Entretiens
Entrevue avec Robert Doran

 

Robert DORAN enseigne à Regis College, à Toronto. Au fil d'une longue carrière de théologien, aux États-Unis et au Canada, il est devenu l'un des grands spécialistes de l'oeuvre de Bernard Lonergan. Il a entre autres conçu la notion de conversion psychique, où Lonergan voyait un complément nécessaire à son analyse de l'intentionnalité. Il a été un ami intime de Bernard Lonergan. Il est le directeur du Lonergan Research Institute et s'occupe activement de la publication des oeuvres complètes de Lonergan chez University of Toronto Press. Il est l'auteur, entre autres, de Subject and Psyche, Psychic Conversion and Theological Foundations, et de Theology and the Dialectics of History

 

Pouvez-vous nous parler un peu de vos origines et de vos études?

Je suis né à New York, dans le Bronx. Je suis donc Américain d’origine. Je suis devenu Canadien depuis. Je suis venu au Canada en 1979. Je me considère davantage Canadien qu’Américain.

Je suis né en 1939. J’aurai donc 65 ans bientôt (l’entrevue a eu lieu le 4 mai 2004). J’avais 8 ans quand ma famille est allée s’installer à Milwaukee (Wisconsin). J’ai fréquenté une école jésuite, la Marquette High School, puis je suis entré chez les jésuites.

J’avais 17 ans. Je faisais partie de la « province » jésuite du Wisconsin. J’ai fait les études habituelles chez les jésuites. Je suis allé en Californie, dans un séminaire affilié à Santa Clara, où j’ai étudié deux ans. Puis j’ai terminé mes études de premier cycle à l’Université de Saint-Louis, où j’ai obtenu un B.A. avec concentration en philosophie en 1963. J’ai obtenu une maîtrise en philosophie l’année suivante.

J’ai enseigné dans une école secondaire pendant deux ans et demi dans l’Omaha.

J’ai entrepris mes études de théologie à Saint-Mary’s au Kansas. Nous avons déménagé pour nous installer à l’Université de Saint-Louis après ma première année. Puis j’ai obtenu de mes supérieurs la permission de commencer le programme de doctorat après ma deuxième année de théologie.

J’ai entrepris ce programme à Fordham. J’ai suivi des cours de philosophie parallèlement à mes cours de théologie, pendant un an. Il y avait à Fordham des cours de philosophie que je voulais suivre. Bill Richardson enseignait Heidegger et je voulais prendre ses cours. Mais je suis tombé malade au cours de cette année-là. J’ai attrapé la grippe de Hong Kong.

Je ne voulais pas retourner à New York l’année suivante. Je suis allé à l’Université Marquette que fréquentaient certains de mes amis. C’était plus près de ma famille.

Et il y avait à Marquette une forte présence de la pensée de Lonergan, à la faculté de théologie.

À ce moment-là vous avez pris contact avec la pensée de Lonergan?

J’avais entendu parler de Lonergan au début des années 1960. J’avais acheté un exemplaire d’Insight, pour 5 $, en 1962. J’avais essayé de le lire à trois ou quatre reprises. Comme mon bagage en mathématiques et en physique est très limité, je me décourageais. Mais je savais que ce livre était très riche. La préface et l’introduction m’indiquaient que ce livre présentait ce que je cherchais.

Au cours de l’été 1967, j’ai décidé de lire le livre en entier. Je me suis dit que j’allais comprendre ce que je pouvais comprendre et revenir sur le reste ensuite.

Donc, quand je suis allé à New York, en 1968, j’envisageais d’entreprendre la rédaction d’une thèse sur l’authenticité chez Lonergan et Heidegger. Mais les plans ont changé en cours de route, comme je l’ai mentionné plus tôt.

Je suis donc allé en 1969 à l’Université Marquette, pour y poursuivre mes études doctorales en théologie. Ces études se sont étendues sur une période de six ans, puisque j’ai pris deux ans pour faire du ministère sur le campus. On avait lancé un nouveau programme et j’ai été le premier directeur de ce programme de ministère pastoral à l’université.

Pendant ces études, je me suis intéressé à la relation entre la pensée de Lonergan et la psychologie des profondeurs. J’ai été initié à l’œuvre d’un psychologue des profondeurs dans la mouvance de la pensée de Jung (il n’était pas un animiste jungien mais il référait souvent à Jung dans ses ouvrages). Il m’a introduit à ce monde. J’étais vivement intéressé à découvrir la relation entre l’exploration de l’intériorité chez Lonergan et cette autre dimension de l’intériorité qui, sans être négligée, n’occupait pas le devant de la scène à l’époque.

J’ai donc choisi ce sujet pour ma thèse. Au cours de mes recherches, au début de 1973, je pense, il m’est venu l’idée qu’il pouvait y avoir une autre dimension dans tout ce travail de transformation dont parle Lonergan.

Vous parlez de la conversion psychique?

Oui. J’ai commencé à travailler sur cette idée. Je recevais des conseils encourageants de certaines personnes de Milwaukee.

Après la fin de mes cours et de mes examens, j’ai donc entrepris les recherches pour ma thèse. Je suis allé à Toronto, à Regis College, qui se trouvait encore à Willowdale. Lonergan vivait là. Je voulais entreprendre mes recherches et, si possible, approcher Lonergan pour lui parler de cette idée.

Aviez-vous déjà rencontré Lonergan à cette époque?

Je l’avais rencontré en 1968, à Boston College. Il participait à une session d’études de trois semaines. Il y avait si je me souviens bien cinq conférenciers. Lonergan devait présenter des exposés pendant huit jours. Il a présenté une esquisse de ce qui devait former son ouvrage à venir, Method in Theology. C’était la première fois qu’il parlait publiquement des fonctions constituantes. La plupart des participants étaient emballés.

Je l’ai rencontré à ce moment-là, et j’ai eu quelques échanges avec lui.

Par la suite, je l’ai rencontré à deux occasions, soit à Saint-Louis, quand il est venu donner une conférence sur les Jésuites et le sacerdoce dans le monde moderne et à Milwaukee où il est venu prendre la parole devant une commission de la province des Jésuites du Wisconsin concernant l’avenir des ministères des Jésuites.

Je ne le connaissais pas personnellement. Quand je suis arrivé à Regis College, il s’est souvenu de m’avoir déjà rencontré. Il s’est montré amical, mais il était absorbé par la préparation de quatre conférences (les Larkin-Stewart Lectures) qu’il a données à l’automne de 1973 au Trinity College  à Toronto. Je me suis dit qu’il valait mieux ne pas le déranger. 

Après qu’il eut donné ces conférences, je suis allé le voir un soir, dans la salle où il jouait aux cartes. Je lui ai dit : « J’ai laissé à votre porte un texte de cinq pages. Quand vous aurez le temps, quand vous pourrez, y jetteriez-vous un coup d’œil? » Il m’a dit : « Oui, bien sûr! Je vais les regarder. »

Je n’étais pas sitôt rendu à ma chambre, 45 minutes plus tard … J’hésite à dire cela, parce que j’ai l’air de faire la promotion de mes idées, mais il était vraiment emballé. Il m’a dit : « Ce que vous tentez de faire est très important. J’ai besoin de cet apport. L’œuvre que je poursuis a besoin de cet apport. »

Je lui avais posé deux questions : « Est-ce que je vous ai bien compris? » et « Que pensez-vous de ce que je propose? » Il avait tapé des réponses à mes deux questions, dans la partie supérieure des pages que je lui avais soumises. Ses réponses étaient : 1) « Oui, vous avez bien compris mes positions »; 2) « Vous y apportez un complément nécessaire ».

Je ne savais pas quoi faire ensuite. J’étais un jeune homme. J’espérais recevoir des encouragements, mais je ne m’attendais pas à une réaction aussi forte.

À partir de ce moment-là, Lonergan s’est montré très prévenant à mon égard. Il se préoccupait de moi, de mon bien-être, de ma santé, de mon travail. Il voulait voir tout ce que j’avais fait. Même après mon départ. Car après un séjour de quatre mois je suis retourné à Milwaukee.

Je suis parti ensuite à Zurich, pour me tremper dans l’atmosphère de l’Institut Jung. Je ne voulais pas me contenter des livres. Je voulais prendre contact avec les milieux jungiens. Je suis resté à Zurich trois mois. Pendant deux mois, je ne faisais que rédiger des introductions. Puis je suis parti à Nice pour deux semaines. Un Jésuite qui avait enseigné le français à l’Université Marquette vivait là. Cette période de repos à Nice m’a bien servi. À mon retour, tout était clair. Tout tombait en place. J’ai rédigé la dissertation d’un trait.

Quand vous dites : tout tombait en place, vous voulez dire les liens entre l’analyse de l’intentionnalité de Lonergan et les perspectives de Jung?

Oui, c’est ça. J’ai trouvé la structure permettant une intégration. Quand j’ai eu obtenu cela, je suis retourné aux États-Unis.

Il a suffi de deux semaines, après mon séjour à Nice, pour tracer cette structure.

Vous ouvriez ainsi la structure dynamique de Lonergan pour permettre d’y établir d’autres niveaux, au-delà du quatrième niveau que dégageait Lonergan à cette époque?

Oui, c’est cela.

Lonergan était au courant de votre démarche? Et il l’acceptait?

Oui, il l’acceptait. Il a dit clairement à Boston, à une couple de Workshops, qu’il entérinait mes travaux.

Je suis donc retourné chez moi. Il me restait quelque travail à réaliser pour finir ma dissertation. J’ai obtenu mon diplôme en mai 1975.

J’ai enseigné ensuite à l’Université Marquette pendant trois ans. J’avais encore beaucoup de travaux à réaliser. Je savais que je ne pourrais pas y parvenir en enseignant à temps plein. Une partie de mes étudiants étaient des étudiants du premier cycle. L’Université Marquette était une très bonne université. Mais mes projets exigeaient plus d’espace, plus de temps que ce dont je disposais.

J’ai décidé de partir de Marquette, même si cela était difficile pour moi. Je ne savais pas où j’irais.

L’Université Creighton m’a offert d’enseigner à mi-temps, c’est-à-dire de disposer d’un semestre sur deux pour la recherche. Je n’ai été là qu’une année, puisqu’à ce moment-là l’Université de Toronto a ouvert … On m’a invité à poser ma candidature pour obtenir un poste au Regis College. Il était clair que là j’aurais plus de temps pour mes travaux personnels. J’ai donc postulé.

Je me suis donc joint à Regis en 1979.  Pendant mon séjour à Regis, j’ai terminé mon deuxième livre : Psychic Conversion and Theological Foundations. Ce livre est épuisé, mais l’Université Marquette doit le republier. Je compte y apporter quelques révisions.

Votre premier livre était …

Subject and Psyche, ma thèse de doctorat. Il avait été publié en 1977 par University Press of America. En 1993, l’Université Marquette l’a republié, dans une édition beaucoup plus attrayante. Le contenu est presque le même, sauf que j’ai ajouté des notes. Les nouvelles notes sont désignées « note de 1993 ».

Donc, j’ai enseigné à Regis College à partir de 1979. En novembre 1983, Lonergan est revenu à Toronto. À l’infirmerie des Jésuites en fait, à Pickering. Quand il est arrivé, j’étais absent. J’étais près de ma famille, car la santé de ma mère était précaire. Je suis resté à Milwaukee de novembre jusqu’à Noël.

Je suis revenu à Toronto juste avant le Jour de l’An 1984. Je suis allé voir Lonergan et je lui ai dit que je viendrais lui rendre visite tous les week-ends. Ce que j’ai fait pendant onze mois. Normalement j’y allais le samedi et je restais à l’infirmerie, de façon à voir Lonergan le dimanche également. Selon son niveau d’énergie.

Pendant plusieurs mois, il était en assez bonne forme pour apprécier ces visites et converser. Parfois il regardait la télévision et il voulait simplement que je regarde la télé avec lui. Mais à d’autres moments nous discutions. J’essayais d’éviter les conversations intellectuelles mais parfois il abordait des questions intellectuelles.

À mon retour, je faisais rapport à Fred Crowe de ce que Lonergan avait dit, et Fred notait tout!

J’étais là en fait la veille de la mort de Lonergan. Son frère Greg était là. Greg lui a donné l’onction des malades, en ma présence.

Quand je suis sorti dans le corridor, Greg m’a pris par le bras et m’a dit : « Il faut lui parler du projet des Collected Works ». Nous étions à l’époque en négociation avec Université of Toronto Press. J’ai dit à Greg : « Mais rien n’est encore conclu ». Mais il m’a répondu : « Tu sais que ça va marcher ».

J’ai donc dit à Bernard Lonergan que University of Toronto Press allait publier ses œuvres complètes. Il a compris. Il a répondu par un sourire. Je pense que Greg avait raison, que c’était très important qu’il soit au courant de ce projet. J’hésitais à le lui annoncer, parce que rien n’était encore signé.

Il est mort le 26 novembre 1984. Ce soir-là, il y avait une cérémonie de remise des diplômes à Regis College et Fred Crowe prononçait la « Chancellor's Lecture ». Les événements de ce jour-là étaient très émouvants. Fred a parlé de Lonergan et de ses rapports avec Regis College.

Était-il au courant du décès de Lonergan à ce moment-là?

Oui. Le décès était survenu juste avant. Ce jour-là a été pour Fred un jour très émouvant.

Depuis votre retour à Regis College, vous étiez mêlé de près à la préparation d’une édition critique de l’œuvre de Lonergan?

Au printemps de 1984, on a célébré à Santa Clara le 80e anniversaire de naissance de Lonergan, qui n’était pas en mesure de se déplacer. J’y suis allé et je suis resté là après la séance d’études intensive organisée pour l’occasion, afin de faire ma retraite annuelle, pendant huit jours, auprès de la communauté jésuite.

Pendant ces huit jours, il m’est venu l’idée de créer le Lonergan Research Institute. Nous avions un Lonergan Centre, que Fred Crowe avait créé en 1970. Il tenait dans une pièce, à Regis College, et contenait un certain nombre de dossiers de Lonergan. Il y avait deux ensembles de dossiers que Lonergan avait remis à Fred, l’un avant son départ pour Rome en 1954 et l’autre, en 1972. Il y avait là bien sûr toutes les publications de Lonergan, toutes les dissertations que nous avions pu rassembler, tous les articles.

Mais je ne faisais pas partie du Lonergan Centre. Mike Shields en était le directeur.

J’enseignais et je faisais de la direction spirituelle pour la communauté jésuite.

Donc en 1984, j’ai eu cette idée. Je voulais élargir le centre, et obtenir la collaboration de Fred. À l’époque, Fred avait pris sa retraite de Regis College et se consacrait à des recherches à titre personnel. J’ai dit à Fred : si Bernie est à nouveau en mesure de travailler, il pourrait travailler avec nous (nous étions au printemps et il donnait parfois des signes encourageants).

Fred a pris le temps de penser à mon idée et il a conclu que nous devions de fait nous engager dans une entreprise plus vaste que celle du centre.

Pour moi, le premier projet de l’institut devait être la publication des Collected Works. Évidemment, nous nous disions que Bernie pouvait se remettre et produire une autre œuvre … Mais nous voulions entreprendre cette publication exhaustive.

Nous avons négocié avec les éditeurs et nous ne nous sommes installés dans nos locaux actuels qu’au printemps de 1985.

Fred Crowe était le directeur de l’Institut. Mike Shields était le bibliothécaire. Je faisais partie du personnel. Je m’occupais du travail de préparation pour la publication des Collected Works : l’obtention des droits d’auteur, des permissions nécessaires d’autres maisons d’édition, les négociations avec nos éditeurs.

Une telle entreprise représente un long travail …

Oui, certes. Nous avons commencé avec différents projets. Nous avons déterminé l’ordre dans lequel nous accomplirions le travail.

Le travail de révision se poursuit. Nous en sommes à la moitié du projet global.

Nous avons établi au départ que les œuvres complètes comprendraient 22 volumes. Par la suite, nous avons prévu 25 volumes. Car nous avons constaté que le traité sur la Trinité ne pouvait être publié en un seul volume, surtout si nous voulions publier côte à côte le texte latin et la traduction anglaise; et le traité sur la christologie, De Verbo Incarnato, pouvait bien former un volume, mais il comportait un supplément sur la rédemption qui devait en constituer un autre …

Nous continuons de découvrir des choses dans les archives. Il y a eu une séance d’étude sur la connaissance et l’apprentissage à Gonzaga, dont nous avons suffisamment de documents pour en faire un dossier d’archives.

Nous avons prévu un volume pour les dossiers d’archives. Mais je soupçonne que nous pourrions de fait avoir deux ou trois volumes consacrés aux documents d’archives, si nous voulons rendre accessibles toutes les données. C’est la tâche que nous nous sommes fixée : rendre le matériel disponible. Nous y ajouterons des notes critiques : il a écrit ceci à telle époque, dans telles circonstances, voici les données.

Je travaille à ce projet depuis 1985. Notre premier volume a paru en 1988. Est-ce que je vais vivre assez longtemps pour voir l’achèvement de ce projet? Je l’espère.

Les presses de l’Université de Toronto se sont engagées à tout publier?

Oui. Nous avons un contrat qui concerne les œuvres complètes. Les éditeurs sont très heureux d’accueillir ce projet.

Nous avons une excellente relation avec eux. Nous sommes dans le même édifice. C’est très commode.

L’Institut existe donc depuis 1985. En 1990, Fred Crowe a remis sa démission en tant que directeur et Bob Croken a pris la relève pour dix ans. J’étais son adjoint. En 2001, il a subi un pontage cardiaque et il a quitté ses fonctions.

J’ai occupé les fonctions de directeur de manière intérimaire pendant quelques mois, puis le conseil m’a nommé à ce poste.

Continuez-vous d’enseigner?

Oui. Je serai bientôt emeritus. De fait, je pense que je le suis depuis le 1er mai (2004). J’aurai 65 ans le mois prochain (juin 2004).  Cette étape signifie, non pas que je vais cesser d’enseigner, mais que je toucherai un salaire inférieur.

Regis College entreprend actuellement un Lonergan Studies Program. Je n’ai pas l’intention de réduire mes activités d’enseignement. Je voudrais réduire par contre ma participation à de nombreux comités et les tâches de directeur de thèse qui m’absorbent beaucoup.

Pouvons-nous parler maintenant de vos publications?

Oui, bien sûr. Je voudrais mentionner, auparavant, le projet de diffusion d’enregistrements sonores, lancé à l’Institut. Nous avons plus de 500 heures d’enregistrement de la voix de Lonergan, sur des bandes et des cassettes. L’Association des archives de l’Ontario, à laquelle nous appartenons, nous avise de transférer ces enregistrements sur des supports plus sûrs. Nous avons embauché un technicien audio à temps partiel (3/4 d’un plein temps). Il a créé jusqu’à maintenant 85 disques compact.

Nous avons transféré sur CD les conférences de 1962 sur la méthode en théologie données à Regis College, celles de 1959 sur l’éducation et celles de 1958 sur la compréhension et l’être, et plusieurs conférences ponctuelles.

Nous n’avons pas idée de la voix d’Aristote ou de celle de saint Thomas, mais si nous travaillons correctement, nous pourrons préserver indéfiniment la voix de Lonergan.

Je voulais parler de ces enregistrements, parce que ce projet m’enthousiasme beaucoup. Maintenant, je reviens à la question concernant mes publications.

Subject and Psyche est ma thèse de doctorat. Elle a été publiée par University Press of America en 1977.

C’est dans ce livre que vous analysez la pensée de Ricoeur et de Jung?

Oui. Je reviens actuellement à ces recherches, auxquelles je m’intéresse à nouveau.

Après la publication de ce premier livre, j’ai commencé à travailler à ce qui est devenu Psychic Conversion and Theological Foundations, et qui a été publié par Scholars Press en 1981. L’ouvrage est resté en librairie jusqu’à la fermeture des bureaux de cet éditeur. Je vais le confier maintenant à Marquette University Press.

Ce livre souligne, en cinq longs chapitres, le rôle fondamental de la notion de conversion. Les conversions intellectuelle, morale et religieuse que Lonergan met en lumière, et auxquelles j’ajoute la conversion psychique, fournissent les assises d’une réorientation des sciences humaines en général. Ma façon de présenter ce rôle a changé depuis.

Pour Lonergan, l’appropriation de l’intériorité personnelle constitue les assises, non seulement de la théologie, mais aussi de la philosophie, la psychologie, et même les sciences sociales.

Au cours des années 1980, j’ai travaillé à la rédaction de Theology and the Dialectic of History. J’ai mis dix ans à rédiger cet ouvrage. Un certain nombre d’articles ont été publiés en cours de route, dont le contenu s’est retrouvé dans le livre.

J’ai déployé là un exercice d’établissement des fondements. J’ai tenté de tirer un certain nombre de catégories générales que la théologie utiliserait. Les catégories générales sont celles que la théologie partage avec d’autres disciplines.

Je pars de l’idée – que, je pense, Lonergan exprime dans un certain nombre de textes – qu’une théologie systématique contemporaine serait une théologie de l’histoire. Je pense aux notions de progrès, de déclin et de rédemption. Mais il y a bien d’autres catégories dans ses œuvres, en particulier la dynamique des valeurs, exposée dans le deuxième chapitre de Pour une méthode en théologie. Je pense aussi à la dialectique du sujet et à la dialectique de la vie en collectivité, développées dans les chapitres six et sept de L’insight. Il faut étendre et amplifier ces catégories pour l’élaboration d’une théorie de l’histoire. Ces catégories, Lonergan les a établies.

L’échelle de la dynamique des valeurs, par exemple. J’essaie de montrer qu’elle tient des différents niveaux de la conscience. À l’expérience correspondent les valeurs vitales, à la compréhension, les valeurs sociales, à la réflexion et au jugement, les valeurs culturelles, à la délibération, les valeurs personnelles … puis se dessine un possible cinquième niveau.

Il y a ensuite les relations à dégager, dans les sens descendant et ascendant, entre les niveaux et les valeurs. Il m’a fallu longtemps pour rédiger cet ouvrage, parce qu’il m’a fallu longtemps pour le penser et pour l’organiser. Le résultat final me satisfait. Il a fallu dix ans pour qu’il soit épuisé. Et les éditeurs n’avaient pas imprimé un très grand nombre d’exemplaires. Ce n’est donc pas un best-seller. Mais je suis heureux qu’il se soit vendu. Car je crois que cet ouvrage mérite une place dans le patrimoine des études lonerganiennes.

Il y a deux autres livres qui sont des recueils d’articles que j’ai écrits.

Est-ce que toutes vos conférences et articles y sont inclus?

Jusqu’à 1991-1992. Les recueils s’intitulent Theological Foundations, vol. 1 – Intentionality and Psyche et vol. 2 – Theology and Culture.

J’ai d’autres articles depuis, qui ne figurent dans aucun recueil. Ils portent essentiellement sur un effort de réflexion sur la méthode en théologie systématique. Ces réflexions se retrouvent dans un nouvel ouvrage, non encore publié, que j’ai terminé il y a deux mois environ, et qui doit s’intituler What is Systematic Theology? Le manuscrit a été soumis à University of Toronto Press.

Theology and the Dialectic of History a été traduit en espagnol. Il y a également un recueil qui a paru en espagnol, où sont inclus certains de mes textes à côté de textes de Lonergan. Le recueil s’intitule Libertad, sociedad e historia : antologia de textos.

Vous avez un nouveau projet?

J’aimerais entreprendre maintenant un ouvrage de théologie systématique. Je ne pense pas qu’une personne puisse à elle seule concevoir une théologie systématique. J’aimerais commencer un projet et y intéresser quelques personnes. Je ne pourrais pas m’attaquer aux domaines des sacrements et de l’ecclésiologie. Je n’ai pas travaillé suffisamment dans ces domaines. Je pense que je peux faire quelque chose en ce qui a trait à la Trinité, à la grâce, peut-être à la christologie.

Pouvez-vous expliquer votre notion de conversion psychique?

J’avais en tête au départ – c’est toujours à cela que je me réfère - le premier niveau de la conscience que Lonergan appelle l’expérience. J’estime que nous risquons de lire Lonergan sans saisir tout le contenu de ce niveau. Il ne s’agit pas seulement, dans l’esprit de Lonergan, d’un rapport avec les données des sens.

Lonergan cherche à fonder la conceptualisation sur la compréhension, entendue comme insight, renversant ainsi l’ordre proposé par la scolastique. Et sur le jugement, la dynamique du jugement, qu’il a découverte chez Newman. L’accent est tellement mis sur ces deux actes, que le premier niveau est tenu pour acquis. Le niveau des présentations, que certains suggèrent maintenant d’appeler le niveau de la réception des données. 

En 1972-1973, je lisais Heidegger en vue de ma thèse de doctorat. Il m’est venu à l’esprit que Heidegger parlait d’une chose … il parlait de l’état d’esprit, de l’humeur (mood), de la Beflindlichkeit, la façon d’être d’une personne. Une disposition. Il n’y a jamais de compréhension active dégagée de toute disposition d’esprit.

Jusque là, j’avais travaillé sur les rêves. Je me suis dit : voilà la clef. Les sentiments pénètrent toutes ces activités. L’affectivité joue un rôle beaucoup plus important que celui que suggère la lecture de L’insight. Lonergan le dit très clairement dans ses ouvrages ultérieurs. Je voulais mettre cet aspect en lumière. Dans mes propres recherches, je découvrais l’existence d’un opérateur qui produit certaines choses dans la conscience antérieurement à tout questionnement. Cet opérateur peut être régi par l’orientation du sujet qui se questionne, mais il n’est pas de l’ordre du questionnement. Les rêves, les symboles, se déploient dans la conscience, et nous permettent d’entrer en contact avec nos sentiments et à nous les approprier.

C’est dans cet ordre de choses que je me suis mis à parler de conversion psychique. Il s’agit de rétablir le lien entre la conscience éveillée et la dimension neurale, l’inconscient neural qui parfois vient à la conscience par l’intermédiaire des affects et des symboles. La conversion psychique m’est apparue comme une transformation de la censure dont Lonergan parle au chapitre 6e de L’insight : la censure, qui exerce une fonction de répression, assume désormais un rôle constructif.

Chez bon nombre d’entre nous, du fait simplement de notre développement la censure peut devenir répressive, elle peut tenir hors de la conscience des choses auxquelles nous devrions peut-être porter attention.

Une autre perspective à cet égard concerne une dynamique descendante. Il y a tout un ensemble de significations et de valeurs qui font partie de nos dispositions personnelles, avant que nous exercions notre questionnement, avant que nous ayons des insights. Les traditions religieuses et culturelles véhiculent un ensemble de significations et de valeurs que nous apprenons. Ces valeurs sont plus ou moins authentiques, mais elles deviennent partie intégrante de la signifiance ordinaire de notre vie …

Les autres conversions peuvent donc intervenir sans que soit prise en compte cette trame profonde? La conversion psychique aurait pour fonction d’intégrer dans une réorientation l’ensemble de la personne?

Oui, c’est exact. Il y a là une question d’authenticité. J’ai utilisé un ouvrage de Eugene T. Gendlin, un psychanalyste de l’Université de Chicago, Experiencing and the Creation of Meaning, dans Subject and Psyche. Son propos correspond à ce que Lonergan qualifierait de positionnel, même s’il ne se situe pas du tout dans la perspective de Lonergan.  En 1978, Gendlin a publié un autre ouvrage, Focusing, un livre très accessible, très pratique, qui se vend bien – il a été publié en paperback. Il s’agit d’une série d’exercices qui amènent le lecteur aux mêmes démarches que celles dont je parle, mais de manière beaucoup plus facile que celles de l’analyse des rêves.

Lonergan m’a donné un exemplaire de Focusing, peu après sa parution. Il m’a dit : « il faut que tu lises ce livre. Il traite de ce dont tu parles, de manière très accessible. » Récemment, j’ai repris ce livre, et j’ai pris contact avec Gendlin. De fait, Gendlin cherchait à entrer en communication avec les spécialistes de la pensée de Lonergan.

Nous avons découvert récemment dans les archives une lettre que Gendlin avait fait parvenir à Lonergan. Il disait : « Je pense constamment à vos travaux. Et j’utilise votre pensée dans mon dernier ouvrage. » Et il avait joint un article.

Récemment, j’ai appris que Gendlin avait cherché à entrer en contact avec des spécialistes de Lonergan, par l’intermédiaire de notre site Web … Je lui ai envoyé un courriel, lui demandant la permission d’inclure un lien vers son site Web. Ce qu’il m’a accordé volontiers.

Je pense que par cette voie, le propos de ma notion de conversion psychique peut devenir beaucoup plus accessible. 

Focusing concerne essentiellement une appropriation des matériaux du premier niveau de la conscience. Voilà ce que j’ai tenté de dire. Nous pouvons nous approprier, non seulement l’intelligence et la raison, mais aussi le niveau des présentations.

Pouvons-nous parler un peu de votre relation personnelle avec le P. Lonergan? Vous avez des anecdotes personnelles dont vous vous souvenez?

J’ai plusieurs souvenirs … Il a toujours été très bon envers moi. Il m’a toujours encouragé, depuis le jour où je lui ai montré un texte qu’il a aimé.

Quand je me suis installé à Toronto, en 1979, il était à Boston. Il m’a téléphoné. Il m’a dit : « Je suis en train de refaire mon testament. Jusqu’à maintenant, Fred Crowe était l’exécuteur. Maintenant, j’aimerais nommer trois exécuteurs. J’aimerais que l’un d’eux soit plus jeune. J’aimerais que ce soit toi. » J’étais étonné, que Bernard Lonergan me demande d’être l’un des administrateurs de sa succession! J’ai accepté. C’est pour cela que j’ai estimé en 1984 que je pouvais assumer la responsabilité de l’Institut et des Collected Works.

Parmi mes souvenirs les plus chers, plusieurs concernent la dernière année de sa vie. Il s’est toujours montré très accueillant.

Une fois, il s’est mis à parler des spécialistes des sciences sociales. Il m’a dit : « Ils ne savent pas repérer leurs termes primitifs! » Comme j’acquiesçais, il a ajouté : « Et toi, sais-tu repérer tes termes primitifs? » J’ai réussi à détourner la conversation vers l’appropriation de soi.

Durant ces visites à l’infirmerie, j’évitais de soulever des questions trop techniques, à moins que lui, il le fasse. Parfois il était fatigué, ou il parlait de films, ou encore nous regardions simplement la télé ensemble.

Environ deux semaines avant sa mort, il a tenu à me dire – et il n’était pas très lucide, pourtant : « Tu m’avais promis de venir toutes les semaines, et tu as tenu promesse. Je t’en remercie. » Cette reconnaissance m’émeut beaucoup.

Nous célébrons cette année (2004) le centenaire de sa naissance. Comment voyez-vous la place de sa pensée dans le monde actuel?

L’importance de son œuvre m’apparaît de plus en plus manifestement. Sa pensée est tellement ouverte aux évolutions qui se sont produites récemment. Hier soir, j’ai donné une conférence à l’Université Concordia, et j’ai esquissé une tentative de dialogue avec une partie de la littérature postmoderne. La structure de la pensée de Lonergan est ouverte à cela. Elle est ouverte, je pense, à de nombreuses évolutions.

Ce que sa pensée nous fournit, et que je ne trouve nulle part ailleurs, c’est une voie nous permettant de traverser toutes ces évolutions.

Pour Lonergan, les cultures sont des ensembles empiriques de significations et de valeurs, qui régissent des manières de vivre particulières. Il n’y a pas de culture normative pour toute l’humanité. Seul est normatif ce qu’il appelle le droit naturel, que traduisent les préceptes : sois attentif, sois intelligent, sois rationnel, sois responsable, sois en amour avec l’aide de la grâce de Dieu.

Lonergan n’a pas seulement énoncé ces préceptes, mais il a précisé ce que signifie : être attentif, être intelligent, être rationnel … de sorte à nous permettre de nous approprier ces préceptes et à les concrétiser sur un plan collectif, social. Mais l’authenticité sociale exige bien autre chose.

La pensée postmoderne semble nous priver des fondements nécessaires à une telle construction sociale.

Les fondements qu’ils rejettent, bien souvent, ne sont pas les fondements dont parle Lonergan. Pour Lonergan, un fondement ou un principe est ce qui vient en premier dans un ordre donné. Il peut s’agir d’expressions verbales dont on tirera des conclusions. Et il peut s’agir d’un ensemble d’opérations. Je pense que la plupart des attaques lancées contre les fondements visent les propositions servant de base à des conclusions. Je n’ai pas encore trouvé d’auteur qui attaque les fondements dont traite Lonergan. Ce serait impossible, de toute façon, de nier ces opérations tout en les déployant.

Dans L’insight, Lonergan parle de fondements, d’une part, à propos des fondements des mathématiques et, d’autre part, à propos des opérations du processus cognitif. Et il parle d’un engagement pragmatique démontrant la possibilité de la connaissance, ajoutant : « Et en dernier ressort nous ne pouvons pas dégager un fondement plus profond que cet engagement pragmatique ».

Je ne crois pas que les auteurs postmodernes aient prêté attention à ce type de fondement. Il y a des opérations que nous déployons inévitablement, quand nous posons des questions et y répondons. Ce sont là les fondements que pose Lonergan. Et non pas un ensemble de propositions. Les opérations, vous pouvez les formuler de bien des façons. Les fondements, ce ne sont pas les formulations. Les formulations peuvent toujours être nuancées, précisées, modifiées.

Avons-nous perdu quelque chose de fondamental? Oui, en un sens. J’ai là-dessus quelques idées.

Pourquoi cela n’a pas été compris? Il y a là une telle intégration …

Certes, il y a eu bien des gens qui ont compris. Nous ne pouvons répondre à toutes les demandes que nous recevons, à l’Institut de recherche. Nous recevons de nombreux courriels : pouvez-vous m’indiquer, pouvez-vous m’orienter … Cela vient de partout dans le monde.

Mais les milieux universitaires savent que Lonergan était un prêtre catholique, un Jésuite. Je pense qu’ils soupçonnent qu’il cherchait en fait à réinstaurer les dogmes catholiques.

Ils le soupçonnent d’avoir eu une intention apologétique?

Oui. Donc, je suis peiné de voir cette incompréhension.

Par contre, Habermas est un autre penseur qui est en butte à bien des difficultés face aux déconstructionnistes et aux postmodernes. Habermas soutient que la seule façon de pallier aux lacunes de la mentalité des Lumières, c’est par une avancée dans le sens des Lumières, et non pas par un recul. Et il y a beaucoup de points communs entre lui et Lonergan.

J’aimerais entre autres que l’on intègre davantage la pensée de Lonergan et celle de Habermas. Habermas n’est pas à proprement parler un penseur religieux. Je ne sais pas quelles sont ses convictions personnelles. Mais sur le plan méthodologique … il parle d’un athéisme méthodologique. Il est en dialogue avec un certain nombre de théologiens en Allemagne. Je vois de plus en plus de points communs entre lui et Lonergan. Ils se complètent de plusieurs façons. Un rapprochement de leurs pensée permettrait peut-être de faire connaître davantage Lonergan dans les milieux séculiers.

Il y a aussi tout le monde des sciences cognitives, où domine une conception matérialiste, et où l’analyse empirique du connaître proposée par Lonergan mériterait d’être connue …

Mais comment y parvenir? Une telle entreprise concerne largement la notion de conscience.

La conscience qui fait une rentrée récemment dans cet univers …

Oui, c’est vrai.

La pensée de Lonergan va continuer d’être diffusée. Mais j’aimerais qu’elle soit beaucoup plus connue. Au Canada, je suis surpris de constater l’absence des ouvrages de Lonergan dans les sections de philosophie ou de théologie des grandes librairies. Pourtant, Lonergan est un auteur canadien, un auteur de grande envergure.

Y a-t-il chez Lonergan la marque d’une tendance caractérielle ou culturelle dans l’orientation de sa pensée? Karl Rahner, par exemple, a étudié la théorie de la connaissance chez Thomas d’Aquin, en vue d’un doctorat. Rahner est né la même année que Lonergan. Ils sont de la même époque. Et pourtant, devant les mêmes données intellectuelles, ils prennent des directions différentes.

Lonergan avait un très grand respect pour Rahner. Mais dans une séances de questions et réponses, au cours de la séance d’études sur Method tenue à Regis College en 1969, il a dit à quelqu’un qui l’interrogeait à propos du thomisme transcendantal : « Maréchal et Rahner sont des penseurs d’une grande envergure, mais l’insight comme fondement de la conception et de la rationalité est absent de leur œuvre. »

Y a-t-il dans son orientation un facteur culturel? Je ne sais pas. Chez Newman, je pense, Lonergan a saisi très tôt dans sa vie une perspective empirique. Dans la Grammaire de l’assentiment, Newman formule de manière empirique la présentation d’éléments de preuve fondant un jugement.

Mais cette perspective empirique appartient plutôt à une tradition anglo-américaine, non?

Peut-être.

Mais en ce qui concerne la philosophie française … il y a bien des liens que l’on peut établir entre Lonergan et Paul Ricoeur, par exemple. Cela pourrait aider à introduire Lonergan en France. Tout comme l’établissement de liens avec Habermas permettrait de le présenter en Allemagne.

Lonergan a toujours lu de manière très admirative les autres penseurs. Il dévorait des tas d’ouvrages, en y cherchant les insights. Il se demandait : Qu’est-ce qu’ils cherchent? Qu’est-ce qui les anime, qui les passionne? Quels sont leurs insights?

Deux fois seulement il s’est montré négatif à l’égard de quelqu’un. La première fois, c’est quand un théologien l’a qualifié d’hérétique. Il s’agit d’un théologien espagnol, qui avait fait la recension de l’ouvrage De Constitutione Christi. L’autre fois, c’est à propos du livre de Leslie Dewart, The Future of Belief. Il avait été très dur à propos de ce livre. Je pense qu’il l’a regretté.

Je lis actuellement Temps et récit de Paul Ricoeur. C’est un texte très difficile à lire. Mais il vise très juste. J’en suis au deuxième volume. Le premier porte sur la méthode historique. Je vois de grandes affinités entre ce volume et les deux chapitres sur l’histoire dans Pour une méthode en théologie. Et ils citent tous deux les mêmes auteurs : Marrou, Collingwood …

En terminant, pouvez-nous nous parler de l’importance de la pensée de Lonergan dans votre vie?

Elle a eu une influence capitale. Quand j’ai saisi pour la première fois, en 1967, le propos de L’insight, j’ai compris que cette pensée allait guider le reste de ma vie. Elle valait la peine que j’y consacre ma vie.

Je ne savais pas, évidemment, que je serais un jour responsable de la succession de Lonergan et de la publication de ses œuvres complètes.

Mais quant au lien entre l’appropriation de soi et votre vocation religieuse, votre engagement comme Jésuite …

La pensée de Lonergan permet à un Jésuite de s’approprier la démarche ignacienne de manière intelligible dans le contexte moderne. Ce que dit Lonergan par exemple sur la consolation sans cause, en fonction d’une expérience religieuse, est exprimé dans un langage compréhensible aujourd’hui. Je n’avais jamais saisi auparavant ce que saint Ignace entendait par cette expression. Ou encore, les modes d’élection, dans les Exercices. Selon moi, les deux analyses que propose Lonergan de la démarche de prise de décision, l’une dans L’insight, qui écarte l’affectivité, l’autre dans Pour une méthode en théologie, qui est fondée sur l’affectivité, constituent de fait deux des modes dont parle Ignace de Loyola. Le troisième mode est celui où la personne est touchée par Dieu si directement, qu’elle n’a plus de question à se poser sur ce qu’elle doit faire. Mais le deuxième mode est celui de l’affectivité qui négocie et le premier est celui où la personne n’est pas mue affectivement et a recours à sa raison.

Par ailleurs, la pensée concernant l’Église, chez Ignace de Loyola, est naïve. Si l’Église dit qu’une chose est noire et que je pense qu’elle est blanche, Ignace dit que je dois endosser l’affirmation de l’Église. Mais Lonergan, par exemple dans son article, Dialectic of Authority, offre une perspective beaucoup plus nuancée par rapport à l’autorité.

 

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