Entretiens
Entrevue avec Michael Vertin

 

Né aux États-Unis, Michael Vertin
a fait des études à l’Université de Toronto
où s’est déroulée sa carrière d’enseignement de la philosophie.
Il a participé à de nombreux colloques et publié
une somme abondante de textes sur la pensée de Lonergan.
Il a dirigé la publication d’œuvres choisies de Frederick Crowe.
Il est présentement Directeur associé du
Lonergan Research Institute at Regis College.
Son grand projet actuel concerne la structure
de la recherche multidisciplinaire.Un livre récent,
The Importance of Insight. Essays in Honour of Michael Vertin (2007)
célèbre sa carrière et sa contribution aux études lonerganiennes.

 

Michael Vertin, vous êtes né à Breckenridge, au Minnesota, et vous avez fait des études universitaires au Minnesota et à Washington, DC. Vous vous êtes intéressé assez tôt aux mathématiques et à la physique, de même qu’à la philosophie et à la théologie.

Je vais vous donner un aperçu de mon parcours personnel jusqu’ici, de manière à établir le contexte pour vos prochaines questions. Je suis né à Breckenridge, une ville de l’ouest du Minnesota. Mon père était entrepreneur de pompes funèbres. J’étais l’aîné de ses sept enfants, et je devais donc l’aider de toutes les façons possibles. À partir du début de mon adolescence, j’ai souvent été appelé à extraire un corps d’une automobile à la suite d’un accident, à entrer dans une maison au milieu de la nuit pour aller prendre le corps d’un bébé mort subitement dans son petit lit, ou à aller chercher le corps d’une personne qui venait de commettre un suicide. En rétrospective, je suis sûr que ces expériences m’ont forcé à m’interroger sur le sens de la vie plus profondément que mes amis. J’ai tenté faire appel aux ressources auxquelles puisait ma famille, une famille catholique fervente, à notre église locale et en fin de compte à l’ensemble de la religion catholique.

Lorsque est venu le temps de l’université, j’ai eu la chance d’être admis dans une institution de culture générale modeste mais excellente, dirigée par des moines bénédictins, St. John’s University, à Collegeville, Minnesota. Pendant trois ans, mes études ont été centrées sur la physique et les mathématiques, mais il était clair que j’étais préoccupé par des questions plus fondamentales. J’ai consacré deux autres années à l’étude de la philosophie, en m’intéressant de manière particulière aux arguments en faveur de l’existence de Dieu. Comme la fin de ces études approchait, j’ai décidé d’envisager de devenir prêtre. Le diocèse local m’a accepté comme séminariste et m’a envoyé étudier la théologie à la Catholic University of America, à Washington, DC.

Je trouvais un épanouissement personnel dans l’étude de la théologie, mais après trois ans, il est devenu manifeste que je devais m’orienter non pas vers un ministère pastoral, mais vers un ministère universitaire. On m’a accepté au niveau de la maîtrise en philosophie à l’Université de Toronto. Six ans plus tard, j’ai défendu avec succès une thèse de doctorat intitulée « The Transcendental Vindication of the First Step in Realist Metaphysics, according to Joseph Maréchal » (La justification transcendantale du premier stade d’une métaphysique réaliste selon Joseph Maréchal). Par la suite, j’ai été embauché pour enseigner à la fois la philosophie et la théologie à St. Michael’s College. Je suis devenu citoyen canadien. Je suis passé de l’enseignement à temps plein à un régime à temps partiel en 2005, et j’en suis à ma trente-neuvième année de travail avec les étudiants de l’Université de Toronto. Pendant toute cette période, le propos fondamental (mais non le seul) de mon enseignement aux premier et deuxième cycles, de mon travail de supervision et de mes publications, concernait ce que recouvrent les étiquettes « philosophie de la religion », « théologie naturelle », théodicée », « théologie philosophique » et « philosophie de la théologie ».

À Washington vous avez ouvert pour la première fois le grand livre de Lonergan, Insight. Quelle importance a eu cet ouvrage dans votre vie?

Un dimanche matin, à l’automne de 1964, je me tenais sur les marches devant le sanctuaire national de l’Immaculée-Conception, à Washington. Je discutais avec d’autres séminaristes après la messe de 10 h, avant de me rendre de l’autre côté de la rue, au Theological College, pour le repas du midi. L’un des types qui était là, Jim Murphy, de Dubuque, Iowa, nous parlait avec enthousiasme d’une lettre qu’il avait reçue quelques jours auparavant d’un ami qui étudiait à la Grégorienne, à Rome. Cet ami, comme nous tous, se tourmentait à propos de la possibilité d’établir de manière réellement certaine un certain nombre de choses telles que l’existence de Dieu, la vérité historique des Évangiles et l’infaillibilité du pape. Il racontait que ses efforts pour sortir de son dilemme intellectuel avaient trouvé réponse, une réponse substantielle, dans un livre écrit par un professeur de la Greg. Ce professeur d’appelait Bernard Lonergan, et son livre était Insight: A Study of Human Understanding. Murphy nous disait que ce livre était très dense. Mais quand il a ajouté que l’ouvrage abordait la théologie par l’étude de la science, et que personne chez les autorités romaines n’était en mesure de le comprendre, l’étincelle de mon intérêt initial s’est avivée. Deux jours plus tard, je suis allé me procurer ce livre (qui se vendait 5,50 $, si je me souviens bien) et j’ai entrepris la première de mes nombreuses lectures de l’ouvrage.

En rétrospective, je vois bien qu’à ma première lecture d’Insight bien des aspects importants de cet ouvrage m’ont complètement échappé. Mais ce que j’ai pu saisir, notamment en ce qui concerne les perspectives de Lonergan sur les relations entre le connaître et le croire, m’a captivé. Ces perspectives sont venues consolider ma conviction croissante, déjà nourrie par d’autres sources, que je devais interrompre mes études au séminaire et approfondir mes connaissances philosophiques. À la fin de cette année universitaire, j’ai donc quitté le séminaire (je pensais que ce retrait était temporaire). J’ai trouvé un travail de professeur de physique dans une école secondaire de Washington pour une année, j’ai suivi quelques cours de philosophie de deuxième cycle et j’ai recueilli des renseignements au sujet des programmes de maîtrise en philosophie dans différentes universités. J’ai continué à lire et à relire Insight pendant ce temps. À la fin de l’année, je comprenais bien les grandes affirmations du livre au sujet de la connaissance et de la réalité, affirmations qui allaient orienter fondamentalement tout mon parcours universitaire ultérieur.

Vous partez poursuivre vos études à Toronto. Pourquoi Toronto?

Vers 1965 le Time Magazine a publié un court article qui vantait les mérites du programme de philosophie de l’Université de Toronto. J’ai noté que les professeurs oeuvraient dans divers collèges plutôt que d’être tous concentrés dans un même édifice. L’article soulignait que les collèges appartenaient à des traditions culturelles et religieuses variées. Et il mettait en relief l’influence exercée par le Pontifical Institute of Mediaeval Studies, fondé au St. Michael’s College trente-cinq ans auparavant par Étienne Gilson. Tous ces aspects m’attiraient, car ils étaient éloignés du mode d’organisation des programmes de philosophie dans les écoles américaines que je connaissais bien. Je me suis rendu à Toronto pour une visite et j’ai décidé de m’inscrire au programme de maîtrise. J’ai été accepté.

À Toronto vous avez rencontré Bernard Lonergan. Pouvez-vous nous parler de ce premier contact personnel?

Ça a sûrement été l’événement marquant de ma première année (1966-1967) en tant qu’étudiant de deuxième cycle à Toronto. Je me suis rendu à Willowdale, une banlieue de Toronto où se trouvait Regis College, avec l’intention d’obtenir une autographe dans mon exemplaire d’Insight. Lonergan était encore affaibli par l’opération majeure qu’il avait subie deux ans auparavant, mais il a semblé très heureux d’avoir un visiteur. Comme je l’interrogeais sur les rapports entre la raison et la foi, il m’a donné ce qui était – je le vois maintenant – une esquisse, cinq ans avant sa publication, du quatrième chapitre de Method in Theology. Mais ses remarques étaient parsemées de questions pour moi; je faisais pour la première fois l’expérience d’une énigme que je n’ai jamais résolue, malgré les conversations occasionnelles que j’ai eues avec lui au cours des quinze années suivantes. Lorsqu’il offrait des conseils à des professeurs, Lonergan faisait souvent remarquer que l’on peut voir dans son regard si un étudiant saisit ce que dit le professeur. Pour ma part, chaque fois qu’il disait quelque chose et me regardait intensément en souriant, je n’étais jamais certain s’il se préparait à ajouter quelque chose ou s’il attendait une réponse de ma part!

Vous vouliez faire une thèse de doctorat sur la pensée de Joseph Maréchal?

Oui, mais permettez-moi de vous dire comment c’est arrivé. Pendant que je faisais une maîtrise en philosophie, l’intérêt que je portais depuis longtemps aux rapports entre la raison et la foi s’était approfondi pour devenir un questionnement sur le fameux « problème critique », sur la possibilité d’arriver à une certitude concrète dans un domaine quelconque. La solution de ce problème offerte dans Insight m’attirait, mais je sentais le besoin d’étudier plus en détail l’émergence historique du problème et les autres solutions proposées. J’ai donc demandé à être admis au programme de doctorat, et j’ai été admis, puis je me suis mis à chercher un moyen à ma portée pour poursuivre cette quête épistémologique.

Pendant mes six années d’études à Toronto, j’ai eu le privilège de pouvoir rencontrer Bernard Lonergan privément deux fois par année environ pour le consulter sur mes recherches et obtenir son soutien; le conseil le plus précieux qu’il m’a donné concernait le sujet de ma thèse. Je savais que plusieurs érudits, notamment Karl Rahner, Emerich Coreth et Lonergan lui-même citaient avec admiration l’œuvre de Joseph Maréchal, le philosophe jésuite belge décédé en 1944. Je savais aussi bien sûr que Maréchal avait publié entre autres Le point de départ de la métaphysique, une étude historique et systématique du problème critique, en cinq volumes. Il me semblait qu’une exploration et une évaluation de cette étude pouvait constituer un projet de thèse valable pour quelqu’un ayant des intérêts comme les miens. Lonergan m’encourageait fortement dans cette voie. Il m’a rappelé comment il avait lui-même été instruit par les découvertes de Maréchal sur le dynamisme de l’intelligence humaine, découvertes qu’il avait assimilées indirectement, « par osmose », d’un confrère, Stephanos Stephanou, au cours de ses études à la Grégorienne. Il m’a dit qu’il n’était pas certain si Maréchal considérait que l’intelligence humaine en cette vie possédait un genre d’intuition intellectuelle. « J’aimerais bien éclaircir cela », m’a-t-il dit. Je me souviens d’une discussion sur le bien-fondé d’une thèse à propos de Maréchal, et notamment de cet échange vigoureux :
« Vous connaissez bien Kant ? »
« Pas si mal »
« Vous maîtrisez le français ? »
« Je suis capable de lire des textes français »
« Alors allez-y ! (go for it) »

Y a-t-il d’autres anecdotes significatives au sujet du père Lonergan que vous aimeriez raconter?

J’aimerais en mentionner deux. La première montre à quel point Lonergan était conscient du besoin d’encouragement des étudiants. À un moment donné, après avoir recueilli pendant des mois et des mois des éléments primaires et secondaires sur Maréchal, je me suis senti écrasé par le défi d’avoir à en faire quelque chose de valable. Dans cet état d’abattement, je me suis rendu une nouvelle fois à Willowdale pour obtenir ses conseils et faire autographier ma copie de Verbum: Word and Idea in Aquinas, qui venait de paraître quelques années auparavant. Lonergan, après avoir déploré les nombreuses erreurs typographiques de la publication initiale, a signé le livre et l’a posé sur la table. Puis nous avons pendant une heure discuté des problèmes d’interprétation et de structure que je cherchais à résoudre, et il m’a offert des suggestions que j’ai trouvé utiles. Puis, au moment où j’allais partir, il a attiré mon attention vers le livre sur la table, sur ma copie de Verbum.
« Vous voyez le livre sur la table ? »
« Oui »
« Après que j’ai eu terminé mes recherches et vérifié toutes mes références, combien de temps pensez-vous qu’il m’a fallu pour écrire le premier chapitre? »
« Un mois ? »
« Un an ! J’écrivais quelques pages, puis le lendemain je les jetais et je recommençais. Il m’a fallu une année entière de travail avant de découvrir comment tout intégrer en un tout cohérent. »
« Wow! »
« Et combien de temps pensez-vous qu’il m’a fallu pour écrire le deuxième chapitre ? »
« Six mois? »
« Trois semaines! Alors, prenez courage : quand l’inspiration vient, les choses tombent en place rapidement ! »

La dernière fois que j’ai vu Bernie Lonergan, c’était au printemps 1983. Il vivait alors à l’infirmerie jésuite, à Pickering, à l’est de Toronto. Je savais que sa mémoire déclinait, alors j’ai pris la peine de me présenter. (Plus tard, quand je suis reparti, il m’a demandé de lui redire mon nom.) Après un moment d’échanges sur tout et rien, je lui ai dit que je me demandais quelle avait pu être l’expérience d’étudier à Rome au cours des années 1930. Il m’a fait une longue réponse détaillée, éloquente et tissée d’humour. La conversation s’est poursuivie ainsi pendant près d’une heure. À un moment donné, profitant d’une pause naturelle, j’ai sorti de ma poche un petit cadeau que j’avais apporté --- des noix de cajou et des noisettes. Il a ouvert le paquet immédiatement et, en voyant les noix, il s’est léché les lèvres. Mais il a hésité un moment et au lieu de se servir, il s’est penché pour m’en offrir. La simple spontanéité de ce petit geste m’a frappé et continue de me frapper comme une expression merveilleusement concrète de ce que Lonergan a cherché à promouvoir tout au long d’une vie consacrée à ses travaux. Sa mémoire flanchait, mais son habitude du dépassement de soi était intacte.

Pouvez-vous nous parler de votre épouse, des intérêts que vous partagez avec elle?

En 1974 j’étais devenu membre régulier du corps professoral des départements d’études philosophiques et théologiques de St. Michael’s College. J’avais sérieusement fait part à Lonergan de ma conclusion selon laquelle Maréchal en fin de compte ne tient pas que l’intelligence humaine en cette vie procède par une quelconque intuition intellectuelle. Et j’avais commencé à accumuler un ensemble de données recueillies en salle de classe, un ensemble qui allait prendre une grande ampleur, sur la difficulté particulière que posent les écrits de Lonergan pour des étudiants de premier ou de deuxième cycle.

Durant le carême de cette année-là, j’ai été invité à être l’un des trois conférenciers pour une série de conférences sur le problème du mal, qui devait se dérouler au St. Michael’s College sur plusieurs semaines. L’un des autres conférenciers était une doctorante en théologie, intense mais extravertie, Margaret O’Gara. En travaillant ensemble à la série de conférences nous avons fait connaissance. Margaret s’intéressait à l’ecclésiologie, et notamment à l’oecuménisme chrétien. Nous nous sommes vite engagés dans de longues discussions sur des sujets tels que la complémentarité entre l’ecclésiologie et la philosophie sociale, et les présupposés philosophiques du dialogue oecuménique. En 1975, Margaret a été embauchée comme professeur régulier en théologie au St. Michael’s College, et l’année suivante nous nous sommes mariés. Au cours de sa grande carrière d’enseignement de la théologie elle a représenté l’Église catholique dans plusieurs dialogues oecuméniques aux niveaux national et international. Nous avons toujours continué de discuter des rapports entre la philosophie et la théologie, et nous disons souvent en plaisantant que notre relation, créée à l’occasion des conférences du carême de 1974, illustre une fois de plus l’adage augustinien selon lequel le bien peut surgir du mal.

On a reconnu et couronné de prix importants la qualité de votre enseignement. Pouvez-vous nous parler de vos étudiants?

Il n’y a rien de plus ennuyeux que d’écouter quelqu’un donner une longue réponse à une question que vous ne vous posez pas, ou parler d’un sujet qui ne vous intéresse pas. Par conséquent, à partir du tout premier cours que j’ai donné, j’ai toujours cherché à suivre deux recommandations lonerganiennes. La première a souvent été formulée par Lonergan lui-même : « Si vous voulez réussir dans l’enseignement, efforcez-vous de découvrir les questions de vos étudiants; répondez à ces questions-là. » La deuxième est implicite dans les perspectives qu’avait Lonergan au cours des années 1970 : « Si vous voulez réussir dans l’enseignement, efforcez-vous de découvrir les sentiments de vos étudiants; accordez-vous à ces sentiments-là. » Mes étudiants ont très largement réagi avec intérêt et gratitude à cette approche.

Cette communication entre mes étudiants et moi, par ailleurs, a été un grand facteur de mon propre développement académique et pédagogique. Par exemple, il y a une limite aux nombre de façons dont un étudiant peut affirmer que toute connaissance est purement subjective, ou nier l’argument transcendantal en faveur de l’existence de Dieu. Le contenu formel de telles affirmations et négations devient familier à tout professeur qui donne ne serait-ce que depuis quelques années un cours sur la philosophie de la religion. Mais le fondement concret de telles affirmations et négations peut être aussi inattendu et surprenant que les histories personnelles des étudiants qui les défendent authentiquement. Et puisque même le professeur d’expérience a affaire de temps à autre à des fondements concrets inattendus et surprenants, même ce professeur d’expérience sera à certains moments amené à percevoir des perspectives inédites pour aborder une question, des facteurs nouveaux à verser au dossier des éléments de preuve dans un sens ou dans l’autre, des façons nouvelles de défendre un argument la semaine prochaine ou l’année prochaine. Après avoir passé près de quatre décennies dans une salle de classe, je me reconnais, avec beaucoup de gratitude, dans le vieil adage rabbinique : « J’ai beaucoup appris des livres, j’ai appris davantage de mes maîtres, mais j’ai surtout appris de mes étudiants. »

Pouvez-vous nous parler de ce qui vous intéresse surtout dans la pensée de Lonergan et de certaines de vos publications?

Je m’intéresse surtout à la philosophie des fondements et à ses incidences sur d’autres questions. Autrement dit, je m’intéresse aux réponses données, faisant appel aux positions ou aux contre-positions, aux trois « questions de base » de Lonergan, les questions de la théorie de la connaissance, de l’épistémologie et de la métaphysique. Ainsi, par exemple, au milieu des années 1990, j’ai écrit trois articles qui explorent des réponses à ces trois questions en rapport spécifiquement au « quatrième niveau » de la conscience intentionnelle de Lonergan. Ce sont, respectivement : « Lonergan on Consciousness: Is there a Fifth Level? », dans Method: Journal of Lonergan Studies 12 (1994), p. 1-36; « Judgments of Value, for the Later Lonergan », dans Method: Journal of Lonergan Studies 13 (1995), p. 221-248; et « Lonergan’s Metaphysics of Value and Love », dans Lonergan Workshop 13 (1997), p. 189-219. J’ai continué à étudier l’oeuvre de Maréchal, notamment son influence sur Karl Rahner, dans une direction, et sur Lonergan, dans une autre. Voir, par exemple, « Finality of Human Spirit: From Maréchal to Lonergan », dans Lonergan Workshop 19 (2006), p. 267-285. J’ai écrit un essai conjointement avec mon épouse, où nous analysons la façon dont trois positions contrastées sur une question théologique importante sont façonnées en partie par trois présupposés philosophiques sous-jacents (qui passent souvent inaperçus) : « The Assistance of the Holy Spirit to the Magisterium in Teaching », dans Catholic Theological Society of America Proceedings 51 (1996), p. 125-142. Je voudrais aussi mentionner « The Two Modes of Human Love: Thomas Aquinas as Interpreted by Frederick Crowe », publié dans Irish Theological Quarterly 69 (2004), p. 31-45.

Le dernier article mentionné était dérivé d’un projet de publication pluriannuelle auquel j’ai eu le privilège de participer. À partir de la fin des années 1980, j’ai dirigé la publication de différents volumes d’essais de Frederick Crowe, sans doute le plus grand expert de l’œuvre de Lonergan. Trois volumes ont paru jusqu’ici : Appropriating the Lonergan Idea (Catholic University of America Press, 1989, et republié par University of Toronto Press, 2006); Three Thomist Studies (Lonergan Institute at Boston College, 2000); Developing the Lonergan Legacy (Toronto, University of Toronto Press, 2004); un quatrième volume, Lonergan and the Level of Our Time, sera publié prochainement chez University of Toronto Press.

Cette année encore, vous avez participé au 36e Lonergan Workshop annuel à Boston College. Pouvez-vous nous en parler?

J’ai présenté un exposé au cours de plusieurs Lonergan Workshops dans le passé. Cette année, je devais orienter des échanges sur Insight. Un groupe d’une quinzaine de personnes s’est réuni quatre jours de suite, et a tenu des échanges animés et stimulants. Comme d’habitude dans de telles situations, je suis sûr que j’ai plus appris de ces discussions que les participants que j’étais censé guider.

Vous êtes directeur associé du Lonergan Research Institute, au Regis College de Toronto. Pouvez-vous nous parler de vos projets, de vos activités actuels ?

Notre projet le plus important concerne la publication des derniers volumes des Collected Works of Bernard Lonergan, une série entreprise sous la direction de Frederick Crowe et Robert Doran il y a plus de vingt ans. Le Volume 11, qui contient la première partie de la théologie trinitaire de Lonergan, a été publié tout récemment. (La deuxième partie avait paru il y a deux ans.) Il reste donc 10 volumes (sur les 25 prévus) à publier. Pour avoir plus de détails, consultez le site Web du LRI (www.lonergan-lri.ca).

Depuis la fin de 2006, le LRI est situé dans les locaux du Regis College. Nous venons de terminer avec Regis College notre réinstallation près du coeur du campus de l’Université de Toronto. Nous avons un bel ensemble de pièces, des espaces de bureaux, une salle d’étude pour les spécialistes qui nous rendent visite, une bibliothèque qui loge notre collection exhaustive de thèses et de livres sur Lonergan, une salle pour les archives Lonergan, protégée contre le feu et munie de contrôles de température, et nous établirons bientôt les archives Crowe.

Nous espérons que les liens plus étroits avec Regis College que permettent notre cohabitation nous permettront de rehausser le profil universitaire des études sur Lonergan au sein de la Toronto School of Theology et, plus largement, au sein de l’Université de Toronto — et d’en bénéficier en retour. Cette université, la plus grande au pays, et située au centre d’une ville que les Nations Unies continuent de considérer comme la ville la plus multiculturelle au monde, offre des ressources académiques uniques et un laboratoire urbain sans égal aux étudiants de maîtrise et de doctorat qui désirent approfondir et prolonger la pensée de Lonergan.

L’un des événements marquant l’inauguration de nos nouvelles installations a été la huitième Conférence Lonergan annuelle, tenue le vendredi 16 octobre 2009. Le conférencier de cette année était David Burrell, professeur émérite de philosophie et de théologie à l’Université de Notre Dame, et actuellement professeur d’éthique et de développement à l’Université des martyrs ougandais, à Nkozi, Ouganda. La conférence de David s’inscrit dans le sillage des études comparatives, menées depuis trois décennies, sur les doctrines fondatrices du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Le titre de sa conférence était : « God in the World: Comparing Muslim and Christian Theologies » (Dieu dans le monde : une comparaison des théologies musulmanes et chrétiennes).

Le LRI et le Regis College sont maintenant tout près l’un de l’autre. Nous prévoyons qu’une plus grande complémentarité sera ainsi facilitée entre ces deux institutions. Le programme des études lonerganiennes de Regis College accorde des diplômes, du baccalauréat au doctorat. Des projets de collaboration sont envisagés, qui permettront à des étudiants de deuxième et troisième cycles de consulter les archives Lonergan et les archives Crowe.

Le Lonergan Trust Fund a été créé avec des dons recueillis par Fred Crowe en 1974 à l’occasion du 70e anniversaire de naissance de Lonergan. L’an dernier, les responsables du Fonds ont approuvé sa conversion : il est devenu le Lonergan Studies Student Support Fund de Regis College, et sa valeur a été doublée par des subventions correspondantes du gouvernement de l’Ontario. Les revenus tirés de ce fonds augmentent les ressources de soutien offertes aux étudiants au doctorat des Lonergan Studies à Regis College.

L’année 2009-2010 est la vingt-septième année du séminaire du LRI pour étudiants de doctorat. Le séminaire, qui se réunit cinq fois au cours de l’année universitaire, fournit aux participants, qui étudient la pensée de Lonergan, l’occasion de présenter des exposés sur leurs travaux en cours et de recevoir une rétroaction critique mais amicale des autres étudiants et des professeurs.

Nous continuons de publier le bulletin trimestriel, le Lonergan Studies Newsletter, créé à l’origine par Frederick Crowe. Pour consulter le LSN en ligne, il suffit de se rendre sur le site Web du LRI ou sur celui du Lonergan Centre for Ethical Reflection, de l’Université Concordia (http://lonergan.concordia.ca).

Le LRI a établi récemment, en l’honneur de Frederick Crowe, une petite bourse d’études pour encourager les jeunes universitaires à s’intéresser à la pensée de Lonergan. Pour plus de détails, consulter le site Web du LRI.

Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels?

Je travaille à un projet à long terme que j’ai appelé provisoirement « The Structure of Multidisciplinary Inquiry » (Structure de la recherche multidisciplinaire). Le but visé est i) d’établir diverses positions qui peuvent être maintenues (explicitement ou implicitement) en philosophie des fondements, ii) de montrer comment ces positions sont derrière certains débats actuels dans cinq disciplines, et iii) de montrer la façon dont les positions philosophiques correspondant aux « positions » de Lonergan peuvent contribuer à la résolution des débats en cause. (Il ne s’agit pas de vouloir régler les disputes; il serait insensé de nourrir une telle ambition à moins d’être véritablement un expert dans l’un des cinq domaines spécialisés. Pour ce qui est de l’ensemble des cinq domaines, il ne faut même pas y songer. Il s’agit simplement de montrer comment les positions philosophiques au sens lonerganien pourraient nous aider à y parvenir.) Pour exprimer les choses sous l’angle de Pour une méthode en théologie, la portée du projet s’inscrit dans les fonctions de la dialectique et de l’établissement des fondements.

Les cinq domaines spécialisés et leurs débats particuliers respectifs sont les suivants : 1) en microphysique, le débat autour de la portée nouménale de la mécanique quantique; 2) dans la loi constitutionnelle des États-Unis, le débat autour du droit constitutionnel concernant la protection de la vie privée; 3) en psychologie clinique, le débat autour de la nature de la schizophrénie; 4) en éthique sexuelle, le débat autour du statut moral du comportement homosexuel; enfin, 5) dans la théologie chrétienne des grandes religions, le débat autour du rôle salvateur de Jésus de Nazareth.

Je travaille à ce projet depuis de nombreuses années. Jusqu’ici, j’ai exploré l’ensemble des cinq débats dans mes cours à des étudiants de maîtrise et de doctorat et dans des conférences (souvent aux réunions annuelles du West Coast Method Institute, à l’Université Loyola-Marymount de Los Angeles). J’ai des ébauches des dix chapitres que devrait comporter mon livre, et je suis en train de les peaufiner. J’espère achever le projet avant d’aller recevoir ma récompense éternelle.

La publication de The Importance of Insight. Essays in Honour of Michael Vertin (2007) célèbre votre carrière et votre contribution aux études lonerganiennes. Pouvez-vous nous dire comment vous voyez l’avenir des réseaux Lonergan?

En réponse à votre question, j’aimerais énoncer cinq remarques. Je pense que la question est double en fait : i) Quel est l’avenir de la pensée de Lonergan? ii) Quel est l’avenir des institutions centrées sur Lonergan?

La pensée de Lonergan va-t-elle survivre dans ses grandes lignes? Oui, je l’affirme catégoriquement, et sans équivoque. Je considère cette pensée comme un apport d’une valeur permanente au trésor du savoir humain. J’irais jusqu’à paraphraser à son sujet le conseil donné par Gamaliel au Sanhédrin : puisqu’elle vient de Dieu, personne n’arrivera à la détruire (voir Actes 5 38).

Troisièmement, l’avenir des institutions centrées sur Lonergan est moins certain. Certains facteurs négatifs jouent : le vieillissement des personnes, la réduction de l’appui ecclésiastique pour les études supérieures, et les changements de priorités culturelles. Les gens qui, du moins en Amérique du Nord au cours des trois dernières décennies, ont été les principaux animateurs des cours et programmes universitaires centrés sur Lonergan, des instituts et centres Lonergan et de leurs projets, des « workshops » et colloques Lonergan, des revues et séries de publications consacrées à Lonergan --- tous ces gens-là sont avancés en âge; et dans bien des cas, il n’est pas évident qu’ils auront des successeurs. Par ailleurs, au cours de ces trois décennies, on a pu constater un déclin notable de la capacité et de l’engagement des ordres religieux et des diocèses quant au soutien d’étudiants pendant de longues périodes requises pour des études supérieures, ce qui marque un tarissement d’une source traditionnelle de nouveaux spécialistes de la pensée de Lonergan. En outre, l’évolution récente de la technologie a favorisé une demande accrue de grandes quantités d’une information qui s’acquiert beaucoup plus vite, et est immédiatement utile. Ce phénomène entraîne un désintérêt de plus en plus répandu, et même un mépris, envers un savoir holistique, la lenteur de son acquisition et les questions de réalités suprêmes qu’un tel savoir soulève inévitablement. Une telle orientation culturelle ne favorise guère les études lonerganiennes.

Quatrièmement, cependant, il faut reconnaître certains faits importants du côté positif. Il faut noter qu’un nombre beaucoup plus grand de personnes ayant étudié la pensée de Lonergan détiennent des postes d’enseignement postsecondaire qu’il y a trente ans. La majorité d’entre eux enseignent au Canada anglais et aux États-Unis, mais la liste d’envois du LRI enregistre également des spécialistes de Lonergan en Australie, en Autriche, au Chili, en Chine, en Colombie, au Danemark, en Angleterre, au Canada français, en Allemagne, en Inde, en Irlande, en Italie, au Japon, au Kenya, en Corée, en Malaisie, au Mexique, au Nigeria, en Irlande du Nord, aux Philippines, en Slovaquie, en Afrique du Sud et à Taiwan. Bon nombre d’entre eux n’ont pas quarante ans. Et je n’ai pas entendu parler d’un institut, d’un centre ou d’un projet Lonergan qui ait cessé de fonctionner, même si certains d’entre eux ont connu des fusions ou d’autres transformations; et au cours de la dernière décennie, plusieurs entités semblables ont été créées. Au cours des dernières années au moins deux nouvelles conférences Lonergan annuelles sont apparues; et il y a au moins deux nouvelles revues Lonergan, et une troisième est à l’état de projet. Chaque mois, ou presque, un collègue attire mon attention sur un article ou un livre qui fait appel à Lonergan. Souvent, ces textes paraissent dans des périodiques plutôt éloignés de l’univers lonerganien ou proviennent d’un éditeur de qui on n’attend pas ce genre de publication. Finalement, si les évolutions récentes de la technologie ont créé des obstacles culturels pour les études lonerganiennes, elles ont également favorisé de nouvelles possibilités. Par exemple, elles facilitent dans la culture en général la possibilité de transmettre des idées très précieuses, donc de contester les déviations générales du sens commun et de promouvoir l’émergence de la cosmopolis. (Voir L’insight, p. 257-261.) Et à l’intérieur de cette communauté de plus en plus planétaire des spécialistes de Lonergan en particulier, la technologie nouvelle facilite des communications, une collaboration plus efficaces, et donc un effort plus efficace vers la création d’un réseau communautaire.

Cinquièmement, le lendemain de la clôture du Lonergan Workshop de 2009, Kenneth Melchin, de l’Université Saint-Paul d’Ottawa, avait convoqué une réunion à Boston College à laquelle ont participé une vingtaine de représentants des centres, instituts et projets Lonergan de différents endroits dans le monde. L’objectif était d’explorer les possibilités déjà mentionnées de communication et de collaboration plus étroites entre les divers organismes centrés sur la pensée de Lonergan. Les échanges ont été si fructueux que les participants ont approuvé unanimement la tenue d’une réunion de suivi après le Workshop de 2010, que Ken a accepté généreusement de convoquer. De plus cette initiative a déjà produit des fruits. Ken a annoncé récemment la création d’un nouveau site Web qui servira de répertoire général pour tous les sites Web des nombreuses organisations consacrées à la pensée de Lonergan dans le monde. Ce nouveau site Web (www.lonergan-links.wikispaces.com) indique a) tous les centres, instituts et projets actuels consacrés à la pensée de Lonergan, b) leurs activités particulières et les événements qu’ils préparent, de même que c) les adresses des sites Web particuliers et de leurs responsables. Bien sûr, des initiatives comme celle-là ne garantissent pas la survie des organisations consacrées à Lonergan, mais nous pouvons espérer qu’elles marquent une voie d’avenir. Personnellement, je suis assez optimiste.

(Septembre 2009)

 

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