Oeuvres de Lonergan
Isomorphisme de la pensée thomiste et de la démarche scientifique

 

Article publié originellement dans Sapientia Aquinatis, volume 1
(
Communicationes IV, Congressus Thomistici Internationalis,
Rome, 1955), p. 119-127.
La première traduction française, de Pierrot Lambert,
a été publiée dans
Pour une méthodologie philosophique,
Bellarmin, 1982.

Révision et © Pierrot Lambert 2020.

 

Isomorphisme de la pensée thomiste et de la démarche scientifique

Deux ensembles de termes, disons A, B, C... et P, Q, R... seront qualifiés d’isomorphiques si la relation entre A et B et la relation entre P et Q sont similaires, et qu’il y a également similitude entre les relations A-C et P-R, entre les relations B-C et Q-R, etc. L’isomorphisme suppose donc différents ensembles de termes. Il ne comporte aucune affirmation ni aucune négation de similitude entre les termes d’un ensemble et ceux d’autres ensembles. Il pose plutôt qu’il y a similitude entre le réseau des relations d’un ensemble et les réseaux des relations d’autres ensembles.

Je me propose ici de signaler brièvement un isomorphisme, celui de la pensée thomiste et de la démarche scientifique. La pensée thomiste, bien sûr, c’est la pensée de Thomas d’Aquin. Quant à la démarche scientifique, il convient de souligner que l’expression désigne ici la pensée du scientifique en tant que scientifique, et non les incursions des scientifiques en philosophie. Mon propos n’est pas la pensée thomiste en elle-même, ni la démarche scientifique en elle-même - malgré l’intérêt de chacune – mais les deux à la fois. Leur examen simultané fait ressortir un isomorphisme, une vaste analogie de proportion, centrée sur une similitude structurelle, et faisant entièrement abstraction des matériaux qui entrent dans les structures. Enfin, si l’on saisit cette analogie, on verra, je pense, que les différences matérielles sont beaucoup moins importantes qu’il n’y paraît lorsque l’attention est accordée aux matériaux et non à la structure, comme c’est souvent le cas.

Notons une première similitude : celle entre la relation hypothèse-vérification et la relation définition-jugement. L’hypothèse du scientifique, simple objet de pensée en fait, accède, par la vérification, au rang d’objet de connaissance scientifique. De même, la définition thomiste, qui n’est ni vraie ni fausse en elle-même, devient par le jugement un élément d’une affirmation vraie ou fausse de connaissance du réel. Deux observations d’imposent ici : 1) nous ne posons pas une identité entre l’hypothèse scientifique et la définition thomiste, ni entre la vérification scientifique et le jugement thomiste, mais 2) nous établissons ce qu’un thomiste appellerait une analogie de proportion, c’est-à-dire que l’hypothèse scientifique est à la vérification ce que la définition thomiste est au jugement.

Deuxième similitude : l’hypothèse scientifique exige la vérification, et la définition thomiste exige le jugement, pour des raisons semblables. Pour le scientifique, la science ne peut être fondée sur des nécessités a priori. Il y a une seule démarche productive : elle consiste à examiner les choses comme elles sont, à discerner en elles ce que pourraient être leurs lois, à formuler ces possibilités comme de simples hypothèses, et à soumettre ces hypothèses à tous les tests possibles avant de leur accorder quelque crédit. Le thomiste semble suivre une voie très différente : la définition est au jugement ce que l’essence est à l’existence; une essence finie existe de façon non pas nécessaire mais contingente; la sagesse divine peut établir n’importe quel choix d’essences finies et en faire l’un des nombreux ordres du monde possibles; en conséquence, même si la sagesse divine atteste qu’il y a une raison à tout, dans chaque cas la raison ultime doit être le fait du libre choix divin. Il y a bien sûr une grande différence entre le caractère empirique de la science et la liberté du choix divin1; il y a pourtant une similitude notable entre leurs rôles fonctionnels respectifs dans la pensée thomiste et la démarche scientifique. Le scientifique doit vérifier ses hypothèses parce que finalement ce qui compte c’est ce qui existe en fait; le thomiste doit porter un jugement sur des définitions parce que finalement ce qui compte, c’est ce que Dieu a voulu voir exister en fait.

Troisièmement, se présente la question de la provenance. Comment le scientifique arrive-t-il à son hypothèse, et le thomiste à sa définition? Le scientifique nous expliquera qu’ordinairement il part d’un problème, qu’il examine les données sensibles pertinentes, en retient les aspects mesurables, porte les mesures effectuées sur un graphique, trace une longue courbe passant à peu près par tous les points déterminés par les mesures, trouve la formule mathématique correspondant à la courbe, teste la formule en élaborant tous ses corollaires, compare ceux-ci ensuite aux résultats d’autres observations et expériences, et enfin, si la formule tient toujours, en fait ouvertement une hypothèse. Le thomiste, quant à lui, expliquera qu’une définition est une réponse à la question Quid sit? – Qu’est-ce que c’est? – Il rappellera Socrate circulant à Athènes, qui demandait : Qu’est-ce que la tempérance? le courage? la justice? la connaissance? Il ajoutera que pour Platon les réponses à ces questions se fondent sur une réminiscence de Formes ou d’Idées éternelles et immuables subsistant dans quelque Paradis noétique. Il voudra élaborer davantage, et soulignera à quel point il est superficiel de supposer qu’Aristote ait simplement transposé les Formes de Platon de leur royaume abstrait à une immanence dans les objets concrets et sensibles. Plutôt que d’opposer un mythe à un autre mythe, Aristote s’est donné comme tâche de découvrir ce qu’on veut dire au juste lorsqu’on demande « qu’est-ce que c’est? » Sa conclusion : le « qu(e) signifie « pourquoi ». Ainsi, si je demande « qu’est-ce qu’une éclipse? », je veux dire en réalité « Pourquoi la lune ou le soleil s’assombrissent-ils de façon si bizarre?2 ». De même, si je demande « qu’est-ce qu’un homme? », en réalité, désignant un objet sensible, je demande « pourquoi est-ce un homme?3 » Définir, c’est donc partir des données sensibles et découvrir pourquoi elles sont ce qu’elles sont, découvrir leur causa essendi, leur forme, leur to ti ên eînai, leur quidditas, leur essence. Voilà toute une cascade de termes, mais le merveilleux c’est qu’il y ait des termes pour désigner une chose aussi subtile. De plus, comme l’a souligné Thomas d’Aquin, dans la question « pourquoi est-ce un homme? », le « ce » est ambigu. Le « ce » peut signifier le suppôt qu’est un homme; la raison pour laquelle un suppôt est de tel genre donné constitue une essence ou une quiddité. Le « ce » peut toutefois signifier simplement un ensemble de matériaux sensibles; la raison pour laquelle des matériaux ont l’être d’un homme est une causa essendi ou une forme4. Une hypothèse scientifique et une définition thomiste sont des choses différentes : ainsi diffèrent un problème scientifique et un Quid sit? thomiste. Il n’est pourtant pas difficile de discerner ici une autre analogie de proportion. Le problème scientifique mène à un examen des données sensibles qui entraîne finalement l’établissement d’une hypothèse; de même la question thomiste mène-t-elle à l’examen des données sensibles qui entraîne finalement l’établissement d’une définition.

Quatrièmement, la définition thomiste s’abstrait des conditions matérielles d’espace et de temps qui caractérisent ses origines sensibles; de la même façon, selon les théories des relativités générale et restreinte, l’expression mathématique des principes et des lois physiques est invariante par rapport aux transformations inertielles et, plus généralement, continues des référentiels spatio-temporels. Or l’abstraction et l’invariance ne sont pas identiques, car l’abstraction est un prédicat du concept ou du verbe intérieur, tandis que l’invariance est un prédicat de l’expression mathématique de certains concepts ou verbes intérieurs. Pourtant, expression ou concept, verbe extérieur et verbe intérieur, ne diffèrent que comme signe et signifié, effet et cause. L’abstraction thomiste et l’invariance einsteinienne traduisent toutes deux, de manières différentes, une affirmation de l’indépendance des produits de l’investigation par rapport aux conditions spatio-temporelles de leurs origines au niveau des sens.

Cinquièmement, nous savons – c’est un lieu commun – que le scientifique ne prétend pas connaître les lois de la nature, mais qu’il estime entrevoir une approximation toujours meilleure d’une telle connaissance. Car toute formulation d’une loi naturelle est sujette à révision; chaque révision dûment établie est considérée comme un pas en avant pour la science. Cette perspective de mouvement perpétuel n’effraie pas le scientifique : elle fait sa fierté. Or qu’en est-il du thomisme? Le contraste ici serait assez frappant si, face à l’examen scientifique des données sensibles ne permettant qu’une approximation des lois, l’examen thomiste des données sensibles aboutissait avec exactitude à des définitions essentielles. En fait, la démarche thomiste reflète une modestie semblable à celle du scientifique. Il faut raisonner pour atteindre le verbe intérieur du concept ou de la définition5. Il y a beaucoup de propriétés des choses sensibles que nous ne connaissons pas du tout; quant aux propriétés perceptibles aux sens, nous ne pouvons habituellement pas leur attribuer de raison exacte6. Dans la connaissance de la vérité tous les humains se situent dans une évolution, où chaque génération ajoute aux connaissances des précédentes. La béatitude qu’est la connaissance accomplie ne peut donc appartenir à la vie présente sur terre7.

Sixièmement, même si le scientifique et le thomiste reconnaissent les limites de leurs connaissances, ils n’en ont pas moins tous les deux des idées très précises de ce qu’ils cherchent à connaître. Le scientifique cherche à déterminer les fonctions qui seront satisfaites par toutes les mesures et énumérations possibles. Cette anticipation d’une fonction indéterminée à déterminer lui permet de compléter ses techniques a posteriori d’établissement de courbe grâce à l’approche plutôt a priori qui consiste à postuler l’invariance et à limiter la gamme des fonctions possiblement pertinentes en se fondant sur les équations différentielles et opératrices. Le thomiste, d’une manière semblable, ne prétend pas connaître les définitions essentielles des myriades d’espèces de choses que contient notre monde, mais il peut tout de même établir que chaque chose a une essence, que l’essence est un composé de forme et de matière, et qu’il y a une différence réelle entre l’essence et l’existence contingente. Il serait carrément erroné d’identifier la structure heuristique résultant des anticipations scientifiques et la métaphysique issue de la réflexion thomiste. Pourtant, fait à tout le moins remarquable, le scientifique conçoit comme son but idéal la connaissance des théories vérifiées dans un nombre indéterminé de cas différents, alors que pour le thomiste la vérification permet au scientifique de connaître l’existence contingente, les théories permettent de connaître les essences et les formes, et les occurrences de connaître la matière, la forme et l’existence.

Septièmement, dans la pensée de Thomas d’Aquin la notion d’objet est définie par ses relations causales avec la puissance et l’acte. Les puissances sont passives ou actives. L’objet d’une puissance passive est son principe moteur; ainsi les couleurs sont les objets de la vue parce qu’elles amènent l’oeil à voir. L’objet d’une puissance active est son terme ou sa fin; ainsi les objets de l’imagination sont les images que produit l’imagination et les choses que les images visent à représenter8. L’intelligence humaine a pourtant des objets des deux types – cela lui est particulier9. Il y a l’objet comme principe moteur qui est « la quiddité ou nature qui existe dans une matière corporelle »10, l’objet qui est « premièrement et directement connu »11, « ce qui est connu premièrement par nous, dans la vie présente »12, l’objet saisi sous forme d’images, par manière d’exemple13, l’objet qu’il faut saisir si l’on veut comprendre quelque chose dans la vie présente14. Pourtant même si l’objet comme principe moteur est limité à l’intelligibilité immanente dans les perceptions sensibles, l’objet comme fin n’en est pas moins l’être sous son aspect général15 et cet objet nous est connu par les media in quibus des verbes intérieurs, des définitions et des énoncés.

Bien sûr, le scientifique n’affirme pas, comme Thomas d’Aquin, que « les images sont par rapport à l’intelligence comme des objets dans lesquels elle considère tout ce qu’elle considère soit pas voie de représentation parfaite, soit par voie de négation. Et ainsi quand la connaissance des images est empêchée, il s’ensuit que la connaissance de l’intelligence est totalement empêchée, même celle des choses divines... »16 Pourtant, si l’on suit le fameux conseil donné par Einstein aux théoriciens de la connaissance, on tiendra peu compte de ce que disent les scientifiques, mais on fera très attention à ce qu’ils font. En fait, depuis l’idée qu’a eue Archimède de peser une couronne d’or dans l’eau, jusqu’au modèle planétaire de l’atome, élaboré par Bohr, l’histoire des découvertes scientifiques n’est qu’une longue série d’exemples de ce que Thomas d’Aquin, et, avant lui, Aristote appelaient la saisie par l’intellect de l’eidos ou du species dans le phantasme : « les formes sont pensées par la faculté intellectuelle dans les images »17. « Notre intellect, certes, abstrait les espèces des images en tant qu’il considère les natures des choses sous un mode universel. Et cependant, il connaît celles-ci dans les images, car il ne peut connaître la réalité dont il abstrait les espèces intelligibles que par le retour aux images »18.

D’autre part, un changement important marque la situation scientifique contemporaine. Les scientifiques, qui souscrivent traditionnellement à une vision mécaniste de la réalité, à cause spécialement de l’immanence de l’intelligibilité dans le sensible, voient se renverser cette tendance profondément enracinée, et cela à cause du développement interne de la science elle-même. Depuis Galilée, on pensait que l’objet réel du scientifique était quelque matière imaginable, particule ou radiation dont les déplacements imaginables se situaient dans quelque cadre spatio-temporel imaginable. Or la relativité a soustrait à l’imagination la conception scientifique de l’espace et du temps; et la mécanique quantique a soustrait à l’imagination les processus fondamentaux. Que cela lui plaise ou non, le scientifique a transcendé l’imagination. Il pourra présenter son activité actuelle comme une détermination des symboles qui lient mathématiquement des ensembles donnés de mesures enregistrées à d’autres ensembles à venir. Il ne pourra toutefois pas éviter de se demander ce qu’il connaît lorsqu’il détermine des symboles de cette façon : or c’est le thomiste qui a la réponse à cette question, car les symboles mathématiques sont les verbes extérieurs qui signifient les verbes intérieurs que sont la conception et le jugement, et les verbes intérieurs sont les media in quibus est connu l’être, l’objet comme fin de l’intelligence humaine.

Huitièmement, pourquoi la pensée thomiste et la démarche scientifique sont-elles isomorphiques? Pourquoi s’élaborent-elles toutes les deux à partir de questions ou de problèmes touchant les données sensibles? Pourquoi ces deux types de recherches débouchent-ils sur des définitions abstraites ou des hypothèses exprimées de façon invariante, et qui exigent respectivement le jugement ou la vérification à cause de l’importance absolue du fait? Pourquoi les thomistes et les scientifiques sont-ils si modestes dans leur prétention à une connaissance définitive? Pourquoi la métaphysique thomiste et la méthode scientifique anticipent-elles des structures similaires dans ce qui doit être connu par des définitions affirmées ou des hypothèses vérifiées?

Bien sûr, les deux types de pensées sont le fait du même esprit humain. Pourtant, il y a plusieurs philosophies produites par l’esprit humain, et qui ne présentent, par rapport à la pensée scientifique, aucun isomorphisme notable. Pour répondre en fait à nos questions, il faut envisager l’esprit humain sous un aspect précis. L’aspect pertinent, je pense, n’est ni la vérité, ni la certitude, ni la déduction, ni la nécessité, ni l’universalité, ni la conception, ni la recherche, ni l’intuition, ni l’expérience, ni la synthèse a priori, ni l’unité perceptive, ni la description, ni la phénoménologie, ni l’induction, ni, en fait, une combinaison quelconque de ces éléments. L’aspect pertinent, c’est la compréhension.

Tout d’abord, en ce qui touche le thomisme, nous avons un énoncé explicite de Thomas d’Aquin sur la question. « L’âme humaine se connaît elle-même par son acte d’intelligence, qui est son acte propre, et révèle parfaitement sa capacité et sa nature »19. Car l’âme humaine se connaît elle-même, non par son essence20, non dans ses habitus21, mais en réfléchissant sur ses actes de compréhension22, et c’est par un examen des actes de compréhension que l’on peut démontrer parfaitement la nature de l’esprit humain et toutes ses possibilités.

Seconde considération : tout comme elle est la clef des secrets de l’âme humaine, la compréhension est aussi la clef des procédés scientifiques. Ce que vise le scientifique, c’est la compréhension, en fait l’explication complète de tous les phénomènes. Comme le scientifique cherche à comprendre, il portera attention aux problèmes. Comme la compréhension saisit l’intelligibilité dans les données sensibles, le scientifique doit observer, mesurer, expérimenter. Comme la compréhension conceptualise ce qu’elle fait saisir dans les données sensibles, le scientifique formule des hypothèses. Comme la compréhension fait saisir dans les données sensibles des possibilités plutôt que des nécessités, l’hypothèse exige une vérification. Comme ces possibilités sont dégagées des conditions matérielles spatio-temporelles, l’expression mathématique des lois hypothétiques sera invariante, quelles que soient les transformations des coordonnées. Comme il est possible de négliger certaines données pertinentes, les hypothèses, même si elles ont été vérifiées, sont sujettes à révision. Comme chaque révision n’est qu’une répétition du même processus général d’expérience, d’hypothèse et de vérification, la structure de la connaissance scientifique est une constante, et cette constante méthodique cadre avec la constante métaphysique thomiste de puissance, de forme et d’acte. Au-delà de l’objet mouvant de la compréhension, la quiddité, le species ou l’eidos, qui émergent des objets sensibles ou imaginés, il y a aussi la fin ou le but qui est l’être sous son aspect général; la science contemporaine se trouve donc obligée d’abandonner son réalisme naïf traditionnel et d’affronter les questions philosophiques.

Neuvièmement, si l’isomorphisme de la pensée thomiste et de la démarche scientifique se fonde sur l’esprit humain comme faculté de compréhension, alors les différences matérielles entre la pensée thomiste et la démarche scientifique doivent s’expliquer par la différence entre leur façon respective de découler de la compréhension. Thomas d’Aquin a réfléchi sur l’acte de compréhension même, pour établir une psychologie rationnelle de généralité fondamentale, en harmonie avec une métaphysique également fondamentale. Les scientifiques, quant à eux, ne cherchent pas à réfléchir à leurs actes de compréhension; par contre, ils posent de tels actes en grand nombre, dans une vaste gamme de champs de recherche différents, au cours de longues périodes d’évolution. Et non seulement posent-ils de tels actes, mais concrètement, exercite et non signate, ils élaborent les conséquences réelles de ces actes. Ils mettent ainsi en lumière, dans leur pratique, une structure méthodique qui est isomorphique par rapport aux conclusions de la réflexion et de l’analyse thomistes.

Voilà ce que j’estime être l’isomorphisme de la pensée thomiste et de la démarche scientifique. Les conséquences en sont très simples. D’une part, les actes de compréhension sur lesquels a réfléchi Thomas d’Aquin étaient les actes possibles dans son milieu médiéval : or la gamme des actes possibles est beaucoup plus vaste actuellement, et c’est en mettant en lumière l’enrichissement ainsi permis que les thomistes contemporains puissent réaliser le programme de Léon XIII « vetera novis augere et perficere ». D’autre part, le pape Pie XII a invité les scientifiques à chercher dans une philosophie l’unité de tout le savoir scientifique23; toutefois il faut considérer que la certitude scientifique ne touche pas le contenu changeant des théories mais la structure permanente de la méthode. Il est donc permis de signaler que la philosophie recherchée, les scientifiques la trouveront en réfléchissant sur leur méthode et en débouchant, par la structure de cette méthode, sur l’épistémologie et la métaphysique correspondantes, isomorphiques24.


1 Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, 2, c. 24 et 26; 3, c. 97. §13-17.

2 Aristote, Seconds analytiques, II, 2.

3 Aristote, Métaphysique, VII, 17.

4 Thomas d’Aquin, Commentaire sur la Métaphysique, Livre VII, leçon 17, 1667-1668.

5 Commentaire de l’Évangile de saint Jean, 1, leçon 1, §26.

6 Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, 1, c. 3, § 5.

7Ibidem, 3, c. 48, § 12.

8 Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1, q. 77, a. 3; voir également q. 85, a. 2, ad 3m.

9 Ibidem, q. 85, a. 2, ad 3m.

10 Ibidem, q. 84, a. 7 : « quidditas sive natura in materia corporali existens ».

11 Ibidem, q. 85, a. 8 : « primo et per se cognitum »; voir également q. 87, a. 3.

12 Ibidem, q. 88, a. 3 : « primum autem quod intelligitur a nobis secundum statum praesentis vitae ».

13 Ibidem, q. 84, a. 7.

14 Ibidem.

15 Ibidem, q. 79, a. 7.

16 Questions sur le Livre De la Trinité de Boèce, q. 6, a. 2, ad 5m.

17 Aristote, De l’âme, III, 7, 431b 2.

18Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 85, a. 1, ad 5m.

19 Ibidem, q. 88, a. 2, ad 3m.

20 Ibidem, q. 87, a. 1.

21 Ibidem, a. 2.

22 Ibidem, a. 3.

23 L’Osservatore Romano, 25 avril 1955.

24 Je dois peut-être noter que j’ai traité l’idée contenue dans le présent article d’un point de vue historique dans une série d’articles parus dans Theological Studies de 1946 à 1949 (Verbum) et d’un point de vue théorique dans mon ouvrage Insight.

 

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