Les oeuvres de Bernard Lonergan
Pour une méthode en théologie: ch. 6 - La recherche des données

 

DEUXIÈME PARTIE

Esquisse des fonctions constituantes

 

6

La recherche des données

Au chapitre précédent, nous avons souligné quelques-unes des caractéristiques principales de cette première fonction constituante de la théologie. Les lecteurs s'attendent peut-être à ce que le présent chapitre leur propose un ensemble d'indications précises sur la manière dont s'effectue la recherche des données. Malheureusement peut-être, celle-ci constitue une catégorie très diversifiée et se révèle beaucoup plus une question de pratique que de théorie. Si on a l'intention de s'adonner à de la recherche générale, on devrait alors trouver qui sont les maîtres dans le secteur où l'on désire travailler. C'est à eux qu'on doit aller et c'est avec eux qu'on doit travailler pour se familiariser avec les instruments dont ils se servent et pour parvenir à comprendre pourquoi au juste ils procèdent de telle ou telle façon. D'autre part, si on a l'intention de s'adonner à de la recherche spéciale, on doit déterminer à quelle autre fonction constituante de la théologie cette recherche est susceptible de rendre service. Ici encore, il faut trouver un maître qui travaille dans cette autre fonction à partir des données recueillies. Il faut donc le rencontrer, faire partie d'un séminaire qu'il organise et entreprendre une thèse sous sa direction. La recherche des données, en effet, qu'elle soit générale ou spéciale, s'avère toujours une tâche concrète guidée non par des généralités abstraites, mais par une intelligence pratique acquise au cours d'un processus autocorrectif d'apprentissage grâce auquel on assimile aussi ce qu'on appelle le sens commun.

Si donc nous ne nous proposons pas d'offrir des indications sur les procédés employés pour recueillir les données, on s'attendra peut-être à ce que nous signalions les secteurs auxquels cette recherche à portée théologique devra s'appliquer. Nous sommes disposé à le faire, dans le but de régler non pas des problèmes théologiques mais des problèmes méthodologiques.

Distinguons d'abord les sciences humaines, les sciences religieuses, la théologie chrétienne et la théologie catholique. Les quatre traitent de l'être humain. Chacune d'entre elles diffère des autres en ceci qu'elle reconnaît comme pertinent à sa documentation un champ de données plus ou moins étendu. Les champs de recherche des sciences humaines et des sciences religieuses ne nous concernent pas ici1 ; il nous revient plutôt d'indiquer comment on peut prendre position devant les opinions divergentes qu'entretiennent les chrétiens au sujet des données propres à la théologie chrétienne.

La question n'est pas nouvelle. La théologie doit-elle se baser sur l'Écriture seule, ou sur l'Écriture et la Tradition ? La Tradition se réduit-elle à l'enseignement explicite des apôtres, ou comprend-elle l'enseignement ininterrompu de l'Église ? Comprend-elle l'enseignement ininterrompu de l'Église jusqu'au concile de Nicée, jusqu'en 1054, jusqu'à la prépondérance des doctrines scolastiques, jusqu'au concile de Trente, jusqu'à l'époque de Pie IX, ou bien jusqu'à la fin des temps ?

Toutes les réponses ne sauraient être justes. Pour déterminer quelle est la bonne réponse, il faut attendre la sixième fonction, celle des doctrines. Mais comment parvenir à cette sixième fonction si l'on ne sait pas quels sont les secteurs que doit recouvrir la documentation théologique, et comment soupeser l'importance que chacun d'eux peut avoir ?

Je répondrai qu'il faut laisser les théologiens chrétiens partir de leur position actuelle. Chacun d'eux reconnaîtra la pertinence théologique d'un ou plusieurs des secteurs susmentionnés ; qu'il travaille donc à l'intérieur de ces limites, et il constatera que la méthode est conçue pour s'occuper de ce problème.

Après tout, les théologiens chrétiens se divisent non seulement sur la pertinence que les divers secteurs peuvent avoir pour la documentation théologique, mais également sur l'interprétation des textes, l'histoire des événements et l'importance des mouvements. Ces divergences ont des racines variées. Certaines divergences peuvent être éliminées par le progrès de la recherche des données, de l'interprétation et de l'histoire, ou encore par l'effet curatif du temps. D'autres divergences procèdent de ce que le développement s'est effectué dans plusieurs directions à la fois, car il existe des cultures disparates et la conscience se différencie de plusieurs manières ; on peut dépasser ces divergences en apprenant à transposer les perceptions d'une culture à une autre, et d'une différenciation de la conscience à une autre. D'autres divergences, enfin, tiennent au fait qu'une conversion intellectuelle, morale ou religieuse ne s'est pas produite, et ce sera la tâche de nos chapitres sur la dialectique et les fondements de montrer comment amener au jour ces divergences, de sorte que les gens de bonne volonté puissent se découvrir les uns les autres. Enfin, la méthode n'est évidemment pas une voie à sens unique, puisque les fonctions constituantes de la théologie restent toujours en interaction. Si l'établissement des doctrines amène un théologien à changer d'idée au sujet des secteurs où la théologie peut trouver ses données, ce théologien sera porté à modifier également sa pratique à l'étape même où il recueille ses données.


1 Notre dernier chapitre – La communication – traitera notamment de la relation qui existe entre la théologie, les sciences religieuses et les sciences humaines.

 

 

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