Entretiens
Entrevue avec Luca Botturi

 

Universitaire d’origine italienne enseignant en Suisse, Luca BOTTURI a conçu un modèle d’établissement des objectifs d’apprentissage pour les concepteurs de cours. La recherche de fondements philosophiques pour son travail l’a conduit à la découverte de la pensée de Lonergan, à Milan puis à Vancouver.

 

 

Vous êtes d’origine italienne, et vous avez fait vos études en Suisse?

Je suis né à Milan, en 1977.

Après mes études secondaires, je suis entré à l’Université de Lugano, en Suisse, où j’étais inscrit en sciences de la communication. Je me suis spécialisé en technologies de la communication. J’ai terminé ce cycle d’études à Vienne, à l’Université technique.

Mon mémoire de maîtrise portait sur les systèmes hypermédias adaptatifs pour l’apprentissage en ligne. En le rédigeant, j’ai redécouvert une vieille passion : l’éducation.

Je voulais faire un doctorat en sciences de la communication et en éducation, et approfondir le domaine de la conception et des technologies de l’apprentissage. Je me demandais comment on pouvait ne pas perdre de vue l’objectif éducatif, tout en assumant toutes les petites décisions que requiert un projet d’élaboration de cours. Finalement, j’ai élaboré un langage visuel pour la conception de cours – quelque chose de nature à aider les concepteurs à voir ce qu’ils font, à exercer une réflexion critique sur leur travail, pour l’améliorer si possible. J’ai terminé la rédaction de ma thèse à Vancouver, au Canada, à l’Université de la Colombie-Britannique.

Je suis actuellement concepteur de cours et chercheur à l’Université de Lugano.

Et Lonergan dans tout ça? Je ne suis pas philosophe, c’est clair, même si je suis le fils d’un philosophe. Pourtant, lorsque vous vous intéressez aux apprentissages, aux étudiants, aux gens qui veulent apprendre, qui veulent améliorer leur carrière, leur vie, vous devez avoir une idée – je dirais maintenant un insight – sur ce que sont réellement l’enseignement et l’apprentissage.

Que signifie : apprendre? Comment arrive-t-on à tenir quelque chose pour vrai, ou à rejeter comme faux tel élément d’information?

Quel rôle jouent les personnes dans la transmission du savoir?

Les réponses à ces questions délimitent la portée d’une bonne recherche, même dans un domaine comme celui des technologies.

Mais comment avez-vous découvert la pensée de Lonergan?

Mon père est philosophe. Il enseigne à l’université catholique de Milan.

Pendant mes études de doctorat, je lui ai dit que la psychologie de l’apprentissage (je lisais Vygotsky, Piaget, Dewey, ...) me décevait beaucoup. Les auteurs que je lisais expliquent des tas de choses, mais rien de tout cela n’est vraiment utile quand il s’agit de concevoir un cours. 

La psychologie se penche sur la manière dont l’apprentissage se déroule dans l’esprit. Elle étudie l’activité de l’esprit comme un phénomène naturel. Il me fallait trouver une autre perspective, situer la dynamique de la connaissance dans le monde de la personne qui apprend.

La façon dont je l’énonce n’est peut-être pas claire, mais l’idée est toute simple.

J’avais besoin d’une théorie qui me fournisse des outils pour prendre des décisions en matière de conception, et non pas d’une théorie qui m’explique après-coup pourquoi l’apprentissage s’est produit ou non.

Mon père m’a remis la traduction italienne de Understanding and
Being
– après un premier contact un peu difficile avec ce texte philosophique, j’ai découvert qu’il s’agissait là d’un ouvrage incroyablement pratique (la première partie, de fait : je n’ai pas compris les derniers chapitres, d’intérêt plus théologique). Avec ce schéma en tête, il devenait possible de cerner les possibilités ou les erreurs didactiques, et de songer à enseigner des stratégies d’une manière très créative. Je découvrais également un cadre conceptuel plus large que les autres théories pédagogiques ayant cours : le constructivisme, le cognitivisme, et ainsi de suite.

J’ai donc commencé à me servir du « modèle » de l’apprentissage de Lonergan, en essayant de comprendre comment je pouvais en faire un modèle de l’enseignement. J’ai eu à ce moment-là quelques échanges un peu difficiles avec certains professeurs, où j’ai pu constater que les fondements que Lonergan utilise pour construire sa pensée ne sont pas reconnus, du moins pas dans la tradition pédagogique suisse.

Finalement, j’ai conçu un instrument – le modèle Quail – qui est un outil permettant de définir des objectifs d’apprentissage et qui peut servir à élaborer une stratégie d’enseignement.

Ce modèle, je l’ai tiré directement des idées de Lonergan. Il est vraiment utile, ce qui constitue la meilleure preuve que les idées sous-jacentes fonctionnent.

Je suis allé par la suite à Vancouver, où je suis resté quatre mois. J’ai trouvé à la bibliothèque de l’université d’autres oeuvres de Lonergan. J’ai lu Insight et quelques articles, et j’ai approfondi ma compréhension de la pensée de Lonergan.

J’ai également intégré au modèle Quail des idées qui sont simplement suggérées par Lonergan (du moins selon la lecture que j’ai faite de ses oeuvres jusqu’ici) : par exemple, l’idée selon laquelle un nouveau savoir entraîne des responsabilités nouvelles, ou celle selon laquelle il existe également des types de connaissance (les faits, les concepts, les habiletés relationnelles, les procédés, et ainsi de suite).

Enfin, j’ai cherché à faire de cet outil un instrument utile pour les professeurs, et à le rendre compréhensible pour les concepteurs de cours. C’était là la partie la plus difficile, mais je commence à en voir les résultats concrets.

Vous avez rencontré au Canada des spécialistes de l’oeuvre de Lonergan?

J’ai rencontré Moira Carley. J’avais obtenu son adresse électronique, je ne me souviens plus de quelle façon. Je lui ai envoyé un message et elle m’a fourni un grand nombre d’observations utiles, ainsi qu’une rétroaction sur mes travaux. Je suis allé assister à une conférence à Montréal, où j’ai pu la rencontrer et discuter avec elle de mes projets. Elle m’a énormément aidé. Elle m’a fourni les textes pertinents pour mes travaux, et a été constamment disponible pour lire et commenter mes textes, par courriel ou au téléphone.

Je dois dire que j’ai vu en elle un professeur qui travaillait « à la Lonergan ». J’ai utilisé ensuite plusieurs sites Web, pour y trouver des renseignements ou des adresses de spécialistes au sujet des sources primaires et secondaires, surtout.

Quels sont vos plans pour l’avenir?

Pour ce qui est du proche avenir, je vais travailler à l’Université de Lugano à titre de concepteur de cours et de chercheur. Je poursuivrai entre-temps un travail de consultant ou de formateur pour une entreprise en Suisse et dans le Nord de l’Italie.

J’aime travailler avec des étudiants, les voir progresser intellectuellement, affectivement, et en tant que personnes.

Dans mes travaux de recherche, je pense que j’ai acquis un sentiment particulier de l’importance d’être éduqué et d’éduquer – ce que je désire, par conséquent, c’est d’avoir de bons amis pour m’enseigner, et d’être un bon ami, un bon mari, un bon père.