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Mgr Richard LIDDY est directeur du Centre des études catholiques à l'Université Seton Hall,
au New Jersey. Il est également agrégé supérieur de recherche au Centre théologique Woodstock de l'Université de Georgetown.
Au cours des années 1990, il a été professeur de sciences religieuses, chancelier suppléant de l'Université Seton Hall et recteur du séminaire et de l'école
de théologie de l'Immaculée Conception, à Seton Hall. De 1980 à 1984, il a été le directeur spirituel du Collège nord-américain à
Rome.
C'est à Rome, à la Grégorienne, qu'il avait fait ses études de théologie (1960-1964), à l'époque où y enseignait Bernard Lonergan, puis un doctorat en philosophie.
Après avoir consacré sa thèse de doctorat à l'oeuvre de Susanne K. Langer,
il a publié un ouvrage sur l'évolution intellectuelle de Bernard Lonergan avant la rédaction d'Insight,
ouvrage intitulé : Transforming Light:Intellectual Conversion in the Early Lonergan.
Il rédige actuellement un livre sur son appropriation personnelle d'Insight.
Il a également écrit un ouvrage sur la pensée de John Henry Newman.
Pouvez-vous
nous parler un peu de vous et de votre carrière ?
Je suis
né à West Orange, NJ, de parents d’origine irlandaise, le 12 mars 1938. Dès mon
enfance, je voulais devenir prêtre. J’ai fait des études dans des écoles
catholiques, et j’ai obtenu un diplôme en études classiques de Seton Hall
University. Devant la perspective de
mon entrée au séminaire, j’ai entrepris certaines lectures philosophiques
concernant les questions qui occupaient mon esprit à l’époque :
Comment prouver l’existence de Dieu ? Que dit la science à ce sujet ?
Je me demandais comment une personne pouvait décider de devenir catholique et
j’ai lu un certain nombre de récits de conversion et des autobiographies
religieuses.
Je suis
arrivé au séminaire de l’Immaculée-Conception de Darlington (Mahwah), au New
Jersey, en 1958, et j’y ai fait deux années d’études de la philosophie
scolastique. En 1960, mon archevêque m’a envoyé à Rome, au Collège
nord-américain, pour poursuivre mes études à l’Université Grégorienne. Quelle
époque merveilleuse! Le Concile Vatican II témoignait de la fermentation des idées,
dans l’Église et dans le monde. J’ai étudié à la Grégorienne de 1960 à
1967.
Vous avez fait la connaissance de Bernard Lonergan à Rome ...
Je l’ai
rencontré à la Grégorienne. J’ai suivi
ses cours pendant deux semestres, en 1962-63: d’abord le cours sur le Christ, De Verbo Incarnato, puis celui sur la
Trinité, De Deo Trino. J’avais du mal à comprendre, mais je sentais
qu’il y avait là quelque chose d’important. C’était un professeur que
j’estimais, que je révérais. Il m’intimidait. Or voilà que c’est avec lui que je
dois passer mon dernier examen oral, après quatre années de théologie, en
1964. Ses questions étaient nettes et
précises. Je ne pouvais en dire autant de mes réponses!
Lorsque
je suis retourné au New Jersey, au cours de l’été 1964, après mon ordination à
Rome, mon archevêque m’a demandé d’y retourner immédiatement pour y décrocher
un doctorat en philosophie. Cela ne
m’enthousiasmait pas du tout, car je n’étais pas du tout sûr de croire en la
philosophie. À cette époque, même les pères du Concile ne s’intéressaient guère
à la philosophie scolastique. J’ai
tout de même acquiescé et je suis reparti à Rome pour y étudier la philosophie.
Je me réjouis aujourd’hui de cette décision. Car pendant ce nouveau cycle
d’études, un de mes collègues, Dave Tracy, m’a encouragé à m’attaquer à la
lecture d’Insight. J’ai pu
faire l’expérience des ouvertures de perspectives étonnantes que Lonergan
promet dans son introduction. Ces ouvertures de perspectives m’ont marqué à
jamais. Je suis en train d’écrire un livre sur ma rencontre avec Lonergan et
avec son livre Insight.
Ma thèse
portait sur l’art et le sentiment, dans la philosophie de l’art de Susanne K.
Langer (Art and Feeling: the Philosophy
of Art of Susanne K. Langer). Langer est une philosophe américaine à qui Lonergan a référé à un
certain nombre d’occasions. Par
ailleurs, l’étude de son œuvre a intensifié la « dialectique » qui
opposait dans mon esprit la tradition empiriste et les positions de base de
Lonergan. Elle a contribué grandement à dessiner les contours précis de ces
deux traditions opposes et à me forcer à prendre position moi-même.
Par
la suite, après mon retour chez moi, j’ai invité Lonergan, qui était retourné
au Canada, à donner une conférence sur la foi et les croyances au séminaire où
j’enseignais la philosophie. Il est venu et est resté à notre séminaire pendant
quelques jours. À partir de ce moment-là s’est nouée une amitié entre lui et
moi. J’ai écrit une recension de Method in Theology dans la revue
America en 1972, et l’année suivante devant une assemblée de la CTSA j’ai prononcé une allocution à propos
de cet ouvrage. Bernard Lonergan m’a envoyé une petite lettre.
Un
grand merci pour ta note du 1er juillet.
Permets-moi
de féliciter une fois de plus pour l’allocution très percutante que tu as
prononcée à la réunion de la CTSA. Cet exposé, tout comme ta recension publiée
dans America, aura une incidence effective sur l’accueil fait à Method in
Theology.
Je
suis content de voir que certaines personnes autour de nous ont jugées
recevables les remarques incidentes que j’ai laissées échapper à la fin de la
session. J’aimerais sentir qu’elles pourraient servir à m’extirper du cocon
d’abstraction où, selon certains, je me serais enfermé.
Je
te transmets mes meilleurs vœux et pense à toi dans mes prières.
Cette petite note, je la conserve comme un
trésor.
D’autres
auteurs vous ont influencé? Newman par exemple?
Vers la
fin des années 1960, peut-être à cause des grands changements que nous
connaissions dans l’Église – entre autres tout ce qui a suivi la
publication de l’encyclique Humanae
Vitae – je me suis
vivement intéressé aux écrits de John Henry Newman et j’ai lu toutes les
œuvres de Newman que je pouvais trouver. Il a peint à son époque un grand
tableau historique de la vie de l’Église et m’a permis de situer les conflits
contemporains dans ce contexte global. Plus tard, dans les années 1980, quand
j’ai été affecté à Rome en tant que directeur spirituel du Collège
nord-américain, on m’a demandé de faire partie de la commission historique
chargée d’instruire la cause de canonisation de Newman et j’ai alors rédigé des
exposés sur toutes les œuvres théologiques et philosophiques de Newman. J’ai pu
saisir progressivement les profondes affinités entre Newman et Lonergan et j’ai
alors commencé à écrire un compte rendu des influences subies par Lonergan au
cours de ses études.
Transforming Light
En
1985 j’ai été nommé recteur/doyen du Immaculate Conception Seminary, de
l’université Seton Hall. En 1990, après
avoir assume pendant un interim de sept mois le rôle de chancelier de
l’université, on m’a accordé une année sabbatique et j’ai pu, à titre de
Lonergan Fellow au Boston College, rédiger mon ouvrage Transforming Light: Intellectual Conversion in the Early Lonergan. .
Je sais bien, étant donné toutes mes tâches « pratiques », surtout
celles liées à l’administration du séminaire et de l’université, que ce livre
n’est pas parfait – mais j’ai reçu des commentaires très
encourageants à son sujet.
Le Woodstock Theological Center
Après
mon année sabbatique, en 1991, je me suis joint au département de sciences
religieuses de Seton Hall University. En 1995 et 1996 j’ai été invite à titre
de chargé de cours au Woodstock Theological Center, à l’université de
Georgetown. Le Woodstock Center est un
center de réflexion, situé à Washington, qui cherche à aborder des questions de
politique publique dans la perspective de l’Évangile et de la théologie
catholique. Depuis le début des années 1990, le centre fait appel à la méthode
de Lonergan pour jeter des ponts entre les engagements de foi et la culture
contemporaine. C’était un privilège pour moi que de travailler à Woodstock et
de faire partie d’une communauté qui était attachée à des valeurs qui étaient
les miennes depuis les années 1960.
Depuis
ce séjour à Woodstock, j’essaie d’exprimer ce qu’a été mon premier contact avec
Lonergan et Insight. J’espère terminer bientôt ce livre
concernant le sentiment d’étonnante étrangeté dont j’ai été saisi dès mes
premiers efforts pour pénétrer dans cet ouvrage.
Pouvez-vous
nous parler de vos fonctions actuelles?
En 1996,
mon archevêque m’a demandé de revenir de Washington pour travailler sur des
questions d’identité catholique à l’université Seton Hall. Je n’étais pas très enthousiaste.
J’anticipais des conflits ouverts avec le monde universitaire. Les conflits
sont survenus – ils sont même omniprésents – mais j’ai
aussi bien des expériences gratifiantes – en particulier dans les
séminaires où avec des collègues nous avons abordé des thématiques humaines et
religieuses. Ma connaissance de la pensée de Lonergan, un atout précieux, m’a
aide à communiquer avec des professeurs de différentes disciplines à
l’université. Plus que tout autre
auteur, Lonergan permet de jeter des ponts entre la tradition intellectuelle
catholique et les disciplines et professions d’une université contemporaine. De
fait, il se développe une petite « communauté Lonergan » à Seton
Hall.
Je suis
actuellement chargé d’enseigner la pensée et la culture catholiques. Je porte
le titre de professeur et de directeur du centre des études catholiques. Tout
un chapeau ! J’enseigne également
au département de sciences religieuses de l’université. Je fais partie, en
outre, d’un groupe de spécialistes de Lonergan qui travaillent, au Woodstock
Theological Center, à un projet à long terme sur l’identité des universités
catholiques. Nous nous demandons : comment faut-il comprendre et
identifier la « catholicité » de l’université catholique ? Par
exemple, est-ce que chaque discipline universitaire présente, de par sa nature,
une orientation vers « la totalité » – et une université
catholique devrait-elle chercher à désigner cette « totalité » vers
laquelle tendent les disciplines ?
En
somme, je tire une grande fierté d’avoir pu marcher dans le sillage de Bernie
Lonergan. Les incidences de sa pensée pour l’établissement de ponts entre
l’Évangile du Christ et la culture contemporaine sont immenses. Je considère
comme un grand privilège ma participation à l’effort de diffusion de sa pensée.
Comme je l’ai écrit récemment dans un article pour la revue
America (11 octobre 2004), j’espère
voir John Henry Newman nommé premier docteur de l’Église
anglophone – et j’espère que Bernard Lonergan ne sera pas loin
derrière.
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