifient, c’est une parole intérieure, et c’est uniquement parce qu’une parole intérieure est fausse que la fausse proposition n’a pas de référence objective[14].

Voilà le premier élément de la notion générale d’une parole intérieure. Il est lié à la thèse antiplatonicienne bien connue sur l’abstraction que le mode du connaître n’a pas nécessairement à être identique au mode de la réalité, que la connaissance peut être abstraite et universelle même si toutes les réalités sont particulières et concrètes. Il est lié également à l’affirmation aristotélicienne connue : « bonum et malum sunt in rebus, sed verum et falsum sunt in mente » (le bien et le mal sont dans les choses, mais le vrai et le faux sont dans l’esprit)[15]. Puisque les paroles extérieures peuvent être abstraites, et vraies ou fausses, puisque les choses réelles ne sont ni abstraites, ni vraies ni fausses, la référence immédiate à leur signification concerne une parole intérieure.

Le deuxième élément à examiner est la nature de la correspondance entre la parole intérieure et la parole extérieure. Les grammairiens distinguent huit, voire dix, parties du discours dans le champ des paroles extérieures; le Peri hermeneias aristotélien ne fait état que des substantifs et des verbes, incluant ces deux catégories sous la même rubrique de l’élément de signification[16]. Thomas d’Aquin, dans son commentaire, nie l’existence d’une correspondance point par point entre la parole intérieure et la parole extérieure, soutenant que la parole intérieure correspond à des réalités et que la parole extérieure est le produit de la convention et de l’usage, et varie donc d’un peuple à l’autre[17]. Cependant, puisque la parole intérieure est dans l’intellect, et puisque l’appréhension du singulier fait appel à l’usage de la puissance sensible[18], il semble que la correspondance des réalités aux paroles intérieures s’apparente, au mieux, à la correspondance entre une fonction et son dérivé; tout comme le dérivé, la parole intérieure se situe en dehors de tous les cas particuliers et renvoie à tous ces cas depuis une sorte de point de vue supérieur.

Un troisième élément de notre effort pour établir la nature de la parole intérieure est intimement lié au précédent. Quelle est la division des paroles intérieures? Quatre œuvres majeures de Thomas d’Aquin et un grand nombre de ses commentateurs gardent le silence sur cette question[19]. Par ailleurs, le silence n’est pas un argument contre une affirmation positive. Quatre autres œuvres d’importance reconnue divisent les paroles intérieures en les deux catégories des définitions et des jugements, trois d’entre elles rappelant le parallèle de la double opération de l’esprit établie par Aristote[20]. En outre, le De veritate soutient qu’il y a une processio operati dans l’intellect, mais non dans la volonté, à partir du fait que « bonum et malum sint in rebus, sed verum et falsum sint in mente »[21] (le bien et le mal sont dans les choses, mais le vrai et le faux sont dans l’esprit). Cela suppose clairement que le jugement est une parole intérieure, car dans le jugement seul il y a vérité ou fausseté. Par ailleurs, même si Thomas d’Aquin renvoie fréquemment à la parole intérieure en la désignant comme conceptio, conceptum, conceptus[22], il ne faut pas donner à ce terme sa connotation exclusive actuelle : Thomas d’Aquin l’emploie pour dénoter les jugements[23]. Enfin, tel qu’établi ci-dessus, les paroles intérieures correspondent primordialement, non pas aux paroles extérieures, mais à la réalité; or la réalité se divise en essence et existence; et, des deux opérations de l’esprit distinguées par Aristote, « prima operatio respicit quidditatem rei; secunda respicit esse ipsius » (la première opération se rapporte à la quiddité de la chose alors que la deuxième se rapporte à son existence)[24]. Il apparaît hors de tout doute qu’une présentation de la parole intérieure thomiste doit être une présentation des jugements tout autant que de la formation des définitions.

Un quatrième élément de la notion générale d’une parole intérieure tient au fait qu’elle fournit un objet de pensée. Ce qui est abstrait, ce qui est vrai ou faux n’est pas, en soi, une chose réelle ou une simple copie d’une chose réelle. C’est un produit de l’esprit. Ce n’est pas simplement un produit, c’est un produit connu; ce produit, étant connu, est un objet. Le parallèle éclairant tient de l’invention technique. Ce que l’inventeur vient à connaître n’est pas quelque réalité déjà existante; c’est simplement l’idée de ce qui sera une réalité si se concrétisent le soutien financier et la demande du marché. En soi, en dehors des considérations économiques pratiques, l’invention que l’inventeur connait n’est qu’une idée. De telles idées sont les produits et les fruits d’un travail de la pensée, d’un excogitare : certains principes généraux sont connus; l’inventeur a pour tâche d’élaborer les applications pratiques, par exemple de concevoir à partir des propriétés de l’uranium la bombe atomique. Une démarche de pensée semblable se déploie dans les plans de tout architecte, dans les ordonnances de chaque médecin, dans le moment de réflexion de tout artisan, de tout mécanicien au moment de se mettre au travail. L’invention exige le recours à l’imagination créatrice; dans les arts pratiques, l’imagination passe par les sentiers battus de la coutume et de la routine; mais dans les deux cas se profile la même forme générale de la démarche intellectuelle, car dans les deux cas certains principes généraux sont connus, dans les deux cas une finalité déterminée est envisagée, dans les deux cas les principes sont appliqués à la réalisation de la fin, et dans les deux cas l’application mène à un plan d’opération qui tient non pas de la connaissance de ce qui est, mais uniquement de la connaissance de l’idée de ce qu’on peut réaliser.

Thomas d’Aquin savait cela. Aristote, dans sa Métaphysique, avait analysé ce travail de réflexion et était parvenu à la conclusion que la fin, qui est première dans l’intention, vient en dernier lieu dans l’exécution, tandis que ce qui est premier dans l’exécution est le dernier élément auquel parvient la démarche de la pensée[25]. Or Thomas d’Aquin était préoccupé par un problème sur lequel Aristote ne s’était pas penché, soit de réconcilier la simplicité de Dieu avec l’infinité des idées connues par Dieu. Pour résoudre ce problème, il a généralisé le théorème aristotélicien concernant les arts pratiques. Ce n’est pas seulement l’ordonnance du médecin, le plan de l’architecte, l’idée de l’inventeur qui est, en premier lieu, un produit et un objet de la pensée. Nous pouvons en dire autant pour chaque définition et chaque jugement. En soi, la définition est abstraite; en soi, le jugement est vrai ou faux; mais il n’y a aucune chose réelle qui soit abstraite; et il n’y a aucune chose réelle qui soit vraie ou fausse au sens pertinent de la vérité et de la fausseté.

Voilà, je crois, un élément clé du concept thomiste de la parole intérieure. Son expression principale doit se trouver, non pas dans les passages portant sur la Trinité, mais dans les écrits sur la pluralité des idées divines. Il serait prématuré d’entreprendre maintenant une étude détaillée de cette question, car elle est associée véritablement à la position thomiste sur la connaissance humaine naturelle d’une parole divine. Par ailleurs, je prie mes lecteurs de consulter les textes de Thomas d’Aquin sur ce sujet. La référence la plus lumineuse est le De veritate (q. 3, a. 2 c). Il aborde la question de manière détaillée dans la Contra Gentiles 1 (c. 46-54), le nœud de l’exposé se situant au ch. 53. Dans la Summa, je dirais que Thomas d’Aquin a traité de ce sujet de manière automatique, comme quelqu’un qui présente une question ayant cessé de constituer un problème réel[26]. Dans les Sentences, par ailleurs, même si les éléments essentiels de la solution sont présents[27], je ne perçois pas la maîtrise et l’efficacité des traitements ultérieurs; sur ce point, les lecteurs pourront examiner les objections de Scot[28], et se demander si le Super I Sententiarum (d. 36, q. 2, a. 2 sol.) y répond vraiment.

Même si la présentation principale de la définition et du jugement comme à la fois produits et objets de la pensée doit se trouver dans le propos sur les idées divines, des affirmations parallèles se présentent dans les passages portant explicitement sur la parole intérieure. L’affirmation la plus catégorique tient à l’insistance déployée dans le De potentia[29] pour poser que la parole intérieure est « primo et per se intellectum ». Or ce point de vue est déjà présent dans le De veritate[30]. D’autre part, la Contra Gentiles, tout en défendant la même position, distingue la « res intellecta » (la chose comprise) de l’« intentio intellecta » (la visée comprise): l’« intentio » est la parole intérieure et la « res », la chose extérieure, et la différence entre la compréhension de l’un et la compréhension de l’autre est la différence entre la logique et la psychologie, d’une part, et la métaphysique, d’autre part[31]. Puisque le terme « intentio » renvoie à la parole intérieure, ainsi, et même plus fréquemment, le terme « ratio » : le blanc et le noir sont à l’extérieur de l’esprit, mais la « ratio albi » ne se trouve que dans l’esprit[32]. Pour boucler la boucle, il suffit de se rappeler que les idées divines, comme principes de production, sont exemplaires, mais que comme principes de connaissance spéculative, leur désignation appropriée est « ratio »[33].

Un cinquième élément de la notion générale d’une parole intérieure tient au fait qu’en elle et par elle l’intellect parvient à la connaissance des choses. Cet énoncé risque de nous entraîner dans un marécage épistémologique, aussi il convient de donner maintenant une brève orientation, qui nous épargnera une confusion sans fin. Posons d’abord un préliminaire utile : les animaux connaissent, non pas de simples phénomènes, mais des choses : les chiens connaissent leur maître, des os, d’autres chiens, et non pas seulement les apparences de ces choses. Cette intégration sensible de données sensorielles se déploie également chez l’animal humain, voire chez le philosophe humain. Si vous en faites une connaissance de la réalité, vous vous retrouvez devant le contraste séculaire entre une sensation solide de la réalité et les catégories exsangues de l’esprit. Si vous entérinez la sensation de la réalité comme critère de la réalité, vous vous situez dans la mouvance matérialiste, sensiste, positiviste, pragmatiste, sentimentaliste, et ainsi de suite. Si vous acceptez que la raison soit un critère mais maintenez que la sensation de la réalité donne sa signification au terme « réel », vous êtes un idéaliste; car, tout comme la sensation de la réalité, la réalité définie par ce terme est non rationnelle. Pour ce que j’en saisis, la position thomiste est la troisième position lucide : la raison est le critère et, en outre, c’est la raison – et non la sensation de la réalité – qui donne sa signification au terme « réel ». Le réel est ce qui est; et « ce qui est » est connu dans l’acte rationnel, le jugement.

Le premier acte de l’intellect est la connaissance du quod quid est, to ti estin, du « Qu’est-ce que c’est? » Par définition, cette connaissance ne comporte ni vérité, ni fausseté[34], car la raison de la vérité ou de la fausseté n’est pas encore posée, puisque jusque-là vous connaissez, non pas la chose, mais uniquement l’idée de la chose, étant donné que vous vous situez encore dans un ordre purement logique[35]. Par conséquent, « la science embrasse une chose de deux manières, l’une primairement et principalement, et ainsi la science embrasse les raisons universelles sur lesquelles elle est fondée; sous le second rapport, elle s’occupe de certaines choses d’une manière secondaire, et comme par une certaine réflexion, et ainsi elle appartient aux choses auxquelles appartiennent ces raisons… Car celui qui soit use de la raison universelle et comme de la chose connue, et comme d’un moyen d’apprendre »[36]. Tant que nous traitons d’idées comme idées, il n’est pas véritablement question de vérité ou de fausseté et le verbe intérieur n’a pas d’utilité comme moyen de connaissance. D’autre part, la deuxième opération de l’intellect – par la nature même de son caractère réflexif[37], du fait même qu’elle soulève la question de la vérité, qui est une conformité entre l’esprit et la chose[38] - introduit la dualité de l’idée et de la chose et fait de la première le moyen dans lequel et par lequel nous appréhendons la dernière. Ainsi, notre connaissance de l’existence de Dieu est simplement notre connaissance de la vérité du jugement « Dieu existe »[39]. Et si cette connaissance diffère sous la plupart des aspects des autres connaissances, elle n’en diffère pas sous l’aspect dont il est question ici. Car tout comme la parole intérieure est le medium entre la signification des paroles extérieures et les réalités signifiées[40], ainsi la parole intérieure est un medium entre l’intellect et les choses qui sont comprises[41].

Un sixième élément de la notion générale d’une parole intérieure tient à sa nécessité pour le déploiement d’un acte appelé intelligere, par lequel il faut entendre, je crois, « compréhension »[42]. Quoad se, cette nécessité est universelle, toujours vraie dans le cas de Dieu, des anges et des humains[43]. Cependant, en ce qui concerne notre connaissance naturelle de Dieu, nous ne pouvons affirmer que cette compréhension fait appel à la procession d’une parole intérieure[44]. Pourquoi? Cela ne s’explique, je crois, que par une saisie exacte de la psychologie de la parole intérieure.

Un septième élément de la notion générale tient au fait que la parole intérieure de l’esprit humain émerge au terme d’un processus de recherche sérieuse[45], que nous ne la comprenons pas encore tant qu’elle n’a pas émergé mais que nous cherchons à comprendre[46], qu’elle émerge simultanément avec l’acte de compréhension[47], qu’elle est distincte de la compréhension[48], qu’elle est un produit et un effet de l’acte de compréhension[49], qu’elle est une expression du contenu cognitif de l’acte de compréhension[50], que plus l’acte de compréhension est parfait, plus il embrasse de paroles intérieures en un même point de vue[51]. Un double problème se présente ici : 1) Est-ce que intelligere signifie compréhension? 2) Qu’est-ce que la compréhension en soi et dans son expression? La présente étude posera que Thomas d’Aquin parlait de la compréhension et qu’une interprétation de ses propos en termes de métaphysique générale se fourvoie; pour suivre Thomas d’Aquin ici, il faut pratiquer la psychologie rationnelle introspective; sans cela, vous ne pouvez pas plus connaître l’image créée de la Sainte Trinité qu’une personne aveugle ne peut voir les couleurs.

2. Définition

Dans la section précédente nous avons abordé le concept thomiste de parole intérieure à la façon omnivore d’un collecteur de données factuelles. Nous avons énuméré, sous sept rubriques, la plupart des aspects pertinents pour notre recherche, et dans les références nous avons fourni aux lecteurs les indications des sources de renseignements plus complets et plus précis[52]. À partir du catalogue a émergé notre thèse, à l’effet que nous devons commencer par saisir la nature de l’acte de compréhension, que, partant, nous en viendrons à saisir la nature des paroles intérieures, leur relation avec le langage et leur rôle dans notre connaissance de la réalité. Or il y a deux types de compréhension : la compréhension directe, parente de la définition, où l’esprit a un déclic, obtient une idée, a envie de crier « Eurêka! » avec Archimède; et la compréhension réflexive, parente du jugement, où l’on voit que l’on ne peut s’empêcher de juger qu’une chose est telle que la compréhension l’a saisie. Nous nous pencherons d’abord sur le premier type; notre deuxième chapitre portera sur le deuxième type; le troisième chapitre déploiera une analyse métaphysique de l’intellect; le quatrième sera consacré aux questions à la fois métaphysiques et psychologiques; le cinquième, à la théorie trinitaire thomiste. Voilà notre plan.

S’attachant à cerner les bulles complaisantes d’ignorance inconsciente, Socrate interroge constamment les gens sur la nature des choses. Qu’est-ce que la vertu? Qu’est-ce que la modération? Le courage? La justice? Qu’est-ce que la science? Platon met en scène dans ses dialogues un Socrate qui a toujours la « question à soixante-quatre dollars ». Mais en fait c’est Aristote qui capitalise sur cet exercice. Car Aristote semble-t-il a compris que l’attrape réelle se trouve dans la forme de la question. Il peut être difficile de définir telle ou telle vertu; mais le problème effectif tient à la difficulté de préciser ce que l’on veut trouver lorsqu’on pose, même à propos des choses les plus familières, la question : « Qu’est-ce que c’est? » Le deuxième livre des Seconds Analytiques cherche donc d’entrée de jeu à établir la signification de ce type de question. Toute question, dit le texte – et donc toute réponse et tout élément de connaissance – s’inscrit sous l’une des quatre rubriques suivantes : l’on cherche à établir 1) s’il y a un X, 2) ce qu’est un X, 3) si X est Y, ou 4) pourquoi X est Y. Une lecture superficielle jumellera les deux premières questions, puis les deux dernières; or le parallèle significatif se profile entre la première et la troisième, et entre la deuxième et la quatrième. La première et la troisième, aux yeux des modernes, sont des questions empiriques : elles visent à établir des faits; leur réponse peut faire appel à l’observation et à l’expérimentation. Or la quatrième question n’est pas empirique : elle vise à trouver une cause ou une raison; et, du moins dans certains cas, la deuxième question est identique à la quatrième, et donc n’est pas empirique non plus, puisqu’elle vise aussi la découverte d’une cause ou d’une raison. Ainsi, « Pourquoi la lumière réfracte-t-elle? » et « Qu’est-ce que la réfraction? » constituent, non pas deux, mais une seule et même question. Ou, pour reprendre l’exemple classique d’Aristote, « Qu’est-ce qu’une éclipse de la lune? » et « Pourquoi la lune s’obscurcit-elle ainsi? » constituent, non pas deux, mais une seule et même question. Si vous dites que la terre s’interpose entre le soleil et la lune, cachant la lumière que la dernière reçoit du premier, vous exprimez votre connaissance de la raison pour laquelle la lune s’obscurcit et de la nature d’une éclipse. La deuxième et la quatrième questions concernent donc les causes, or une cause fournit le terme intermédiaire du syllogisme scientifique; et si la cause existe, son conséquent existe nécessairement. Les quatre questions concernent donc le terme intermédiaire des syllogismes scientifiques. La première et la troisième cherchent à déterminer s’il y a un terme intermédiaire pertinent; la deuxième et la quatrième, ce qu’est ce terme intermédiaire[53].

Or cette réponse ne fait que soulever une autre question. À supposer que nous sachions ce que signifie « Qu’est-ce que X? », lorsque cette question peut être reformulée en une question équivalente, « Pourquoi V est-il X? », on peut se demander, tout à fait légitimement, s’il y a toujours un V. Il est assez simple de remplacer « Qu’est-ce que la réfraction? » par « Pourquoi la lumière réfracte-t-elle? ». Mais dites-moi, je vous en prie, par quoi je dois remplacer « Qu’est-ce qu’un être humain? » ou « Qu’est-ce qu’une maison? ». Une bonne question exige une réponse indirecte, et Aristote considérait cette question assez bonne pour tenter une réponse, non pas dans les Seconds Analytiques, mais dans la Métaphysique.

Revenons à Socrate. Dans le Ménon, il établit la preuve d’une réminiscence des idées en faisant venir un esclave qu’il interroge à propos d’un diagramme. Aristote est impressionné, moins par la prétendue réminiscence que par les questions, et surtout par le diagramme. Du moins il fait de la saisie de l’intelligible une question d’insight dans le sensible ou l’imaginé[54]. Dans les Seconds Analytiques il fait remarquer que, si un homme se trouvait sur la lune pendant une éclipse, il n’aurait pas à poser la première question – à s’avoir s’il y a une éclipse – car le fait serait évident; en outre, il n’aurait pas à poser la deuxième question – ce qu’est une éclipse – car cela aussi serait évident; il verrait la terre s’interposer entre le soleil et lui, et saisirait du coup la cause et l’universel[55]. La saisie de la cause fait appel, non pas à la vision oculaire, mais à un insight dans les données sensibles. La saisie de l’universel est la production d’une parole intérieure qui exprime cet insight. Et, comme l’explique Thomas d’Aquin, si quelqu’un parvenait à l’universel après avoir fait la connaissance des données aussi brièvement, cette saisie de l’universel reviendrait à conjecturer que les éclipses de la lune se produisent toujours de la même façon[56]. Un raisonnement semblable est présenté dans la Métaphysique, dans le passage qui est la source de la formule répétée plusieurs fois par Thomas d’Aquin : « unumquodque cognoscitur secundum quod est actu » (Tout être est connaissable pour autant qu’il existe en acte). Aristote fonde son raisonnement sur l’exemple des problèmes géométriques; ces problèmes sont difficiles lorsque la construction est en puissance seulement; mais si vous dessinez la construction, vous résolvez le problème presque par inspection. Regardez un triangle aussi longtemps que vous voudrez, vous ne serez pas plus près de voir que ses trois angles doivent être égaux à deux angles droits. Mais si vous tracez, en passant par le sommet, une ligne parallèle à la base, l’égalité des nouveaux angles dessinés met fin à l’interrogation[57]. L’acte de compréhension marque un saut en avant lorsque les données sensibles se trouvent dans une constellation appropriée.

Nous pouvons maintenant revenir à notre problème principal – comment transformer les questions du deuxième type en des questions du quatrième type dans des cas extrêmes et simples comme « Qu’est-ce qu’un être humain? », « Qu’est-ce qu’une maison? » L’indice tient au fait de l’insight dans les données sensibles. Car un insight, un acte de compréhension, est affaire de connaissance d’une cause[58]. Il est à supposer que, dans les cas extrêmes et simples, l’insight est la connaissance d’une cause qui se situe entre les données sensibles et le concept que l’on cherche à définir. Même si les prédécesseurs d’Aristote en savaient peu sur une telle cause – car la cause en question est la cause formelle[59] - Aristote lui-même en a fait un facteur clé de son système; et c’est à la cause formelle qu’il fait appel quand, dans la Métaphysique, il cherche à établir la signification de questions telles que « Qu’est-ce qu’un être humain? », « Qu’est-ce qu’une maison[60]? » La signification est : Pourquoi ce type de corps est-il un être humain? Pourquoi les pierres et les briques, agencées d’une certaine façon, forment-elles une maison? Qu’est-ce qui fait que la matière, perçue d’une manière sensible, est une chose? Pour les scolastiques, les réponses à ces questions vont de soi. Ce qui fait de ce type de corps un être humain est une âme humaine. Ce qui fait de ces pierres et ces briques une maison est une forme artificielle. Ce qui fait que la matière, en général, soit une chose est la causa essendi, la cause formelle[61]. La formulation aristotélicienne de la compréhension est le syllogisme scientifique (syllogismus faciens scire) où le terme médian est la cause réelle de la présence du prédicat dans le sujet. Mais la genèse des termes déployés dans les syllogismes scientifiques suit le même modèle : les sens fournissent le sujet, l’insight dans les données sensibles, le terme médian, et la conceptualisation, le prédicat, qui est le terme dont on cherchait la genèse.

Une dernière remarque s’impose. La signification essentielle des questions du deuxième type a été déterminée par la transposition de ces questions en des questions du quatrième type. « Qu’est-ce qu’un être humain? » équivaut à « Pourquoi V est-il un être humain? » - V représentant les données sensibles d’un être humain, et la réponse est la cause formelle, l’âme. Cela ne signifie pas qu’il faille répondre à la question « Qu’est-ce qu’un être humain? » par la proposition « Un être humain est son âme ». La réponse est manifestement fausse. La cause formelle n’est qu’un élément d’un tout, et on ne saurait prédiquer un élément du tout. La fausseté qui mène à cette fausse conclusion tient au fait que, si nous avons transposé « Qu’est-ce que X? » en « Pourquoi V est-il X? », il reste encore à transposer la cause formelle, qui répond à la question « Pourquoi V est-il X? », en retournant à la réponse de la question initiale, « Qu’est-ce que X? ». Cette transposition s’opère de la cause formelle à l’essence ou la quiddité. L’omission de cette seconde transposition commise par Aristote a été source d’une obscurité considérable : car parmi les significations de la notion de « substance », Aristote énonce la causa essendi, le to ti ên einai, la forme[62]. Avec une grande justesse, Thomas d’Aquin repère la source de cette confusion : « l’essence et la forme ont ceci en commun que c’est d’après les deux qu’on se trouve à nommer ce par quoi une chose existe. Mais la forme se rapporte à la matière qu’elle fait exister en acte; la quiddité cependant se rapporte au sujet qui est l’individu possédant une telle essence »[63]. Les questions du deuxième type concernent le suppositum, par exemple : « Qu’est-ce qu’un être humain? » Transposées dans le quatrième type, elles concernent la matière : par exemple, « Pourquoi ce type de corps est-il un être humain? » Ces deux questions ont en commun la recherche portant sur le quo aliquid est, qui, relativement à la matière, est la forme, mais, relativement au suppositum, est l’essence, c’est-à-dire la forme plus la matière commune[64].

3. Quod quid est

Le quod quid est traduit la tentative médiévale de trouver trois mots latins correspondant à l’expression grecque to ti estin; quod quid erat esse est une traduction littérale de to ti ên einai; enfin, le terme quidditas, forgé au Moyen-Âge, diffère des précédents comme l’abstrait diffère du concret. Pour simplifier, je désignerai ces cinq termes par les symboles Q1, T1, Q2, T2 et Q3. Mon propos ici est de présenter une note sur l’usage de ces termes, aux fins de confirmer l’interprétation d’Aristote énoncée dans la section précédente. L’argument évoqué ici est simplement un défi : voilà les morceaux d’un puzzle, rassemblez-les d’une autre façon si vous le pouvez.

T1 et T2 sont des tournures du grec, affectées à un usage technique par Aristote. Même s’ils ont des sphères d’influence différentes, leurs connotations sont étroitement liées et leurs dénotations se recoupent. L’existence de ces deux termes tient, je crois, au fait que la signification de T1 – la question du deuxième type – est définie par une transposition à une question du quatrième type, alors que la réponse à cette question du quatrième type est véritablement T2. Ainsi, la signification principale de T1 est l’essence, et la signification principale de T2 est la forme; Aristote avait conscience de cette différence, or il mettait l’accent non pas sur la différence, mais sur l’équivalence radicale. Il s’opposait en fait aux platoniciens, qui ne saisissaient pas tant l’insight dans le phantasme que l’idée de la cause formelle, et qui par conséquent souhaitaient tirer les essences – T1 – non pas de l’insight dans la forme des objets sensibles, mais d’un paradis noétique. Une telle controverse suffirait à détourner l’attention d’une nette et parfaite différenciation qui, en tous cas, traduit plutôt le propos d’un pédant rédacteur de manuels que d’un véritable génie[65].

La signification de T2 couvre à la fois la forme concrète et individuelle d’une chose particulière et le noyau abstrait du sens identique dans un terme scientifique. S’agissant du dernier volet, nous apprenons dans les Topiques que l’idion est convertible avec son sujet mais ne révèle pas la T2 du sujet[66], alors que le horos à la fois est convertible avec le sujet et révèle la T2 du sujet, de sorte que son critère est une identité de signification avec la signification du terme sujet[67]. Du coup nous sommes avisés que si un être a le horismos, il aura une identité de signification; mais l’inverse ne tient pas[68]. Or ce critère négatif de T2 est employé dans la Métaphysique; un examen de la candidature de T2 au rôle de substance commence par des exercices logiques à l’effet qu’« être vous » ce n’est pas « être un musicien », qu’« être une surface » ce n’est pas « être blanc »[69].

Or, T2 représente souvent la cause formelle d’une chose particulière : si les éléments particuliers sont séparés de leurs causes formelles, ils ne peuvent ni être, ni être connus[70]. S’agit-il là simplement d’un saut aveugle d’un abstrait lointain vers le concret? Pas vraiment, car la preuve dans la Physique de l’existence de quatre causes uniquement se déploie à partir d’un examen de la cause matérielle, de la cause efficiente, de la cause finale et, certes, de ce que signifie la cause formelle, mais la seule chose mentionnée est T1 : la cause sur laquelle le géomètre fonde son raisonnement est la définition[71]. Une tendance similaire se manifeste dans d’autres propos sur les quatre causes, mais là la cause formelle est désignée T2 et non T1[72].

L’évidence de telles transitions se manifeste plus clairement dans le cadre de pensée et les problèmes abordés chez Aristote que dans une discussion abstraite tenue plus de vingt siècles plus tard. Penchons-nous sur ces antécédents : Aristote a repoussé les théories de Démocrite voulant que la morphê soit révélée par la forme et la couleur; la forme et la couleur d’un cadavre encore chaud sont la forme et la couleur d’un homme; mais le cadavre n’est pas un homme[73]. D’autre part, Empédocle a été applaudi plus d’une fois pour son discernement, pour avoir affirmé que la substance et la nature d’un os sont, non pas l’un ni l’ensemble de ses éléments, mais la proportion de leur combinaison[74]. La proportion est désignée logos et T2, et l’objection d’Aristote tenait qu’Empédocle aurait tenu non seulement les ossements, mais toute nature, pour tels. Aristote lui-même, après avoir expliqué la signification de T1 dans la Métaphysique, faisait remarquer qu’une syllabe n’est pas que les voyelles et les consonnes qui la composent, que la chair n’est pas que du feu et de la terre; il y a un autre facteur, qui n’est pas un élément, mais un principe et une cause – une causa essendi – qui dans les choses naturelles est la nature[75]. Ainsi, un sens est une forme accidentelle, car un sens est à son organe sensoriel ce que l’âme est au corps[76]; or, par la forme, le sens est aussi désigné comme le logos, ou la proportion, de l’organe[77]; et cette définition expliquerait le fait qu’une lumière violente, un bruit fort, une chaleur intense, et ainsi de suite, endommagent non seulement l’organe sensoriel mais le sens lui-même, ou encore le fait que les plantes, même si elles sont vivantes et risquent de geler, ne sentent pas le froid parce que leur matière ne se situe pas dans la juste proportion[78]. Or l’exemple suprême est ce qui fait la gloire d’Aristote, soit la définition de l’âme : l’âme est la substance comme forme d’un corps naturel potentiellement vivant[79]; c’est la première entéléchie d’un corps naturel potentiellement vivant[80], ou d’un corps naturel et organique[81]; c’est la substance selon la raison[82], et c’est la T2 d’un corps de ce genre[83], car si l’œil était un animal, son âme serait la vision[84]. Or il ne faut pas se satisfaire d’une définition empirique[85]. De même que l’on pourrait définir empiriquement l’expression « équarrir le rectangle » comme la découverte d’un carré de surface égale à celle d’un rectangle donné, ou causalement comme la découverte de la moyenne proportionnelle entre les côtés inégaux du rectangle – où la première définition découle logiquement de la seconde (car si A : C :: C : B, alors AB = C2)[86] – de même l’âme peut être définie empiriquement comme l’acte premier d’un corps naturel et organique, mais causalement comme le principe suprême de notre vivre, de notre sentir, de notre penser – la première définition découlant logiquement de la seconde (car le principe suprême de notre existence est l’acte premier de notre matière)[87]. Par conséquent, l’âme n’est ni matière ni sujet, mais logos tis an eiê kai eidos[88]; d’ailleurs, l’âme est une entéléchie et le logos de ce qui a une telle nature en puissance[89].

Or, j’estime que les personnes qui ne voient dans de tels passages rien de plus qu’un simple va-et-vient confus entre des considérations logiques et ontologiques ratent le propos essentiel. Pourquoi Thomas d’Aquin a-t-il pu affirmer que l’intellect pénètre jusque dans l’intérieur des choses? Uniquement parce qu’Aristote avait établi, contre les anciens naturalistes et avec un certain appui des pythagoriciens amateurs de chiffres et des platoniciens friands de définitions[90], que ce qui est connu par l’intellect est un élément partiel des réalités d’abord connues par les sens. Aux yeux du matérialiste, le réel est ce qu’il connaît avant de comprendre ou de penser; c’est l’objet intégré au plan sensible, qui est réalité pour un chien; c’est la terre solide sur laquelle je me meus, qui conforte le sens de la réalité; dans cette perspective, l’intellect ne pénètre pas jusqu’à l’intérieur des choses mais il constitue un principe d’activité purement subjectif, malgré sa grande utilité. Pour les pythagoriciens, la découverte des rapports harmoniques a révélé que les nombres et leurs proportions, même s’il s’agit d’idées principalement, jouent un rôle néanmoins puisque c’est par eux que les choses sont ce qu’elles sont; et pour Aristote le rapport de deux pour un était la forme du diapason[91]. L’intérêt socratique pour la définition renforçait cette tendance[92], mais les platoniciens étaient en quête de la réalité connue par la pensée, non pas dans ce monde-ci, mais dans un autre. La thèse de base d’Aristote tenait à la réalité objective de ce qui est connu par la compréhension : c’était une position relevant du sens commun dans la mesure où le sens commun suppose toujours que les choses sont ainsi; mais il ne s’agissait pas d’une position relevant du sens commun dans la mesure où le sens commun ne serait pas capable de l’énoncer où même de savoir avec un degré quelconque de justesse ce qu’elle signifie ou implique. Aristote est le représentant du sens commun inconscient; mais le sens commun conscient a trouvé une voix pour l’exprimer chez l’éminent docteur catholique et professeur de philosophie que j’ai entendu demander : « Est-ce que quelqu’un pourrait me dire quelle est toute cette histoire autour de l’ens? Lorsqu’Aristote désigne l’âme comme un logos, il formule sa position qui est très originale, mais il ne le fait pas en fait avec la justesse entière que seule sa pensée rendait possible, mais d’une manière générique qui convenait à son propos immédiat, et c’est cet enjeu générique qui demeure l’enjeu capital, car la négation de l’âme à notre époque représente véritablement la négation de l’objectivité de l’intelligible, le refus de voir dans la compréhension, dans la connaissance d’une cause, la connaissance de quelque chose de réel.

Thomas d’Aquin a employé les expressions quod quid est, quod quid erat esse et quidditas – Q1, Q2 et Q3. Mais Q2 apparaît rarement à l’extérieur des commentaires sur l’œuvre d’Aristote[93], et même dans ces cas la tendance globale est de l’identifier avec Q1. Un exposé s’amorce avec pour objet Q2, et quelques lignes plus bas le propos concerne Q1[94], et, aussi déconcertante soit cette analyse, elle rend compte au moins de l’émergence de formes intermédiaires telles que quod quid est esse et de quid est esse[95]. J’ai tenté de réunir les éléments d’un exposé représentatif, quoique non exhaustif, de l’usage thomiste, en énumérant les références à T2 dans l’index de Ross pour La Métaphysique et en vérifiant les passages correspondants dans les commentaires thomistes. En certaines occurrences de T2, Thomas d’Aquin a fait appel, non pas tant à Q1 ou Q2 ou Q3, qu’à la forma ou causa formalis[96]. Dans d’autres occurrences de T2, Thomas d’Aquin a fait appel à Q2, où la signification du dernier élément est la forme, la cause formelle, le principe formel, même si cela peut être obscurci ou peut être rendu douteux par un remplacement ultérieur de la forme par l’essence. On nous dit donc que Q2 n’a pas été employé par Aristote dans ses Catégories, qu’il signifie « la quiddité… n’est ni un genre, ni une espèce ni un individu, mais seulement un principe formel à l’égard de ces substances »[97]. En ce sens, plus ou moins, Q2 est engendré seulement per accidens[98]; il est l’âme[99]; il est l’idée de l’artiste[100]; il est ce qui appartient à la forme[101]; il est propre à un sujet singulier[102], il est principe et cause[103]. À l’opposé, Q2 est plus ou moins le même que Q1, et certainement il n’est pas la forme, car il est prédicable de l’ensemble[104]. Dans un passage où Aristote fondait les propriétés de T2 sur celles de T1, Thomas d’Aquin a maintenu une distinction entre Q1 et Q2, mais il ne semble pas que Q2 ici signifie la forme[105]. Enfin, il y a l’identification de Q2 avec la substance. Cela ne crée aucune difficulté à l’égard de substances séparées qui sont des formes pures[106]; or le septième Livre de la Métaphysique traite des substances matérielles[107], et une mesure d’ambiguïté est introduite dans l’ensemble du livre du fait que le centre d’intérêt n’est pas le composé, ni la matière, mais la substance en tant que forme[108] qui sera bientôt désignée comme T2[109]. Cela explique dans une certaine mesure les corrections apportées par Thomas d’Aquin au discours d’Aristote, de sorte que le commentaire indique « substantia, idest forma »[110]; cependant, l’ambiguïté est peut-être réellement plus fondamentale, car les corrections ne sont pas confinées au septième livre[111]. Il faut noter que la substance et Q2 ne sont pas des universaux subjectifs mais des entités objectives : « la quiddité est une substance et… le discours qui la signifie est la définition »[112]; « l’essence d’une chose qui est la quiddité est un principe et une cause »[113]. Enfin, en faisant référence à la réponse à la question : Qu’est-ce que l’homme? le texte présente une véritable cascade de termes : substantia, forma, species, causa materiae, principium et causa, quod quid erat esse et quidditas apparaissent tous dans l’espace de deux courts paragraphes[114].

Je pense donc que nous pouvons résumer de la façon suivante l’usage thomiste. Quod quid est (Q1) est l’essence ou la définition essentielle ou il leur correspond. Quod quid erat esse (Q2) est également l’essence ou la définition essentielle, mais avec une référence très spéciale au fondement de la définition essentielle, soit la cause formelle, et donc il est presque parfois, ou est simplement, la cause formelle[115]; et c’est peut-être à cause de cette incertitude, de cette ambiguïté, que le terme apparaît si rarement en dehors des commentaires sur l’œuvre d’Aristote. Quidditas (Q3) est strictement un terme abstrait, dont le terme concret correspondant est Q1 : ainsi Q3 est à la forme ce que l’humanité est à l’âme humaine[116]; au contraire de la forme, elle inclut la matière commune[117]; or il ne s’agit là que de la signification propre de Q3, car parfois elle ne peut être distinguée de Q1, un fait qu’il faut expliquer, du moins en partie, par la possibilité de le manipuler grammaticalement, alors que Q1 est pratiquement indéclinable[118].

Aux yeux d’un penseur superficiel, dont l’appréhension de la pensée philosophique commence et s’arrête à l’utilisation exacte du langage, les considérations qui précèdent paraîtront comme un affreux gâchis. Or, le génie original, précisément du fait de son originalité, considère tout usage courant inepte pour son propos et réussit remarquablement, là où il est possible de saisir ce qu’il veut signifier à partir de ses énoncés; la possibilité d’une expression exacte d’une position philosophique ne s’actualise que longtemps après la mort du philosophe, alors que son influence a façonné la culture qui est la toile de fond et le véhicule de cette expression. Cela est encore plus vrai à propos des questions qui sont au centre même de la synthèse philosophique, et le quod quid est au centre même de la pensée aristotélicienne et thomiste. Car le quod quid est est le terme premier et le terme médian immédiat de la démonstration syllogistique scientifique; en même temps, il est le but et le terme de toute recherche positive, qui commence par l’étonnement au sujet des données[119] et se poursuit dans la recherche des causes – matérielle, efficiente, finale, mais principalement formelle; car la cause formelle fait de la matière une chose et, combinée avec la matière commune, est l’essence de la chose. Le quod quid est est l’idée centrale non seulement de toute logique et de toute méthodologie, mais aussi de toute métaphysique. Simpliciter, elle est substance; car la substance seule est un quid sans qualification; les accidents sont également des cas du quid, mais seulement d’une certaine manière, car leur intelligibilité n’est pas seulement ce qu’ils sont, mais inclut également une relation ajoutée à leur sujet; et cette différence quant à leur intelligibilité et à leur essence implique un modus essendi génériquement différent[120]. De là découle le parallèle logico-ontologique : alors que la méthodologie progresse vers la découverte du quid, le mouvement et la génération progressent vers sa réalité; alors que la démonstration établit les propriétés à partir du quid, les essences réelles sont les fondements réels des propriétés réelles. Et il n’y a pas seulement un parallèle ici; il y a également une interaction : le réel est la cause de la connaissance[121]; inversement, l’idée du technicien ou de l’artiste est la cause du produit technique ou artistique[122]; et pour Thomas d’Aquin la seconde considération prévaut sur l’autre, car Dieu est l’artisan de l’univers. Même dans cette délimitation grossière et rapide, se manifeste un magnifique coup de génie. Or, les enjeux que nous avons soulevés dans cette section se profilent derrière cette synthèse : la définition essentielle découle d’un acte de compréhension; la chose réelle est ce qu’elle est parce que la forme a actué la matière. Le terme aristotélicien T2 était un effort logique pour isoler la compréhension et la forme, et il suffit d’examiner les difficultés que pose un tel isolement pour saisir pourquoi Thomas d’Aquin a délaissé l’effort aristotélicien qu’il considérait infructueux et a suivi sa propre voie. Puisque l’acte de compréhension – l’intelligere proprie – est antérieur à la conceptualisation et en est la cause, puisque l’expression ne se déploie que par la conceptualisation, toute tentative visant à fixer l’acte de compréhension qui ne passe pas par une description introspective porte en elle son propre échec partiel; car toute tentative de ce genre est une expression, et une expression n’est plus de l’ordre de la compréhension et est déjà un concept. Et en un sens, l’acte de compréhension, comme insight dans le phantasme, est connaissance de la forme : mais la forme ainsi connue ne correspond pas au concept philosophique de la forme; l’insight est au phantasme ce que la forme est à la matière; or dans cette proportion, la forme est liée à la matière première, mais l’insight est lié aux qualités sensibles; à strictement parler, il n’est donc pas vrai que l’insight soit une saisie de la forme; l’insight est plutôt la saisie de l’objet sous un aspect intérieur tel que l’esprit, pivotant sur l’insight, soit capable de saisir, non sans peine, les concepts philosophiques de la forme et de la matière.

4. L’insight dans le phantasme

L’insight dans le phantasme est la première partie du processus qui va de la perception sensible à la définition essentielle en passant par la compréhension. Même s’il a emprunté cette doctrine à Aristote[123], Thomas d’Aquin l’a également affirmée en se fondant sur l’expérience : « quand nous voulons faire comprendre une chose à quelqu’un, nous lui donnons des exemples dont il puisse se former des images pour comprendre »[124]. Cependant, pour de nombreux esprits profonds, une description aussi brève a paru insuffisante. Scot a refusé carrément de reconnaître le fait de l’insight dans le phantasme[125]. Kant, dont la critique n’était pas une critique de la raison pure, mais une critique de l’esprit humain tel que conçu par Scot[126], a affirmé à maintes reprises que nos intellects sont purement discursifs, que toute intuition est sensible. Ce raisonnement est élémentaire, mais il est d’une importance telle que je prie mes lecteurs de me permettre de me pencher sur une question de fait évidente.

Les platoniciens ont établi l’existence, non seulement d’objets sensibles et de Formes éternelles, mais également d’objets mathématiques purs; la raison qu’ils évoquaient pour ajouter cette troisième catégorie tenait au fait que les objets mathématiques s’apparentent aux Formes par leur nécessité et leur immobilité, mais diffèrent des Formes et s’apparentent aux objets sensibles dans la mesure où ils sont nombreux au sein d’un même genre[127]. Un plus un égale deux. Mais moi plus moi-même, cela ne fait pas deux, mais un. Pour que un plus un égale deux, le deuxième « un » ne peut être identique au premier; mais il ne peut non plus en différer quant à la signification, à l’idée, à l’essence; autrement, « un » ne serait pas ajouté à « un », mais à autre chose. Lorsque le géomètre fait état de deux triangles similaires sous tous leurs aspects, il parle de deux triangles et non pas d’un seul; mais s’ils sont similaires à tous égards, ils ne diffèrent pas quant à l’idée, ni à l’essence, ni à la nature, ni quant à toute autre caractéristique accidentelle; il y a là une multiplication purement matérielle. Dans la psychologie aristotélicienne et thomiste, le second « un » ou le second « triangle » est pris en compte, non pas par un second concept, mais par la réflexion de l’intellect exercée à rebours sur le phantasme où les nombreuses occurrences de la même idée sont représentées[128].

Le phantasme entre en jeu non seulement dans l’emploi des concepts abstraits mais également dans leur genèse. Le premier problème d’Euclide consistait à construire un triangle équilatéral sur une base AB donnée. Il procédait en traçant deux cercles sur un plan donné, l’un ayant le centre A et le rayon AB, l’autre ayant le centre B et le rayon BA. Il joignait ensuite le point d’intersection C à A et à B, et prouvait qu’ABC était un triangle équilatéral en se fondant sur l’égalité des rayons AB et AC, BA et BC, et sur l’axiome selon lequel des choses égales à une même chose sont égales entre elles. Mais Euclide n’a pas démontré que les deux cercles se recouperaient; et cela ne peut être démontré non plus à partir de concepts abstraits; car il n’y a pas deux cercles abstraits, et même si c’était le cas, ils se situeraient à l’extérieur de l’espace et donc ne se recouperaient pas. Le fait du recoupement des cercles en question est connu par un insight dans le phantasme; si vous dessinez ou imaginez la construction, vous verrez cette nécessité; mais vous verrez les deux cercles par une faculté sensible, et la nécessité par un insight dans les présentations sensibles. Un tel insight intervient fréquemment dans les preuves euclidiennes, mais il intervient également dans la saisie des définitions primaires. Vous ne pouvez obtenir une courbe plane ne comportant ni bosses ni creux, d’une courbure parfaitement uniforme, si tous les rayons ne sont pas égaux, mais vous devez l’obtenir si tous les rayons sont égaux; vous voyez la courbe, les rayons, leur égalité, la présence ou l’absence de bosses ou de creux avec vos yeux ou votre imagination; vous ne pouvez les connaître par aucun autre moyen, car il n’y a qu’un rayon abstrait, et il ne bouge pas; mais l’impossibilité ou la nécessité d’une courbure parfaitement uniforme est connue par l’intellect seulement dans l’acte de l’insight dans le phantasme.

Aristote a saisi de tels faits. Les objets intelligibles, soutenait-il, n’existent pas hors d’une extension concrète, mais ils sont dans des formes sensibles et des diagrammes mathématiques; par conséquent, une personne privée de perception sensible n’apprendra jamais rien ou ne comprendra jamais rien; en outre, la pensée spéculative garde un œil sur le phantasme car, dans son cas, le phantasme joue le rôle assumé par les objets sensibles dans la perception des sens[129]. Thomas d’Aquin reprend le propos d’Aristote de façons si diverses que nous pouvons être assurés qu’il a saisi l’enjeu lui-même et ne fait pas simplement appel à une autorité. Le phantasme est à l’intellect ce que l’objet est à la puissance, les objets sensibles, aux sens, la couleur, à la vision[130]. Le phantasme est l’objet de l’intellect[131]. Il est également le moteur de l’intellect, mais il n’est pas l’objet parce qu’il est le moteur, et donc il n’est l’objet peut-être seulement en un sens mécanique ou métaphysique, mais non psychologique; il est le moteur parce qu’il est l’objet[132]. L’intellect humain, en cette vie, a besoin de phantasmes en tant qu’objets[133] - de fait, en tant que ses objets propres[134]. Puisque la connaissance nécessite un objet, et puisque le phantasme est l’objet de l’intellect, un phantasme est toujours nécessaire pour l’activité intellectuelle, quel que soit le degré de perfection du species intelligibilis[135] : « les puissances sensitives sont nécessaires à l'âme pour faire acte d'intelligence, non par accident, comme excitant d'après Platon, ou comme simple dispositif d'après Avicenne, mais comme rendant présent l'objet propre de l'âme intellective : Aristote dit en effet dans le De anima que les images sont à l'âme intellective comme les sensibles au sens »[136]. En somme, nul ne peut comprendre sans comprendre quelque chose; et le quelque chose qui est compris, le quelque chose dont l’intelligibilité est actuée, est dans le phantasme. Comprendre la circularité c’est saisir par l’intellect un lien (nexus) nécessaire entre les rayons égaux imaginés et la courbure uniforme imaginée. Les termes à connecter sont perçus sensiblement; leur relation, leur connexion, leur unification est ce que l’insight connaît dans la présentation sensible.

Puisque la nécessité du phantasme est la nécessité d’un objet, cette nécessité concerne non seulement la genèse mais aussi l’utilisation de la saisie scientifique[137]. Peu importe à quel point l’objet est spirituel, à quel degré il est éloigné des sens; le phantasme demeure nécessaire; « même Dieu nous est connu par les images de ses effets, dans la mesure où nous connaissons Dieu par la négation, ou par la causalité ou par l'excellence »[138]. La possession habituelle de la connaissance scientifique est inutile sans conversion au phantasme où « se forme dans l'imagination la représentation qui convient à telle espèce intelligible. Cette dernière resplendit dans l'image comme l'exemplaire dans l'imitation ou la copie »[139]. La différence entre l’invention ou l’apprentissage et le recours à la science est que, d’abord, le phantasme doit produire l’acte de l’insight alors que, dans les cas subséquents, l’intellect éclairé guide la production d’un phantasme approprié[140]; autrement dit, dans le premier cas, nous sommes à la merci de la fortune, de l’inconscient ou des compétences d’un professeur, pour voir émerger un phantasme approprié; nous sommes dans le bouillonnement d’une recherche visant à saisir nous ne savons quoi; mais une fois que nous avons compris, alors nous pouvons déployer nos opérations par nous-mêmes, en traitant les images pour parvenir à une fin habituellement connue.

L’acte de l’intellect à l’égard du phantasme est un insight : « les imaginations sont comparées à l’intellect comme des objets où il voit tout ce qu’il envisage, ou suivant une représentation parfaite, ou suivant une négation »[141]. Même si la science théorique se déploie à partir de principes connus d’eux-mêmes, ces principes s’obtiennent pourtant à partir des sens, comme l’explique le deuxième livre des Seconds Analytiques[142]. Le propos de ce livre présente un processus qui va de nombreuses sensations jusqu’à une mémoire, de nombreuses mémoires à un élément d’expérience, et de nombreux éléments d’expérience à une saisie de l’universel[143]. Thomas d’Aquin note le parallèle au début de La Métaphysique : l’homme d’expérience sait que tel et tel médicament a guéri tels et tels patients dans telles et telles circonstances; mais le technicien sait que tel genre de médicament guérit tel genre de maladie[144]. Tout comme les sens[145], l’homme d’expérience connaît uniquement les quia[146]; mais le technicien connaît les causes – propter quid – et est donc capable d’enseigner et de résoudre les objections[147]. En somme, le technicien connaît l’universel abstrait, qui est un verbe intérieur conséquent à un insight. Mais l’homme d’expérience ne connaît que l’universale in particulari, et cette connaissance n’est pas une connaissance intellectuelle mais elle existe dans une puissance sensible désignée de diverses façons, soit ratio particularis, cogitativa, intellectus passivus. Elle réalise des comparaisons d’éléments particuliers en vertu de l’influence de l’intellect[148], et elle connaît Socrate et Callias, non seulement en tant que Socrate et Callias, mais aussi en tant que hi homines[149], et sans cette appréhension sensible de l’universel dans le particulier il serait impossible pour l’intellect d’atteindre l’abstrait universel[150].

Cette dépendance de l’intellect humain à l’égard des sens pour la prestation de son objet et pour l’élaboration préparatoire de son objet implique que l’intellect humain est essentiellement intellect-en-processus ou raison. Nous avons des éclairs d’insight occasionnels; or la connaissance angélique, et plus encore la connaissance divine, ressort exclusivement de ce type, formant un éclat continu de la lumière de la compréhension. Nous crions « Eurêka » à de rares occasions à l’instar d’Archimède, mais la plupart du temps nous devons raisonner : « celui qui prononce le nom "pierre" n’exprime pas la substance de l’intelligence — ce n’est pas ce qu’il vise; il n’exprime pas la forme intentionnelle qui est ce par quoi l’intelligence saisit [la réalité] — ce n’est pas non plus ce qu’il veut nommer; enfin, il n’exprime pas davantage l’acte d’intelligence, car celui-ci n’est pas un acte procédant de manière extérieure de celui dont l’intelligence est en acte, mais une action qui demeure en lui-même »[151]. Cette nécessité du raisonnement découle de la dépendance de nos intellects à l’égard des sens : « Du fait que notre intellect reçoit à partir des phantasmes, découle pour lui qu’il possède une science délibérative, pour autant qu’à partir de plusieurs connaissances se réalise une seule mémoire, à partir de multiples mémoires une seule expérience, et à partir de multiples expériences un seul principe universel, à partir duquel il conclut d’autres choses. C’est ainsi qu’il acquiert la science, comme on le dit dans Métaphysique, I, et à la fin des Postérieurs [analytiques] »[152]. Par conséquent, la théorie des idées innées – et, pourrions-nous ajouter, la théorie kantienne des formes a priori – contredit l’expérience que nous avons de miser sur une base de données sensibles pour atteindre la compréhension[153]. La forme a priori de l’espace de Kant a été rejetée par les géomètres, et la forme a priori du temps de Kant a été rejetée par les physiciens, car la compréhension humaine se développe, et son posse omnia fieri ne connaît pas de limites sauf celles établies par son objet naturel[154], qui est ens.

Or, puisque l’intellect humain est principalement raison, puisqu’il déploie son activité à partir des sens, ainsi la quiddité connue par l’intellect humain est d’un genre différent de celle connue par l’intellect angélique[155]. L’ange n’a pas de sens, et ses actes de compréhension ne peuvent donc être des insights dans des données représentées de manière sensible; ce doit être des actes de compréhension purs, quoique limités. Nous reviendrons sur ce sujet, mais nous pouvons déjà noter ses principaux éléments aristotéliciens. Dès qu’Aristote est parvenu à établir la signification de la question : Qu’est-ce que l’homme?, il a conclu immédiatement que les substances séparées doivent être objets d’un type différent de connaissance et de recherche[156]. L’extrapolation platonicienne vers des régions supérieures a été modelée sur le concept universel, et Aristote a critiqué avec raison l’anthropomorphisme d’une telle procédure[157]. L’extrapolation que réalise Aristote lui-même ne part pas des concepts universels, mais de l’acte de l’insight : elle consiste à affirmer la qualité de la compréhension tout en éliminant l’objet et la limite sensibles; il en résulte une noêsis noêseôs[158], où le comprenant et le compris sont identiques[159]. Ainsi, la pure théorie aristotélicienne de l’intellect se trouve dans la présentation aristotélicienne de ses substances séparées, et c’est de cette présentation que O. Hamelin tire de manière juste les principales caractéristiques de sa description de l’intellect aristotélicien[160]. De même, la pure théorie de l’intellect de Thomas d’Aquin se trouve dans la présentation thomiste de la connaissance angélique, et c’est de cette présentation que J. Peghaire entreprend avec raison sa recherche sur les notions thomistes d’intellect et de raison[161].

5. Emanatio intelligibilis (procession de la connaissance)

La procession du verbe intérieur, nous dit-on, est une emanatio intelligibilis[162]. Ce qui nous amène à notre point principal. Toute causalité est intelligible, mais il y a trois différences entre le processus naturel et la procession d’un verbe intérieur. L’intelligibilité d’un processus naturel est passive et potentielle : elle est ce qui peut être compris; elle n’est pas une compréhension; elle est un objet potentiel de l’intellect, mais elle n’est pas la substance même de l’intellect. De même, l’intelligibilité d’un processus naturel est l’intelligibilité d’une loi naturelle spécifique, par exemple, la loi en carré inverse, mais n’est jamais l’intelligibilité de l’idée même de loi intelligible. Troisièmement, l’intelligibilité du processus naturel est imposée de l’extérieur; les natures agissent intelligiblement, non pas parce qu’elles sont intelligentes, car elles ne le sont pas, mais parce qu’elles sont des concrétions d’idées divines et d’un plan divin. D’autre part, l’intelligibilité de la procession d’un verbe intérieur n'est ni passive ni potentielle; elle est active et actuelle; elle est intelligible parce qu’elle est l’activité de l’intelligence en acte; elle est intelligible, non pas comme est intelligible l’objet possible de la compréhension, mais comme est intelligible la compréhension elle-même et l’activité de la compréhension. Et son intelligibilité défie la formulation de toute loi spécifique; les verbes intérieurs procèdent selon les principes d’identité, de non-contradiction, de milieu exclu et de raison suffisante; or ces principes ne sont pas des lois spécifiques mais les conditions essentielles de l’existence d’objets à relier par des lois et de relations pour les relier. Ainsi la procession d’un verbe intérieur est le cas pur d’une loi intelligible : on peut dire qu’une telle procession est un cas particulier de « omne agens agit sibi simile »; or il suffit de se rappeler que cet agent peut être semblable à n’importe quoi, qu’il est « potens omnia fieri », pour voir que l’on a affaire ici non pas à un cas particulier, mais au résumé de tous les cas possibles. Troisièmement, la procession d’un verbe intérieur est intrinsèquement et naturellement intelligible, activement intelligible, et constitue le genre de toute procession intelligible; tout comme la chaleur est un élément intrinsèque et naturel du feu, la procession intelligible est un élément intrinsèque et naturel de l’intelligence en acte; car l’intelligence en acte n’obéit pas à des lois imposées de l’extérieur, mais constitue plutôt le fondement de l’intelligibilité en acte de la loi, elle constitue et, pour ainsi dire, elle crée la loi; et les lois de la procession intelligible d’un verbe intérieur ne sont pas des lois particulières quelconques mais les composantes générales de toute loi, précisément en raison du lien naturel entre l’intelligibilité et l’intelligence, précisément parce que l’intelligence est à toute loi conçue ce que la cause et à l’effet.

Or, c’est simplement pour reposer l’affirmation de base de cet article et des articles subséquents pour observer que l’esprit humain est une image, et non un simple vestige, de la Sainte Trinité, puisque ses processions sont intelligibles d’une manière qui est essentiellement différente de l’intelligibilité passive, spécifique, imposée, des autres processus naturels, et qui la transcende. Tout effet a un fondement suffisant dans sa cause; mais un verbe intérieur non seulement possède un fondement suffisant dans l’acte de compréhension qu’il exprime; il possède également une connaissance comme fondement suffisant, et ce fondement est opératoire précisément en tant que connaissance, la connaissance de sa propre suffisance. Pour introduire un terme qui résume cette démarche, nous pouvons dire que le verbe intérieur est rationnel, non pas en fait selon la rationalité dérivée du discours, du raisonnement des prémisses aux conclusions, mais selon la rationalité fondamentale et essentielle de la conscience rationnelle, la rationalité qui peut être discernée dans tout jugement, la rationalité que nous devons maintenant observer dans tous les concepts. Car la compréhension humaine, même si elle a son objet dans le phantasme et le connaît dans le phantasme, ne se satisfait pas d’un objet dans cet état. Elle pivote sur elle-même pour produire pour elle-même un autre objet qui est le verbe intérieur comme ratio, intentio, definitio, quod quid est. Ce pivotement et cette production ne tiennent pas simplement de quelque machine à saucisses métaphysique, qui à un bout tranche l’espèce du phantasme et à l’autre bout fait surgir des concepts; c’est une opération de la conscience rationnelle.

Je crois qu’il ne peut y avoir aucun doute raisonnable nous empêchant d’affirmer que cette démarche représente l’esprit de Thomas d’Aquin. Certes, il n’emploie pas le terme intelligere exclusivement au sens de la compréhension[163]. Il demeure que la signification principale d’intelligere est : comprendre. Thomas d’Aquin savait parfaitement bien ce qu’Aristote signifiait par quod quid est, par l’étonnement qui est la source de toute science et de toute philosophie, par l’insight dans le phantasme; il peut adopter ces positions, les fusionner et les transformer, et en venir à formuler un désir naturel de la vision béatifique[164], une position qui est remarquablement inintelligible pour les personnes qui ne saisissent pas exactement ce qu’est la compréhension. Il a affirmé à maintes reprises que le quod quid est est l’objet propre de l’intellect[165], et cette affirmation comportait toutes les implications de l’idéal aristotélicien de la science. Une définition s’appuie toujours sur une connaissance antérieure[166]; sont définies les démarches suivantes : connaître la quiddité, définir, concevoir la forme de la chose[167]; connaître la définition c’est connaître en puissance la science qui est démontrée à partir de la définition[168]; la définition est compréhension, embrassement de la gamme totale des implications de ce qui est défini[169]. Dans le De Veritate il considère comme des puissances distinctes le scientificum et le ratiocinativum; le premier nous permet de connaître le nécessaire; le second, le contingent; mais c’est le premier qui a pour objet le quod quid est, qui par des définitions connaît les principes, et par les principes connaît les conclusions; en somme, le premier est l’intellect au sens de la compréhension[170]. Plus tard, dans la Pars prima, il trouve le moyen d’inclure la connaissance du contingent dans la même puissance, non pas de fait en changeant son concept de l’intellect, mais en admettant à l’intérieur de sa portée des cas imparfaits de son objet[171]. Tout ce que l’intellect connaît, il le connaît par l’intermédiaire du quod quid est qui est la substance de l’objet; de même que ce qui est connu par la vision est connu par l’intermédiaire de la couleur, ce qui est connu par l’intellect est connu par l’intermédiaire du quod quid est. Ce qui ne peut être connu par l’intellect de cette façon ne peut être connu du tout. Cependant, il est vrai que dans les sciences naturelles, contrairement aux sciences mathématiques, l’intellect part, non pas de la définition, mais des accidents sensibles; pourtant, cela n’affecte pas le principe énoncé ci-haut; cela se produit per accidens dans la mesure où notre connaissance intellectuelle procède à partir des sens[172]. Il est impossible de saisir la signification de ces passages, je crois, sans saisir également que Thomas d’Aquin entend par intelligere la compréhension, l’acte qui, s’il est posé fréquemment, confère une réputation d’intelligence à une personne et, s’il est posé rarement, lui vaut une réputation de stupidité.

Deuxièmement, Thomas d’Aquin considérait le verbe intérieur comme le produit d’un acte de compréhension[173]; devant être exprimé à partir de la connaissance que possède l’esprit[174]; devant procéder de par sa nature même de la connaissance de la personne qui le conçoit[175]. Ces énoncés, en soi, ne donnent pas à la personne une réalisation de l’emanatio intelligibilis. Il faut pour cela produire des exemples et des cas, et nous nous tournons donc vers la division thomiste des concepts. Dans ce domaine le développement moderne de la méthodologie scientifique a accru grandement la précision de nos connaissances; personne n’attendra une telle précision de Thomas d’Aquin; mais par ailleurs il n’est pas nécessaire de faire preuve de beaucoup de discernement pour voir que sa saisie médiévale de la nature de l’intellect était suffisamment pénétrante pour lui permettre d’anticiper que les méthodologues modernes seraient capables de rechercher une réserve privée pour eux-mêmes.

Outre certains concepts naturels dont nous reparlerons, il ne saurait même être avancé que Thomas d’Aquin envisageait la conception comme un processus automatique. La conceptualisation se déploie comme le terme et le produit d’une démarche de raisonnement[176]. Tant que se poursuit le raisonnement, la fluctuation du discours, le verbe intérieur n’a pas encore été énoncé[177]. Or il est vrai également que, tant que se poursuit le raisonnement, nous ne comprenons pas encore; car avant que soit énoncé le verbe intérieur, nous ne comprenons pas mais nous pensons afin de comprendre[178]. Par conséquent, la compréhension et le verbe intérieur sont simultanés, la première étant le fondement et la cause du dernier[179]. Mais demandera-t-on, qu’en est-il du raisonnement antérieur à l’émergence du terme? Tout raisonnement ne présuppose-t-il pas l’existence de trois termes? Une telle difficulté ne peut se poser manifestement que si l’on possède des notions de psychologie rationnelle se limitant aux données présentées dans un manuel de logique déductive abrégé et très formel. Mais si l’on veut adopter une vision large du raisonnement et concevoir le syllogisme avec la souplesse intellectuelle d’Aristote, on admettra volontiers que chaque question, soit demande s’il existe un terme médian, soit demande ce qu’est le terme médian; que, lorsque l’on demande ce qu’est une pierre, on demande quel est le terme médian entre les données sensibles et la définition essentielle de la pierre; entre les deux doit se produire un acte de compréhension, et le cheminement vers cette compréhension est guidé par le discours ou le raisonnement de la méthode scientifique; enfin, un tel discours s’écarte de l’évolution de l’esprit humain, car Thomas d’Aquin, influencé par les méprises de la physique d’Aristote, considérait probablement les pierres comme des choses alors que tout penseur moderne les définirait comme des agrégats accidentels. Nous avons vu déjà que, du fait que la compréhension humaine a son objet dans le phantasme, Thomas d’Aquin a déduit que l’intellect humain était surtout raison; il ne faut pas se surprendre lorsqu’il poursuit sur sa lancée et affirme que nous devons raisonner pour former des concepts.

Le caractère rationnel de la conceptualisation a pour corollaire l’ignorance humaine et le progrès humain. Les premiers philosophes étaient des bébés qui babillaient[180], et pourtant nos prédécesseurs nous rendent le double service, soit de réussir à trouver la vérité pour nous, soit de rater la cible et de nous forcer ainsi à explorer nous-mêmes les enjeux profonds[181]. Personne ne connaît parfaitement la vérité, et personne n’ignore totalement la vérité; les apports individuels sont inévitablement modestes, mais la somme collective est importante[182]. L’ignorance peut nous forcer à avoir recours aux différences accidentelles plutôt qu’aux différences essentielles[183]. Il y a de nombreuses propriétés de la nature qui sont totalement inconnues, et même celles qui s’offrent à notre observation ne livrent pas facilement leurs secrets[184]. Il n’y a personne qui ne soit pris dans quelque erreur, ou qui ne soit du moins ignorant de ce qu’il souhaite connaître ou obligé de formuler une conjecture alors qu’il voudrait exprimer une certitude[185]. Le fait du progrès humain indéfini rend impossible la béatitude en cette vie[186]. « Quant à l’intellect humain, il n’est dans le genre des intelligibles qu’un être en puissance, comme la matière première dans le genre des réalités sensibles. D’où le nom d’intellect " possible " »[187].

Le caractère rationnel de la conceptualisation, en plus d’impliquer l’ignorance et le progrès humains, implique également une explication psychologique de l’abstraction. Certes, une grande partie de ce que Thomas d’Aquin a à dire sur l’abstraction se situe sur le plan métaphysique; nous espérons y revenir en temps voulu, dans la mesure où ce fait cadre avec notre recherche. Mais notre préoccupation immédiate est centrée sur la part importante de la théorie thomise de l’abstraction qui est d’ordre psychologique. À titre préliminaire, nous pouvons nous rappeler que la connaissance de l’universel dans le particulier, la connaissance de ce qui est commun aux occurrences dans les occurrences, ne relève pas du tout de l’abstraction; il s’agit d’une opération attribuée par Thomas d’Aquin à la puissance sensible qu’il appelle la cogitativa. Deuxième remarque préliminaire : nous pouvons expliquer que par une présentation psychologique de l’abstraction nous entendons l’élimination par la compréhension de ce qui est non pertinent intellectuellement parce que cela est compris comme non pertinent. Voilà, pensons-nous, quel est le fondement même des trois célèbres degrés de l’abstraction. Ce qui est désigné de manière variée materia individualis, materia designata, materia signata, le hic et nunc, ne peut constituer un facteur explicatif dans aucune science; cela est non pertinent pour toute explication scientifique; cela est non pertinent a priori; le temps et le lieu comme tels n’expliquent rien, car la raison pour toute chose, la cause de toute chose, n’est jamais telle occurrence à tel endroit et à tel moment, mais toujours une nature qui, si elle se trouve ici, peut se trouver ailleurs, si elle se trouve maintenant, peut se trouver plus tard. C’est pourquoi le spécialiste des sciences naturelles, le mathématicien et le métaphysicien abstraient tous à partir de la matière individuelle[188], « celle qui se tient sous des dimensions déterminées »[189]. L’intellect abstrait du hic et nunc[190]. On ne saurait expliquer la connaissance divine ou angélique des éléments particuliers de la perception sensible en accumulant un nombre de prédicats universels, car la combinaison résultante ne sera pas singulière mais constituera un « communicabile multis »[191]; elle pourrait se produire dans tout nombre d’autres mondes possibles ou, selon l’ancienne hypothèse, dans tout nombre de cycles complètement similaires d’un même monde. L’astronome peut prédire toutes les éclipses des siècles à venir; mais sa science comme telle ne lui donnera pas la connaissance d’une éclipse particulière en tant que particulière, « comme un paysan la connait »[192]; car s’il connaît les éclipses futures en tant qu’éclipses particulières, l’astronome ne les connaît qu’en établissant une relation entre ses calculs et un ici et maintenant déterminés. À proprement parler, l’intellect ne se souvient pas; la connaissance du passé comme passé, comme la connaissance du présent, est l’œuvre de la perception sensible[193].

Pourquoi ces affirmations sont-elles toutes formulées avec une telle assurance? Parce que toutes les sciences ont ceci en commun qu’elles considèrent le per se et négligent le per accidens[194]. Autrement dit, le « ici et maintenant » ou le « là et alors » comme tels ne sont pas pertinents pour la compréhension, l’explication ou l’attribution des causes; et l’intellect s’y appuie pour opérer une abstraction, dans la mesure où il comprend cette non-pertinence et parce qu’il comprend cette non-pertinence. La donnée « rond » est comprise comme étant nécessitée par les rayons égaux d’une surface plane; la notion « des rayons égaux sur une surface plane » est abstraite du phantasme comme une matière commune et exprimée dans un verbe intérieur; rien de plus n’est abstrait, parce que rien de plus n’est pertinent, et au plus près, parce que la compréhension saisit que rien d’autre n’est pertinent. Le théorème sur l’abstraction à partir de la matière individuelle est un théorème qui concerne tous nos actes de compréhension, à l’effet que le « ici et maintenant » appartient toujours au résidu sensible et ne fait jamais partie de ce qui est pertinent, essentiel, et qui est établi par abstraction.

Le deuxième degré de l’abstraction est semblable au premier : puisque toute science s’écarte du « ici et maintenant »[195], ainsi les mathématiques s’écartent de toutes les qualités sensibles – des couleurs, des sons, des expériences tactiles, des goûts, des odeurs[196]; la couleur de la figure géométrique, du symbole arithmétique ou algébrique, n’est jamais pertinente pour le théorème mathématique. La différence entre la géométrie de la perspective et une science de l’optique est que la manière dont la lumière se déplace effectivement est pertinente pour la dernière et non pertinente pour la première[197]; s’il est vrai que les rayons de lumière plient, l’optique doit être corrigée, mais non la géométrie de la perspective; car le physicien qui néglige les questions de factualité sensible verse dans l’erreur, mais le théorème et le jugement du géomètre sont indépendants du fait sensible et se satisfont de l’imagination[198]. Et la découverte de types plus éloignés et génériques de géométrie non euclidienne invalident cette position; ils opèrent également une réduction vers une imagination, mais non vers l’imagination que nous possédons; ils présupposent un intellect capable du troisième degré d’abstraction, capable de transcender sa propre imagination; mais ils ne se déplacent pas à l’intérieur du troisième degré d’abstraction, car ils concernent une multiplicité numérique, non seulement comme catégorie – comme le fait la métaphysique – mais comme un facteur essentiel dans leur propre objet.

Enfin, le troisième degré d’abstraction écarte toute matière, individuelle et commune, sensible et intelligible, pour traiter de « l’être, l’un, la puissance et l’acte ; et d’autres encore »[199]. Il le fait parce que les théorèmes métaphysiques sont valides indépendamment de toute question de fait sensible et de toute condition d’imagination.

La conceptualisation est l’expression de soi d’un acte de compréhension; une telle expression n’est possible que parce que la compréhension est autonome, consciente de soi et de ses conditions de compréhension; dans la mesure où la compréhension a toutes ses conditions au sein de l’ordre intelligible, l’expression abstrait de tout ce qui est sensible et imaginable, et se situe donc au troisième degré; dans la mesure où la compréhension a des conditions dans l’ordre imaginable, mais non dans l’ordre empirique, des présentations sensibles, l’abstraction est du deuxième degré; dans la mesure où la compréhension a des conditions à l’intérieur de l’ordre empirique des présentations sensibles, l’abstraction est du premier degré; mais il y a toujours une certaine abstraction; car le « ici et maintenant » de la présentation sensible ou de l’imagination n’est jamais pertinent pour quelque forme de compréhension. La théorie aristotélicienne et thomiste de l’abstraction n’est pas exclusivement métaphysique; elle est fondamentalement psychologique, c’est-à-dire qu’elle tient au caractère des actes de compréhension. D’autre part, elle se trouve dans l’indépendance de la compréhension comme le fondement d’une conceptualisation possible permettant de mieux discerner ce que signifie la détermination de l’expression de soi de la compréhension comme une emanatio intelligibilis, une procession de la connaissance en tant que connaissance, et à cause de la connaissance en tant que connaissance.

Le concept est la définition, s’il y a une définition[200]. Nous en avons peut-être assez dit pour établir que la définition est un fruit de l’intelligence, le quid rei de la compréhension de la chose, et le quid nominis de la compréhension du langage. Mais qu’en est-il des concepts ultimes qui échappent aux définitions? Dirons-nous que ces concepts procèdent également d’actes de compréhension? Ou faut-il faire appel dans leur cas à un processus moins psychologique, un processus plus purement métaphysique? Penchons-nous sur ces concepts.

Aristote explique d’où nous tirons les concepts de puissance et d’acte. Il faut partir du sensible et du concret : « Le sens que nous voulons donner au mot d’Acte deviendra manifeste par l’induction appliquée aux exemples particuliers »[201]. Comme exemples pertinents, mentionnons la comparaison entre les yeux d’une personne qui dort ou qui est éveillée, entre des yeux fermés mais non aveugles et des yeux qui voient, entre des matériaux de construction et des matériaux bruts, entre des matériaux bruts et un produit fini. Dans ces cas, nous sommes invités à noter une proportion et, de fait, différents genres de proportions. Ce que les yeux sont à la vue, les oreilles le sont à l’ouïe (auditus, la faculté). Ce que la vue est à la vision, l’ouïe (auditus) l’est à l’audition (audire) ou – pour adapter l’exemple aux ressources de notre langage – ce que le goût est à la dégustation. Les premiers couples concernent la proportion entre la matière et la forme; les autres couples concernent la proportion entre la puissance opératoire et l’opération[202]. Or, est-il possible d’exprimer ces dispositions autrement? Je le pense. Il faut d’abord imaginer les cas. Les comparaisons de la cogitativa vous préparent pour l’acte de l’insight, en voyant dans les données ce qui en soi ne peut être une donnée; lorsque nous exprimons cet insight par un concept, nous parlons de « possibilité ». Nous discernons dans les yeux fermés la possibilité de la vision effective; nous discernons dans les yeux la possibilité de la vue. Ce qui est possible, c’est l’acte; et sa possibilité est la puissance. Les deux sont objectifs, mais l’acte est objectif quand il se produit, la puissance, lorsque l’acte est possible; et cette objectivité de la possibilité est, par exemple, ce qui constitue la différence entre une invention et une simple idée brillante. Les concepts ultimes, comme les concepts dérivés, découlent de la compréhension.

Je pense que l’on dépenserait beaucoup moins d’encre dans des écrits sur le concept de l’ens si l’on prêtait davantage attention à son origine dans l’acte de compréhension. Racontez une histoire plausible à un plouc et il vous dira : « Oui, cela se peut ». Il n’exerce peut-être pas consciemment la vertu de sagesse, qui a la fonction de connaître « les notions d'être et de non-être »[203]. Mais cette compréhension s’est exprimée comme une saisie de l’être possible. L’intelligibilité est le fondement de la possibilité, et la possibilité est la possibilité de l’être; de même, l’inintelligibilité est le fondement de l’impossibilité, et l’impossibilité signifie l’impossibilité de l’être. Pour affirmer l’être effectif, il faut plus qu’un récit plausible; car l’expérience, même si elle n’est pas comme telle la source du concept de l’être – sinon, comme le soutenait Kant, le réel devrait être confiné au domaine de l’expérience possible – constitue pourtant la condition de la transition depuis l’affirmation de la possibilité à l’affirmation de l’actualité de l’être. Par conséquent, la première opération de l’intellect concerne les quiddités, mais la deuxième, le jugement, concerne l’esse, l’actus essendi[204]. Notez cependant que l’être n’est pas réduit par la possibilité à l’intelligibilité comme aux concepts antérieurs; l’être est le premier concept[205]; ce qui est antérieur au concept premier c’est, non pas un concept antérieur, mais un acte de compréhension; et comme les autres concepts, le concept de l’être est un effet de l’acte de compréhension[206]. Par conséquent, lorsqu’il a été affirmé ci-dessus que l’intellect atteint l’être à travers la possibilité à partir de l’intelligibilité, une tentative de description a été effectuée des virtualités de l’acte de compréhension dans son indépendance, pour conceptualiser de manière réflexive l’acte préconceptuel d’intelligence qui s’exprime dans le concept « être ». Or il est impossible d’établir que Thomas d’Aquin lui-même ait cherché à élaborer une telle psychologie descriptive; mais, même s’il a tenu secrète de telles questions, il est parvenu, de façon plutôt étonnante, aux implications d’une telle description analytique. Il s’ensuit que le concept de l’être est naturel à l’intellect; car l’intelligibilité est naturelle à l’intellect; puisqu’elle est son acte; et la conceptualisation est naturelle à l’intellect, car elle est son activité; mais le concept de l’être, dans la perspective évoquée, est la conceptualisation de l’intelligibilité comme telle, et elle donc également naturelle à l’intellect[207]. Il s’ensuit là encore que le contenu du concept de l’être est indéterminé[208], car il est conçu à partir d’un acte de compréhension quelconque; il procède de l’intelligibilité en acte comme telle. Il s’ensuit aussi que le concept de l’être ne peut être inconnu à l’intellect[209]; car sa seule condition est que l’intellect soit dans tout acte de compréhension. Et il s’ensuit que l’être est l’objet de l’intellect : car l’intellect ne serait pas l’intellect s’il n’était au moins potens omnia fieri, en puissance de toute intelligibilité[210]; mais ce qui de par sa nature est potens omnia fieri doit avoir l’être pour objet[211]. Enfin, il est impossible de formuler dans une phrase ou quelques phrases la position de Thomas d’Aquin sur l’analogie; mais on peut noter brièvement que, dans la perspective évoquée, le concept de l’être est forcément analogue; l’être est toujours conçu de la même façon – comme l’expression de l’intelligibilité ou de l’intelligence en acte; mais le contenu d’un acte d’intelligibilité ou d’intelligence diffère du contenu d’un autre; c’est l’identité du processus qui nécessite la similitude de la proportion, et c’est la diversité du contenu qui rend différents les termes de la proportion. En somme, nous n’affirmerons peut-être pas que nous avons exploré le concept de l’être thomiste; mais au moins il n’est pas plausible que le concept de l’être doive être attribué à quelque mécanisme métaphysique et doivent se trouver à l’extérieur du champ de la psychologie introspective et analytique.

6 Conclusion

L’hypothèse au cœur des travaux de ce chapitre est la suivante : l’esprit humain se prête à une analogie avec les processions trinitaires parce qu’il est rationnel dans ses conceptualisations, dans ses jugements et dans ses actes de volonté. Nous avons examiné un fragment des données complexes concernant la pensée de Thomas d’Aquin. Il nous reste à examiner la psychologie du jugement, l’analyse métaphysique de l’insight, de la conceptualisation et du jugement, et les éléments métaphysiques et psychologiques du concept thomiste de Dieu comme étant connus à la fois naturellement et par la révélation divine. Nous ne pourrons établir aucune conclusion tant que nous n’aurons pas examiné toutes les données sur l’ensemble de ces volets.

Je suis parti, non pas du cadre métaphysique, mais du contenu psychologique de la théorie thomiste de l’intellect : la logique pourrait favoriser la démarche inverse, mais j’ai trouvé cette voie impraticable après plusieurs tentatives diverses en ce sens. Je ne m’attends pas, à ce stade-ci, à ce que tous les lecteurs saisissent de quelle manière je pourrais répondre aux objections – notamment celles du parti métaphysique – mais ils peuvent peut-être accepter les points suivants. Le concept thomiste du verbe intérieur est riche et nuancé : il ne s’agit pas d’une simple condition métaphysique d’un type de cognition; il vise à formuler un énoncé d’un fait psychologique, et la nature précise de ces faits ne peut être établie que si on établit ce que signifie intelligere. Derrière la notion de quiddité se profile l’activité spéculative qui a commencé avec Socrate, a progressé à l’Académie pour atteindre son point culminant avec Aristote : le quod quid est est central pour une logique, une psychologie, une métaphysique et une épistémologie; et cette unité est intimement liée à la fois au concept métaphysique de la forme et à l’expérience psychologique de la compréhension. Cette conclusion est renforcée par l’accentuation que fait Thomas d’Aquin de l’insight dans le phantasme, par l’orientation qu’il a imprimée à la notion d’un verbe intérieur, par la nature psychologique de sa théorie de l’abstraction. Et elle est confirmée tout aussi puissamment par la richesse psychologique des pages qu’il consacre à l’intellect, par opposition à la pauvreté psychologique des pages d’autres auteurs qui entendent par intelligere,non pas principalement l’acte de compréhension, mais tout acte cognitif de nature supposément spirituelle.


1 Maurilio T.-L. Penido, « Gloses sur la procession d’amour dans la Trinité », Ephemerides theologicae lovanienses 14, 1937, p. 33-68.

2 Ludovicus Billot, De Deo uno et trino, Rome, Presses de l’Université Grégorienne, 1910, p. 335.

3 Somme théologique, I, q. 93, a. 6c. « si l’on trouve chez l’homme une ressemblance de Dieu par mode d’image, c’est au niveau de l’âme spirituelle ». Voir Commentaire des Sentences I, d. 3, q. e, a. 1; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 1 et 7; Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 9, a. 9, c. ad fin.

4 Somme contre les Gentils, 4, c. 11, § 4-5.

5 Commentaire sur le Traité de l’âme II, leçon. 18, § 477.

6 Commentaire du traité « De l’interprétation » d’Aristote, 1, leçon 2, § 17 « Les noms et les paroles qui … affectent l’écrit constituent les signes des affections que subit la voix ».

7 Commentaire des Sentences I, d. 27, q. 2, a. 1 sol. Somme théologique, I, q. 34, a. 1 c.

8 Somme théologique, I, q. 34, a. 1 c. « “ Verbe ” a même un quatrième sens, métaphorique cette fois : on désigne de ce nom la chose signifiée ou effectuée par un “ verbe ” proprement dit. On dira ainsi couramment : “ Voilà bien ce (verbe) que je vous avais dit ” ; ou encore : “ ... ce (verbe) que le roi avait ordonné ” ; et ce disant on désigne certain fait qui a été l’objet d’un “ verbe ”, c’est-à-dire dont on a parlé ou qu’on avait prescrit. »

9 Commentaire des Sentences I, d. 27, q. 2, 1 sol.

10 La causalité efficiente est mentionnée dans le Commentaire de l’évangile de saint Jean, c. 1, leçon 1.

11 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2 c. : « que cette conception soit signifiable par un vocable incomplexe… »; Somme contre les Gentils, 4 c. 11, § 6 : « … une certaine similitude que l'intelligence conçoit de la chose connue, similitude qui se trouve signifiée par des paroles extérieures ; d'où le nom donné à ce concept lui-même de verbe intérieur, que traduit une parole (ou verbe) extérieure ». Voir les Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1 c; q. 9, a. 5 c; Somme théologique, I, q. 27, a. 1 c; q. 34, a. 1c; q. 85, a. 2, ad 3m; Questions quodlibétiques, 5, a. 9 c .; Commentaire de l’évangile de saint Jean, c. 1, leçon. 1.

12 Voir les Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 1, ad 7m.

13 Commentaire du Traité de l’interprétation

14 Ibidem, leçon 3, § 31 : « … cette voix : “l’homme est un âne” est vraiment une voix et vraiment un signe; mais comme elle est signe du faux, on la dit fausse ».

15 Commentaire de la métaphysique d’Aristote, livre 6, leçon 4, § 1230-1231; voir livre 5, leçon 9, § 895-896; Commentaire des Sentences I, d. 19, q. 5, a. 1 sol.; Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 2 c; Somme théologique, 1, q. 16, a. 1 c.

16 Voir Aristote, Traité de l’interprétation, 2, 16a 19 – 4, 16b35.

17 Commentaire du Traité de l’interprétation d’Aristote, leçon 2, § 19, 21 : « Le Philosophe montre ensuite que les affections de l’âme, tout comme les réalités, sont d’existence naturelle, par le fait qu’elles sont les mêmes pour tous… Il vaut mieux cependant répondre que l’intention d’Aristote n’est pas d’affirmer l’identité de la conception de l’âme en rapport à la voix et de prétendre qu’une seule voix correspond à une conception unique — d’ailleurs, différentes personnes usent de voix différentes. Il entend plutôt affirmer cette identité des conceptions de l’âme en rapport aux choses : tous se font des mêmes choses, dit-il, les mêmes conceptions ». Voir Aristote, Traité de l’interprétation, 1, 16a 5-8.

18 Voir, par exemple, Somme théologique, I, q. 86, a. 1, objection 1, c, et ad 2m.

19 Les quatre œuvres sont les Sentences, la Somme contre les Gentils – qui mentionne toutefois la définition mais non le jugement (1, c. 53; 4, c. 11), la Somme (voyez cependant 1, q. 85, a. 2, ad 3m), et le Résumé de la foi catholique.

20 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2 c; q. 3, a. 2 c; Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1 c; q. 9, a. 5 c.; Questions quodlibétiques, 5, a. 9 c; Commentaire de l’évangile de saint Jean, c. 1, leçon 1.

21 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2, ad 7m.

22 Somme théologique, I, q. 27, a. 1; q. 34, a. 1; et passim.

23 Voir par exemple Questions disputées sur la vérité, q. 11, a. 1 c. : « les premières conceptions de l’intelligence, qui sont immédiatement connues à la lumière de l’intellect agent au moyen des espèces abstraites des choses sensibles, que ces conceptions soient complexes, comme les axiomes, ou incomplexes, comme la notion d’étant... »

24 Commentaire des Sentences I, d. 19, q. 5, a. 1, ad 7m. Considérations sur le livre de la Trinité de Boèce, q. 5, a. 3 c, init.

25 Commentaire de la métaphysique d’Aristote. Livre VII, leçon 6, § 1405-1410.

26 Somme théologique, I, q. 14, a. 5-6; q. 15, a. 1-3; voir q. 27, a. 1, ad 3m, qui relie la pluralité des idées à la procession divine du Verbe.

27 Voir Commentaire des Sentences I, d. 26, q. 2, a. 3, ad 2m; d. 35, q. 1, a. 2.

28 Voir Commentaire des Sentences I (Op. Ox.), d. 35, q. unica, n. 7. Scot affirme que les idées divines ne peuvent être présentées par un ajout de relations notionnelles à l’essence divine; car l’objet précède le connaître, et les relations qui précèdent le connaître sont réelles, et non notionnelles. L’argument ne touche pas à la position réelle de Thomas d’Aquin, qui tient que l’objet en tant que connu n’est pas antérieur et que les relations appartiennent seulement à l’objet en tant que connu.

29 Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 9, a. 5 c.

30 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 1 c : la parole intérieure est « id quod intellectum est ».

31 Somme contre les Gentils, 4, c. 11, § 6.

32 Commentaire de la métaphysique d’Aristote. Livre 6, leçon 4, § 1230.

33 Somme théologique, I, q. 15, a. 3 c.

34 Commentaire sur le Traité de l’âme III, leçon 11, § 746.

35 Commentaire des Sentences I, distinction 19, q. 5, a. 1, ad 7m : « l’être de la quiddité est un certain être de raison ».

36 Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 5, a. 2, ad 4m.

37 Sur la réflexion judiciaire en général, voir Commentaire de la métaphysique d’Aristote. Livre 6, leçon 4, §1236; Somme théologique, I, q. 16, a. 2c.

38 Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 1; Somme théologique, I, q. 16, a. 1; voir Commentaire des Sentences I, distinction 19, q. 5, a. 1, sol.

39 Somme théologique, I, q. 3, a. 4, 2m.

40 Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 9, a. 5 c. : « le mot extérieur ne signifie pas, en effet, ce qui est pensé ou sa forme intelligible ou son intellection, mais le concept de l'esprit par l'intermédiaire duquel il signifie la réalité, comme, lorsque je dis "homme", ou "l'homme est un animal" »; Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1 c. : « car la voix extérieure ne signifie pas le concept même, ni l'espèce intelligible, ni l'acte de l'intellect, mais sa conception par l'intermédiaire de laquelle elle a rapport à la réalité ».

41 Questions disputées sur la vérité, q. 3, a. 2 c. : « cette quiddité formée dans l’intelligence – ainsi que la composition et la division – est une certaine œuvre qui est sienne, par laquelle cependant l’intelligence vient à connaître la réalité extérieure »; Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2, ad 3m : « La conception de l’intelligence est intermédiaire entre l’intelligence et la réalité pensée, car c’est par son intermédiaire que l’opération de l’intelligence atteint la réalité »; Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1, c. : « la conception de l'intellect n'est qu'en lui, et en plus cette conception est ordonnée à ce qui est pensé, comme à sa fin. Car c'est pour la connaître que l'intellect forme en lui la conception de la chose »; Somme contre les Gentils 1, c. 53 : « L'intention, objet de l'intellection, étant semblable à quelque réalité, il en résulte que l'intellect, en formant cette intention, comprend cette réalité »; Questions quodlibétiques, 5, a. 9, ad 1m : « l’intellect… forme un verbe afin de comprendre la chose » (traduction PL); Commentaire de l’évangile de saint Jean, c. 1, leçon 25 : « Par rapport à l’intelligence, ce n’est pas ce par quoi l’intelligence saisit, mais ce dans quoi elle saisit, parce qu’elle voit, dans ce qu’elle a formé et exprimé, la nature de la réalité qu’elle saisit ».

42 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2, ad 5m; Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1; q. 9, a. 5; Somme théologique, I, q. 27, a. 1 c.

43 Commentaire de l’évangile de saint Jean, c. 1, leçon 1.

44 Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1, ad 12m; Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2, ad 5m; voir Somme théologique, I, q. 32, a. 1, ad 2m.

45 Commentaire de l’évangile de saint Jean, c. 1, leçon 26 : « il faut un mouvement de la raison pour parvenir à concevoir le contenu intelligible de la pierre, et de même pour toute autre réalité que nous saisissons par l’intelligence, à l’exception des premiers principes : ceux-ci sont connus naturellement et immédiatement, sans aucun processus de la raison. Donc, aussi longtemps que, raisonnant, l’intelligence discursive est jetée de-ci, de-là, la formation n’est pas encore achevée; elle ne sera achevée que lorsque l’intelligence aura conçu parfaitement le contenu intelligible lui-même de la réalité; c’est alors seulement qu’elle possède le verbe comme verbe. Voilà pourquoi il y a une cogitation dans notre esprit, c’est-à-dire ce mouvement de recherche, puis un verbe formé dans une parfaite contemplation de la vérité ».

46 Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 9, a. 9 c. : « Car l’intellection n’est achevée que si quelque chose est conçu dans l’esprit de celui qui pense ; ce qui est appelé le verbe ; car on ne dit pas qu’on comprend mais qu’on pense pour comprendre avant qu’une conception s’établisse dans notre esprit ».

47 Somme contre les Gentils, 4, c. 14, § 2 : « Le verbe qui est conçu dans notre esprit ne passe de la puissance à l'acte qu'autant que notre intellect passe de la puissance à l'acte ; notre intellect donne naissance à un verbe pour autant seulement qu'il existe en acte; au moment même où il existe en acte, il lui naît un verbe ».

48 Questions disputées sur la puissance de Dieu, q. 8, a. 1 c et q. 9, a. 5 c. sont les textes qui soulignent le plus ce point.

49 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2 c : « la conception est elle-même l’effet de l’acte de penser ». Voir q. 3, a. 2; q. 4, a. 2, ad 7m; Somme théologique, I, q. 34, a. 1, ad 3m : « l’intellect humain se dit à lui-même la pierre dans le verbe qu’il conçoit en pensant la pierre ».

50 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2 c. : « une chose exprimée par la connaissance de l’esprit ». Voir la Somme théologique, I, q. 34, a. 1. c. : « par définition, le concept intérieur procède d’un principe : la connaissance de l’esprit qui le conçoit ».

51 Somme théologique, I, q. 85, a. 4; q. 55, a. 3; q. 58, a. 2-4; q. 12, a. 8, 10. De nombreux textes sur ce sujet ont été réunis par Julien Peghaire, Intellectus et Ratio selon s. Thomas d’Aquin, Ottawa, Institut d’Études médiévales, Paris, Vrin, 1936, p. 247-280. En voici deux : (Commentaire de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, 1, leçon 1, ad fin.) : « le principe semble être à la connaissance davantage que la moitié est au tout, puisque tout ce qui s'ensuit est contenu dans les principes. C'est ce qu'il souligne: un seul principe bien intelligé et bien étudié éclaire quantité de choses qui sont recherchées dans une science ». (Somme théologique, I, q. 14, a. 7. c.) : « ceux qui passent des prémisses aux conclusions ne les considèrent pas ensemble… il est donc clair que, le premier terme connu, on ignore encore l’autre, et le second n’est pas alors connu “ dans ” le premier, mais “ à partir ” du premier. Le terme de la démarche a lieu quand le second terme est vu dans le premier, les effets se résolvant dans les causes ; mais alors la démarche discursive cesse ».

52 Il faut remarquer que Thomas d’Aquin aborde la parole intérieure, non pas directement dans ses analyses générales de l’intellect, mais dans les passages trinitaires et dans les exposés sur la pluralité des idées divines. Je dirais que les questions théologiques l’ont forcé à développer les matériaux aristotéliciens de base.

53 Aristote, Seconds Analytiques, II, 2, 89b 36 – 90a 34.

54 Aristote, Traité de l’âme, III, 8, 432a 3-10; voir 7, 431a 14, 431b 2 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Traité de l’âme III, ch. 13, § 791; ch. 12, § 772, 777.

55 Aristote, Seconds Analytiques, II, 2, 90a 24-31 (Thomas d’Aquin, Commentaire sur les Seconds Analytiques II, ch. 1, § 416.

56 Commentaire sur les Seconds Analytiques II, ch. 1, § 417.

57 Aristote, Métaphysique IX, 9, 1051a 22-33 (Commentaire sur le Livre IX de la Métaphysique, ch. 10, § 1888-1893).

58 L’analyse aristotélicienne de la compréhension (epistasthai), Seconds Analytiques 1, 2, 71b 9-19 (Commentaires sur les Seconds Analytiques, ch. 4) concerne d’abord son identification avec la connaissance d’une cause et deuxièmement son expression dans un syllogisme scientifique. Les Seconds Analytiques marquent simplement les changements apportés à cette analyse; le reste des ouvrages logiques servent à concentrer l’attention sur cette analyse comme étant essentielle; les ouvrages non logiques l’appliquent. Donc, je dirais que se méprendre ici c’est le moyen le plus sûr de se méprendre sur tout.

59 Aristote, Métaphysique I, 7, 988a 18 – 988b 5 (Commentaire sur le Livre I de la Métaphysique. ch. 11, notamment § 175; Aristote, Métaphysique I, 10, 993a 11-24 (Commentaire sur le Livre I de la Métaphysique, ch. 17, notamment § 272.

60 Aristote, Métaphysique VII, 17, 1041a 9-32 (Commentaire sur le Livre VII de la Métaphysique, ch. 17, notamment § 1649-1651.

61 Aristote, Métaphysique VII, 17, 1041b 4-8 (Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 17, notamment § 1666-1668.

62 Par ex., Aristote, Métaphysique V, 8, 1017b 10-16.

63 Commentaire du Livre V de la Métaphysique, ch. 10, § 904.

64 Il y a une ambiguïté parallèle touchant l’espèce (species) (Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch.. 9, § 1473) : « Il faut cependant savoir qu’aucune matière, ni commune ni individuelle, ne se rapporte par soi à l’espèce entendue comme une forme. Mais selon que l’espèce est entendue universellement, comme nous disons que l’homme est une espèce, alors la matière commune appartient par soi à l’espèce, mais non la matière individuelle dans laquelle la nature de l’espèce est reçue ».

65 J. H. Newman exprime ce propos, non sans une touche d’exagération, lorsqu’il écrit : « Ce sont des hommes de second ordre qui, très utiles à la place qu’ils occupent, prouvent, concilient, achèvent et expliquent » Grammaire de l’assentiment, traduction de Marie-Martin Olive o.p., Ad Solem, 2010, p. 460.

66 Aristote, Topique 1, 5, 102a 18; 1, 8, 103b 9-10; V, 3, 131b 37-132a 9; V, 4, 133a 1, 6, 9.

67 Ibidem, 1, 4, 101b 19, 21; 1, 5, 101b 39.

68 Ibidem, 1, 5, 102a 14-17. Sur la définition et ses relations avec le syllogisme scientifique, voir les Seconds Analytiques, II, 8-10 (Thomas d’Aquin, Commentaire sur les Seconds Analytiques II, ch. 7 et 8).

69 Aristote, Métaphysique VII, 4, 1029b 13-23 (Thomas d’Aquin, Commentaire sur le Livre VII de la Métaphysique, ch. 3, § 1308-1310).

70 Aristote, Métaphysique VII, 6 (Thomas d’Aquin, Commentaire sur le Livre VII de la Métaphysique, ch. 5).

71 Aristote, Physique, II, 7, 198b 14-18; voir Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de la Physique d’Aristote, ch. 10 ad fin., où Thomas d’Aquin résume l’argument sous une forme ontologique.

72 Aristote, Physique, II, 3, 194b 16-195b 27 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de la Physique, ch. 5); Aristote, Seconds Analytiques, II, 11, 94a 20-36 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II des Seconds Analytiques, ch. 9); Aristote, Métaphysique I, 3, 983a 26-31 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 4, § 70); Aristote, Métaphysique V, 2, 1013a 27, b 23, b 33 (Thomas d’Aquin. Commentaire du Livre V de la Métaphysique, ch. 2, § 764; ch. 3, 779; Ibidem, § 786).

73 Aristote, Parties des animaux, I, 1, 640b 31-36. Voir aussi Ibidem, 641a 18-21; et De l’âme, II, 1, 412 b 20-22 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de De l’âme, ch. 2, § 239).

74 Aristote, Parties des animaux, 1, 1, 640a 20-24; Métaphysique, 1, 10, 993a 17 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 17, § 272; voir Aristote, Physique, II, 2, 194a 20 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de la Physique, ch. 4).

75 Aristote, Métaphysique VII, 17, 1041b 11-32 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 17, 1672-1680).

76 Aristote, De l’âme, II, 1, 412b 17-24 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de De l’âme, ch. 2, § 239). Si l’âme est tout entière dans chacune des parties, cette position aristotélicienne semble signifier que chaque partie d’un animal est également un animal. Par conséquent, lorsqu’il écrit son Commentaire des Sentences I, d. 8, q. 5, a. 3 sol., Thomas d’Aquin paraît avoir jugé ridicule la position aristotélicienne, mais il a trouvé une distinction qui permet de tout concilier à l’époque où il rédige la Somme théologique, I, q. 76, a. 8, ob. 3 et ad 3m.

77 Aristote, De l’âme, II, 12, 424a 27 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de De l’âme, ch. 24, § 555); Aristote, De l’âme, III, 2, 426b 7 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de De l’âme, ch. 2, § 598). Le mot important ici n’est pas la traduction « proportion », mais le terme grec « logos ».

78 Aristote, De l’âme, II, 12, 424a 28-424b 3 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de De l’âme, ch. 24, § 556-557).

79 Aristote, De l’âme, II, 1, 412a 20.

80 Ibidem, a 27.

81 Ibidem, b. 5.

82 Ibidem, b. 9 : ousia gar hê kata ton logon.

83 Ibidem, b. 9-11; voir Métaphysique, VII, 10, 1035b 14 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 10, § 1484).

84 Aristote, De l’âme, II, 1, 412b 18.

85 Ibidem, II, 2, 413 a 12.

86 Ibidem; voir Seconds Analytiques, II, 8-10 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II des Seconds Analytiques, ch. 7 et 8).

87 Aristote, De l’âme, II, 2, 414a 4-27 (Thomas d’Aquin, Commentaire de l’âme, II, ch. 4, §§ 271-275). Ce n’est pas Aristote mais Thomas d’Aquin qui met les points sur les I et les barres sur les T concernant la double définition de l’âme comme application de la théorie pure des Seconds Analytiques.

88 Aristote, De l’âme, II, 2, 414a 14.

89 Ibidem, 27.

90 Aristote, Métaphysique I, 8, 989b 29-990a 12 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 13, §§ 202-203); Aristote, Métaphysique I, 7, 988a 34-988b 5 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 11, §§ 175-178).

91 Aristote, Physique, II, 3, 194b 27-28; (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre II de la Physique d’Aristote, ch. 5); Aristote, Métaphysique V, 2, 1013b 33 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre V de la Métaphysique, ch. 3, § 786).

92 Aristote, Métaphysique XIII, 4, 1078b 9-34.

93 Thomas d’Aquin, L’essence et l’être : « Elle est aussi appelée forme, puisque la forme signifie la détermination propre à chaque chose, comme le dit Avicenne au deuxième livre de sa Métaphysique. Ceci est dit aussi par l’autre de nom de nature, en le prenant au premier des quatre sens que Boèce assigne à ce terme dans le livre des deux natures : est appelé nature tout ce que l’intellect peut saisir d’une manière quelconque. Une chose n’est en effet intelligible que par sa définition et son essence. Et c’est ainsi que le Philosophe dit au livre V de sa Métaphysique que toute substance est nature ».

94 Par exemple, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 3, § 1308-1310; ch. 5, § 1363, 1366, 1378.

95 Commentaire du Livre IV de la Métaphysique, ch. 7, § 627; Commentaire du Livre V de la Métaphysique, ch. 7, § 864.

96 Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 4, § 70; ch. 11, § 175; ch. 17, § 272.

97 « neque… genus neque species neque individuum, sed horum omnium formale principium ». Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 2, § 1275.

98 Ibidem, ch. 7, § 1421; voir également § 1422, et ch. 15, § 1608.

99 Ibidem, ch. 10, § 1487; voir également § 1481.

100 Ibidem, ch. 6, § 1404; mais il faut se rappeler que l’idée de l’artiste est une parole intérieure qui a été pensée et n’est pas une forme au sens strict.

101 Ibidem, ch. 13, § 1567.

102 Ibidem, § 1577.

103 Ibidem, ch. 17, § 1648, 1668, 1678.

104 Commentaire du Livre IV de la Métaphysique, ch. 7, § 625; Commentaire du Livre V de la Métaphysique, ch. 19, § 1048; Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 3, § 1309; Ibidem, ch. 5, § 1378; Ibidem, ch. 7, § 1422; Ibidem, ch. 10, 1493.

105 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 4, § 1331-1334, 1339-1341, 1352-1355.

106 Commentaire du Livre VIII de la Métaphysique, ch. 3, § 1709.

107 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 1, § 1269.

108 Aristote, La Métaphysique VII, 3, 1029a 26-33.

109 Ibidem, 4, 1029b 12.s

110 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 10, § 1484, 1487.

111 Commentaire du Livre IX de la Métaphysique, ch. 5, § 1828.

112 « quod quid erat esse est substantia, et ratio significativa eius est definitio ». Commentaire du Livre VIII de la Métaphysique, ch. 1, § 1685.

113 « substantia rei quae est quod quid erat esse est principium et causa ». Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 17, § 1649.

114 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 17, § 1667-1668. « Et de la même manière lorsque nous cherchons à savoir ce qu’est l’homme, c’est comme si nous demandions pourquoi celui-ci, à savoir Socrate, est un homme : c’est-à-dire parce que la quiddité de l’homme lui appartient. Ou encore c’est comme si nous demandions pourquoi le corps qui se présente de telle manière, à savoir comme un corps organisé, est un homme. Telle est en effet la matière de l’homme, tout comme les pierres et les briques sont la matière de la maison. C’est pourquoi il est évident que dans de telles questions on recherche ¨la cause de la matière¨, c’est-à-dire pourquoi la matière parvient à la nature de ce qui est défini. Mais ce qui est recherché comme cause de la matière, ¨c’est l’espèce¨, c’est-à-dire la forme par laquelle la matière est quelque chose de déterminé. Mais cela, ¨c’est la substance¨, c’est-à-dire la substance même qui est la quiddité. Et il s’ensuit ainsi que tel est le propos qui était à manifester, à savoir que la substance est principe et cause ».

115 Commentaire du Livre V de la Métaphysique, ch. 2, § 764. « Et parce que c’est par sa forme propre que toute chose acquiert la nature d’un genre ou d’une espèce, et que la nature d’un genre ou d’une espèce est ce que signifie la définition en disant ce qu’est la chose, c’est pourquoi la forme est la raison de la ¨ quiddité ¨, c’est-à-dire la définition grâce à laquelle on connaît ce qu’est la chose. En effet, bien que dans la définition soient présentes certaines parties matérielles, cependant ce qui est principal dans la définition doit se tenir du côté de la forme. Et telle est la raison pour laquelle la forme est cause, car c’est par elle que s’accomplit l’intelligence de la quiddité de la chose ». Voir le Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 4, § 70, où cependant « quod quid erat esse » apparaît semble-t-il dans le texte mais non dans le commentaire.

116 Commentaire du Livre V de la Métaphysique, ch. 10, § 902.

117 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 9, § 1473. Voir également le ch. 2, § 1270; ch. 10, § 1491; ch. 15, § 1606.

118 Par exemple, Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 12c, où l’argumentaire passe de l’essentia à la quidditas, puis au quod quid est sans écarts de signification manifestes.

119 Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 1, § 2-4; ch. 3, § 54-55; § 66-67.

120 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 4.

121 Commentaire du Livre IX de la Métaphysique, ch. 11, § 1897-1900.

122 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 8, § 1450-1452. Pour saisir le raisonnement au complet, voir Aristote, Métaphysique VII, 7-9. (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 6-8).

123 Voir la note 54.

124 « Quilibet in se ipso experiri potest, quod quando aliquis conatur aliquid intelligere, format sibi aliqua phantasmata per modum exemplorum, in quibus quasi inspiciat quod intelligere studet ». Somme théologique, I, q. 84, a. 7. c.

125 Joannis Duns Scoti… Opera omnia, Tome 9, Quaestiones in Librum Primum Sententiarum, Paris, Vivès, 1893, d. 3, q. 6, § 10-12, p. 250-251.

126 Scot pose d’abord les concepts, puis l’appréhension du lien (nexus) entre les concepts; voir Ibidem, tome 7 : Quaestiones… super Libros Metaphysicorum Aristotelis, Paris, Vivès, 1891, livre 2, q. 1, § 2, p. 96.

127 Aristote, Métaphysique I, 6, 987b 14-18 (Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 10, § 157). Au sujet de la distinction entre différentes positions platoniciennes, voir Aristote, Métaphysique XIII, 1, 1076a 17-23.

128 Commentaire au traité de l’âme, Livre III, leçon 8, § 713. Somme théologique, I, q. 86, a. 1; q. 84, a. 7; et passim.

129 Voir la note 54. Au sujet de l’insight dans le phantasme et de la théorie scientifique moderne, voir James Clark Maxwell : A Commemoration Volume 1831-1931 : Essays by J.J. Thomson et al., Cambridge, At the University Press, 1931, p. 31, 98, 104, 106.

130 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 17, q. 2, a. 1, sol.; d. 20, q. 2, a. 2, ad 2m; Commentaire des Sentences, Livre IV, d. 49, q. 2, a. 6, ad 3m; Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 6, a. 2 c.; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6; etc.

131 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 24, q. 2, a. 2, ad 1m; Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. 1, a. 3, sol. 2. Thomas d’Aquin avance même un énoncé un peu audacieux plus tôt, dans le Commentaire des Sentences, Livre I, d. 3, a. 4, a. 3 sol.

132 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 17, q. 2, a. 1 sol.

133 Commentaire au traité de l’âme, a. 15, ad 3m.

134 Questions disputées sur la vérité, q. 18, a. 8, ad 4m.

135 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 2, ad 7m (Iae ser.).

136 « potentiae sensitivae sunt necessariae animae ad intelligendum, non per accidens tamquam excitantes, ut Plato posuit; neque disponentes tantum, sicut posuit Avicenna; sed ut repraesentantes animae intellectivae proprium obiectum, ut dicit Philosophus in III De Anima ». Commentaire au traité de l’âme, a. 15 c, ad fin.

137 Considérations sur le livre de la Trinité de Boèce, q. 6, a. 2 c, ad 5m; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 2, ad 7m (Iae ser.); Somme théologique, I, q. 84, a. 7; q. 85, a. 1, ad 5m.

138 « etiam Deus cognoscitur a nobis per phantasma sui effectus, inquantum cognoscimus Deum per negationem vel per causalitatem vel per excellentiam ». Questions disputées sur le mal, q. 16, a. 8, ad 3m; voir la Somme théologique, I, q. 84, a. 7, ad 3m.

139 « in quo resplendet species intelligibilis sicut exemplar in exemplato sive in imagine ». Somme contre les Gentils, 2, c. 73, § 38.

140 Ibidem; Questions disputées sur la vérité, q. 19, a. 1 c; Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. 1, a. 3, sol. 3; sol. 5 ad 3m; comparer avec la Somme théologique, 3, q. 12, a. 2 c. Voir également Commentaire au traité de l’âme, III, leçon 8, § 700-704; Questions disputées sur le mal, q.16, a. 8.

141 « cum phantasmata comparentur ad intellectum ut obiecta in quibus inspicit omne quod inspicit, vel secundum perfectam repraesentationem vel secundum negationem ». Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 6, a. 2, ad 5m; voir la Somme contre les Gentils, 2, c. 73.

142 Commentaire des Sentences, Livre IV, d. 49, q. 2, a. 7, ad 12m; voir le Commentaire au traité de l’âme, a. 15, ad 20m.

143 Commentaire sur les Seconds Analytiques II, ch. 20.

144 Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 1, § 19.

145 Ibidem, § 30.

146 Ibidem, § 23, 24, 29.

147 Ibidem.

148 Somme théologique, I, q. 78, a. 4 c, ob. 5 et ad 5m.

149 Commentaire sur les Seconds Analytiques II, ch. 20; voir Commentaire au traité de l’âme II, ch. 13, § 396-398.

150 Alors que Duns Scot pose qu’il y a une connaissance du singulier dans l’intellect (voir Charles Reginald Schiller Harris, Duns Scotus, vol. 2, The Philosophical Doctrines of Duns Scotus, Oxford, At the Clarendon Press, 1927, p. 20-26, Thomas d’Aquin, du moins dans ses commentaires de l’œuvre d’Aristote, peut affirmer la nécessité d’une certaine connaissance de l’universel dans les sens (voir Commentaire sur les Seconds Analytiques II, ch. 20).

151 « Nam cum volo concipere rationem lapidis, oportet quod ad ipsam ratiocinando perveniam : et sic est in omnibus aliis quae a nobis intelliguntur; nisi forte in primis principiis, quae cum sint simpliciter nota, absque discursu rationis sciuntur ». Commentaire de l’évangile de saint Jean, ch. 1, leçon 1; voir Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 1, a. 2.

152 « … ex hoc ipso quod intellectus noster accipit a phantasmatibus, sequitur in ipso quod scientiam collativam habet, inuantum ex multis sensibus fit una memoria et ex multis memoriis fit unum experimentum et ex multis experimentis fit unum universale principium ex quo alia concludit; et sit acquirit scientiam, ut dicitur in I Metaphys. in prooem. et in fine Posterium ». Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. 1, a. 3, sol. 3; voir Commentaire des Sentences, Livre II, d. 3, q. 1, a. 2, sol.; Somme contre les Gentils, 3, c. 56; Somme théologique, II-II, q. 180, a. 6, ad 2m; voir J. Peghaire, Intellectus et Ratio, p. 103-126.

153 Commentaire des Sentences, Livre IV, d. 50, q. 1, a. 1 sol.; voir Ibidem, d. 49, q. 2, a. 6, ad 3m.

154 Somme contre les Gentils, 2, c. 83, § 31.

155 Commentaire au traité de l’âme, a. 7, ad 1m; Résumé de la foi catholique, ch. 104; Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 6, a. 4; Somme contre les Gentils, 2, c. 94. « Praeterea » : 3, c. 41.

156 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 16, § 1669-1671.

157 Ibidem, ch. 16, § 1642-1646.

158 Aristote, Métaphysique XII, 9, 1074b 34; Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre XII de la Métaphysique, ch. 11.

159 Aristote, De l’âme, III, 4, 430a 3; voir Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 87, a. 1, ad 3m; Questions disputées sur la vérité, q. 8, a. 6 et 7; Les substances séparées, c. 3, 1, 81; Commentaire du Livre IX de la Métaphysique, ch. 11, § 1904.

160 Octave Hamelin, Le système d’Aristote, Paris, Félix Alcan, 1920, Huitième leçon, « Le concept », p. 108-127.

161 J. Peghaire, Intellectus et Ratio, p. 29-71.

162 Somme théologique, I, q. 27, a. 1 c. ad fin. : « Il faut ici entendre [la procession

163 J. Peghaire, Intellectus et Ratio, p. 18-25, énumère une douzaine d’acceptions du mot intellectus chez Thomas d’Aquin.

164 Un désir naturel de la vision béatifique est absent des écrits antérieurs : le sujet est passé sous silence dans le Commentaire des Sentences, Livre II, d. 33, q. 2, a. 2; dans le Commentaire des Sentences, Livre IV, d. 49, q. 2, a. 1; dans les Questions quodlibétiques, 10, a. 7; dans les Questions disputées sur la vérité, q. 8, a. 1; en outre, il semble positivement exclu dans les Questions disputées sur la vérité, q. 14, a. 2, texte auquel il faut comparer un article de la Somme théologique : II-II, q. 4, a. 1. La première occurrence de ce thème semble être l’exposé magistral sur la béatitude dans la Somme contre les Gentils, 3, c. 25-63; voir notamment les c. 25, 48, 50, 63. L’idée est réaffirmée dans la Somme théologique, I, q. 12, a. 1 c; a. 8 ad 4m; q. 62, a. 1 c; I-II, q. 3, a. 8; dans le Résumé de la foi catholique, c. 104. Cette doctrine prend sa source chez Aristote (Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 1, § 2-4, ch. 3, § 54-55; § 66-67). Cette origine se manifeste plus clairement dans la Somme contre les Gentils, 3, c. 50 et dans la Somme théologique, I-II, q. 3, a. 8 c.

165 La source de cet énoncé se trouve dans le Commentaire au traité de l’âme, Troisième partie, ch. 8, § 705-719, notamment l’affirmation pertinente au § 717. Cette position est réaffirmée sans cesse : voir le Commentaire des Sentences, Livre III, d. 23, q. 1, a. 2, sol.; Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 12 c; q. 15, a. 2, ad 3m; Somme contre les Gentils, 3, ch. 56, « Amplius »; Somme théologique, I, q. 17, a. 3; q. 85, a. 6; q. 85, a. 8; q. 84, a. 7.

166 Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 6, a. 3, c. « La connaissance des définitions comme celle des démonstrations doit en effet tirer son origine de quelque connaissance préexistante ». Voir Ibidem, a. 4 c.

167 Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 1, ad 9m : « On dit que l’intelligence sait d’une chose ce qu’elle est, quand elle la définit, c’est-à-dire lorsqu’elle conçoit au sujet de cette réalité une forme qui correspond en tout à cette réalité ».

168 Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 7, ad 5m : « Celui qui connaît une définition connaît en puissance les énoncés que l’on démontre par la définition ». Cherchez chez Euclide une propriété du cercle qui n’est pas démontrée par une définition du cercle.

169 Questions disputées sur la vérité, q. 20, a. 5 c. ad fin. : « En effet, chaque réalité est comprise lorsque sa définition est sue… Or la définition de n’importe quelle puissance se prend des choses auxquelles la puissance s’étend. Si donc l’âme du Christ savait tout ce à quoi s’étend la puissance de Dieu, elle comprendrait entièrement la puissance de Dieu ; ce qui est tout à fait impossible ».

170 Questions disputées sur la vérité, q. 15, a. 2, ad 3m.

171 Somme théologique, I, q. 79, a. 9, ad 3m.

172 Somme contre les Gentils, 3, c. 56 : « Une faculté de connaissance n'atteint un être que sous le biais de son objet propre, le sens de la vue par exemple ne saisit d'un être que sa couleur. Or l'objet propre de l'intelligence est le ‘quod quid est’ (ce qu'est la chose), c'est-à-dire la substance de l'être. Donc tout ce qu'une intelligence connaît d'une chose, elle le connaît par la substance même de cette chose ; c'est pourquoi toute démonstration en vue de trouver les accidents propres d'un être, a son point de départ dans ‘l'essence’ de cet être. Mais qu'une intelligence connaisse une substance grâce à ses accidents – ‘les accidents comptent pour beaucoup dans la connaissance de l'essence’ d'une chose, lisons-nous au I ‘de Anima’ - ceci est accidentel et s'explique du fait que la connaissance de cette intelligence a son origine dans le sens ; ainsi la connaissance des accidents sensibles conduit à l'intelligence de la substance ; cela n'a pas lieu dans le domaine de la mathématique, mais seulement en celui de la nature. Par conséquent tout ce qui dans un être n'est pas perceptible dans la connaissance de sa substance, échappe nécessairement à l'intelligence ».

173 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2c : « Or, en nous, tout objet pensé est une chose qui émane réellement d’autre chose : soit comme les conceptions des conclusions émanent des principes, soit comme les conceptions des quiddités des réalités postérieures émanent des quiddités des antérieures, soit, du moins, comme la conception actuelle émane de la connaissance habituelle. Et cela est universellement vrai de tout ce qui est pensé par nous, que ce soit par essence ou par ressemblance. En effet, la conception est elle-même l’effet de l’acte de penser ». Je ne crois pas que les trois options énumérées correspondent à la gamme complète des possibilités, car elles concernent les déductions opérées par un esprit adulte, soit l’aspect de la question que Thomas d’Aquin aurait considéré comme le plus familier pour ses contemporains. Je ne crois pas que le principe général dont on affirme qu’il ne souffre pas d’exceptions doive être restreint au domaine illustré par ces exemples. Quant à la conception découlant d’une connaissance habituelle, il est vrai, d’une part, que la possession habituelle de principes sans attention explicite à ces principes contrôle la pensée en acte (Questions disputées sur le mal, q. 16, a. 6, ad 4m), mais, d’autre part, il est faux de dire qu’aucune conception ne saurait exister sans une compréhension en acte qui en soit la cause (Somme contre les Gentils, 4, c. 14, § 3).

174 Questions disputées sur la vérité, q. 4, a. 2 c. : « … une chose exprimée par la connaissance de l’esprit ».

175 Somme théologique, I, q. 34, a. 1 c. : « par définition, le concept intérieur procède d’un principe : la connaissance de l’esprit qui le conçoit ».

176 Commentaire de l’évangile de saint Jean, c. 1, leçon 1.

177 Ibidem.

178 Voir note 46.

179 Voir note 47.

180 Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 17, § 272; voir la Somme théologique, I, q. 44, a. 2.

181 Commentaire du Livre II de la Métaphysique, ch. 1, § 287-288.

182 Ibidem, § 275-276.

183 Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 12, § 1552; Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 1, ad 6 m; Somme théologique, I, q. 77, a. 1, ad 7m.

184 Somme contre les Gentils, 1, c. 3, ad fin.

185 Ibidem, 3, c. 48, « Praeterea ».

186 Somme contre les Gentils, 3, c. 48, § 12 : « Or tous les hommes, sur le plan de la connaissance du vrai, sont toujours en mouvement et à la recherche d'une perfection : les fils ajoutent aux découvertes de leurs pères. Ainsi jamais les hommes, sur ce plan de la vérité à connaître, ne sont comme installés en leur fin dernière. Puisque la félicité de l'homme ici-bas semble résider surtout dans cette contemplation qui donne la connaissance de la vérité, comme Aristote le prouve, il est impossible d'avancer que l'homme atteint sa fin dernière en cette vie ».

187 Somme théologique, I, q. 87, a. 1 c. : « Intellectus autem humanus se habet in genere rerum intelligibilium ut ens in potentia tantum, sicut et materia prima se habet in genere rerum sensibilium : unde possibilis nominatur ».

188 Ibidem, q. 85, a. 1, ad 2m.

189 « quae est materia determinatis dimensionibus substans ». Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 5 c.

190 Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6, ad 1m; Somme théologique, I, q. 57, a. 2 c.

191 Commentaire des Sentences, Livre II, d. 3, q. 3, a. 3 sol. Le propos fondamental concerne l’affirmation d’Aristote, tenant que les Idées de Platon, étant des choses singulières, ne sont pas définissables. Voir le Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 15; Thomas d’Aquin tire la conclusion pertinente au § 1626.

192 « sicut rusticus cognoscit ». Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 5 c; voir le Commentaire au traité de l’âme, a. 20 c.

193 Questions disputées sur la vérité, q. 10, a. 2 c.

194 Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 5, a. 3 c, ad fin. : « La troisième suivant l’opposition de l’universel au particulier; celle-ci convient aussi à la physique et est commune à toutes les sciences, parce que dans toute science on met de côté ce qui est per accidens en prenant ce qui est per se ».Tout cet opuscule, et particulièrement les questions 5 et 6, constitue un monument à l’attachement que porte Thomas d’Aquin au Livre VII de La Métaphysique, 10-15. (Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 9-15).

195 On pourrait penser que, alors que la géométrie euclidienne abstrait du « ici » et du « là » au sens où ces repères sont non pertinents pour les théorèmes, la. géométrie non euclidienne accorde une importance essentielle au « ici » et au « là » comme tels. Cette conception est erronée. Toutes les géométries supposent une multiplicité de différences purement empiriques qui ne sont pas significatives comme telles; les diverses géométries diffèrent en fonction des lois qui relient les éléments à la multiplicité; et la géométrie euclidienne occupe une position unique parce qu’elle emploie, de manière inconsciente la plupart du temps, les lois les plus simples. Nul ne peut imaginer, et encore moins voir, l’espace infiniment grand; on s’imagine un certain volume et on conçoit l’ajout d’autres volumes selon un ensemble de lois qui peuvent être, mais ne sont pas nécessairement, du type appelé euclidien.

196 Il reste le continuum espace-temps qui est la matière pure des sensibilia communia, soit la magnitude, la forme, le nombre, le mouvement, le repos. On ne peut imaginer l’un de ces éléments sans imaginer également certaines des sensibilia propria; mais alors que les sensibilia communia sont essentielles aux mathématiques pures et aux mathématiques appliquées à la fois, et font partie de leur objet, les sensibilia propria, même si elles sont nécessairement présentes dans l’imagination, ne sont pas pertinentes pour les théorèmes.

197 C’est là probablement que s’est présentée l’occasion de la distinction entre la matière sensible et la matière intelligible. Voir Aristote, La Physique, II, 2, 193b 23-194a 18 (Thomas d’Aquin, Commentaire de La Physique, Livre II, ch. 3), Commentaire du Livre I de la Métaphysique, ch. 10, § 157; Commentaire du Livre VI de la Métaphysique, ch. 1, § 1145; Commentaire du Livre VII de la Métaphysique, ch. 10, § 1494-1496; ch. 11, § 1507-1508; Commentaire du Livre VIII de la Métaphysique, ch. 5, § 1760; Aristote, La Métaphysique XIII, 3, 1078a 14-31; Thomas d’Aquin, Commentaire du Traité du ciel et du monde d’Aristote, Livre I, leçon 19, § 4; Commentaire du Traité de l’âme, Troisième partie, ch. 8, § 707-708, 714; Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 5, a. 3; Questions disputées sur la vérité, q. 2, a. 6, ad 1m; Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 2m; etc.

198 Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 6, a. 2 c.

199 « ens, unum, potentia et actus, et alia huiusmodi ». Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 2m.

200 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 2, q. 1, a. 3 sol.

201 « … inducendo in singularibus per exempla manifestari potest illud quod volumus dicere ». Commentaire du Livre IX de la Métaphysique, ch. 5, § 1826.

202 Ibidem, § 1827-1829.

203 « ratio entis et non entis ». Somme théologique, I-II, q. 66, a. 5, ad 4m.

204 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 19, q. 5, a. 1, ad 7m; Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 5, a. 3 c.

205 Commentaire des Sentences, Livre I, d. 19, q. 5, a. 1, ad 2m; Questions sur le livre De la Trinité de Boèce, q. 1, a. 3, ob. 3; q. 6, a. 4 c.; Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 1; Commentaire du Livre IV de la Métaphysique, leçon 6, 605; Commentaire des Seconds Analytiques d’Aristote, leçon 5; L’être et l’essence, Proem.; Somme théologique, I, q. 5, a. 2 c.; I-II, q. 94, a. 2 c.

206 [Les éditeurs des Collected Works of Bernard Lonergan indiquent que la version française comportait ici un ajout par rapport à l’original : « Je distinguerais maintenant : 1) notion, 2) concept implicite, 3) connaissance, 4) idée et 5) théorie de l’être. La notion de l’être est désir intellectuel, la première source de l’admiration, l’origine de toutes les questions. Le concept implicite est n’importe quel concept se référant à une affirmation prospective : ens dicitur ab esse, et tout concept se référant à une affirmation prospective se réfère à l’esse. La connaissance d’un être se produit dans un jugement vrai, et la connaissance de l’être se produit dans la totalité des jugements vrais. L’idée de l’être est l’essence divine comme species intelligibilis; c’est ce par quoi Dieu comprend le tout de tout. Finalement les théories de l’être sont celles qui rendent compte, bien ou mal, de ce qui précède ». Lonergan a écrit en marge, dans l’une des épreuves, ‘cf. Peri Herm., I, lect. 6, § 5.’

207 Somme contre les Gentils, 2, c. 83, § 31 : « Une seule puissance ne saurait avoir naturellement qu'un seul objet : ainsi la vue, la couleur et l'ouïe, le son. Donc puisque l'intellect est une puissance unique, son unique objet naturel sera ce dont par soi et naturellement il a connaissance… naturellement notre intellect connaît l'existant et ce qui appartient par soi à l'existant en tant que tel »

208 Somme théologique, I, q. 13, a 11 c.

209 Questions disputées sur la vérité, q. 11, a. 1, ad 3m.

210 Cet énoncé accentue le raisonnement du Commentaire des Sentences, Livre III, d. 14, q. unica, a. 1, sol. 2 c.; Somme théologique, I, q. 79, a. 2; Somme contre les Gentils, 2, c. 98; voir le Commentaire du Traité de l’âme, troisième partie, question 13, § 790; Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 9 c.

211 Somme théologique, I, q. 79, a. 7 c.; Questions disputées sur la vérité, q. 1, a. 2, ad 4m.

 

 

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