Entretiens
Entrevue avec Benoît Garceau

 

 Benoît GARCEAU a suivi les cours de Bernard Lonergan, à l'Université Grégorienne, où il fut étudiant de 1952 à 1956. Il a été ensuite professeur au Département de philosophie de l'Université d'Ottawa de 1956 à 1983 et à la Faculté de théologie de l'Université Saint-Paul de 1983 à 1990. Il a été recteur du Séminaire universitaire Saint-Paul de 1986 à 1990 et supérieur provincial de sa communauté, les Missionnaires Oblats de Marie-Immaculée, de 1990 à 1996.  Il est présentement professeur auxiliaire aux deux universités. Il est l'auteur de Judicium. Vocabulaire, sources, doctrine de Thomas d'Aquin (Vrin, 1968), La voie du désir (Médiaspaul, 1997), Le savoir et le sens (Médiaspaul, 2001),  L'expérience de Dieu avec Thomas d'Aquin (Fides, 2001), ainsi que de nombreuses contributions à des revues philosophiques.

 

Dans quelles circonstances avez-vous connu Bernard Lonergan?

J'étais étudiant à la Grégorienne, à l'automne de 1953, lorsqu'on nous annonça qu'il y aurait un nouveau titulaire pour les cours De Trinitate et De Verbo Incarnato et que ce nouveau professeur venait du Canada. Son nom, Bernard Lonergan, m'était tout à fait inconnu. J'étais fier qu'un canadien fasse partie du corps professoral de la Grégorienne et j'étais heureux qu'on lui confie les deux cours les plus importants du premier cycle des études théologiques, deux cours qui étaient jusqu'alors donnés par un jésuite allemand qui avait la réputation d'être un professeur plutôt terne et peu intéressé aux questions philosophiques.

Lorsque Bernard Lonergan se présenta comme professeur, au début du semestre d'hiver 1954, ma première impression, qui fut également celle de la plupart des 300 étudiants qui remplissaient l'aula magna de la Grégorienne, ne fut pas très bonne. Il nous donnait clairement l'impression qu'il n'était pas enthousiaste devant l'obédience qui l'avait amené à Rome. C'était le cours De Trinitate. Il s'asseyait à son pupitre, se tenait la tête dans le creux de sa main gauche, suivait de sa main droite le texte du manuel du Père Charles Boyer, qui lui était sans doute imposé et qu'il récitait dans un latin à fort accent anglais.

Mais voilà qu'après deux ou trois semaines, quelque chose s'est passé et Lonergan changea totalement son style d'enseignement. Il abordait alors la question des processions dans la vie trinitaire et il décida de nous distribuer un texte qu'il avait lui-même rédigé sur les processions intelligibles du verbe et de l'amour dans la conscience humaine et sur la connaissance analogique qu'elles nous permettent d'obtenir de la vie trinitaire. Ce fut pour moi une révélation. Je me rendais compte que j'avais devant moi un maître authentique, du genre de ce que je cherchais depuis mon arrivée à la Grégorienne en septembre 1952. Il abordait les vraies questions, les traitait avec une conscience historique éclairée et démontrait une connaissance approfondie de la théologie de Thomas d'Aquin.

Je dois dire que ce changement de style ne lui attira pas plus de sympathie auprès des étudiants. La plupart le trouvaient trop spéculatif. Je le trouvais admirable de poursuivre sa réflexion devant des étudiants occupés à autre chose qu'à écouter son exposé. J'entendais des critiques sévères de son enseignement. Mais, au scolasticat international des Oblats, où je résidais, je m'efforçais de convaincre mes confrères de la grande valeur de Lonergan et de l'importance pour nous de tirer le plus possible de son enseignement.

Qu'est-ce qui amena ce changement subit de style dans son enseignement, de la lecture du manuel à l'exposé de sa propre pensée, mûrie et profonde? C'était pour moi un mystère à l'époque. Mais  lorsque parut Insight, j'entendis dire que les Jésuites de la Grégorienne avaient persuadé Lonergan que ce livre, auquel il travaillait depuis un bon nombre d'années, avait de meilleures chances d'être bien reçu s'il faisait partie du corps professoral de la Grégorienne. Quoi qu'il en soit, je crois que durant le semestre d'hiver 1954, Lonergan s'est réconcilié avec son obédience : des collègues de l'université lui ont exprimé leur admiration et leur confiance, lui ont fait comprendre l'importance de son œuvre pour la théologie et l'ont prié de rester avec eux.

Durant mon séjour à Rome, de 1952 à 1956, je n'ai eu qu'une seule conversation privée avec Bernard Lonergan. J'avais lu un article qui me semblait contredire la position qu'il nous avait exposée en classe sur le motif de l'Incarnation. C'était durant le semestre d'hiver 1955. J'allai frapper à sa chambre. Je le trouvai occupé, la visière au front, tapant à la machine un texte qui pourrait bien avoir été le manuscrit d'Insight. Il ne m'a pas gardé longtemps. Il me promit de lire l'article en question et d'en parler en classe s'il pensait qu'il en valait la peine.

Un autre petit détail. À l'examen de licence, au début de juin 1956, Lonergan faisait partie du bureau des quatre examinateurs auquel je dus me présenter. Il était un bon examinateur, qui donnait de bonnes notes et ne donnait pas l'impression de chercher à montrer sa supériorité. Nous nous sommes bien entendus à cet examen.

Un autre détail. Lonergan est venu à quelques reprises prendre un repas au scolasticat international des Oblats. Il était accompagné des PP. Flick et Alfaro. Il y avait  une bonne vingtaine de Canadiens à notre scolasticat et il semblait bien aimer ce genre de visite. Je le revois jouant au ping-pong avec les scolastiques, après le dîner.

 

Vous l'avez revu au séminaire de Halifax ... 

Durant l'été de 1958, alors que j'étais jeune professeur à la Faculté de philosophie de l'Université d'Ottawa, l'université Saint-Mary's de Halifax organisa un séminaire où Bernard Lonergan présenta Insight et répondit aux questions des participants. En compagnie de Jacques Croteau, un collègue de la Faculté, je pris part à ce séminaire.

Je garde de ce séminaire le souvenir d'un Lonergan au faîte de sa carrière, Pendant des heures et des heures, avec enthousiasme et conviction, sans se lasser, il expliquait, en pédagogue intelligent et sensible aux questions de ses auditeurs, les idées maîtresses de sa pensée. C'était un Lonergan différent de celui que j'avais connu à Rome, beaucoup plus à l'aise devant le groupe de chercheurs qui l'entourait et qui  manifestait un intérêt marqué pour son livre, considéré comme un ouvrage qui fera désormais époque dans la pensée contemporaine.

Il y avait là des psychiatres. L'insight de Lonergan apparaissait comme ayant beaucoup d'applications pour la psychothérapie. On entrevoyait la possibilité d'une insight therapy, qui serait inspirée de la conviction selon laquelle l'éros fondamental de l'être humain est de comprendre le sens de ce qui existe.  Ça me paraissait tellement éclairant! Il était à son meilleur là; il n'y avait pas une question à laquelle il ne répondait pas, sans papier, de façon très intelligente. 

Une chose cependant m'avait un peu agacé durant ce séminaire : le culte que l'on commençait à rendre à Lonergan. Je n'aimais pas - pour quelle raison, je l'ignore - le genre de remarque que j'entendais comme : « We finally have the Aquinas of our times ». Il me semblait alors que comparer Lonergan, dont c'était le premier ouvrage majeur, à Thomas d'Aquin, était  exagéré.

Il y avait dans la philosophie de Lonergan deux thèses devant lesquelles j'éprouvais des difficultés. En premier lieu, sa conception de l'être, une conception que j'appelais eschatologique, selon laquelle l'être est ce qui nous sera connu quand nous obtiendrons les réponses à toutes les questions que nous pouvons poser.  L'être m'est toujours apparu comme étant la toute première saisie que l'on fait de la réalité et qui donne une consistance ontologique à tout notre discours rationnel. En tout ce qui se présente à l'expérience, ce que je comprends d'emblée c'est qu'il y a là quelque chose qui existe d'une manière déterminée, c'est-à-dire la présence d'un être dont j'essaie de préciser le mode d'être en le définissant, en faisant à son sujet des propositions, en élaborant des démonstrations. Sans cette intelligence de l'être, la discours rationnel n'a pas de consistance ontologique.

Puis, en deuxième lieu, sa conception du jugement, comme deuxième opération de l'esprit par laquelle, en réponse à la question an sit? la raison humaine compose et divise des concepts, forme des énoncés et se prononce sur leur vérité.

C'était dans le but de mieux connaître la pensée de Lonergan sur ces deux thèses et d'avoir l'occasion de converser plus longuement avec lui, que je l'invitai à venir donner à l'université d'Ottawa une série de cours, en septembre 1958, de même que quelques conférences adressées à un grand public. Une invitation qu'il accepta avec empressement, étant donné qu'elle lui donnait l'occasion de rencontrer de nombreux admirateurs et amis de la région de Buckingham, d'où il est issu.

Il est venu à Ottawa quelque temps après le colloque de Halifax. Il demeurait au Séminaire universitaire Saint-Paul.

J'étais son mentor. Le soir, il m'invitait à sa chambre, pour discuter avec lui de  philosophie. Notre désaccord tournait autour des deux thèses que je viens d'évoquer.

Un soir, des amis de Buckingham viennent chercher le P. Lonergan pour l'amener souper dans un restaurant d'Ottawa.  On était en train de discuter dans sa chambre. On l'appelle à la réception. Il me dit : « Venez, je vais vous présenter mes amis de Buckingham ». Plusieurs parmi eux étaient  Anglicans.  C'était un vendredi, à une époque où l'abstinence était de rigueur chez les Catholiques.  Après avoir salué ses amis et être rentré à la maison, voici que le P. Lonergan  revint vers moi  pour me poser une question qui m'étonna. Il me demanda : « Père Benoît, je m'en vais manger avec des Anglicans; croyez-vous qu'il m'est permis de manger de la viande? » Je fus en quelque sorte bouleversé par cette question; je me disais intérieurement : lui, un si grand penseur, qui me pose à moi cette question! Je ne savais pas si sa question me révélait surtout son humilité ou les limites du savoir rationnel.

 

Il a souvent dit dans des entrevues qu'il cherchait, mais qu'il préférait adopter un parti conservateur sur les questions qu'il n'avait pas explorées lui-même ...

Oui, c'est cela.

 

Donc, il a donné des cours à Saint-Paul?

Plutôt à l'Université d'Ottawa. L'Université Saint-Paul n'a commencé à exister qu'en 1966, suite à la déconfessionnalisation de l'Université d'Ottawa, à partir des deux facultés canoniques de théologie et de droit ecclésiastique. Ses cours furent très suivis par les professeurs et les étudiants de maîtrise et de doctorat. Ses conférences publiques, données à la Salle Académique de l'Université d'Ottawa, ont attiré beaucoup de gens. Le journal Le Droit l'avait annoncé comme un grand théologien originaire de Buckingham et professeur à la Grégorienne. Les personnes de la région étaient fières de lui. Il était un excellent communicateur. Tandis que ses cours portaient sur Insight et étaient réservés aux professeurs et étudiants diplômés, ses conférences s'adressaient à un très grand public. 

 

Et les conférences publiques, sur quoi portaient-elles?

Sur les grands sujets comme l'éducation, la vocation intellectuelle, la vie sociale. Une chose m'avait surtout frappé : Lonergan n'avait pour chaque conférence qu'un schéma d'une page, avec des citations pour chacun des points de son exposé. C'était important pour lui d'illustrer chaque point exposé par une citation.

 

Des citations de qui?

Des philosophes surtout, de Platon à Husserl.

C'était des conférences très accessibles, pleines de finesse, habituellement très éclairantes. Il avait de l'humour. Un humour un peu sec. Il ne riait pas lui-même.

 

Ses cours à l'Université d'Ottawa ont été bien accueillis?

Oui, très bien. On les trouvait difficiles, mais ils suscitaient de bons échanges. Je lui avais demandé de nous exposer Insight, qui était alors un livre encore tout chaud. Il l'a fait avec maîtrise.

 

Une anecdote intéressante

Si je me souviens bien, c'est Gregory Lonergan qui m'a raconté une anecdote illustrant l'intelligence de Bernard Lonergan.

Un neveu, semble-t-il, qui était étudiant à McGill, en génie naval je pense, avait à apprendre par cœur une formule mathématique longue d'une page. Le neveu,  qui était à préparer un examen du lendemain, pour lequel il fallait mémoriser cette formule et être capable de la redonner au professeur, mentionna au P. Lonergan, en visite chez lui, la dite formule. Ce dernier le pria de lui montrer cette formule. Après l'avoir examinée, il se dit convaincu que cette formule pouvait se simplifier et il montra à son neveu qu'elle pouvait se réduire à une seule ligne. Le lendemain matin, le neveu fut précisément celui à qui le professeur de McGill demanda de répéter la formule.  « Cette formule peut se réduire en une formule d'une ligne », clama le neveu.« D'ou tiens-tu cela? » lui demanda le professeur. « De mon oncle qui m'a montré comment elle pouvait être simplifiée ». Le professeur proposa à la classe de lui laisser le temps d'étudier cette opération et de revenir le lendemain sur cette question. Et le lendemain, il aurait dit aux étudiants : « Vous pouvez déchirer la page contenant la formule. Nous n'en avons plus besoin. »

Est-ce une légende? Je ne sais pas. Mais ça correspond à l'image qu'on se faisait de Lonergan en 1958.

Le P. Gregory m'a raconté une autre anecdote. Bernard Lonergan se retirait à Halifax l'été. Il avait un régime de vie assez original. Il travaillait jusque vers 7 ou 8 heures le soir. Après avoir mangé, il se trouvait trois  joueurs de bridge. Ils jouaient au bridge jusqu'à l'aurore. Puis il disait sa messe et se couchait.

 

Quelle a été l'influence de la pensée de Lonergan sur votre propre itinéraire?

En un sens, cette influence a été très grande. Elle a joué de trois façons. Elle m'a appris, en premier lieu, la nécessité pour la vie intellectuelle de prendre conscience des activités de l'esprit, notamment de ces activités auxquelles son cours sur la Trinité m'avait rendu sensible : les deux processions intelligibles du verbe et de l'amour, qui sont comme les deux dons qui émanent de notre esprit, par lesquels nous faisons l'expérience d'être vraiment à l'image de Dieu.

Elle m'a fait comprendre, en deuxième lieu, le rôle du désir naturel de comprendre dans la vie humaine. Pour Lonergan, et il insistait beaucoup sur ce point à Halifax, où quelques psychologues étaient présents, l'éros fondamental de l'être humain, son désir le plus profond est celui de saisir dans l'expérience sensible le sens des choses, de comprendre ce qu'il en est de ce qui existe. Parmi les implications de cette vision de l'être humain, je donnais surtout de l'importance à la vertu de studiosité pour cultiver le désir de comprendre : une vertu qui consiste dans une certains vigilance du cœur, le protégeant contre la curiosité, c'est-à-dire la recherche de la possession de connaissances pour un tout autre but que la découverte de la vérité.

Enfin l'influence de Lonergan fut décisive sur les recherches ultérieures que je fis de 1958 à 1968. A cause des questions que me posaient ses deux thèses, évoquées plus haut, sur l'être et le jugement, je décidai de plonger dans l'étude de l'épistémologie de saint Thomas et de porter une attention particulière à l'acte de juger. Cette recherche a abouti à une thèse présentée à l'Institut d'Études Médiévales (Montréal) et publiée chez Vrin en 1968.

Il me faut avouer, bien modestement, que sur ces deux thèses, j'ai encore des réserves sur les positions de Lonergan, des réserves qui ne diminuent en rien mon admiration pour son œuvre. Il me semble qu'il a été trop dépendant, dans sa lecture de la noétique thomasienne, de la thèse de Peter Hoenen sur le jugement, qui, à mon avis, en cherchant à simplifier le vocabulaire noétique de Thomas, a produit une thèse sur le jugement qui me paraît difficilement acceptable.

Encore une fois, cela ne diminuait pas mon admiration pour Lonergan et ne m'empêchait pas de lire et relire avec enthousiasme Insight, que je considérais comme une des œuvres majeures de notre siècle et que j'essayais de faire connaître aux étudiants qui m'étaient confiés.

Si je ne l'ai pas suivi, c'est que j'ai été pris par d'autres problèmes. J'ai fait des études médiévales. La thèse que j'ai faite portait sur le jugement chez saint Thomas. Je voulais clarifier certaines choses. Tout le reste de ma vie j'ai été aux prises avec des problèmes de la philosophie dans son rapport avec la foi religieuse. Ces problèmes avaient trop d'implications personnelles pour que je puisse confier ça à d'autres. Je me suis lancé dans l'étude de la philosophie allemande. J'ai passé une année en Allemagne à essayer de comprendre Hegel. J'ai passé tant de temps ensuite à travailler les texte de Marx, Heidegger, Nietzsche ...

 

Avez-vous des collègues qui connaissent la pensée de Lonergan?

Aujourd'hui je suis un professeur à la retraite, dont l'enseignement dépend des invitations que me font l'Université d'Ottawa et l'Université Saint-Paul.

À l'Université Saint-Paul, il y a un bon connaisseur de Lonergan : Ken Melchin. Il y a également James Pambrum, qui sans être un spécialiste de la pensée de Lonergan, semble bien le connaître.

Je regrette qu'au Département de Philosophie de l'Université d'Ottawa, la pensée de Lonergan n'ait pas eu la réception qu'elle méritait. Je ne connais pas de professeur actuel de ce Département qui soit intéressé par l'œuvre de Lonergan. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas. 

 

Pourquoi déplorez-vous cette absence?

Je pense que Lonergan est un monument dans la pensée philosophique. Je ne peux pas le situer dans la théologie.

Il faut dire que c'est une pensée difficile. Une pensée qui suppose une bonne connaissance des différentes lectures possibles de l'œuvre  de  Thomas d'Aquin.

Je pense qu'Insight est un livre très important dans la philosophie du XXe siècle. Cependant il n'a pas eu, du côté francophone,  le diffusion qu'il mérite.

Du côté américain, il a été beaucoup lu et exploité, non seulement par des théologiens et philosophes, mais par des praticiens d'autres disciplines, qui ont utilisé l'épistémologie lonerganienne avec profit.

 

Quels sont pour vous les points forts de la pensée de Lonergan?

Cette prise de conscience de la double procession intelligible de l'esprit humain; la procession intelligible du verbe et la procession intelligible de l'amour. Pour moi, Lonergan est celui qui a le mieux mis en lumière ce que voulait dire la « procession intelligible ». Il a montré la différence entre la causalité et la  procession intelligible. Dans ma façon de dire les choses, je dis simplement que l'esprit humain accède à son humanité lorsqu'il arrive à découvrir qu'il est  source de deux dons : le don de son verbe (sa parole intérieure) et le don de son amour. Dans l'ordre de l'amour, par exemple, l'être humain peut ne plus avoir rien à donner, mais il a encore l'essentiel : son amour, qui est le don fondamental.

 

Vous dites donc que les deux dimensions, la raison et l'amour, sont présentes chez Lonergan dès les années 1940? On est habitués à une dichotomie qui se résout par un fameux « shift » au milieu des années 1960...

Plutôt les deux dimensions de l'intelligence et de l'amour.  Les articles sur le Verbum et la  Gratia Operans  ne sont pas l'œuvre d'un rationaliste, mais d'un intellectualiste, c'est-à-dire d'un penseur qui croit en la primauté de l'intelligence sur la raison. Cet intellectualisme, Lonergan l'a hérité du Maître d'Aquin, à travers la lecture qu'en ont faite Pierre Rousselot et Joseph Maréchal.

 

Pouvez-vous nous dire qui était Rousselot?

Rousselot était un jésuite, qui publia, autour des années 19l0, deux travaux qui ont beaucoup stimulé les études du thomisme :  L'intellectualisme de saint Thomas et Le problème de l'amour au Moyen âge. Il fut tué à la guerre de 1912.  L'intellectualisme est justement la reconnaissance d'un au-delà de la raison, qui rend possible le discours de la raison. L'intellectualisme du P. Rousselot a beaucoup influencé Lonergan, comme il a beaucoup influencé Maréchal. Mais avec Maréchal, on a affaire à quelqu'un qui cherche à établir un dialogue entre Thomas d'Aquin et Emmanuel Kant et à tenter une réconciliation possible entre l'intellectualisme du premier et la critique par le second de la raison pure.

Lonergan a voulu montrer que chez Thomas d'Aquin il y a plus qu'une vue sur  l'esprit et qu'on y trouve rien de moins qu'une authentique expérience spirituelle. C'est ça que Lonergan a dit dès le début. Une expérience spirituelle qu'on ne comprend pas si on ne se l'approprie pas. C'est à partir de là qu'il faut lire Insight. Insight, c'est la voie à suivre pour réaliser l'appropriation de la structure de l'esprit.

 

Que conseillez-vous comme introduction à sa pensée?

J'ai été absent des études philosophiques de 1986 à 1996, ayant dû accepter des services d'autorité à l'intérieur de ma communauté religieuse. Je n'ai donc pas été capable de suivre tout ce qui s'est publié autour de Lonergan. Il m'est difficile de dire quelle serait aujourd'hui la meilleure introduction à sa pensée. Je suis encore porté à croire, cependant, que ses articles sur le Verbum, dans Theological Studies, forment une excellente introduction à son œuvre.

 

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