Merci à Dieu, vraie source de la lumière et de la sagesse.
Je tiens à remercier sincèrement frère Louis Roy, op, mon directeur de mémoire, de m’avoir accordé sa confiance pour mener à bien ce travail de recherche. Merci pour votre rigueur intellectuelle et scientifique. Merci pour vos conseils et vos commentaires tout au long de cette étude. Je dois beaucoup à votre grande érudition, votre connaissance et familiarité avec la pensée de Bernard Lonergan et vos précieux conseils. Merci pour votre patience.
Je voudrais remercier aussi tous mes professeurs au Collège Universitaire Dominicain. Ces rencontres et partages toujours si nourrissants ont éclairés mes recherches. Merci infiniment.
Enfin, j’exprime toute ma gratitude à ceux qui, de près ou de loin, confrères dominicains, parents et amis, ont rendu ce travail possible par leur présence et leur précieux conseils. Merci pour vos encouragements et votre affection. Merci.
Puisse notre contribution participer au processus de guérison du peuple Rwandais meurtris dans leurs cœurs et dans leurs corps.
Table des matières
Introduction générale
1. Contexte
2. Problématique
3. Status quaestionis
Chapitre I : La mémoire, un lieu théologique
Introduction
I.1. La mémoire : faculté du passé ou pouvoir du présent ?
I.1.1. Le temps et la signification
I.1.2. La morphologie de la mémoire
I.1.2.1. La mémoire dans la philosophie grecque
I.1.2.1.a. Platon : La mémoire comme une représentation présente d’une chose absente
I.1.2.1.b. Aristote : « La mémoire est du passé »
I.1.2.2. Saint Augustin et la question de la mémoire
I.1.2.3. La phénoménologie de la mémoire chez Paul Ricœur
I.2. Entre mémoire et attente : l’identité de l’Église
I.2.1. L’Église-peuple de Dieu en son origine
I.2.2. Le peuple de Dieu comme mémorial
I.2.3. L’Église comme sujet historique
I.3. La mémoire blessée, défi pour l’Église
I.3.1. La foi comme mémoire chez Johann Baptist Metz
I.3.2. « Peuple de Dieu » au Rwanda et la mémoire de la souffrance
I.3.3. L’exercice de la mémoire et son rapport à la justice
Conclusion
Chapitre II : Bernard Lonergan, une percée créatrice
Introduction
II. 1. Pourquoi Bernard Lonergan
II. 1.a. L’apport méthodologique de Bernard Lonergan
II. 1.b. L’aperçu de la méthode théologique de Bernard Lonergan
De l’objectivité dans la méthode lonerganienne
Fonctions constituantes de la théologie dans la méthode lonerganienne
II. 2. L’Église sous les lunettes de Bernard Lonergan
II. 2. a. L’Église dans l’histoire politique récente du Rwanda
La connaissance historique dans des « conditions impossibles »
La « signification commune » de l’histoire du Rwanda
Et l’Église dans le paysage
II. 3. La conversion religieuse chez Lonergan
II. 3.1. Les premières conversions dans l’Église naissante
II. 3.2. Le défi de la conversion
II. 3.3. L’horizon.
II. 3.4. Le dépassement de soi
II. 3.5. À nouvelle culture, nouveau paradigme
II. 3.5.a. les trois conversions : intellectuelle, morale et religieuse.
II. 3.6. La conversion et le cas du Rwanda
Conclusion
Chapitre III : Vers un modèle ecclésiologique : L’Église comme « processus de constitution de soi »
Introduction
III. 1. L’Église dans sa genèse
III. 1.1. Un aperçu sur les modèles de l’Église
III. 1.2. Appréciation de l’approche « modèle » pour parler de l’Église
III. 1.3. La genèse concrète de l’Église
III. 2. Les trois visages du processus de constitution de soi
III. 2.1. L’Église comme processus structuré
a. Les doctrines et les formulations doctrinales
Les pistes pastorales
b. Les rites du culte public
c. Les structures de gouvernement
d. Les lois et les coutumes
III. 2.2. L’Église comme processus d’ouverture à l’extérieur
III. 2.3. L’Église comme processus de rédemption
a. La vie sociale et l’urgence de la rédemption
b. Les recommandations pratiques
Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Introduction générale
1. Contexte
La théologie est cette "foi qui cherche l’intelligence" selon saint Anselme, ou cette « intelligence de la foi » selon saint Augustin. A l’heure actuelle, en ce temps de multiples commémorations, la théologie devrait peut-être se comprendre comme une espérance qui cherche l’intelligence[1]. Le contexte actuel du Rwanda en est une belle illustration. En effet, ce pays d’Afrique central est marqué par un passé lourd de violence et de massacres, tout particulièrement le génocide de 1994, qui ont laissé des séquelles dans les mémoires collectives et individuelles et qui, encore aujourd’hui, demeurent des blessures non cicatrisées. L’Église qui est appelée à vivre, au plan social comme sujet historique, dans la mémoire et l’attente de Jésus Christ, doit donc prêter l’oreille à cette situation de crise de l’horizon du peuple de Dieu au Rwanda.
En effet, les confrontations sociopolitiques lancées déjà depuis les années de l’indépendance en 1962 ont conduit le Rwanda à accumuler un passif de séquelles de violences épais de plus de 5 décennies. Face à cette situation, l’Église, « experte en humanité », a la lourde responsabilité de continuer, sous l’impulsion de l’Esprit, l’œuvre même du Christ venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver et non pour condamner (Paul VI, Populorum Progressio, 13). Cette noble tâche exige de l’Église de redéfinir sa place dans la société. Cependant, une réflexion ecclésiologique développée à partir du contexte rwandais est presque inexistante. Même si le premier synode des évêques africain en 1994 stimulait l’intérêt en ecclésiologie avec son adoption de la famille comme une expression particulièrement appropriée de la nature de l’Église pour l’Afrique, des recherches en ecclésiologie au Rwanda n’ont pas encore réussi à élaborer une théologie de l’Église qui soit solidaire avec les pauvres, promotrice de la foi et des valeurs religieuses et morales, éducatrice de ses membres à la responsabilité, pour construire une société guérie et réconciliée, juste et équitable, et promotrice de la dignité humaine. Cette recherche vise donc à remplir ce vide.
Pour passer de la blessure à la guérison, le peuple rwandais a besoin de se réconcilier avec lui-même. Or, comme on le sait, la réconciliation n’est pas un fruit de laboratoire. Elle est, pour une communauté, une œuvre de communion dans les mêmes valeurs, un souci de faire mémoire, mais une mémoire qui porte sur ce qui est rigoureusement vrai, authentique et complet. Cela suppose que l’on mette à la disposition du peuple des critères objectifs pour porter un jugement serein sur les événements, pour apprécier le réel à sa juste valeur. Mais l’histoire nous apprend que le peuple rwandais a souvent agi sous la poussée du réflexe ethnique et d’une haine viscérale que les hommes politiques savent inoculer et alimenter[2].
Jean-Paul II disait que « l’homme est la première route et la route fondamentale de l’Église » (Redemptor Hominis, 14). Cet accent anthropologique demande que la théologie de l’Église s’inscrive au cœur des interrogations et des préoccupations des hommes de notre temps. En cette époque où le devoir de mémoire est au cœur de tous les processus de guérison et de réconciliation, une ecclésiologie flexible et ouverte pour des surprises et des nouveautés imprévisibles nous semble essentielle. L’approche de Bernard Lonergan, qui s’intéresse à la découverte plutôt qu’au concept, à la créativité plutôt qu’à la logique, une perspective dans laquelle la pensée est toujours la pensée de la nouveauté, cadre avec la théologie de l’Église à l’épreuve de ce temps. Comme nous allons le montrer dans le status quaestionis, la pensée et l’approche épistémologique de Lonergan nous semblent les plus appropriées pour aider le peuple rwandais à faire une analyse du passé et du présent sans a priori et sans complaisances. Ainsi, en nous appuyant sur ses présupposés philosophiques et théologiques, nous chercherons à développer une théologie de l’Église où cette dernière, non seulement poursuit une fin salvifique et eschatologique qui ne peut être pleinement atteinte qu’à la fin des temps, mais aussi fait route avec toute l’humanité.
2. Problématique
C’est dans ce contexte avec le « trop de mémoire » d’un côté, le « pas assez de mémoire » de l’autre, avec l’influence des commémorations et les abus de la mémoire, depuis la mémoire empêchée jusqu’à la mémoire obligée en passant par la mémoire manipulée[3], que se situe notre problématique. Quelle Église pour les peuples à « mémoire blessée » ? Comment dans ce contexte, l’Église fait-elle rayonner la figure du Christ ? Comment devient-elle cette figure du Christ ?
Trois ordres de questions sous-tendent cette problématique générale : comment est-ce que la mémoire est un lieu théologique ? Que pouvons-nous apprendre de Lonergan ? Quel modèle de l’Église serait le mieux adapté pour cette situation ? Ce sont ces questions qui guideront notre travail et que nous développerons comme suit : à partir de la mémoire comme un lieu théologique, nous présenterons une compréhension de l’Église comme un processus de constitution de soi en passant par les présupposés philosophiques et théologiques de la pensée de Lonergan.
Comme hypothèse de travail, nous postulons avec Lonergan que l’Église chrétienne est cette communauté qui se constitue extérieurement par la communication du message du Christ et intérieurement par le don de l’amour de Dieu. Et du fait que la communication suppose une communauté constituée et que la communauté à son tour se constitue et se parfait dans la communication, ce travail tâchera de montrer qu’une Église qui s’identifie à un processus de constitution de soi répondra mieux au défi de la mémoire que pose le monde contemporain.
Pour mener à bien cette tâche, nous aurons besoin d’une méthode. Nous adopterons la méthode que Lonergan propose en théologie. Cette méthode ne consiste pas en un ensemble de règles à suivre, mais plutôt en un cadre destiné à favoriser la créativité et la collaboration[4]. Elle est une démarche à triple mouvement : l’analyse, associée à l’histoire des sciences empiriques, la synthèse et une alternance analyse synthèse qui relance constamment l’évolution du savoir.
3. Status quaestionis
L’Église qui s’identifie aux joies et espoirs, aux tristesses et angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, ne saurait se désintéresser de l’ombre que l’histoire des souffrances humaines projette sur notre espérance. Comment définir cette Église face à une indifférence coupable qui provient d’une conscience vive du décalage entre l’idéal du christianisme et son impuissance à soulager la misère de millions d’hommes et de femmes qui sont les victimes d’un système mondial injuste ? Quel portrait dresse cette Église des conflits ethniques et politico-religieux interminables ? Ces questions invitent à un retour réflexif du côté de la mémoire et de la redéfinition de la place de l’Église dans la société.
L’exercice de la mémoire, son usage et ses abus ont été analysés par différents auteurs contemporains issus des domaines de la philosophie, de la sociologie, de la culture et de l’anthropologie[5]. Comment ces cadres théoriques et ces approches des sciences sociales peuvent-ils contribuer à la guérison de la mémoire et permettre à l’Église d’être vraiment cette religion au visage tourné vers le monde ? De nombreux théologiens ont fait intervenir ces perspectives pour penser le christianisme contemporain. J. B. Metz parle de la « mémoire dangereuse »[6], qui constitue une instance privilégiée du rapport entre la religion et le politique. William. T. Cavanaugh réfléchit sur la mémoire eucharistique du point de vue de ses incidences politiques, mais dans une direction différente de celle de Metz[7].
L’auteur qui nous intéresse, Bernard Lonergan, lui, n’a pas fait un traité à part, ni sur la mémoire ni sur l’Église. Toutefois, ses écrits déclinent une pensée du devenir et du questionnement qui est un véritable appel à une collaboration dans la genèse des savoirs et le développement humain, éclairée par une philosophie de l’intériorité qu’expriment ces préceptes : « Sois attentif. Sois intelligent. Sois rationnel. Sois responsable. Sois en amour »[8].
On trouve donc, éparpillées, des références sur l’Église dans ses écrits, entre autres sa suggestion provocatrice, dans l’épilogue à l’Insight, suggestion selon laquelle un traité pour l’Église, pour être complet, doit puiser dans les théories de l’histoire ses éléments formels[9]. Aussi, de grande importance pour notre sujet est le chapitre sur les « Communications » qui conclut son Method in Theology. Dans ce chapitre Lonergan se sert des catégories développées dans les chapitres précédents et propose que l’Église se comprenne comme « un processus de constitution de soi »[10].
Dans son article sur L’avenir du christianisme, Lonergan explore la fonction de la religion dans la vie humaine. Pour lui, « l’homme existe de façon authentique dans la mesure où il parvient à se dépasser » et « le dépassement de soi trouve à la fois son accomplissement et son fondement durable dans la sainteté, dans le don que Dieu nous fait de son amour »[11]. La spécificité du christianisme tient à la médiation de ce don en Jésus Christ, car, « l’Église chrétienne est la communauté qui se constitue extérieurement par la communication du message du Christ et intérieurement par le don de l’amour de Dieu »[12]. Pour que cet aspect de la communication si essentiel et si vital à l’Église soit incarné, il est important que la théologie de l’Église, pour être plus adaptée aux attentes contemporaines, puisse amorcer une réflexion sur le culte de la mémoire qui ne sert pas toujours les bonnes causes. Cette réflexion entraîne d’énormes tâches à accomplir étant donné qu’il n’est pas évident que le « devoir de mémoire » soit toujours salutaire. Ainsi, il faut non seulement étendre la mémoire, mais aussi il faut pouvoir corriger, critiquer et même démentir la mémoire d’une communauté déterminée lorsque celle-ci se replie et se referme sur ses souffrances propres au point de se rendre aveugle et sourde aux souffrances des autres communautés. Ceci nous semble être un chemin exigé pour que l’Église, dans le Christ, soit réellement le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain (Lumen Gentium, 1). Pour mener à bien ces tâches, il faut nécessairement disposer d’une méthode. Lonergan offre une excellente méthode pour introduire cette dimension historique dans la théologie de l’Église. Une méthode qui permet de saisir, derrière des états de choses, les évolutions qui ont suscité ces états de choses. Se faisant, la méthode lonerganienne permet à ne pas rester sur les symptômes, mais à creuser les causes des choses.
Dans la littérature disponible sur Lonergan à propos de la question qui nous préoccupe, plusieurs auteurs se réfèrent à lui pour la méthode[13]. D’autres se réfèrent à Lonergan pour considérer l’origine et la nature particulière de l’Église[14]. D’autres encore ont exploré Lonergan dans le but de redécouvrir l’ouverture sociale de la vie chrétienne en revisitant le concret de la personne avec ses besoins aussi bien que la structure complexe de sa vie historique et sociale[15]. Cette dernière manière d’aborder l’œuvre de Lonergan me parait plus porteuse des solutions aux problèmes qui me préoccupent. Aussi dans ma recherche, je suivrai celle-ci.
Chapitre I : La mémoire, un lieu théologique
Introduction
Bernard Lonergan ne consacre pas une œuvre spécifique au thème de la mémoire. Là-dessus, il ne propose pas un système bien structuré. Il offre plutôt des références assez fragmentaires dans plusieurs de ses œuvres, consacrant au sujet de la mémoire des espaces spéculatifs limités à des passages concis. L’enquête sur la mémoire dans la pensée lonerganienne se heurte donc à une difficulté de compréhension. Toutefois cette difficulté rend en même temps l’enquête intéressante si l’on considère l’ampleur et la polyvalence que Lonergan reconnait à la mémoire en lui attribuant beaucoup plus que le sens qui lui est couramment donné, le souvenir du passé. À travers un rapprochement du front spéculatif de la mémoire et celui de l’intériorité, on s’aperçoit que la mémoire constitue un lieu théologique pour entrer dans l’intelligence du mystère de l’Église et de son rapport au monde.
Le pari pris dans ce chapitre est de montrer comment la mémoire est ce lieu théologique. On sera attentif d’abord à sa morphologie : la mémoire, est-elle une faculté du passé ou un pouvoir du présent ? En second lieu, nous examinerons l’identité de l’Église dans le monde en tant qu’elle fait part de la mémoire et de l’attente de Jésus Christ. Enfin, en rapport avec la conscience historique de notre temps, nous montrerons comment la mémoire blessée est un défi pour l’Église de Jésus Christ dans le monde d’aujourd’hui et de demain.
I.1. La mémoire : faculté du passé ou pouvoir du présent ?
On entend souvent dire que l’homme est un être historique. Pour saisir le sens de cette affirmation, Lonergan reconnait que l’individu aussi bien que le groupe vivent de leur passé et que ce passé continue à vivre en eux[16]. Ceci renvoie à la notion de mémoire. Cette notion s’applique à de multiples réalités, mais qui ne sont pas nécessairement des occasions de réfléchir sur sa signification et ses implications. En conséquence, la mémoire, comme Sarah Gensburger en fait le diagnostic, semble parfois ne plus renvoyer qu’à la vénération du passé en tant que tel et à la disqualification conjointe du présent et de l’avenir[17]. Réduire la mémoire au simple rappel ou récollection n’est-il pas un « abus de la mémoire » ?
Paul Ricœur dans sa conférence sur « La mémoire saisie par l’histoire » affirmait avec raison que la mémoire n’est pas seulement la visée d’un évènement passé dans sa trace laissée en nous, elle est aussi une auto-désignation de son propre sujet.[18] C’est ça que nous exprimons en français quand nous disons, nous nous souvenons. Mes souvenirs m’appartiennent. Mais qu’est-ce que se souvenir ? Ce n’est pas simplement évoquer certains événements isolés, mais c’est devenir capable de former des séquences signifiantes et des connexions ordonnées. Ceci, pour Lonergan, fais partie d’une connaissance humaine. Une connaissance qui ne se réduit pas simplement à l’expérience, mais s’avère un tout composé d’expérience, de compréhension et de jugement[19]. Pour qu’il y ait une connaissance historique, argumente Lonergan, il doit y avoir une expérience historique, une compréhension historique et un jugement historique. Par ce rapprochement du front spéculatif de la mémoire et de l’intériorité, la mémoire révèle la profondeur de l’intériorité humaine où s’enracine la possibilité de la transcendance dont Dieu a pourvu l’homme[20].
Dans la réflexion sur la mentalité historique de son temps (historical mindedness), Lonergan construit son propos sur la distinction ontologique de la réalité humaine concrète. Celle-ci, remarque-t-il, a deux composantes : l’une constante, la nature humaine et l’autre variable, l’historicité humaine. Cette historicité est ce que l’homme fait de lui-même. Ainsi, pour comprendre les hommes et leurs institutions, on doit étudier l’histoire. Car « c’est dans l’histoire que la constitution de l’homme par l’homme se réalise, qu’elle progresse ou recule, qu’à travers de tels changements peut être discernée une certaine unité dans une multiplicité par ailleurs déconcertante »[21]. À cet égard, la mémoire est la matrice de l’histoire en ceci qu’elle fournit à l’histoire un réservoir de ses problèmes majeurs, de ses difficultés et de ses embarras. Cette notion de l’histoire nous renvoie à celle du temps. Qu’est-ce donc que le temps, demande Augustin ?
I.1.1. Le temps et la signification
Lonergan procède toujours à partir d’apories reçues de la tradition, mais la résolution de chaque aporie donne naissance à de nouvelles difficultés qui ne cessent de relancer la recherche. Ce style, dans le raisonnement sur le temps, place Lonergan tour à tour au voisinage d’Aristote pour qui le temps est le nombre ou la mesure du mouvement selon l’antérieur et le postérieur, et d’Augustin qui prend le temps comme une représentation dans laquelle la discordance ne cesse de démentir le vœu de concordance constitutif de l’âme[22].
La définition aristotélicienne veut que le temps soit le nombre ou la mesure déterminée par les phases successives et égales du mouvement local. Cette définition est connue et admise par Lonergan.[23] Cependant, malgré l’importance de cette définition pour l’histoire en ceci qu’elle lui permet de dater les événements, Lonergan remarque qu’elle n’explique pas de manière adéquate ce qu’est le temps, car elle se limite à mesurer et à mettre en relation tout ce qui peut se mesurer et se nombrer, mais elle ne rend pas compte de l’expérience que nous en avons.
Cette insatisfaction amène Lonergan à examiner aussi le « maintenant » aristotélicien. Celui-ci est la pointe d’actualisation du mobile en son mouvement, la limite entre l’actualisation passée et celle qui survient[24]. Certes, il est vrai que le « maintenant » fait apparaitre la relation entre l’antérieur et le postérieur, mais n’importe quel « maintenant » peut également faire apparaître cette relation. Ainsi le maintenant aristotélicien est plutôt « instant » que « présent ». Ce « maintenant » ne peut pas rejoindre le présent. La simple relation de succession (avant et après) ne permet pas de dire que tel moment serait passé et tel autre serait futur, car, passé et avenir chutent continuellement l'un dans l'autre : à tout futur, bientôt englouti dans le passé, succède un nouvel et identique présent, mais l'instant, où se croisent futur et passé et qui devrait les distribuer de part et d'autre à l'infini, s'efface à peine arrivé et est emporté dans la ronde du temps.[25]
Cette analyse aristotélicienne avoue indirectement son besoin du « présent » par la difficulté à « maintenir jusqu’au bout la correspondance entre l’instant et le point dans son double rôle de division et d’unification. »[26] Sur cette difficulté, on peut y greffer l’analyse augustinienne sur le triple présent.
Augustin, en effet, rend bien compte, avec la dialectique de l’intentio et de la distensio, de la triple présence du présent, du passé et du futur.[27] Mais ce temps-là est réel à sa manière. Il n’est ni le temps du monde, ni le temps de la nature. C’est plutôt le temps de l’âme, le temps de l’esprit. En faisant exister ensemble comme une unité le passé, le présent et le futur, Augustin ne rend pas compte du caractère fuyant du temps. La succession comme telle est présupposée, mais elle n’est pas explicitée par sa dialectique. Ainsi, l’une des apories du temps, celle de l’irréconciliable de l’instant et du présent, reste. Comme le souligne Ricœur, aucune continuité ne conduit de l’un à l’autre. « C’est par un saut que l’on passe d’une conception où l’instant présent n’est qu’une variante, dans le langage ordinaire, de l’instant dont la Physique est le dépositaire, à une conception où le présent de l’attention réfère à titre primaire au passé de la mémoire et au futur de l’attente. »[28]
De ce qui précède, l’on peut bien conclure avec Ricœur qu’« il n’est pas possible d’attaquer le problème du temps par une seule extrémité, l’âme ou le mouvement. La seule distension de l’âme ne peut produire l’extension du temps ; le seul dynamisme du mouvement ne peut engendrer la dialectique du triple présent. »[29]
Lonergan aborde cette aporie par le biais de la « signification. »[30] Il montre comment la signification contribue à conjuguer ce que la spéculation disjoint. C’est à travers notre expérience du temps qu’il y entre. En effet, Lonergan, en partant de ce que chacun expérimente en soi, réaffirme que le temps de la conscience se distingue du temps des horloges, que le temps subjectif diffère du temps objectif.[31] Le temps passe plus ou moins vite selon qu’on jouit ou qu’on souffre, qu’on s’ennuie ou qu’on se divertit. Que le malheur vienne vite et qu’il soit lent quand il s’installe, comme le bonheur s’emporte facilement et qu’il est léger, la vie suffit à nous l’apprendre. Souvent l’avenir se fait attendre, le présent échappe et le passé ne passe pas ! Ainsi le présent psychologique ne se ramène ni à un instant ni à un point mathématique, mais il s’avère un laps de temps, de telle sorte que notre expérience du temps ne prend pas la forme d’une suite d’instants, mais celle d’une succession tantôt paresseuse, tantôt rapide.[32]
Ce présent psychologique, qu’il soit lent et long, ou rapide et court, remarque Lonergan, pénètre dans le passé par la mémoire et dans le futur par ses anticipations. Concernant le passé, aux souvenirs individuels s’ajoutent les souvenirs partagés par le groupe. La signification s’incarne ici et trouve son support dans l’intersubjectivité humaine. Toutefois, un retour rétrospectif sur les régimes totalitaires du 20e siècle nous montre que la charge émotive de tout ce qui a trait au passé totalitaire est grande et ceux qui l’éprouvent se méfient des efforts de clarification, des appels à une analyse précédant l’action.[33] Les deux questions qui structurent la phénoménologie de la mémoire chez Ricœur deviennent pertinentes pour notre sujet : de quoi y a-t-il souvenir ? de qui est la mémoire ?[34] Pour le soin de notre recherche, nous ajouterons la troisième question du pourquoi de la mémoire ?
I.1.2. La morphologie de la mémoire
Dans cette phénoménologie de la mémoire, nous partons de l’hypothèse que Lonergan pose pour saisir le sens de cette affirmation bien connue selon laquelle l’homme est un être historique. L’hypothèse de Lonergan énonce comme suit : « notre passé nous a fait tels que nous sommes et nous avons à vivre de ce capital si nous ne voulons pas repartir à zéro. »[35] Ceci vaut autant pour l’individu qui constitue une entité historique que pour le groupe. Le présent psychologique, disions-nous, pénètre dans le passé par ses souvenirs. Mais de quoi y a-t-il souvenir ?
D’entrée de jeu, il convient de souligner cette évidence : la mémoire ne s’oppose pas à l’oubli. Elle est toujours une interaction de l’oubli et de la conservation. Parlant d’« histoire existentielle », Lonergan montre bien que la restitution intégrale du passé est une chose impossible. La mémoire est donc forcément une sélection.[36] Certains traits de l’événement sont conservés, d’autres sont immédiatement ou progressivement écartés, et donc oubliés.[37] Toutefois, conserver sans choisir n’est pas encore un travail complet de la mémoire. Puisque la mémoire est une sélection, il faut choisir parmi tous les événements vécus et toutes les informations reçues, au nom de certains critères, ce qui convient de conserver et ce qui vaut la peine d’être oublié. Ces critères, conscients ou inconscients, influencent à orienter l’utilisation que l’on fera du passé. D’où la nécessité de distinguer le recouvrement du passé de son utilisation subséquente. L’exigence de recouvrer le passé, de se souvenir, ne nous dis pas encore quel sera l’usage qu’on en fera. De l’usage de la mémoire, nous en parlerons plus tard. Maintenant, voyons de près ce qu’est la mémoire.
I.1.2.1. La mémoire dans la philosophie grecque
Dans le cadre de notre travail, il est impossible de voir en détail l’héritage grec sur la mémoire. Ainsi, nous allons nous limiter sur un survol de deux géants de cet héritage. Il s’agit de Platon qui aborde la mémoire sous l’angle de la représentation présente d’une chose absente et d’Aristote qui l’aborde comme la représentation d’une chose antérieurement perçue, acquise ou apprise.
I.1.2.1.a. Platon : La mémoire comme une représentation présente d’une chose absente
Pour saisir la signification que Platon donne à la mémoire, il convient de placer cela dans le contexte dans lequel il pose la question de la mémoire. C’est dans les dialogues traitant de la sophistique et de la possibilité de l’erreur qu’apparaissent la notion d’image (eikon) et/ou celle de l’imagination (phantasma).[38] Dans cet environnement philosophique, la mémoire, dans l’analyse platonicienne, est frappée de suspicion. Dans le Théétète et Le Sophiste, les deux textes fondateurs à l’analyse platonicienne de la mémoire, celle-ci et l’imagination partagent le même destin. Sous la conduite de la métaphore de l’empreinte, la mémoire est définie comme la représentation d’une chose absente.
Le Théétète depuis 163 b présente un dialogue centré sur la possibilité du jugement faux et conclu par la réfutation de la thèse selon laquelle « la science n’est pas autre chose que la sensation. »[39] Dans l’analogie de l’empreinte, Socrate assimile l’opinion vraie à un emboîtement exact et l’opinion fausse à un défaut d’ajustement : « Et quand, donc, à l’une des deux marques est associée une sensation, mais à l’autre non, et que la marque appropriée à la sensation est absente, on la fait coïncider avec la sensation présente, la pensée, en suivant cette voie, on est totalement dans l’erreur. »[40] Dans cette optique, quelle peut être la vérité de la mémoire dès lors que les choses passées sont irrévocablement absentes ? La mémoire ne semble-t-elle pas nous mettre en contact avec elles par l’image présente de leur présence disparue ? Qu’en est-il de ce rapport de la présence à l’absence ?[41]
La problématique de l’image développée dans Le Sophiste vient au secours à cette énigme de la présence de l’absence. Platon distingue dans l’ordre de l’imitation la véracité de la tromperie.[42] Le dialogue se produit dans un cadre proche de celui du Théétète. Comment la sophistique et son art de l’illusion sont-ils possibles ? Platon pour y répondre, il passe de l’empreinte au portrait. En pratiquant sa méthode de division, il recommande d’examiner à fond ce que peuvent bien être le discours (logos), l’opinion (doxa) et l’imagination (phantasia) du point de vue de leur communauté avec le non-être.[43]
Ricœur identifie deux difficultés que l’analyse platonicienne de la mémoire, développée tout au long du débat autour de la sophistique, soulève : celle qui a trait à l’absence de référence expresse à la marque distinctive de la mémoire, à s’avoir l’antériorité des traces ; et celle du rapport entre l’image et la marque première.[44] Dans le cadre de notre travail, nous laissons de côté la deuxième difficulté pour s’intéresser de la première sur laquelle l’analyse aristotélicienne fait rupture.
I.1.2.1.b. Aristote : « La mémoire est du passé »
Dans le traité d’Aristote, De la mémoire et de la réminiscence, la mémoire est caractérisée d’emblée comme affection (pathos) ce qui la distingue du rappel. La première question qu’Aristote pose est celle de la chose souvenue. Le contraste avec l’attente du futur et la perception ou la sensation du présent amène Aristote à dire que « la mémoire s’applique au passé. »[45] Ici, l’analyse du temps et celle de la mémoire se recouvrent, car tout souvenir s’accompagne de la notion du temps. La deuxième question concerne le rapport entre mémoire et imagination. La proximité entre les deux soulève la difficulté déjà rencontrée chez Platon, celle de la présence de l’absent. C’est en ces termes qu’il présente cette difficulté : « On pourrait se demander comment parfois la modification de l’esprit étant présente et l’objet étant absent, on se rappelle ce qui n’est pas présent. »[46] À cette question, Aristote propose que l’impression produite grâce à la sensation dans l’âme et dans la partie qui la conduit soit tenue pour une espèce de peinture dont nous disons que c’est la mémoire. Cependant, si tel est le cas, de quoi se souvient-on alors ? De l’impression ou bien de la chose dont celle-ci procède ? Si c’est de l’impression, ce n’est pas d’une chose absente qu’on se souvient ; si c’est de la chose, comment, tout en percevant l’impression, pourrions-nous nous souvenir de la chose absente que nous ne sommes pas en train de percevoir ?
Aristote trouve la solution dans l’introduction de la catégorie d’altérité, héritée de la dialectique platonicienne. Il s’agit de prendre l’absence comme l’autre de la présence.[47]
Dans le deuxième chapitre de son traité, Aristote prend le soin de distinguer entre la simple présence du souvenir et l’acte de rappel, la réminiscence. Le simple souvenir survient à la manière d’une impression tandis que la réminiscence consiste en une recherche active. Le lien entre les deux est assuré par le rôle joué par la distance temporelle. L’acte de se souvenir se produit lorsque du temps s’est écoulé.[48] Et, c’est cet intervalle de temps entre l’impression et son retour que le rappel parcourt. Le point le plus important est donc de connaître le temps.[49] Ce propos d’Aristote confirme la thèse selon laquelle la notion de distance temporelle est inhérente à l’essence de la mémoire et assure la distinction entre mémoire et imagination.
Nos deux maitres grecs, Platon et Aristote, dans une approche cognitive comme nous l’avons vu, se demandent ce que signifie avoir ou chercher un souvenir. Ils ne se posent pas la question de savoir qui se souvient. Avec saint Augustin, la recherche sur la mémoire prend une autre tournure.
I.1.2.2. Saint Augustin et la question de la mémoire
Saint Augustin relie l’analyse de la mémoire à celle du temps dans les Livres X et XI des Confessions. Cette double analyse est inséparable du contexte de la confession dans lequel se trouve Augustin. En effet, c’est au lendemain de sa conversion qu’Augustin entreprend cette méditation. Il aperçoit dans la mémoire la possibilité d’analyser la vie intérieure, de révéler la complexité et la profondeur de cette vie et d’expliquer la tension de l’âme à Dieu. Ainsi, chez Augustin, hors d’une quête de l’intériorité, il n’y a pas de phénoménologie de la mémoire.
La mémoire dans sa complexité révèle, pour Augustin, la profondeur de l’intériorité humaine et dans son sens le plus profond elle indique cet intérieur où s’enracine la possibilité de transcendance dont Dieu a pourvu l’homme.[50] Dans les « vastes palais de la mémoire », Augustin croit accéder à la réalisation d’une partie de son plus cher désir annoncé dans les Soliloques, « connaître Dieu et l’âme ».[51] La mémoire représente donc la source de chaque recherche sur l’âme, car elle est la base du mouvement d’intériorisation.[52] Elle représente aussi la raison essentielle du désir de Dieu, puisque Dieu, avec sa présence dans l’esprit humain, fonde la loi dynamique d’intériorisation et de dépassement qui conduit l’esprit des choses à lui-même et de lui-même à Dieu.[53]
Dans le rapport avec ses sources, Augustin approche la question de la mémoire par rapport à la connaissance humaine. Comme on l’a dit pour Aristote, la mémoire est du passé et ce passé et celui de mes impressions. En ce sens ce passé est mon passé. C’est par ce trait que la mémoire assure la continuité temporelle de la personne. Toutefois, Augustin va plus loin. Il montre qu’il est possible de penser la mémoire hors de la relation avec les images sensibles et qu’il ne faut pas l’entendre exclusivement comme la faculté du passé. Elle est surtout le pouvoir du présent qui, ordonné à l’immuable, occupe la place la plus noble de l’âme, réglant la connaissance intellectuelle.[54]
Augustin suggère trois pistes d’observation dans son analyse sur la mémoire : le lieu, le temps et l’image.
D’abord, le lieu. Dans le livre X des Confessions, Augustin, s’adressant à Dieu lui demande : « où donc vous ai-je trouvé, pour vous connaitre ? »[55] Cette question qui guide la recherche augustinienne vise à chercher le lieu, dans l’âme humaine, où Dieu aurait fixé sa demeure. Augustin trouve que la mémoire avec sa grandeur est ce lieu qu’il cherche.[56]
Ensuite, le temps. Le deuxième point d’observation dans l’analyse augustinienne sur la mémoire, c’est le temps. Augustin consacre la plupart du livre XI des Confessions à la question du temps. Et dans la mesure où la mémoire est le présent du passé, ce qui est dit du temps et de son rapport à l’intériorité peut aisément se reporter sur la mémoire. Augustin entre dans la problématique de l’intériorité par la question de la mesure des temps. Et cette mesure est d’emblée assignée à l’esprit : « c’est en toi, mon esprit, que je mesure le temps. »[57] La difficulté de déterminer la nature et la manière de saisir le temps lui amène à faire appel à la mémoire puisqu’elle est capable d’étendre le temps en le retenant dans le présent intime de l’âme. La mémoire tient présents le passé et l’avenir. Elle étend dans le présent en lui donnant une existence spirituelle. Autrement dit, l’âme, grâce à la mémoire qui s’ouvre sur le passé et sur l’avenir, est le lieu dans quoi sont les choses futures et les choses passées. Cette expérience intime de la mémoire comme présence constitue pour l’homme la possibilité de dépasser et l’irréversibilité du passé, et le devenir. En transformant ce qui passe en ce qui dure, la mémoire représente pour l’esprit la condition pour atteindre l’intelligible et pour mieux tendre vers l’éternité.
Enfin, l’image. C’est par le biais de l’homme biblique qu’Augustin aborde ce troisième point d’observation dans son analyse sur la mémoire. C’est dans le couple memori sui et memoria Dei du livre X des Confessions qu’Augustin montre que la nature même de l’esprit rappelle son principe, Celui qui la dépasse, par ce que dans l’esprit, image substantielle de Dieu, subsiste une capacité du divin. Le péché détourne l’homme le conduisant hors de lui-même et de Dieu, il déforme l’image, mais il n’efface jamais la capacité de Dieu qui marche la créature de son origine. C’est donc en se basant sur l’expérience de la conversion qu’Augustin parle d’intériorité.
De l’analyse augustinienne sur la mémoire, on peut souligner trois traits du caractère privé de la mémoire. D’abord, la mémoire paraît bien singulière. Mes souvenirs ne sont pas les vôtres et l’on ne peut transférer les souvenirs de l’un dans la mémoire de l’autre. Ensuite, la mémoire établit le lien entre le conscient et le passé. La mémoire est du passé et ce passé est celui de mes impressions. Enfin, c’est à la mémoire qu’est attaché le sens de l’orientation dans le passage du temps : du passé vers le futur par un présent vif.[58] Augustin, en rapprochant le front spéculatif de la mémoire et celui de l’intériorité, montre que la mémoire représente la base pour entendre la vie de l’âme dans sa totalité, à savoir par rapport au monde, à elle-même, mais surtout à son principe, Dieu. La mémoire donne donc accès à l’identité.
Sur cet angle, on trouve des traces de l’influence augustinienne à la pensée de Bernard Lonergan pour qui, l’identité enlève de la notion du temps le caractère complètement extrinsèque de chaque moment par rapport au suivant.[59] Cette identité n’est pas simplement une modulation permanente autour d’un noyau stable, elle est aussi une volonté, une force active qui décide de se projeter et d’oublier alors des possibles. Cette identité peut décider de se libérer de ce qui est inauthentique pour grandir en authenticité. Elle peut également renoncer aux satisfactions nuisibles, dangereuses et trompeuses. Elle peut changer ses échelles de préférences.[60] Et tout cela, elle le fait grâce à la mémoire, car l’homme est un être historique.
En dernière analyse, dans ce parcourst sur la morphologie de la mémoire, passons à la phénoménologie de Paul Ricœur.
I.1.2.3. La phénoménologie de la mémoire chez Paul Ricœur
Ricœur nous offre la phénoménologie de la mémoire au sens husserlien du terme dans son livre sur La mémoire, l’histoire, l’oubli.[61] Il se concentre sur les questions : de quoi fait-on mémoire et de qui ces mémoires sont ? En engageant une discussion avec plusieurs auteurs, Ricœur met en garde contre la tendance d’aborder la mémoire à partir de ses déficiences, ou des ratés de la mémoire. Sa logique va dans ce sens que les pathologies de la mémoire et le phénomène de l’oubli supposent une description préalable de la mémoire. En plus, c’est le témoignage qui justifie la vraie mémoire face à la fausse mémoire. Le témoignage est la transition fondamentale entre la mémoire et l’histoire.[62]
Ricœur procède par une distinction importante entre la mémoire comme visée et le souvenir comme chose visée. Il prend la mémoire comme capacité ou comme effectuation tandis que les souvenirs peuvent être traités comme des formes discrètes aux franges plus ou moins précises, se détachant sur un fond mémoriel.
Ricœur, s’inspirant de la distinction proposée par Bergson entre la mémoire-habitude et la mémoire-souvenir, procède à une distinction entre l’habitude et la mémoire. Pour lui, l’habitude et la mémoire constituent les deux pôles d’une suite continue de phénomènes mnémoniques. Ce qui fait l’unité, c’est le rapport au temps. Dans les deux cas, il y a une expérience antérieurement acquise qui est présupposée. Dans le cas d’habitude, cet acquis est incorporé dans le vécu présent, non déclaré comme passé. Dans le cas de la mémoire, la référence est faite de l’antériorité comme telle de l’acquisition ancienne.[63] La mémoire-habitude est donc celle que nous mettons en pratique quand nous récitons nos leçons tandis que la mémoire-souvenir a trait à l’événement de ma vie, elle porte une date et ne peut pas par conséquent se répéter. C’est cette deuxième forme de mémoire qui nous intéresse dans notre travail.
En référence à cette mémoire-souvenir, Ricœur souligne que
On ne se souvient pas seulement de soi, voyant, éprouvant, apprenant, mais des situations mondaines dans lesquelles on a vu, éprouvé, appris. Ces situations impliquent le corps propre et le corps des autres, l’espace vécu, enfin l’horizon du monde et des mondes, sous lequel quelque chose est arrivé.[64]
En évoquant cette série de phénomènes mnémoniques impliquant le corps, l’espace, l’horizon du monde ou d’un monde, Ricœur révèle la dimension non réflexive de l’intentionnalité. En élaborant sur ces phénomènes, Ricœur montre comment la mémoire corporelle est peuplée de souvenirs.
La transition de la mémoire corporelle à la mémoire des lieux est assurée par des activités aussi importante que s’orienter, se déplacer, habiter.
Ayant parlé de la mémoire corporelle et celle des lieux, que dire de l’horizon du monde ou d’un monde ? Autrement dit, quel rapport y a-t-il entre ma mémoire et la mémoire de la communauté ? Comment passer des souvenirs personnels dans leur singularité radicale aux souvenirs d’une communauté ? Pour répondre à cette question, Ricœur fait recours à l’idée husserlienne de l’intersubjectivité et de l’analyse de la thèse de Maurice Halbwachs selon laquelle la mémoire est collective.[65]
En effet, pour se souvenir on a besoin d’autrui. Ce n’est pas un passage analogique de la mémoire individuelle à la mémoire collective. Tout souvenir se trouve mêlé au témoignage des autres. Et de fait leurs souvenirs me précédent. Ce sont les autres qui ont le souvenir de notre naissance, qui est pourtant l’événement qui commence mon existence personnelle. « Les proches, ces gens qui comptent pour nous et pour qui nous comptons sont situés sur une gamme de variation des distances dans le rapport entre le soi et les autres. »[66] Cette dimension relationnelle de l’existence s’initie dans l’intersubjectivité transcendantale et se manifeste dans une visée commune. « Ce n’est donc pas avec la seule hypothèse de la polarité entre mémoire individuelle et mémoire collective qu’il faut entrer dans le champ de l’histoire, mais avec celle d’une triple attribution de la mémoire : à soi, aux proches, aux autres. »[67] Ce faisant, la mémoire ne se réduit pas au simple réceptacle du passé, mais elle est aussi et surtout le pouvoir du présent.
Cependant, la mise en image du souvenir premier suppose une reconstruction, ce qui pose la question de la fiabilité de la mémoire, et avec elle, celle de sa vulnérabilité structurelle. C’est même cette vulnérabilité, issue du rapport entre l’absence de la chose souvenue et sa présence sur le mode de la représentation, qui fait que la mémoire est sujette à de multiples formes d’abus. Ricœur identifie trois distorsions de la mémoire. Nous y reviendrons plus tard dans ce chapitre. Pour le moment, nous allons nous tourner sur le fait que l’Église comme sujet historique, est appelée à vivre dans la mémoire et l’attente de Jésus Christ.
I.2. Entre mémoire et attente : l’identité de l’Église
Pour souligner à la fois la présence dans l’Église de l’élément divin ainsi que l’expression historique qui la manifeste, le Concile de Vatican II a désigné l’Église par le mot de « mystère » (Lumen Gentium, 8). Elle est mystère, car le langage humain éprouve son inadéquation radicale à l’expression totale de ce qu’est l’Église. Ainsi, au cours de son histoire, c’est à travers de multiples images, représentations et analogies qu’on a toujours désigné l’Église.[68] La constitution Lumen Gentium y revient en ces termes : « tout comme dans l’Ancien Testament la révélation du Royaume est souvent présentée sous des figures, de même maintenant c’est sous des images variées que la nature intime de l’Église nous est montrée. » (Lumen Gentium, 6). L’Église en effet, se présente à qui la contemple comme une réalité imprégnée de la présence de Dieu et, par conséquent, d’une nature telle qu’elle admet toujours de nouvelles et plus profondes explorations d’elle-même.
Dans l’exploration de l’Église, la notion de « peuple de Dieu » est intensément mise en relief par le Concile de Vatican II.[69] Cette conception de l’Église comme peuple de Dieu repose sur une large assise théologique que nous allons essayer d’explorer dans la suite de cette recherche. Cette notion de « peuple de Dieu » nous sert de clef pour entrer dans le mystère de l’Église qui est à l’épreuve de ce temps, car, comme l’écrit Jean Rigal, « le meilleur moyen de savoir ce qu’est l’Église, c’est de ne pas penser d’abord à elle-même, mais au Christ et aux hommes ou plutôt au Christ dans son rapport aux hommes. »[70]
Toutefois, l’expression « peuple de Dieu » appliquée à l’Église est lourde de conséquences. Avec l’absence de Dieu dans la culture moderne, il y a une forte tendance à interpréter le terme « peuple » dans un sens exclusivement biologique, racial, culturel, politique ou idéologique. Cela a pour conséquence de prendre l’Église pour une institution purement et simplement sociologique. Ainsi, le rappel de son origine devient un des passages obligés de notre recherche.
I.2.1. L’Église-peuple de Dieu en son origine
Les premiers paragraphes de la constitution dogmatique Lumen Gentium sont centrés sur l’origine trinitaire de l’Église. L’Église tire son origine de la mission du Fils et de la mission de l’Esprit, selon le dessein du Père (Lumen Gentium, 2-4). Cette formulation rejoint celle des Pères grecs qui, les premiers, ont mené le combat pour la foi trinitaire.[71] À plusieurs reprises, le Concile souligne que, de l’Église, la Trinité est à la fois la source, l’œuvre et le terme.
D’abord, l’Église est le Peuple convoqué en permanence par Dieu, Celui qui ne vient de personne. Elle nait de l’amour du Père éternel et elle n’a pas d’autre mission que de témoigner de cet Amour, de le manifester et en quelque sorte de l’actualiser.
Ensuite, l’Église est instituée par le Christ. Les théologiens catholiques situent l’origine de l’Église dans l’évènement-Christ, c’est-à-dire depuis la naissance de Jésus et son ministère apostolique jusqu’à l’évènement de sa Pâque et le don de l’Esprit aux premiers témoins de sa résurrection.[72]
L’Église trouve son vers sens dans le mystère pascal[pfnpln1] . Et c’est précisément pour cela que l’Eucharistie, sacrement par excellence de ce mystère, a sa place au centre de la vie ecclésiale. Ainsi, depuis que les apôtres ont accueilli l’invitation de Jésus, « Prenez et mangez... Buvez-en tous... » (Mt 26, 26. 28), à partir de ce moment-là, et jusqu’à la fin des temps, l’Église se construit à travers la communion sacramentelle avec le Fils de Dieu immolé : « Faites cela en mémoire de moi... Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi » (1 Co 11, 24-25 ; Lc 22, 19).
Cette fondation de l’Église dans le Christ révèle en même temps le devoir de l’Église de garder mémoire et de faire mémoire de Jésus Christ, de son œuvre de salut, de ses paroles et de ses actes, dans l’attente de son retour glorieux. Elle est donc une communauté historique des disciples de Jésus, dans sa condition itinérante, dans sa visibilité institutionnelle, dans la continuité apostolique et dans l’incarnation de l’Évangile dans la vie sociale. À propos de l’Église comme sujet historique, nous allons y revenir.
Enfin, l’Esprit constitue l’Église. Jean Rigal identifie trois aspects prioritaires dans lesquels se manifeste la spécificité de l’Esprit Saint dans la constitution de l’Église. L’Esprit sanctifie l’Église, Il est la communion de l’Église avec des Églises et Il conduit l’Église vers son achèvement eschatologique.[73] Dans le cadre de notre travail, nous allons nous limiter à ce troisième aspect.
L’Église comme une communauté historique est constituée des peuples de Dieu en marche. Elle entre dans l’histoire des hommes (Lumen Gentium, 9). Dans cette histoire, elle est conduite par l’Esprit à son achèvement eschatologique. Elle est tournée[pfnpln2] vers l’avenir et l’Esprit lui précède dans l’attente du retour du Christ et l’avènement d’un monde nouveau. L’histoire dans laquelle l’Église entre d’une part, et son histoire comme sujet historique d’autre part, n’est pas une histoire autosuffisante. Elle est toujours tendue, interrogée, provoquée par sa dimension eschatologique.[74] C’est grâce à l’Esprit que l’Église devient cette « réalité eschatologique ». Cette dimension est donc une dimension du peuple de Dieu.
De cette présentation sur l’origine trinitaire, on a le droit d’affirmer que l’Église naît sans cesse et vit de la mission conjointe du Fils et de l’Esprit, tant il est vrai, selon la formule poétique d’Irénée de Lyon que, « le Fils et l’Esprit sont les deux mains du Père. »[75] De ce fait, l’histoire ne boucle pas sur elle-même. Sollicitée par l’Esprit Saint, l’Église appelle toujours un devenir eschatologique tout en étant un mémorial.
I.2.2. Le peuple de Dieu comme mémorial
De ce qui précède, il suit que l’Église ne peut bien se comprendre qu’en référence avec l’eschatologie, c’est-à-dire à partir de ce qu’elle doit être quand elle parviendra au terme de son parcours terrestre. Les pères conciliaires l’ont présentée comme le peuple eschatologique de Dieu (Lumen Gentium, 8). En tant qu’elle est en marche, elle n’est pas une réalité statique, supra-historique ou intangible, au-dessus des espaces et des temps. Son statut est celui du pèlerinage, car elle n’a jamais fini de devenir ce qu’elle est.[76] Ainsi dévaloriser l’histoire serait dévaloriser l’eschatologie.
L’Église prise dans l’histoire du salut est aussi un « mémorial » dans toutes les dimensions du terme.[77] Sans nostalgie pour le passé, l’Église retourne vers lui, non pour y revenir, mais pour y retrouver ses racines et aller de l’avant. Il n’existe d’identité réelle avec l’origine que lorsque se donne en même temps cette continuité vivante qui développe l’origine et, de la sorte, la sauvegarde. [78] Le Pape François le dit bien dans son premier texte, Evangilii Gaudium : « La mémoire est une dimension de notre foi que nous pourrions appeler "deutéronomique", par analogie avec la mémoire d’Israël. » (Evangilii Gaudium, 13) Ainsi, l’Église, en rencontrant le mystère d’Israël, prend conscience que les chemins du salut sont inscrits dans l’histoire d’un peuple, autant dans ses moments de gloire que d’accablement, dans ses écrits et ses traditions. Le message de Dieu n’est pas une construction intellectuelle, il réside donc dans l’accueil de Dieu qui prend les routes de l’histoire.
L’Église est aussi mémorial dans sa relation au présent. Elle proclame le salut qui passe nécessairement par Jésus Christ (Ac 4, 12 ; 5,31 ; 10,43). Jésus Christ laisse l’Eucharistie comme mémoire quotidienne de l’Église (Lc 22, 19).
Enfin, l’Église est mémorial en tant qu’elle annonce le retour du Christ et la convocation du « dernier temps ». Elle vit de l’attente eschatologique et se prépare à la consommation finale du dessein de Dieu. Elle n’a jamais fini d’annoncer Celui qui vient, qui est déjà venu et ne cesse de venir comme le rappellent les deux préfaces de l’Avent.
Cette Église voulue par Dieu, instituée par Jésus Christ et constituée par l’Esprit Saint est aussi un sujet historique.
I.2.3. L’Église comme sujet historique
Le dynamisme de la notion de « peuple de Dieu » tient aussi au fait qu’elle souligne le caractère de « sujet historique » qui convient à l’Église en tant qu’elle agit dans l’histoire et qu’elle contribue à l’orienter. Elle se reconnait réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. (Gaudium et Spes, 1). Cette étroite solidarité de l’Église avec l’ensemble de la Famille humaine est un réel témoignage que l’Église n’est pas dans le monde pour créer un monde à côté du monde, ou un contre-monde, ou un monde à l’abri du monde, mais pour aider le monde réel à réaliser sa vocation et à atteindre son achèvement.[79]
Pour accomplir cette tâche, l’Église n’a pas de génie propre à faire valoir, à imposer ou à proposer au monde. Elle le fait en faisant part de la mémoire et de l’attente de Jésus Christ, dont ilvit au sens paulinien : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » (Gal 2, 20)
Ainsi, l’Église est en marche au cœur de l’histoire. Dans l’expression de Balthasar, elle est le Christ qui vit.[80] Ainsi, à la suite de son maitre, elle est exposée aux tentations (Mt 4, 1-11), aux épreuves, aux vicissitudes de son existence terrestre.
Ce caractère inachevé de l’Église dévoilé par sa dimension historique ouvre toute une série de conséquences ecclésiologiques. Pour le besoin de notre travail, nous pouvons mentionner l’implication ecclésiologique qui nous semble évidente : l’Église, consciente de ses insuffisances, doit se dépouiller de la prétention d’être une Église propriétaire de la Vérité et maitresse de l’histoire[pfnpln3] et accepter de devenir une Église servante et pauvre, une Église d’écoute.[81] Dans ce caractère historique, si l’Église s’installe dans la tranquillité d’une orthodoxie satisfaite, elle court le risque de manquer à sa mission. Elle est plutôt à se comprendre comme une Église en transit. Et à cet égard, c’est dans la mémoire, au sens augustinien du terme, qu’elle se découvre et découvre son fondateur.
La mémoire et l’attente de Jésus Christ constituent ainsi l’élément formel de l’Église au sens scolastique du terme, qui vient structurer l’existence complète des hommes. Cette existence en est la matière. Dans cette attente, le « déjà-là » comme le disait Jean Baptiste Metz, est une modalité du « pas encore. »[82] Il faut donc passer de la simple attente permanente à l’attente imminente, une attente active, celle qui ouvre la route de l’avenir.
Autant dire que la mémoire à travers laquelle l’Église se définit est une mémoire vivante. L’annonce de l’Évangile pour laquelle cette Église a été voulue par le Père, instituée par le Fils et constituée par l’Esprit, ne se fait ni au passé, ni au futur, mais au présent. Cela suppose que l’Église affronte les questions et les réalités concrètes. Cette Église ne peut éprouver la force du présent qu’au point de rencontre de l’expérience du passé et d’une projection vers l’avenir. À cet égard, l’analyse de la mémoire et celle du temps se recouvrent. La mémoire de l’Église est tendue entre un espace d’expérience qui est fait de toutes les traditions doctrinales, éthiques, culturelles, politiques qui nous affectent encore aujourd’hui et un horizon d’attente, une utopie pour l’avenir qui permet d’endurer le choc du présent. Comme le Concile nous le rappelle, l’Église partage nécessairement l’expérience historique, c’est-à-dire les craintes et les espoirs d’une humanité parvenue à son âge planétaire. Un des défis de notre expérience historique auquel l’Église est à faire face, c’est celui de la mémoire blessée.
I.3. La mémoire blessée, défi pour l’Église
L’approche cognitive développée dans la première section de ce chapitre n’épuise pas la description de la mémoire. Recouvrer le passé, c’est indispensable. Lorsque les événements vécus par l’individu ou par le groupe sont de nature exceptionnelle ou tragique, s’en souvenir devient comme un devoir. Certes, il y aurait une cruauté à rappeler sans cesse à quelqu’un les événements les plus douloureux de son passé. Le droit à l’oubli existe aussi. Toutefois, se souvenir, ce n’est pas seulement accueillir, recevoir une image du passé. C’est aussi la chercher et faire quelque chose. La mémoire a aussi une dimension pragmatique. Elle est exercée. L’exercice de la mémoire comporte aussi une possibilité de l’abus. Quand il y a l’abus de la mémoire, on peut légitimement parler de mémoire blessée. En empruntant la grille de lecture proposée par Ricœur,[83] nous parlerons de la mémoire empêchée, mémoire obligée et mémoire manipulée en appliquant cela au cas du Rwanda. La mémoire est dite aussi blessée, quand c’est une mémoire des blessures du passé.
Là-dessus, un auteur qu’il convient d’appeler, c’est Johann Baptist Metz avec sa thèse selon laquelle la foi est mémoire de la souffrance de l’humanité.
I.3.1. La foi comme mémoire chez Johann Baptist Metz
La formulation de la thèse centrale à l’œuvre de Johann Baptist Metz, selon laquelle la foi est mémoire de la souffrance de l’humanité vient comme réponse à des critiques qui lui demandaient de préciser le caractère spécifiquement chrétien de sa théologie qu’il annonçait en 1966.[84]
Metz part de la figure de compréhension chrétienne de la foi qui se manifeste tout au long de la tradition biblique ; la foi comme mémoire, comme un souvenir.
La foi chrétienne, écrit-il, est ici comprise comme ce comportement par lequel l’homme se souvient des promesses qui ont eu lieu et de l’espérance vécue vis-à-vis de ces promesses, et par lequel l’homme se lie à ces souvenirs en déterminant sa vie. Ce n’est ni le modèle intellectualiste de l’adhésion à des énoncés de foi ni le modèle existentiel de la décision indisponible d’existence, qui se trouve au premier plan de l’interprétation de la foi, mais la figure du souvenir.[85]
Cette description de la foi comme mémoire présente pour notre travail un double avantage. D’abord, le contenu du souvenir peut spécifier comme chrétien le geste de la théologie qui prend cette mémoire comme son paradigme. Ensuite, le fait que ce souvenir modifie le comportement du sujet dans la perspective de l’avenir, confère à la foi la fonction de référer le passé à l’avenir.
Dans son livre sur La foi dans l’histoire et dans la société, Metz spécifie que la mémoire en laquelle consiste la foi chrétienne est mémoire de souffrance.[86]
En effet, il y a des souvenirs où le passé devient comme le paradis incontesté et le refuge contre les déceptions présentes. C’est ce passé du bon vieux temps. Un tel souvenir plonge dans une nostalgie pour un passé utopique. Mais il existe une autre forme de souvenir. Des souvenirs dangereux, des souvenirs qui provoquent, des souvenirs de la souffrance. Ces souvenirs sont éprouvés comme des rencontres dangereuses et imprévisibles venues du passé. Ils contiennent un avenir. Voilà pourquoi l’effacement de la mémoire est une mesure typique d’un régime totalitaire. Les tyrannies du 20e siècle nous ont révélé cette stratégie d’avoir une mainmise sur la mémoire et vouloir la contrôler jusque dans ses recoins les plus secrets. L’Église qui se veut « peuple de Dieu » ne peut donc pas se dérober à ce défi.
Metz, en définissant la foi comme mémoire de la souffrance, il transpose, à l’intérieur même de la mémoire, la tension qui existe entre la mort et la résurrection de Jésus, comme aussi entre le passé souffrant de l’humanité et l’avenir eschatologique qui lui est promis.[87] Ainsi, le christianisme comme « religion au visage tourné vers le monde » ne saurait se désintéresser de l’ombre que l’histoire des souffrances humaines projette sur notre espérance.
Le cas du Rwanda avec ses souvenirs dramatique est l’un de nombreux terrains où l’Église, pour être pertinente, est appelée à rendre présent le souvenir du Seigneur crucifié, cette momoria passionis déterminée comme mémoire dangereuse de la liberté.[88]
I.3.2. « Peuple de Dieu » au Rwanda et la mémoire de la souffrance
Le peuple de Dieu au Rwanda est tributaire à un passé lourd de violence et de massacres difficiles à gérer. Ce passé a des racines profondes. Les événements ayant conduit à de profondes blessures historiques sont nombreux. À titre indicatif, on peut évoquer trois périodes de l’histoire politique récente qui ont laissé des séquelles dans les mémoires et autour desquels continuent à s’entretenir des mémoires blessées.
- La période de 1956-1962. Cette période est une période charnière de l’histoire tragique récente du Rwanda, c’est un tournant. C’est l’époque des soulèvements que certains qualifient de révolution sociale alors que d’autres y voient un désastre politique majeur. Pendant ce temps, de nombreux articles sont écrits, des débats sont organisés par le Conseil suprême du pays, des problèmes sont discutés dans les bureaux et, sur les collines, le mouvement se fait sentir. C’est la période où les discours sont prononcés dans l’arène politique. Des Tutsis vont en exil fuyant les massacres de 1959. C’est pratiquement le moment où tout commence à aller de travers, selon les points de vue de certains, tandis que pour d’autres, c’est le temps des progrès extraordinaires.
- La période 1987-1992. Pendant cette période, le Rwanda connait des crises sociales profondes : la pauvreté, l’inaccessibilité à l’éducation, le désespoir parmi les jeunes, l’absence de bons témoins de la fidélité à l’Évangile avec les troubles politiques.
- De 1994-2000. Une période d’horreur indicible qu’est le génocide rwandais de 1994 et ses conséquences.
Ces confrontations sociopolitiques lancées déjà à la veille des années de l’indépendance en 1962 ont conduit le pays à accumuler un passé des séquelles de violences. Le malheur est que la nature et le contour de ces tragédies sont souvent racontés avec passion et une compréhension stéréotypée. L’Église au Rwanda, en tant que sujet historique, n’est pas en dehors de ces souvenirs dramatiques.[89] Elle n’a pas à envisager la question de la mémoire blessée de l’extérieur et proposer sa solution de l’extérieur. Elle porte aussi cette mémoire. Elle n’a pas à agir de l’extérieur comme un médecin qui guérit un patient de l’extérieur, car, elle-même fait partie des patients à guérir. Comment se guérirait-elle ? Par qui ? Nous allons proposer des pistes dans notre troisième chapitre. Ayant exploré « l’ambition véritative de la mémoire »[90], considérons maintenant, dans la dimension pragmatique, les abus de la mémoire.
I.3.3. L’exercice de la mémoire et son rapport à la justice
Plus haut, nous avons montré que la mémoire est essentiellement sélective. Les critères de sélection, qu’ils aient été conscients ou non, servent à orienter l’utilisation que nous ferons du passé. Or, dans le monde moderne, le culte de la mémoire ne sert pas toujours les bonnes causes.[91] Comment alors définir les critères qui permettent d’opérer une bonne sélection ? Tzvetan Todorov nous offre des conseils positifs. Il propose la thèse selon laquelle la critique de l’usage de la mémoire peut se faire dans une distinction entre plusieurs formes de réminiscence. Il argumente que l’événement recouvré peut être lu soit de manière littérale, soit de manière exemplaire. S’il est lu dans sa littéralité, il reste un fait intransitif ne conduisant pas au-delà de lui-même. Si en revanche, sans toutefois nier la singularité de l’événement, celui-ci une fois recouvré, est pris comme une instance parmi d’autres, on peut s’en servir pour comprendre des situations nouvelles, avec des agents différents.[92]
L’usage littéral, qui rend l’événement ancien indépassable, revient en fin de compte à soumettre le présent au passé. L’usage exemplaire, en revanche, permet d’utiliser le passé en vue du présent, de se servir des leçons, des injustices subies pour combattre celles qui ont cours aujourd’hui, de quitter le soi pour aller vers l’autre.[93]
Dans cette logique, les abus de la mémoire résultent de la poursuite d’une fin autre que la mise en avant d’un exemplum de valeur universelle.
Cette notion d’« abus de la mémoire », Paul Ricœur en fait une notion fédératrice pour ses analyses du « trop-plein de passé » et de la « tyrannie de la mémoire » dont le « devoir de mémoire » serait la meilleure arme. À ce propos, il écrit : « ce qui dans l’expérience historique, fait figure de paradoxe, à savoir trop de mémoire ici, pas assez de mémoire là, se laisse réinterpréter sous les catégories de la résistance, de la compulsion de répétition et finalement se trouve soumis à l’épreuve du difficile travail de remémoration. »[94]
Comme abus de la mémoire, Ricœur en décrit trois : la mémoire empêchée, la mémoire manipulée et la mémoire abusivement commandée. Et dans sa présentation, il suit les conseils de Todorov. « Tout le propos sur les abus de la mémoire, écrit-il, relève de la recherche de la justice. »[95] Et si le traumatisme renvoie au passé, la valeur exemplaire, nous avons vu avec Todorov, oriente vers le futur. Ainsi, bien que tous aient le droit de recouvrer leur passé, ériger un culte de la mémoire pour la mémoire est une autre manière de la rendre stérile. Une fois le passé rétabli, on devrait s’interroger de quelle manière s’en servir et dans quel but.
Pourtant, nombreux sont des exemples de ceux qui refusent la mémoire exemplaire. Dans certains cas, ce refus résulte « d’une manipulation concertée de la mémoire et de l’oubli par les détenteurs du pouvoir. »[96] Pour ces derniers, le contrôle de l’exercice de la mémoire devient un instrument de manipulation. Comme écrivait Todorov, « si l’on parvient à établir de façon convaincante que tel groupe a été victime d’injustice dans le passé, cela lui ouvre dans le présent une ligne de crédit inépuisable. »[97]Autrement dit, abuser la mémoire, c’est convaincre de l’existence d’un préjudice afin d’obtenir un pouvoir.
Ricœur parle de l’idéologie comme espèce de mémoire manipulée. Cette idéologie est avant tout, un effort de légitimation d’un gouvernement ou d’un pouvoir, fondé sur un événement originel, des documents fondateurs et des « mémoires » communes. C’est à travers les narrations que l’identité d’un pays, d’un peuple, ou d’un individu se construit. « C’est plus précisément la fonction sélective du récit qui offre à la manipulation l’occasion et les moyens d’une stratégie rusée qui consiste d’emblée en une stratégie de l’oubli autant que de la remémoration. »[98]
L’histoire politique récente du Rwanda a été marquée par l’idéologisation de la mémoire, ou bien sous le signe de la mémoire manipulée, ou bien en tant que mémoire empêchée ou même comme mémoire obligée. Les hommes politiques, de façon plus subtile, se sont proclamés porte-parole de la demande de justice des victimes. À travers la captation de la parole muette des victimes, l’usage de la mémoire au Rwanda a souvent viré à son abus.[99]
Ceci a alimenté et continue d’entretenir la mémoire blessée. Et l’on ne s’étonnera pas que le peuple rwandais ait souvent agi sous la poussée du réflexe ethnique et d’une haine viscérale. Certes, cette histoire de souffrance ne doit pas éclipser des nombreux signes d’espérance qui sont à valoriser pour une présentation complète du peuple de Dieu au Rwanda. Le Rwanda est en chemin envers son nouvel équilibre. Cependant, que le Rwanda ait connu et vit d’un passé assez sombre, cela est un fait, même si les débats sur ce qui constitue l’obscurité et ses causes ont toujours suscité des désaccords. Les phénomènes sont quand même là à voir. La tragédie rwandaise a affaibli l’Église peuple de Dieu. Les conséquences de la guerre, du génocide et des massacres n’ont pas seulement marqué négativement les relations sociales, mais les ont profondément bouleversées et même détruit. Le rwandais en général a perdu la confiance en lui-même, dans les autres et parfois même en Dieu. Ainsi le défi auquel l’Église au Rwanda doit faire face est de savoir si celle-ci peut fournir une nouvelle histoire capable de mobiliser les énergies du peuple rwandais, de transformer leurs souffrances et de réorienter leurs aspirations vers leur pleine unité dans le Christ (Lumen Gentium, 1).
Conclusion
Notre chapitre s’était proposé d’explorer le thème de la mémoire comme un lieu théologique. Dans l’approche platonicienne, la mémoire ne peut être pleinement comprise que depuis l’écart séparant la première fois du savoir et sa réitération. C’est là que Platon permet d’aborder la mémoire comme une épreuve de vérité. Aristote, lui, en nous disant que la mémoire est du passé, nous a permis de découvrir que l’analyse du temps et celle de la mémoire se recouvrent. Augustin quant à lui, par la mémoire, nous a dévoilé la grandeur de la vie intérieure en nous affirmant que la mémoire est la nature même de l’esprit humain et sa possibilité de perfectionnement. Toute cette richesse a été complétée par la phénoménologie de la mémoire chez Ricœur. Avec Ricœur, de la mémoire individuelle, nous avons pu parler de la mémoire collective et nous avons dévoilé les abus dans l’exercice de cette mémoire.
Sans aucune prétention d’être exhaustif, soit pour le nombre des textes examinés, soit pour ce qui concerne le contour du thème, nous avons toutefois essayé de montrer l’importance et la pertinence de ce thème pour développer une théologie de l’Église-peuple de Dieu qui veut s’approprier la conscience de sa propre histoire. Au cœur de notre problématique était la mobilisation de la mémoire au service de la quête, de la requête, de la revendication d’identité. L’analyse du temps et sa signification nous a conduits à affirmer la nécessité de la mémoire. Sans l’élément de mémoire, et par conséquent de conscience, il est impossible de concevoir un trait d’union entre l’avant et l’après. La mémoire est bien constitutive de l’identité du sujet et le groupe se trouve une identité comme groupe à travers la mémoire collective. Il est donc capital que soit maintenu vivant le souvenir. Mais faut-il sacraliser la mémoire ? Certainement pas. Par contre, il faut veiller à ce que rien ne détourne le peuple de Dieu du présent ni de l’avenir. L’Église qui se reconnait réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire doit donc faire face au défi de la mémoire blessée. Cependant, la question qu’il convient de poser est celle de savoir comment cela pourra se faire. Quels sont les outils dont l’Église a-t-elle besoin pour adresser ce défi ? Comment devrait-elle se positionner ? En visitant la pensée de Lonergan, nos deux prochains chapitres se consacreront à cette problématique.
Chapitre II : Bernard Lonergan, une percée créatrice
Introduction
Le premier chapitre de notre recherche ouvre à la question du « comment » l’Église qui se reconnait réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire, fait rayonner la figure du Christ au peuple qui porte et est porté par une mémoire blessée. Après une morphologie de la mémoire, nous avons montré que l’Église en tant que sujet historique, se définit à travers une mémoire vivante. Cette mémoire, nous l’avons vu avec Metz, est celle des souffrances du Christ. La participation à ces souffrances entraine la participation à la souffrance des autres comme en font preuve les premières communautés chrétiennes[100]. Par ailleurs, comme affirme Ignace de Loyola, l’Église naît de ce que Dieu se laisse affecter par la misère et la souffrance de l’homme[101]. L’évangile qu’elle proclame se vit dans le temps. Cette Église évolue dans un monde en marche avec le risque d’être « accidentée, blessée et salie. »[102] Dans cette logique, le premier chapitre a essayé de montrer que l’Église au Rwanda, pour être fidèle à elle-même, doit faire face au défi de la mémoire blessée. Pour relever ce défi, nous argumentions qu’il est indispensable que le peuple rwandais puisse réapprendre à vivre après avoir perdu momentanément le contact avec la réalité de la vie. Bouleversé par la force de l’Évangile, il faut atteindre les critères de jugement, les valeurs déterminantes et les modèles de vie qui sont en harmonie avec la Parole de Dieu et le dessein du salut. Suivant quelle méthode faut-il proclamer cet Évangile pour que sa puissance soit efficace ? C’est ici que nous tournons vers Bernard Lonergan dans ce chapitre.
Nous commencerons par motiver notre choix de Lonergan, en insistant surtout sur sa méthode. Ensuite, avec cet outil qu’est sa méthode, nous essaierons d’explorer un regard sur l’Église sous les lunettes de Lonergan. Enfin nous parlerons de la conversion comme point de départ d’une théologie de l’Église pour une vraie authenticité.
II. 1. Pourquoi Bernard Lonergan
L’intérêt qui a motivé notre choix de Bernard Lonergan est double. D’une part, il y a son épistémologie et sa méthodologie qui permettent de saisir, derrière des états de choses, les évolutions qui les ont suscités. D’autre part, il y a l’accent qu’il met sur le sujet et son horizon. C’est ainsi qu’il écrivait, « le fruit de la vérité doit croître et mûrir sur l’arbre du sujet avant de pouvoir être cueilli et placé dans le domaine de l’absolu qui est le sien »[103].
II. 1.a. L’apport méthodologique de Bernard Lonergan
Dans la conférence de 1976 sur la « Genèse des méthodes », Lonergan partage que « plus les sciences humaines se détournent des concepts universels abstraits et se portent vers les êtres humains concrets, plus il devient évident que l’âge de l’innocence scientifique est révolu. L’authenticité humaine ne peut plus être considérée comme allant de soi »[104]. Dans l’approche de Lonergan, comme le remarque Louis Roy, une théologie qui veut correspondre pleinement aux exigences épistémologiques les plus sérieuses de notre temps, doit absolument s’engager dans un passage à l’intériorité qui caractérise le tournant qu’a pris la philosophie moderne[105]. Ce passage a été rendu possible par la méthode scientifique qui a pris au sérieux la délimitation du champ de recherche pour les diverses disciplines dans l’ensemble du savoir. La théologie à son tour, pour servir de médiation entre la culture et la religion, doit redéfinir la manière dont elle accède à son objet. Lonergan est ainsi convaincu de la nécessité de la méthode théologique.
Dans son texte sur Le nouveau contexte de la théologie[106], Lonergan aborde la nécessité d’une mise à jour de la théologie pour répondre à l’invitation du Pape Jean XXIII exprimée dans son « aggiornamento ». En évoquant l’histoire de la science moderne et la réaction des théologiens aux avancés du siècle des Lumières, Lonergan déplore que la théologie soit devenue dogmatique. Celle-ci, en remplaçant « la recherche de la solution des quaestionnes par la pédagogie des thèses », elle a accordé « une importance principale et fondamentale aux certitudes de la foi, à leurs postulats et à leurs conséquences »[107]. Pourtant, dès l’époque du concile Vatican II, un nouveau climat s’est instauré. La théologie qui était à l’origine une science déductive est devenue une science empirique. L’Écriture Sainte et la Tradition ne fournissent plus comme auparavant des prémices, mais plutôt des données. Des données qui doivent être envisagées dans leurs perspectives historiques. Ainsi, il faut un décollage conceptuel, une nouvelle compréhension de l’être humain et par conséquent, une théologie nouvelle, existentielle. Une théologie, pour notre cas, capable d’aider le peuple rwandais à se réconcilier avec lui-même, doit passer de la blessure à la guérison. Pour Lonergan, cette théologie se fonde sur la conversion. Elle doit être une réflexion sur la conversion. Ses fondements doivent être concrets, dynamiques, personnels, communautaires et historiques[108]. Dans ce nouveau contexte de la réalité subjective, empirique, d’une conversion à la fois continuelle, concrète, dynamique, collective et historique, la théologie exige une méthode.
II. 1.b. L’aperçu de la méthode théologique de Bernard Lonergan
Au point de départ de cette méthode, Lonergan y place la philosophie qui rend un service indispensable à différencier les domaines où s’exerce l’activité de l’être humain. Le premier de ces domaines, c’est le sens commun, le concret du quotidien. Le domaine du sens commun, écrit Lonergan, est celui des personnes et des choses en relation avec nous. Ce n’est pas en appliquant une méthode scientifique que nous parvenons à le connaître, mais par un processus d’apprentissage au cours duquel les saisies s’accumulent graduellement[109]. Il faut donc « apprendre à voir » selon le mot d’ordre de Merleau-Ponty. Lonergan lui, traduit cet appel à l’attention par ce premier précepte transcendantal, « sois attentif ». À cette attention suit le souci de comprendre systématiquement les multiples aspects de la réalité vue. Lonergan appelle ce domaine celui de la théorie. Aux yeux de Lonergan, remarque Louis Roy, les œuvres d’Aristote et de Thomas d’Aquin représentent de grandes réalisations théoriques antérieures à la distinction formelle entre science et philosophie[110]. Au siècle des Lumières, ces travaux ont été mis en question par une méthode scientifique désireuse d’expliquer toutes les données sensibles et observables. Héritiers de ce développement, les philosophes des temps modernes se sont trouvés devant la nécessité d’affronter l’apparente contradiction entre la vision des choses caractéristique du sens commun et l’explication scientifique des mêmes phénomènes perçus, puis d’établir le bien-fondé de ces deux domaines en montrant que chacun d’eux constitue une approche intelligente et utile du réel.
En effet, dans le désir d’élucider les huit fonctions constituantes de la théologie, Lonergan affirmait que nos opérations conscientes et intelligentes se produisent à quatre niveaux distincts: l’expérience qui nous permet la perception des choses, la compréhension ou la saisie qu’on effectue dans les données perçues, le jugement ou l’acception ou le rejet des hypothèses et des théories mises de l’avant par la compréhension pour rendre compte des données, et la décision ou la reconnaissance des valeurs et le choix des méthodes et des moyens qui permettent de réaliser ces valeurs[111]. Alors que dans le domaine du sens commun nous mettons continuellement en œuvre tous ces niveaux sans aucune distinction explicite entre eux, la science, elle, non seulement met les phénomènes en relations avec les observateurs mais aussi elle met les divers aspects d’un phénomène en relation entre eux.
C’est à ce tournant que l’approfondissement du fonctionnement pluriforme de l’esprit humain pour en dégager une connaissance ordonnée de soi s’avère indispensable[112]. Cette thématisation de la connaissance permet non seulement de différencier la conscience cognitive en divers domaines (sens commun, théorie, première intériorité, seconde intériorité, érudition et art), mais aussi d’illustrer la notion préliminaire de la méthode qui se définit comme « un schème normatif d’opérations susceptibles d’être reproduites, reliées entre elles et qui donnent des résultats cumulatifs et progressifs »[113]. Cette notion préliminaire jette les bases d’une méthode transcendantale dont la portée universelle se retrouve en toute entreprise de connaissance.
La méthode transcendantale exerce diverses fonctions à l’égard des méthodes particulières (normative, critique, dialectique, systématique, heuristique, fondatrice)[114]. On peut lire la démarche de cette méthode dans ces propos de Lonergan lui-même :
… la philosophie recherche ses données propres dans la conscience intentionnelle et sa première fonction consiste à favoriser une appropriation de soi qui va à la racine des différences et des incompréhensions philosophiques. Elle exerce également une seconde fonction, celle de distinguer, de relier et de fonder les divers domaines de la signification, celle de fonder les méthodes des sciences et de favoriser ainsi leur unification.[115]
À cette étape, on le voit, la méthode transcendantale a une portée universelle qui se retrouve en toute entreprise de connaissance. Toutefois, les théologiens, dont le rôle est de discerner s’il y a quelque feu réel derrière la fumée des symboles utilisés dans une religion ou l’autre ne pourraient pas se limiter à une simple approche sociologique et descriptive. Dans leur façon de faire la théologie, ils doivent accepter d’entrer dans une démarche qui est celle des croyants. Autrement dit, il faut qu’ils aient la capacité de découvrir que le rassemblement humain, l’Église, renvoie à une réalité autre, à des dimensions qui dépassent la seule raison philosophique, à des réalités qui relèvent de la spiritualité, de la prière, du dialogue avec Dieu, aux fondamentaux qui sont l’être même de la foi[116].
Lonergan tient justement à préciser que la méthode transcendantale n’est qu’une partie de la méthode théologique à laquelle elle fournit son élément anthropologique, mais pas son élément religieux. Cet élément relève de l’ouverture humaine à la transcendance que Lonergan appelle la conversion religieuse. Nous en reparlerons dans la prochaine section.
Une fois que le bien-fondé de la méthode transcendantale dans la recherche de la connaissance est établi et que les lacunes qu’elle ne peut combler en théologie sont démasquées, Lonergan propose une méthode en théologie.
La motivation de cette recherche était nourrie par son expérience dans l’enseignement de la théologie « dans des conditions impossibles. »[117] Déjà, dans une préface à sa thèse sur la Gratia operans, Lonergan soulignait que le débat entre suarésiens et molinistes était tout à fait stérile faute de méthode. Un chercheur, écrit-il, ne disposant pas d’une méthode tendant par elle-même à une plus grande objectivité que celles employées jusqu’ici risque de voir ses efforts frappés de futilités[118].
Lonergan propose alors une méthode qui concerne les opérations du sujet, qui mettent en jeu son horizon, son authenticité et ses conversions. Cette méthode se déploie en s’appuyant sur les facteurs du développement du sujet : le bien, la valeur, la signification. Cette exhortation de notre auteur aux théologiens est on ne peut plus claire à ce sujet :
Les théologiens doivent avoir la responsabilité de tenir en ordre leur propre maison, à cause de l’influence que la doctrine théologique peut avoir sur la doctrine de l’Église. Ils s’acquitteront, je crois, d’autant plus efficacement de leur responsabilité qu’ils prendront en considération le problème de la méthode[119].
De ce qui précède, on peut bien voir la priorité accordée à l’expérience dans la méthodologie de Lonergan. Celle-ci se définit comme une « opération principale du premier niveau de la conscience intentionnelle (niveau empirique), qui consiste à percevoir les données des sens ou de la conscience »[120]. L’expérience, évidemment, présuppose un sujet. Du coup, la question de l’objectivité dans la démarche se pose.
De l’objectivité dans la méthode lonerganienne
La priorité de l’expérience et concomitamment la place d’honneur accordé au sujet dans la méthode lonerganienne ne vont pas sans poser de problèmes. Dans la logique de Lonergan, au moins deux questions sont soulevées par cette priorité, à savoir la question de l’objectivité et celle du discernement et de la vérification. En effet, si l’expérience est prioritaire, d’une part, ce statut qui lui est accordé ne conduit-il pas à négliger les vérités qui nous sont médiatisées par d’autres personnes, par des paroles et par des événements extérieurs à nous ? D’autre part, à quelle condition l’expérience aussi bien communautaire qu’individuelle est-elle authentique ?
À la question de l’objectivité, Lonergan y consacre tout le 13e chapitre de L’Insight. Pour le moment, contentons-nous de le voir en relation avec la subjectivité. Pour Lonergan, l’objectivité véritable est le fruit d’une subjectivité authentique, qui échappe progressivement aux pièges du subjectivisme en s’efforçant d’obéir aux préceptes transcendantaux : sois attentif, sois intelligent, sois rationnel, sois responsable, sois en amour[121].
Pour ce qui est du discernement et de la vérification afin de contrer le danger de s’enfermer dans un subjectivisme au détriment de l’objectivité, Lonergan offre des critères. Pour lui, le jugement de valeur comporte trois composantes : la connaissance de la réalité, en particulier la réalité humaine, les réponses intentionnelles aux valeurs et l’élan initial vers le dépassement de soi.[122] De façon plus explicite, les critères de l’objectivité combinent les critères de l’expérience, de la compréhension, du jugement et de la croyance. Car la réalité connue n’est pas simplement ce qu’on regarde. Elle est donnée dans l’expérience, organisée et généralisée par la compréhension et affirmée par le jugement et la croyance.[123]
Ayant annoncé ces critères, Lonergan procède à une mise en garde contre un réalisme naïf qui connait le monde médiatisé par la signification, mais qui pense le connaitre simplement en le regardant. L’empiriste ne fait pas mieux non plus en réduisant la connaissance objective à l’expérience sensible. Même l’idéaliste qui insiste sur le fait que la connaissance humaine inclut toujours aussi bien la compréhension que la perception sensible tout en maintenant la notion empirique de la réalité et en considérant le monde médiatisé par la signification non comme réel, mais comme idéal, celui-ci non plus n’aide pas à clarifier cette subjectivité en quête d’objectivité.
Lonergan conclut que
seul le réaliste critique peut reconnaitre tous les éléments de la connaissance humaine et déclarer que le monde médiatisé par la signification constitue le monde réel ; il ne peut le faire que dans la mesure où il montre comment le processus de l’expérience, de la compréhension et du jugement est un processus de dépassement de soi.[124]
Pour créer cette dynamique, Lonergan recourt à celle de l’analyse de l’intentionnalité avec ses quatre étapes et au double mouvement du développement humain et expose les 8 fonctions constituantes de la théologie.
Fonctions constituantes de la théologie dans la méthode lonerganienne
Parlant du double mouvement du développement humain, il y a d’une part mouvement ascendant qui sert une théologie médiatisante développée selon quatre fonctions théologiques. Ce mouvement part des données par le biais de la recherche. L’interprétation en approfondit la signification et rend possible une appréhension d’un monde hypothétique. En troisième lieu vient un niveau critique du jugement qui fait reconnaitre ce qui est véritablement tel que compris. Ici la conscience historique est cruciale. Car, une mentalité historique permet ici d’accueillir loyalement ce que nous apprennent les documents religieux des diverses époques à étudier. Ce mouvement aboutit alors à une position décisive qui, par le biais de la dialectique, nous pousse à connaitre et à faire, non seulement ce qui nous plait, mais ce qui est vraiment bien et valable[126].
D’autre part, il y a le mouvement descendant qui sert une théologie médiatisée, développée selon autre autres fonctions théologiques. Ce mouvement part d’une explicitation des fondements. Ayant les quatre premières fonctions au préalable, pour Lonergan l’explicitation des fondements ne propose pas des doctrines, mais l’horizon à l’intérieur duquel on pourra appréhender le sens de ces doctrines. À l’aide d’une tradition vivante, les théologiens entreprennent d’expliciter leur processus personnel et communautaires de conversion religieuse, et repèrent une dialectique semblable à celle qui se dégage de l’histoire étudiée dans les quatre fonctions précédentes.
Ces fondements explicités, suit l’établissement des doctrines. Ceci fait appel au jugement. Les théologiens prennent appui sur leurs fondements personnels confrontés à leur expérience ecclésiale pour dégager selon des critères historiques, philosophiques et religieux ce qui apparaît relever de la foi dans un champ particulier.
La 7e fonction constituante de la théologie est appelée la systématisation. Cette fonction s’efforce de proposer une certaine compréhension de la réalité religieuse. La 8e fonction, appelée communication, comme le nom le stipule, chercher à exprimer et à communiquer les divers aspects de la croyance et du vécu religieux dans le cadre du monde actuel avec ses questions et ses défis. On le voit, le rôle que Lonergan assigne à la fonction de communication en théologie, n’est pas simplement celui de transmettre et d’appliquer la pensée chrétienne, mais celui, beaucoup plus concret et exigeant, de susciter à la fois une critique et un approfondissement des politiques sociétales à la lumière de l’Évangile[127].
Après cette esquisse de la méthodologie de Lonergan, qui suggère une nouvelle compréhension de l’être humain et, par conséquent, une théologie nouvelle dont les fondements seraient « concrets, dynamiques, personnels, communautaires et historiques », nous allons passer maintenant à l’analyse de la réalité de l’Église sous cet angle.
II. 2. L’Église sous les lunettes de Bernard Lonergan
Durant l’hiver de 1969, sur L’avenir du christianisme, Lonergan argumentait que cet avenir tient à un passage qui entraîne d’énormes tâches à accomplir ; mais, il écrivait, « nous allons les mener à bien dans la mesure où nous prendrons la peine de comprendre ce qui se préparait et pourquoi. » What was going forward? Une interrogation chère à Lonergan. Toute tentative de réponse à cette interrogation exige un retour à l’histoire. Comme notre sujet le réclame, nous allons nous contenter maintenant de l’Église dans l’histoire récente du Rwanda.
II. 2. a. L’Église dans l’histoire politique récente du Rwanda
Contrairement à d’autres créatures, l’être humain est, non seulement dans le temps mais aussi capable d’y réfléchir et d’interroger le passé. L’histoire comme fonction constituante de la théologie, dévoile le contenu de la foi médiatisé par les monuments historiques concrets que nous rencontrons à travers l’Écriture Sainte et la Tradition. En cas de l’Église, l’histoire nous montre comment elle a articulé le message évangélique au fur des années en distillant l’absolu du relatif. L’expérience de l’histoire récente du Rwanda nous enseigne que cela ne va pas de soi. La vie historique de l’Église au Rwanda fait face à deux défis majeurs. D’une part, la confrontation de l’Église aux nouveautés de l’histoire a dû pousser l’Église à réagir et, souvent, à s’ajuster et à se repositionner. Cela, bien évidemment, met constamment l’identité de l’Église à l’épreuve. D’autre part, les limites historiques qui résultent de la faillibilité et la contrainte de la nature humaine ont nourri les ambiguïtés et les inconsistances dans l’exercice de l’autorité de l’Église.
Ainsi, pour une Église soucieuse de transmettre un évangile authentique, Bernard Lonergan prescrit un passage de l’expérience historique à la connaissance historique[128].
La connaissance historique dans des « conditions impossibles »
Le passage de l’expérience historique à une connaissance historique n’est pas un passage facile. Comme le souligne Lonergan lui-même, il se peut que de faux idéaux président à la recherche historique. C’est le danger que les régimes totalitaires du 20e siècle ont révélé. Ayant compris que la conquête des terres et des hommes passait par celle de l’information et de la communication, ces tyrannies ont systématisé leur mainmise sur la mémoire et ont voulu la contrôler jusque dans les recoins les plus secrets. Un des exemples de cette mainmise est le cas du Rwanda où, au moins dans les 5 dernières décennies, les traces de ce qui a existé sont, ou bien effacées, ou bien maquillées et transformées. Les mensonges et les inventions se mettent à la place de réalité. On interdit de chercher et de diffuser la vérité. On réécrit l’histoire à chaque changement d’équipe dirigeante. Ceci crée des « conditions impossibles » pour aborder l’histoire sous l’angle de la vérité. Ceci, nous l’avons montré au précédent chapitre, perpétue la mémoire blessée.
Un autre écueil de la recherche historique que Lonergan démasque est l’influence relativiste à laquelle l’histoire peut être soumise. Pour l’illustrer, Lonergan cite le travail d’historien hollandais Johan Huizinga[129]. Selon Huizinga, l’histoire est une culture qui se donne une interprétation de son passé, et cette interprétation varie en fonction du présent. Ici encore le cas du Rwanda est un exemple éloquent de ce relativisme et ambivalence de la notion de l’histoire.
À se limiter sur les trois dernières décennies (1990-2020) dans lesquelles le Rwanda, pays de mille collines, fut le théâtre de drames humains nombreux et répétés qui dépassèrent le seul cadre du Génocide commis contre les Tutsis, on se demande encore ; que s’est-il réellement passé au Rwanda. Qui dit quoi au juste ? Quand on parle d’histoire de cette période, s’agit-il de ce qui s’est passé ou du récit de ce qui s’est passé ? La distinction est capitale. Les Rwandais en effet le savent trop bien, eux qui font l’expérience quotidienne de cette relativité du fait historique. Ils apprennent dès leur enfance que l’histoire de leur pays peut varier du tout au tout en fonction de qui la conte. La majorité serait probablement d’accord avec ce qu’avance Michel de Certeau : « Tout fait historique résulte d’une praxis, … il est déjà le signe d’un acte et donc l’affirmation d’un sens »[130].
En effet, la première de ces trois décennies (1990-2000) constitue un passé lourd de violence et de massacres pour le Rwanda. Ces violences, et tout particulièrement le génocide de 1994, ont laissé des séquelles dans les mémoires collectives et individuelles et qui, encore aujourd’hui, demeurent des blessures non cicatrisées. Le rappel de cette horreur absolue qu’est le génocide sert de levier idéologique à l’affirmation du projet gouvernemental d’unité et réconciliation de tous les Rwandais. Or, comme on le sait, la réconciliation n’est pas un fruit de laboratoire. Elle est, pour une communauté, une œuvre de communion dans les mêmes valeurs, un souci de faire mémoire, mais une mémoire qui porte sur ce qui est rigoureusement vrai, authentique et complet.
Pourtant, à côté de l’histoire du génocide contre les Tutsis de 1994, histoire ressassée à longueur de journée et dans chaque discours officiel, une autre histoire bien réelle est, elle, littéralement effacée de la sphère publique, des manuels scolaires et de toute activité de commémoration. Cette histoire négligée inclut toutes les violences commises de façon systématique contre des civils rwandais entre 1990 et 2000 en dehors de l’idéologie génocidaire attisée tout au long du 20e siècle contre les Tutsis[131].
Avec ce qui précède, on est en face à une histoire qui est purement relativiste où on rencontre toutes sortes d’interprétation du passé par le présent. C’est contre ce fait du relativisme et de l’abus de l’histoire que Lonergan nous met en garde. À ce sujet il écrit,
L’objet de l’histoire est particulier, concret, en mouvement. Comme il est partiellement constitué par la signification, il est modifié par tout changement qui survient dans la signification constitutive. De plus, il peut être déformé ou corrompu par l’aliénation et l’idéologie, et affaibli ou détruit par le ridicule et le rejet.[132]
Cependant, comme nous argumentons tout au long de ce travail, pour passer de la blessure à la guérison, le peuple rwandais a besoin de se réconcilier d’abord avec son histoire pour pouvoir se réconcilier lui-même. Pour y arriver, une question se pose : L’histoire du Rwanda peut-elle être abordée sous l’angle de la vérité ? Lonergan nous permet de répondre par l’affirmative à cette question. Tout dépend de l’interprétation et des moyens pour parvenir à une interprétation correcte.[133] Ainsi, pour que les blessures du peuple rwandais soient cicatrisées, il faut que son histoire soit soumise à une herméneutique méthodique pour enfin trouver sa vraie signification par-delà son usage et ses abus[134]. Le premier canon pour cette interprétation que nous propose Lonergan, c’est celui de la pertinence. Ce canon exige que l’interprète parte du point de vue universel.[135] Ce départ du point de vue universel permet non seulement d’éliminer la relativité étroite de l’interprète à l’égard de son auditoire à venir, mais également ce point de départ élimine la relativité étroite de l’interprète et de l’auditoire à la fois, à l’égard des lieux et des monuments, des écoles et des sectes[136]. Le but de ce canon est d’offrir une signification commune.
La « signification commune » de l’histoire du Rwanda
Arriver à avoir une signification commune de l’histoire du Rwanda, voilà un pas que les Rwandais doivent franchir pour passer de la blessure à la guérison de la mémoire. En effet, une des fonctions du travail d’histoire en situation post-conflit est d’offrir une caisse de résonance à tous les protagonistes dudit conflit, sans discrimination. Ceci n’est possible que si la lumière est faite sur le passé en l’éclairant de la globalité des expériences, parfois contradictoires, portées par un peuple meurtri. Certes, définir un passé commun ne coule pas toujours de source. Aucun rwandais ne dira le contraire. Pourtant, comme le dit clairement Lonergan, la signification commune suppose d’abord ce champ commun d’expérience. Quand celui-ci fait défaut, on assiste à une perte de contact entre les individus[137]. Ce préalable à la signification commune qu’énonce Lonergan, traduit à l’expérience rwandaise, voudrait qu’un jour, au Rwanda, apparaisse une communauté de destin avec l’expérience existentielle partagée des victimes hutu et tutsi face aux souffrances que leur ont de tout temps imposées les « élites » de deux bords assoiffées de pouvoir. Ça exige de solides « espaces — temps citoyens » tels que décrits par l’historien américain John R. Gillis[138].
Outre le champ commun d’expérience, Lonergan nous dit que la signification commune suppose ensuite des façons de comprendre qui soient communes, complémentaires et dialectiques. Quand ces façons font défaut, les gens sont portés à se méconnaitre, à se méfier, à se suspecter, à craindre, à recourir à la violence. Des façons de comprendre qui soient communes et complémentaires, voilà probablement la meilleure assurance de ne pas retomber dans les travers violents de l’histoire. Car « un peuple qui ne tire pas de leçon de son passé doit s’attendre à le revivre », avertis Léonard Nduwayo[139].
La signification commune suppose enfin, nous dit Lonergan, des valeurs, des buts, des lignes de conduite communs dont le manque conduit les individus à œuvrer dans le malentendu. C’est ici que l’Église, pour être pertinente, doit se mettre « en état de mission»[140].
Et l’Église dans le paysage
À la lumière de ce qui précède, l’Église au Rwanda doit donc devenir une « communauté qui cherche à remplacer la mésentente par la compréhension mutuelle et à changer les situations de désaccord en situation de non-accord et éventuellement d’accord »[141]. C’est en regard de cette invitation que peut se comprendre l’appui accordé par Lonergan à l’anthropocentrisme de Rahner, bien que leurs contextes philosophiques soient distincts. Même si Lonergan ne le dit pas ouvertement, en scrutant son non-dit sur l’Église, on voit qu’il s’accorde avec Karl Rahner sur une mise en œuvre d’une « ecclésiologie existentielle »[142]. Rahner définit cette Église comme « la communauté légitimement constituée en tant que société, par laquelle la révélation de Dieu qui s’est accomplie eschatologiquement dans le Christ, ainsi que le don qu’il nous fait de lui-même, demeurent, grâce à la foi, à l’espérance et à la charité, concrètement présente comme réalité et comme vérité pour le monde »[143]. Une telle conception de l’Église laisse entendre que le salut de l’homme concerne et engage l’homme dans toutes ses dimensions, et donc aussi son être historique et social. Mais que faut-il entendre par là ?
Dans une société large et complexe, remarque Lonergan, l’accès à une liberté pleinement responsable demande une longue et difficile formation. Et, en plus de l’ignorance et de l’incompétence, dans ces sociétés, on y rencontre l’aliénation et l’idéologie. Les égoïstes savent profiter des failles dans les structures sociales, et les groupes souvent exagèrent l’ampleur et l’importance de la contribution qu’ils fournissent à la société[144]. Une telle description rime avec la réalité du peuple de Dieu au Rwanda à l’ère actuelle. Comment alors envisager ce salut historique pour ce peuple ? Les conditions de l’herméneutique s’imposent inévitablement, qu’on le veuille ou non.
Pour sortir de cette impasse existentielle, Lonergan affirme qu’« on a (…) besoin d’individus, de groupes et, dans le monde moderne, d’organisations qui s’emploient à convaincre les gens de se convertir intellectuellement, moralement et religieusement, et qui travaillent à réparer le tort causé par l’aliénation et l’idéologie»[145].
N’est-ce pas à partir d’une crise que la théologie de l’Église trouve son sens et que la conscience du théologien peut s’engager dans une réflexion adéquate ? Ainsi, cette crise du peuple de Dieu au Rwanda fait appel à une théologie de l’Église qui peut traduire en acte cet aveu des pères conciliaires d’une étroite solidarité de l’Église avec l’ensemble de la famille humaine. (Gaudium et Spes, 1)
Lonergan fait écho à cet aveu quand il affirme que
le processus par lequel l’Église se constitue est… un processus de rédemption. Le message chrétien, incarné dans le Christ flagellé et crucifié, mort et ressuscité, ne nous parle pas seulement de l’amour de Dieu, mais aussi du péché de l’homme. Le péché aliène l’homme de son être authentique, qui consiste à se dépasser, et il se justifie au moyen de l’idéologie. Alors que l’aliénation et l’idéologie sont des éléments qui détruisent la communauté, cet amour d’abnégation qu’est la charité chrétienne réconcilie l’homme aliéné avec son être véritable et répare le tort causé par l’aliénation et aggravé par l’idéologie.[146]
Pour accomplir ce mandat, l’Église doit devenir pleinement consciente de son propre processus de constitution de soi. C’est en sens qu’elle pourra effectivement faire face aux deux défis mentionnés ci-haut : la confrontation aux nouveautés de l’histoire et les limites dans l’exercice de l’autorité par ces membres. Cette prise de conscience passe par un processus de conversion qui mérite notre attention.
II. 3. La conversion religieuse chez Lonergan
Pour Lonergan, la théologie dynamique part de la conversion. Elle doit être une réflexion sur la conversion pour que ses fondements soient concrets, dynamiques, personnels, communautaires et historiques comme nous l’avons mentionné. Malgré que la conversion soit si fondamentale pour une théologie dynamique, Lonergan trouve que c’est un sujet qui fut négligé dans la théologie post-tridentine. Toutefois, une lecture du Nouveau Testament témoigne de la place qu’occupe la conversion dans la vie de l’Église naissante. À titre d’exemple, je cite ci-dessous ce texte des Actes des Apôtres.
II. 3.1. Les premières conversions dans l’Église naissante
Après avoir entendu ce discours, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux autres apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? Pierre leur répondit : convertissez — vous, et que chacun de vous reçoive le baptême. (Ac 2, 37-38)
Cet appel à la conversion est lancé dans la période qui suit Pâques et déjà l’essence de la conversion apparait très clairement. Son essence réside dans l’écoute du message apostolique. Et puis, cela implique le fait d’être ébranlé par sa propre faute. Les auditeurs de Pierre reconnaissent, grâce à sa prédication, qu’ils ont tué celui que Dieu avait envoyé pour leur salut. Ils ressentent, dit le texte, une brulante douleur au cœur. Autrement dit, pour qu’il y ait une conversion, l’incapacité à éprouver de l’affliction doit être dépassée et, dans l’éveil de la conscience, la faute doit devenir douleur. D’ailleurs il convient de rappeler ici que les Pères de l’Église considéraient l’insensibilité c’est-à-dire l’incapacité à s’affliger comme la véritable maladie du monde païen.[147] Autant dire que d’une part, si l’on n’est pas ébranlé par la conscience de sa propre faute, il n’y a en réalité pas de conversion. D’autre part, reconnaitre sa propre faute trouve son plein sens s’il y a quelqu’un pour la porter, pour l’analyser et pour la pardonner. La conversion tient à cette réciprocité. Comme Joseph Ratzinger écrivait à ce sujet,
si on ne voit pas le Rédempteur qui efface la faute non pas en parlant, mais en endossant sa douleur, on ne peut pas supporter sa propre vérité et on fuit dans le premier mensonge, l’aveuglement devant sa propre faute dont découlent ensuite tous les autres mensonges et finalement l’incapacité générale à supporter la vérité.[148]
Les pères de l’Église abordent dans ce même sens quand ils définissent l’acte fondamental de la conversion aussi comme confession, et cela dans un double sens à savoir confession de la faute comme acte de vérité et confession de foi au Christ rédempteur.[149] Dans cette logique, l’invitation à la conversion ne signifie pas un effort crispé de la volonté pour être moralement constamment performant, mais plutôt une endurance dans la sensibilité à la vérité et le respect de celui qui nous rend la vérité non pas seulement supportable, mais aussi fructueuse et salutaire. Cette essence est bien concrète dans le récit de conversion de Paul et sa théologie qui en découle.[150] Lonergan a donc raison de dire que la théologie se fonde sur la conversion. De ce qui précède, on pourrait alors dire que le théologien n’est pas là seulement pour décrire Dieu, ni même les chemins de Dieu dans l’histoire. Il sait plutôt qu’il se trouve lui-même engagé, situé sur ces chemins, et qu’il ne peut en parler qu’en étant attentif à sa situation. D’où la nécessité de la conversion qui ne va pas sans défi.
II. 3.2. Le défi de la conversion
Dans la présentation sur la méthode en théologie, nous avons montré comment Lonergan a fait prendre à la théologie le tournant anthropologique qui caractérise la philosophie moderne. En plaçant la conversion à l’amont d’une théologie dynamique, Lonergan s’appuie au fond à l’expérience de ces premiers chrétiens dont la conversion a été le point de départ de leur aventure religieuse. Mais alors, qu’est-ce que la conversion pour Lonergan ? Répondre à cette question est tout un défi, car Lonergan lui-même n’aborde pas la question de conversion de manière systématique. Il se préoccupe avant tout de montrer son rôle en théologie et non d’expliciter son processus. Ce défi est partagé par les disciples de Lonergan. Dans sa conférence à l’université Gonzaga en 1973, E. L. Mascall affirmait ceci à propos :
Je dois admettre que ce qu’il (Lonergan) dit de la conversion me semble un des points les plus difficiles de sa position et je ne suis pas du tout sûr de l’avoir compris. J’en ai discuté avec d’autres et ceux-ci partagent mes difficultés.[151]
Justement, un aperçu des articles publiés autour de cette époque dans laquelle Mascall écrit est on ne peut plus clair de ces difficultés. Ils se contentent soit de traiter la question de manière générale, soit de reproduire de larges extraits des écrits de Lonergan sans trop s’attarder à analyser les composantes de la conversion[152]. Nous endosserons plutôt l’analyse de Robert Doran dans son Theology and Dialectics of History. Le défi avoué, scrutons le sens que Lonergan donne au mot « conversion. »
Dans la section consacrée à la conversion et désintégration, Lonergan écrit ceci :
Mais il arrive également que le passage d’un horizon à l’autre entraîne une volte-face ; le nouvel horizon surgit de l’ancien, mais en répudiant certains de ses traits caractéristiques ; il inaugure une nouvelle séquence qui peut révéler une profondeur, une largeur et une richesse de plus en plus grandes. Cette volte-face et ce nouveau commencement constituent ce que l’on entend par la conversion.[153]
De ce texte, on voit assez clairement que la conversion dans la perspective lonerganienne se définit comme un changement radical d’horizon. Mais, qu’est-ce qu’un horizon pour Lonergan ?
II. 3.3. L’horizon.
Au sens littéral, Lonergan parle de l’horizon comme cette limite imposée au regard, cette ligne de partage entre ce que je peux voir et ce que je ne peux pas voir. Au fur et à mesure que le sujet avance, son champ de vision change. Des nouvelles choses apparaissent tandis que d’autres, derrière lui, disparaissent. Cela engendre des nouveaux horizons.
De son sens littéral qui découle d’une expérience simple, Lonergan se sert de l’horizon pour signifier une réalité plus complexe dans l’ordre de la connaissance. Les horizons, écrit-il, s’identifient donc à la portée de nos intérêts et de notre savoir ; ils constituent la source féconde d’un progrès dans la connaissance et l’attention ; mais ils tracent aussi la frontière qui limite notre capacité d’assimiler plus que ce que nous n’avons fait jusqu’ici[154].
Quelques observations méritent d’être soulevées. Premièrement, si l’horizon s’identifie à la portée de l’intérêt et du savoir, eh bien l’horizon comprend non seulement les objets que je connais bien, mais également ce qui existe pour moi sous forme de question. Deuxièmement, l’horizon d’une personne se divise en deux zones à savoir une zone de lumière qui couvre les objets connus ; et une zone de pénombre qui comprend les objets présentés sous forme de questions à répondre. Troisièmement, il y a une diversité des horizons comme le facteur qui détermine l’horizon est le lieu où se situe la personne, le standpoint. De là vient, remarque Lonergan, qu’on trouve aisément ce qui cadre avec son horizon et qu’on a très peu d’aptitude pour remarquer ce qu’on n’a jamais réussi à comprendre ou à concevoir. Autant dire que les présupposés formant l’horizon d’une personne non seulement servent de tremplin vers l’inconnu, mais aussi ils établissent une limite à l’expansion de l’horizon. Or, comme l’affirme notre auteur, les horizons sont, sous un mode structuré, non seulement la résultante des acquisitions passées, mais aussi la condition aussi bien que la limitation du développement ultérieur. Une question donc se pose : comment ce développement s’opère-t-il ? Lonergan milite pour un dépassement de soi.
II. 3.4. Le dépassement de soi
La notion du dépassement de soi me semble être la clé de voûte de l’édifice cognitif de Lonergan. Louis Roy dans le glossaire qu’il rédige pour une méthode en théologie de Lonergan, nous offre une définition synthèse du « dépassement de soi » :
Triple mouvement de sortie de soi, sur le plan de la connaissance, sur le plan moral et sur le plan religieux, par lequel le sujet s’ouvre à la vérité, au bien et à Dieu. Le sujet qui se dépasse correspond à l’homme vertueux d’Aristote[155].
Ce dépassement de soi (self-transcendence) est le fruit de l’intentionnalité consciente qui part d’une attention aux données des sens et de la conscience ; puis s’engage dans la recherche et la compréhension pour avoir un monde hypothétique, médiatisé par la signification ; et enfin donne lieu à un jugement qui rejoigne l’absolu et qui permet un agir conforme non pas aux intérêts d’une personne ou à ce qui lui plaît spontanément, mais à ce qui est vraiment et objectivement bien.[156]
C’est à ce dépassement que doit se soumettre l’Église catholique au Rwanda pour faire sortir le peuple de Dieu de l’impasse de la mémoire blessée. C’est en faisant ce dépassement de soi et en aidant le peuple rwandais à faire ce même processus que la conversion dans la perspective de Lonergan prendra tout son sens comme un passage de l’inauthenticité à l’authenticité, d’une conception fausse du prochain à une conception vraie. Le principe de ce dépassement de soi est l’amour. Ayant établi ces préalables, nous pouvons maintenant parler de la conversion.
II. 3.5. À nouvelle culture, nouveau paradigme
La « conversion » n’est certes pas une création de Lonergan. Pour rester dans le contexte de l’Église, nous avons vu qu’au départ il y a les conversions. C’est d’ailleurs un fait fondamental dans la vie d’un être humain religieux. Mais comme le remarque Lonergan, ce sujet a été peu étudié dans la théologie traditionnelle à cause de la notion classiciste qui régnait et qui soutenait qu’il n’existe qu’une culture qui est à la fois universelle et permanente. Avec cette mentalité, la théologie est une réalisation permanente et on discute de sa nature. En rupture à cette mentalité, Lonergan reprend donc les catégories existence comme « la conversion » et les assume dans une perspective critique nouvelle. C’est ainsi que, par exemple, dans le processus de conversion, Lonergan ne privilégie pas la primauté de la révélation évangélique où le rôle de l’Esprit consisterait à expliciter et à faire pénétrer cette parole, mais plutôt affirme la primauté de l’Esprit Saint et de l’amour qu’il répand dans le cœur de l’homme, de telle sorte que l’un des rôles de la révélation évangélique serait d’expliciter et d’objectiver le don de l’amour[157].
Avec ce renversement des pôles, on peut maintenant mieux saisir ce fait que souligne Lonergan :
La conversion consiste justement à passer d’un enracinement à l’autre. C’est un processus qui ne se déroule pas sur la place publique. Il peut être déclenché par la recherche scientifique, mais il se réalise uniquement dans la mesure où l’on découvre ce qui est inauthentique en soi-même et où l’on s’en écarte, dans la mesure où l’on découvre que la plénitude de l’authenticité humaine est une possibilité réalisable et où l’on s’y attache de tout son être.[158]
Dans la perspective de Lonergan, on le voit, la conversion suppose une prise de conscience de son état ainsi que la découverte d’une nouvelle façon d’être. Ça demande que l’on embrasse un nouvel horizon. Et cela ne va pas sans difficulté, car l’accueil de ce nouvel horizon implique le rejet et la désintégration de l’horizon qui animait jusque-là la vie d’une personne. Celle-ci doit maintenant faire face à la perspective de rebâtir lentement sa vision du monde, de reconstruire progressivement son échelle de préférence, de réapprendre pas à pas ce qui est vraiment bien, de modifier petit à petit ses habitudes de vie, tel un enfant qui doit apprendre à marcher et à parler.
Dans son Method in Theology, c’est dans l’exposé sur la quatrième fonction constituante de la théologie, la dialectique, que Lonergan parle de la conversion et en identifie trois types : conversion intellectuelle, morale et religieuse. Ces trois types sont reliés entre eux en termes d’élévation (sublation).[159]
II. 3.5.a. les trois conversions : intellectuelle, morale et religieuse.
La conversion intellectuelle consiste en une clarification radicale et implique l’élimination du mythe sur la réalité, l’objectivité et la connaissance humaine. Pour que cette clarification soit possible, il faut selon Lonergan, distinguer le monde de l’immédiateté et le monde médiatisé par la signification[160].
La conversion morale quant à elle, amène une personne à changer le critère de ses décisions et de ses choix en substituant l’adhésion aux valeurs à la recherche des satisfactions[161]. Lonergan situe cette conversion à un « moment existentiel »[162]. Avec la conversion morale, c’est le temps d’exercer sa liberté verticale. Concrètement, il s’agit d’opter pour le vrai bien en délaissant la recherche des satisfactions qui ont guidé l’enfance et en adoptant désormais la valeur comme critère de choix. Et ceci, pour Lonergan, c’est un point de départ et on ne doit pas le confondre avec la perfection morale, car décider est une chose, et agir en est une autre.
Cette conversion morale étant un processus, Lonergan nous donne ces trois aspects qui le constituent. On doit d’abord démasquer et corriger ses déviations aux plans individuel, collectif et général ; car ces déviations sont diverses formes de désirs égoïstes qui empêchent radicalement la recherche de ce qui est vraiment bien. Ensuite, on doit continuer à développer sa connaissance de la réalité et du potentiel humain tels qu’ils existent dans la situation présente ; autrement, malgré ses bonnes intentions, un individu posera une action qui fera plus de tort que de bien. Enfin, on doit scruter sans répit ses réponses intentionnelles aux valeurs et leurs échelles implicites de préférence ; car la perception de la valeur forme, avec la connaissance de la réalité, le contexte de la recherche de ce qui est vraiment bien, de telle sorte qu’une affectivité qui se porte sur des fausses valeurs, ou dont l’intensité n’est pas en accord avec la valeur réelle de l’objet, biaisera la délibération, entraînera la personne vers ce qui n’est vraiment pas important au détriment de ce qui est plus urgent. Cette lucidité sur soi va de pair avec la disponibilité et l’attention aux critiques, aux prestations et aux leçons des autres.
Maintenant la conversion religieuse. Celle-ci, dit Lonergan, est le fait d’être saisi par la préoccupation ultime. « Elle consiste à se mettre à aimer d’un amour transmondain (other-worldly falling in love), à s’abandonner d’une manière totale et permanente, sans condition, sans restriction et sans réserve »[163]. Dans cette définition, on voit bien l’influence de ce texte de Paul dans la pensée de Lonergan : « … l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut donné. » (Rm 5,5). En effet, en fréquentant les œuvres de Lonergan, on remarque bien que ce verset est le plus important du point de vue de la fréquence avec laquelle il est cité et du rôle qu’il joue dans l’explication de l’expérience religieuse. Comme l’amour implique un abandon de soi, la conversion religieuse signifie pour Lonergan qu’une personne laisse cet amour illimité, ou cette orientation vers le mystère transcendant dominer ou intégrer l’ensemble de sa vie.
Pour récapituler les choses, au pourrait dire que la conversion religieuse est ce courant de fond ou cette orientation qui se fait discrètement sentir dans les intérêts et dans les choix d’une personne. On l’objective soit comme le fait d’être saisi par une préoccupation ultime, soit le fait de se mettre à aimer d’un amour transmondain. La tradition chrétienne l’a interprétée tantôt comme l’amour de Dieu répandu dans notre cœur par l’Esprit Saint qui nous a été donné, tantôt comme une grâce opérante[164].
En guise de résumé, on voit que ces trois types de conversions sont des manières de se dépasser. Lonergan lui-même nous donne la récapitulation en ces termes :
La conversion intellectuelle se vit à l’égard de la vérité atteinte quand le sujet se dépasse dans l’ordre de la connaissance. La conversion morale se vit à l’égard des valeurs perçues, affirmées et réalisées quand le sujet dépasse dans la réalité. La conversion religieuse se vit à l’égard du fait d’être en amour sans réserve, fondement efficace de tout dépassement de soi, que ce soit dans la poursuite de la vérité, dans la réalisation des valeurs humaines ou dans l’orientation que l’homme adopte par rapport à l’univers, à son fondement et à son but[165].
Robert M. Doran parle de la conversion affective dans les écrits ultérieurs de Lonergan. Et s’inspirant de la pensée de Lonergan, il parle aussi de la conversion psychique[166]. Nous n’allons pas en parler dans ce travail. Tournons-nous maintenant vers le cas du Rwanda.
II. 3.6. La conversion et le cas du Rwanda
La présentation sur la conversion nous confirme qu’on n’entreprend pas facilement une démarche si radicale. Dans le contexte actuel du Rwanda, cette démarche est particulièrement difficile. L’Église que nous proposons comme protagoniste de cette démarche fait objet de nombreuses accusations, car les conflits identitaires qui ont servi de berceau à la mémoire blessée n’ont pas épargné l’Église. Par conséquent, l’image qu’elle véhicule, ses actions et ses réactions provoquent, même chez ses fidèles un malaise. Ce malaise gagne les catholiques qui sont convaincus de l’impératif de la conversion énoncé par l’Évangile ; qui le veulent et le tiennent pour indispensable ; mais qui ne pensent pas pouvoir tirer grand-chose de la conversion à l’intérieur de l’Église. Certes, une relecture objective des faits de l’histoire politique récente du Rwanda permet de constater que la plupart des accusations sont des exagérations voire même des contrevérités. En lisant, par exemple, les lettres et messages de la Conférence des Evêques Catholiques du Rwanda publiés pendant la période de guerre (1990-1994), on se rend compte que pendant cette guerre, l’épiscopat catholique rwandais a prêché la paix, la charité et l’amour fraternel.[167] Mais il n’a pas été écouté.
Cependant, l’amertume ressentie envers l’Église est aussi intrigante. Et ce diagnostic que Joseph Ratzinger fait dans un autre contexte nous parait aussi approprié pour le cas du Rwanda.
… au sein d’un monde gouverné par des règles dures et des contraintes inexorables, s’élève encore et toujours vers elle une muette espérance : au milieu de cela, elle pourrait apparaître comme une petite île de vie meilleure, une petite oasis de liberté, où l’on pourrait se retirer de temps à autre. L’irritation contre l’Église, la déception à son égard, a donc un caractère spécifique, puisque l’on attend d’elle plus que des autres institutions terrestres. Elle devrait se réaliser le rêve d’un monde meilleur. L’on voudrait du moins savourer en elle le goût de la liberté, le sentiment d’être libéré ; d’être sorti de la caverne dont parle Grégoire le Grand en se référant à Platon.[168]
Si donc dans son aspect concret, l’Église s’est éloignée de ces rêves, comment peut-elle redevenir elle-même et porter sa mission prophétique ? C’est à cette question que nous consacrons le troisième chapitre.
Conclusion
Le premier chapitre nous avait permis d’explorer la mémoire comme un lieu théologique. Cette exploration ouvrait à la question du « comment » l’Église peut remplir sa mission qui est d’être avec le Christ lumière et sel du peuple rwandais qui est à l’emprise de la mémoire blessée. Le pari de ce deuxième chapitre était de trouver, dans la pensée de Bernard Lonergan, les outils nécessaires dont l’Église a besoin pour mener à bien cette mission. Dans la première partie de ce chapitre, nous avons justifié notre choix de Lonergan. Non seulement avons-nous été séduits par son épistémologie qui aide à discerner et à distinguer le vrai du faux, nous avons aussi exploré sa méthode théologie qui sait bien introduire la dimension historique dans la théologie catholique. Nous avons trouvé que cette méthode concerne les opérations du sujet qui mettent en jeu son horizon, son authenticité et ses conversions. Cette méthode se déploie en s’appuyant sur le bien, la valeur et la signification.
Dans la deuxième partie de ce chapitre, à la lumière de la pensée de Lonergan, nous avons abordé le portrait de l’Église catholique dans l’histoire politique récente du Rwanda. En suivant l’épistémologie lonerganienne, nous avons montré que les conflits identitaires ont causé des divisions entre les Rwandais, même à l’intérieur de l’Église catholique. Par conséquent, on est confronté aux obstacles à la clarification de la vérité historique et à l’exercice de la justice. Ceci nourrit les blessures intérieures qui entrainent une perte d’estime de soi pour le peuple rwandais. Pour faire face à ce défi, nous avons proposé l’Église comme protagoniste de la guérison. Mais celle-ci est au banc des accusés. Et c’est logique que l’Église ne puisse être une lumière pour le monde ou le levain dans la pâte du monde que dans la mesure où elle est d’abord lumière en elle-même.
C’est ainsi que dans la troisième partie du chapitre, nous avons exploré la notion de la conversion et son indispensabilité dans le processus de guérison du peuple rwandais. L’Église, elle aussi, doit se soumettre à ce processus. C’est ce que nous attendons développer dans le chapitre suivant.
Chapitre III : Vers un modèle ecclésiologique : L’Église comme « processus de constitution de soi »
Introduction
Les deux précédents chapitres nous donnent assez d’arguments pour être d’accord avec cet énoncé de Ratzinger : « l’Église ne doit plus venir d’en haut. Non ! C’est nous qui faisons l’Église et nous la faisons toujours neuve »[169]. En effet, si l’Église doit réellement devenir cette communauté qui cherche à remplacer la mésentente par la compréhension mutuelle comme nous l’avons vu au deuxième chapitre, elle doit être une des acteurs dans le drame de l’histoire humaine. Le peuple de Dieu au Rwanda cherche désespérément une Église qui soit un lieu où puissent s’exprimer toutes les libertés, où l’on peut se réconcilier avec sa propre histoire, l’espace où soient abattues nos limites, l’hôpital où peuvent être pansées les blessures.
Toutefois, cet aveu est en même temps un défi. Tout ce que les hommes font risque d’être défait par d’autres. Tout ce qui émane d’une appréciation humaine peut ne pas assouvir la soif des d’autres. Une Église à faire n’échappera donc pas à ce constat, car, elle se voit réduite au niveau du faisable et du plausible, de tout ce qui résulte de l’action, des intuitions et des opinions personnelles. L’Église faite par nous a finalement une saveur de nous-mêmes, jamais agréable pour les autres et ainsi cantonnée dans le domaine de l’empirique. Et pourtant, si l’Église doit être signe et agent de la rédemption divine dans l’histoire, elle ne saura se désintéresser du drame de l’histoire humaine. Comment le faire sans que l’on bascule dans un réductionnisme sociologique ? C’est à cette question que ce chapitre veut répondre. Nous proposons la définition de l’Église de Bernard Lonergan comme « processus de constitution de soi ». Après avoir exploré la genèse de ce modèle, nous verrons d’abord comment ce processus doit être un processus structuré. Ensuite, c’est un processus d’ouverture à l’extérieur. Et en fin, nous allons l’explorer comme un processus de rédemption.
III. 1. L’Église dans sa genèse
Lonergan parle de l’Église comme un « processus de constitution de soi ». Ce processus s’effectue en deux axes : l’un, intérieur ; l’autre, extérieur. Il définit l’Église comme la « communauté qui se constitue extérieurement par la communication du message du Christ, et intérieurement par le don de l’amour de Dieu »[170].
Penser l’Église comme un processus de constitution de soi est assez révolutionnaire. En effet, dans la conception classiciste où la culture est considérée comme normative, universelle et permanente, la définition de l’Église qui en émane suit aussi la vague. Nicholas M. Healy identifie cinq traits caractéristiques de cette ecclésiologie[171]. Le premier élément est la tentative d’encapsuler dans un seul mot ou une seule phrase toutes les caractéristiques essentielles de l’Église. Le deuxième consiste à interpréter l’Église comme ayant une structure bipartite. Ces deux éléments combinés donnent naissance à une ecclésiologie normative, troisième élément caractéristique. Le quatrième élément est corolaire des trois précédents. Dans une telle ecclésiologie, la réflexion sur l’Église devient de plus en plus abstraite au détriment de son identité concrète. En cinquième lieu, on voit s’installer une tendance de présenter une Église idéalisée qui malheureusement échoue à s’incarner et perd ainsi sa crédibilité.
Quand Lonergan propose que l’Église s’identifie à un processus de constitution de soi ; processus qui est essentiellement formé du message chrétien et du don intérieur de l’amour de Dieu, il offre une voie de sortie de cette impasse de l’esprit classiciste. Ceci suppose que l’Église est appelée, tous les jours, à renaitre de nouveau. Une image idéale et parfaite de l’Église doit céder la place à celle d’un étudiant toujours prêt à apprendre et à se construire. C’est ce renouveau que le pape François exprime au début de sa papauté : « je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. » (Evangilii Gaudium, 49)
Ce souhait du renouveau, ce désir de passer du statique au dynamique dans la réflexion sur l’Église, Lonergan le partage avec d’autres théologiens de son époque. Toutefois, si le désir fait l’unanimité chez ces théologiens, sa concrétisation est aussi diverse que le nombre des théologiens. Le classique Models of the Church d’Avery Dulles en est une illustration[172].
III. 1.1. Un aperçu sur les modèles de l’Église
Dulles, dans son Models of the Church nous donne un riche portrait des ecclésiologies dans l’époque moderne. Sans trop entrer en détail, nous allons passer en revue ces modèles. En premier lieu vient ce modèle plus fréquent qui définit l’Église comme « sacrement ». C’est le modèle utilisé par Vatican II dans sa Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, pour traduire l’aspect mystère de l’Église comme une réalité divino-humaine. (Lumen Gentium, 1) C’est le modèle préféré du théologien Karl Rahner. Il argumente ainsi : l’Église en tant que présence permanente de Dieu qui se communique lui-même à l’humanité par Jésus Christ, présence de la vérité et de l’amour divins se communiquant eux-mêmes ; cette Église est le sacrement même du salut.[173] Ce modèle est aussi le premier choix d’Avery Dulles quand il écrit la première édition de Models of the Church[174].
Deuxièmement, vient le modèle « d’héritier ». Le concile fait allusion à ce modèle quand il parle de la relation de l’Église et le royaume de Dieu. L’Église, dit le concile, est héritière du royaume de Dieu en formant de ce Royaume le germe et le commencement sur la terre. (Lumen Gentium, 5). C’est ce modèle que l’on trouve dans l’ecclésiologie de Hans Küng[175].
Troisièmement, c’est le modèle où l’Église était approchée sous l’angle de l’« institution ». Ce modèle était en vogue aux 19e siècle et début du 20e siècle dans l’ecclésiologie catholique[176].
Le quatrième modèle que nous présente Dulles, c’est celui de la « communion mystique » utilisé par le théologien protestant Emil Brunner[177].
Avec Vatican II et les développements subséquents en ecclésiologie, ce modèle a évolué vers un autre quelque peu différent, celui de la « communion. »[178] Le concept de « communion » (koinonía) a été mis en lumière dans les textes du Concile Vatican II (LG, 4, 8, 13-15, 18, 21, 24-25 ; DV, 10 ; GS, 32 ; UR, 2-4, 14-15, 17-19, 22.) La compréhension de l’Église comme communion est aujourd’hui le lieu d’un large consensus entre traditions chrétiennes. Cette approche avait été déjà centrale dans les théologies de Luther et Calvin. Le père Tillard est une figure de proue dans les développements contemporains de ce modèle de l’Église[179].
Cette approche a été particulièrement attrayante, car elle a offert un vaste champ à la réflexion sur le mystère de l’Église « dont la nature est telle qu’elle permet toujours des recherches nouvelles et plus profondes »[180].
Le cinquième modèle que Dulles souligne est celui de « Église comme servante. » Ce modèle est celui préféré par Dietrich Bonhoeffer[181].
Dans la deuxième édition de son livre, Dulles y développe le sixième modèle. Celui avec lequel il va travailler lui-même, « l’église comme communauté des disciples »[182]. Dans la première édition, il avait parlé du modèle de l’Église comme « communion mystique » en soulignant la fraternité des membres de l’Église et lien que ces membres doivent entretenir avec Dieu. En introduisant ce modèle d’église comme communauté des disciples, il veut intégrer le processus d’apprentissage à l’identité même de l’Église. Un disciple en effet apprend de son maitre. L’Église donc doit entrer dans un processus d’éducation non seulement pour informer ses membres, mais aussi et surtout pour les former et les transformer. C’est ainsi qu’elle est une communauté de disciples.
Cette liste des modèles que nous donne Dulles n’est pas exhaustive. John Dadosky, un ecclésiologue lonerganien, propose qu’un septième modèle soit ajouté. Il formule ce modèle ainsi : « l’Église comme amie (the Church as Friend) »[183].
En 1994, lors du premier synode de l’Église sur l’Afrique, les pères synodaux, s’inspirant du Concile Vatican II, ont repris l’enseignement de ce concile sur l’Église famille (Gaudium et Spes, 40, Lumen Gentium, 6) en lui donnant plus d’ampleur et d’application et en soulignant les exigences éthiques comme l’attention à l’autre, la solidarité, la chaleur des relations, l’accueil, le dialogue et la confiance.[184] Dès lors, les théologiens ont commencé à explorer ce modèle de « l’Église comme famille de Dieu. »
Avec cet aperçu qui n’est qu’un survol de quelques modèles, on voit bien que l’Église est une réalité aux multiples visages. C’est pourquoi, pour dire la réalité de l’Église, s’appuyant sur la Bible et la tradition, le Concile Vatican II utilise les images comme Corps mystique, Peuple de Dieu, temple de l’Esprit, troupeau et bercail, maison où Dieu demeure avec les hommes, l’épouse du Christ et notre mère, cité sainte et prémices du Royaume à venir. Les théologiens, comme on vient de le voir, développent des modèles. Ces modèles ont des atouts et des défauts.
III. 1.2. Appréciation de l’approche « modèle » pour parler de l’Église
En parlant de la réalité de l’Église, travailler avec un modèle permet aux théologiens de développer un récit systématique qui met au clair les implications des images ou concepts bibliques utilisés pour appréhender cette réalité. Dans l’ensemble de ces modèles, deux voies se dégagent. D’une part, on y voit l’effort des théologiens d’expliquer, de synthétiser ce qui est connu de la réalité de l’Église. D’autre part, on remarque bien une approche heuristique qui conduit aux nouveaux insights à propos de la nature et de l’activité de l’Église.
Outre ces deux voies transversales, dans cette diversité des modèles, il ressort que l’Église est une réalité qui a une double structure ontologique. D’une part, il y a la dimension spirituelle et invisible décrite souvent comme la « vraie nature » ou « l’essence » même de l’Église. D’autre part, il y a la dimension visible qui fait de l’Église une réalité empirique, dotée d’institutions et d’activités. Pour parler de la relation entre ces deux dimensions, on dit souvent que la dimension invisible se réalise ou se manifeste dans celle visible. Autrement dit, l’Église visible est l’expression de son aspect invisible.
Bien que l’approche de « modèle » présente des avantages, cette façon d’aborder l’Église a aussi des limites. La plus évidente est qu’aucun modèle n’est définitif. On remarque des failles dans tous ces modèles. La rhétorique des théologiens semble suggérer tel ou tel outre modèle qu’ils ont choisi comme le modèle le plus adéquat[185]. Cependant, dans un survol du développement de l’ecclésiologie, on voit bien que différents modèles ont été proposés, mais, comme on l’a vu, aucun n’a été défini ou reçu comme le modèle le plus élémentaire et le plus adéquat.
Nicholas Healey avance deux arguments pour ce manque de consensus sur les modèles de l’Église[186]. D’une part, à la suite de Raymond Brown, il s’inspire des ecclésiologies du Nouveau Testament. En effet, chaque ecclésiologie du Nouveau Testament reflète le contexte et les défis d’une communauté particulière. Par exemple, la manière dont Matthieu présente l’Église est bien différente de Luc ou de Paul. À travers la tradition, on voit se développer les différents modèles selon les époques. Ainsi, et dans les Saintes Écritures, et dans la tradition, il n’y a pas d’argument convaincant qui serait en faveur d’un super-modèle pour parler de l’Église.
D’autre part, remarque Healey, le fait de ne pas avoir un seul et unique modèle élémentaire de l’Église qui serait valable toujours et partout, repose sur la doctrine de la Trinité elle-même, cœur de la foi chrétienne. Comme plusieurs théologiens l’ont déjà noté, la doctrine de la Trinité nous demande de constamment ajuster nos perspectives pour mieux saisir ce Dieu qui se dit comme donné, comme possédé (mon Dieu), comme présence (il est là) et comme pur fondement, comme être… Ainsi, la description de l’Église en un seul et unique modèle ne pourra pas honorer adéquatement la relation entre l’Église concrète et les actions des trois personnes de la Trinité qui nous ont été révélées dans les Écritures.
Au terme de ce survol sur les modèles de l’Église, l’on peut conclure que penser à avoir un super-modèle pour parler de l’Église est une utopie. Par contre, l’approche des modèles est un bel outil pour découvrir et explorer les différentes facettes de l’Église. Toutefois, l’ecclésiologie des modèles court un risque de réduire l’Église à une abstraction ou une théorie. Avec cette approche, comme le remarque Komonchak, l’Église a du mal à s’incarner et échoue à bien articuler sa double dimension : divine et humaine. Et si l’Église, Komanchak précise, est considérée seulement dans des termes spécifiquement théologiques, sa pertinence pour le monde plus large de l’expérience humaine est perdue de vue. Les tendances de l’époque post-Lumières de privatiser la religion s’installent[187][pfnpln4] . C’est face à ce danger que Lonergan appelle à la vigilance et invite la théologie à s’y intéresser dans son « Epiloque » à l’Insight.
Dans quel département de la théologie pourrait-on traiter de l’aspect historique du développement ? J’estime pour ma part que cet aspect intéresse tout particulièrement le traité sur le corps mystique du Christ. En effet, dans tout traité théologique peuvent être distingués un élément matériel et un élément formel. L’élément matériel est fourni par les Écritures, l’enseignement patristique et les énoncés dogmatiques. L’élément formel, qui constitue le traité comme tel, consiste en la configuration de termes et de relations qui permettent d’embrasser les matériaux en un point de vue cohérent (…) Or même si les matériaux scripturaires, patristiques et dogmatiques ont été réunis en vue d’un traité sur le corps mystique, je serais plutôt d’avis que l’élément formel d’un tel traité demeurera incomplet tant qu’il ne fera pas fond sur une théorie de l’histoire. C’est à la plénitude des temps que la Lumière du monde est venu dans le monde. Elle est venue apporter non seulement la lumière qui guide, mais aussi la grâce qui produit la bonne volonté et l’agir conforme à cette bonne volonté. Cette lumière et cette grâce devaient se propager non seulement dans le mystère intérieur de la conversion individuelle, mais aussi par les voies extérieures de la communication humaine. Si la Lumière avait pour fonction principale d’apporter une semence de vie éternelle, cette semence ne pouvait toutefois pas porter fruit sans produire une transfiguration de la vie humaine, transfiguration qui entraîne par ailleurs la solution du problème du mal, non seulement à l’échelle individuelle, mais également à l’échelle sociale. (…) Et comme les possibilités éloignées d’une pensée concernant l’universel concret se situent dans l’insight qui saisit l’intelligible dans le sensible, sa possibilité prochaine réside dans une théorie du développement qui peut envisager non seulement le progrès naturel et intelligent, mais aussi le déclin marqué au sceau du péché, et non seulement le progrès et le déclin, mais aussi la guérison surnaturelle[188].
Avec cette remarque, Lonergan soulève une question qui ne peut laisser indifférente toute personne qui s’intéresse à l’élaboration d’une théologie de l’Église. Cette question consiste au fait en une articulation de deux dimensions de l’Église dont nous parle Vatican II. L’Église, à la fois visible et spirituelle, est une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin (Lumen Gentium, 8). Nous plaidons qu’aborder l’Église comme un processus de constitution permet de bien articuler cette double dimension. Et Lonergan affirme justement que le traité sur cette Église sera incomplet s’il ne fait pas fond sur une théorie de l’histoire. L’histoire, nous l’avons montré au premier chapitre, prend naissance dans la mémoire dont elle est une dimension ; puis, en adoptant une posture autoréflexive, elle transforme la mémoire en l’un de ses objets. Comme le rappelait Ricœur, l’histoire s’écrit toujours au présent[189]. Si donc un traité pour l’Église, pour être complet, doit puiser dans les théories de l’histoire ses éléments formels, ainsi ce traité est aussi à écrire toujours au présent.
III. 1.3. La genèse concrète de l’Église
Lorsque Lonergan parle de l’Église en tant qu’un processus de constitution de soi, il fait allusion à une caractéristique fondamentale de l’existence de l’Église. En effet, comme les autres communautés humaines, l’Église est aussi cette communauté qui advient, par la grâce, à travers les opérations conscientes de ses membres. Elle surgit à travers les débats, les accords et les décisions. Elle n’est pas préconstituée, elle est au contraire appelée à se construire. C’est dans cette optique que l’Église pourra être cette religion au visage tourné vers le monde. L’Évangile qu’elle est appelée à annoncer, doit entrer dans une interaction dynamique avec les problèmes d’une société qui change sans cesse, sans pour autant compromettre ou détruire le sens de la continuité avec le passé où plongent les racines de son identité. Pour que cette interaction advienne, il faut que l’Église en sa constitution ait le courage d’accepter de remettre en question le statu quo et d’adhérer à une imagination pragmatique.
Ce chemin de constitution de soi pose quand même de sérieux problèmes : qui a proprement le droit de prendre les décisions ? Sur quelle base cela se fait-il ? Dans un contexte comme celui du Rwanda avec un culte de la mémoire qui ne sert pas toujours la bonne cause, quelle expérience faut-il prioriser ? Celle transmise ou celle vécue ?[190] Face à ce défi, Joseph Komonchak à la suite de Lonergan, précise que cette constitution doit comporter deux dimensions inséparables et complémentaires, l’une objective et l’autre subjective[191]. Komonchak, soucieux d’annoncer les Fondations en ecclésiologie ne se préoccupe pas des détails pour choisir quelle expérience il faut prioriser. Même s’il ne le dit pas de façon explicite, il plaide pour une approche holistique de la personne qui a une expérience vécue mais qui est aussi sujet de l’expérience transmise. Par ailleurs, l’Église doit être attentive à l’expérience de « tout homme et de tout l’homme. »
La dimension objective de l’Église renvoie à la centralité de la vie, la mort et la résurrection du Christ dans toute ecclésiologie. L’Église trouve cet événement du Christ, central à sa vie, représenté dans les Écritures, dans la Tradition, dans les dogmes, dans la liturgie, dans les exemples des saints, etc. Cet événement du Christ se présente à chaque génération comme critère de leur fidélité à la parole du Christ. C’est le principe plus objectif de l’unité de l’Église à travers les générations et les cultures. Sans cette centralité du Christ, ça serait autre chose que l’Église qui serait réalisée. Nous l’avons montré au premier chapitre de ce travail. Toutefois, cette dimension objective qui fait de l’Église une communauté distincte n’a d’effet que s’elle est accueillie par les chrétiens. Ceux-ci vivent dans l’espace et le temps. D’où la deuxième dimension dans la genèse concrète de l’Église, celle subjective.
Cette dimension a été mieux exprimée par le concile de Vatican II quand elle reconnait que l’Église est une communauté de pécheurs, qui doit toujours être purifiée et recherche sans cesse le renouvellement (Lumen Gentium, 7). Tout en reconnaissant l’origine divine de l’Église, le concile a déclaré que cette Église est aussi humaine, donc sujette aux erreurs. Voilà pourquoi
L’Église, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre. Si donc, par suite des circonstances, en matière morale, dans la discipline ecclésiastique, ou même dans la formulation de la doctrine, qu’il faut distinguer avec soin du dépôt de la foi, il est arrivé que sur certains points, on se soit montré trop peu attentif, il faut y remédier en temps opportun d’une façon appropriée (Unitatis Redintegratio, 6).
Lonergan, lui, bien qu’il affirme que le principe chrétien associe le don intérieur de l’amour de Dieu à sa manifestation extérieure en Jésus Christ et en ceux qui le suivent, il parle de l’Église aussi comme une communauté imparfaite. Et pour faire face au problème d’imperfection, il remarque que la communauté développe des manières de faire. On peut alors comprendre pourquoi Lonergan, dans son Method in Theology, décide de parler de l’Église dans le chapitre sur La communication. D’ailleurs, dans la conclusion à ce chapitre, il fait mention de ce document sur l’œcuménisme en déplorant la mésentente sur la signification cognitive du message chrétien, ce qui freine l’unité des chrétiens.[192] Par ailleurs, comme nous l’avons mentionné au début de ce chapitre, Lonergan écrit au sujet de l’Église chrétienne qu’elle « est la communauté qui se constitue extérieurement par la communication du message du Christ et intérieurement par le don de l’amour de Dieu. »
Au chapitre précédent, en donnant l’exemple du cas du Rwanda, nous avons souligné la nécessité pour l’Église de porter une attention sur cette dimension subjective. Komonchak affirme avec raison que si cette attention est donnée, l’accent est mis sur les situations particulières dans lesquelles se communique le message chrétien. Avec cet accent, le rôle de l’Église comme un instrument de la rédemption est plus nuancé.[193] Lonergan l’exprime bien à sa manière quand il écrit que « le message chrétien, incarné dans le Christ flagellé et crucifié, mort et ressuscité, ne nous parle pas seulement de l’amour de Dieu, mais aussi du péché de l’homme. »[194]
L’Église en effet, ne peut pas être pleinement elle-même s’elle n’articule pas cette double dimension. Sans nier son origine divine et la centralité de l’événement du Christ à son identité, l’Église est appelé à partager dans sa vie concrète « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent (Gaudium et Spes, 1). Voilà un virage radical que l’Église au Rwanda doit faire pour être pertinente. Ceci implique un changement de paradigme théologique qui doit entrainer des changements d’attitudes et de structures à tous les niveaux de la vie de l’Église. Celle-ci est donc confrontée à une norme évangélique qui lui impose d’entrer dans la vie des Rwandais qui portent une mémoire blessée, de pénétrer leur culture, à la fois pour donner et pour se laisser changer par eux. La réalité de ces Rwandais comme d’ailleurs celle du monde entier change si rapidement qu’une approche pastorale valable aujourd’hui sera dépassée demain. Ainsi l’Église qui se voue à la tâche de prêcher l’Évangile au monde, doit être un processus de constitution de soi continuel.
Lonergan définit le contour de ce processus ainsi : « ce processus est essentiellement formé du message chrétien et du don intérieur de l’amour de Dieu, manifestant leurs fruits dans le témoignage chrétien, la fraternité chrétienne et le service chrétien »[195]. Il nous propose aussi les trois angles pour regarder ce processus.
III. 2. Les trois visages du processus de constitution de soi
L’Église comme un processus de constitution de soi, ne peut plus rester à l’extérieur de l’histoire ou résister aveuglément au changement. Elle doit plutôt être à l’écoute de l’Esprit dans les cœurs des personnes et dans les événements de l’histoire. Pour réaliser cette mission, l’Église est appelée à communiquer le message chrétien. Lonergan affirme que cela ne pourra mieux se faire que sous forme de processus. Ainsi, l’Église, nous dit Lonergan, est appelée à être en même temps un processus structuré ; un processus d’ouverture à l’extérieur et un processus de rédemption.
III. 2.1. L’Église comme processus structuré
Le symbolisme de « communication du message chrétien » dans le vocabulaire lonerganien évoque l’idée d’un bien extrêmement complexe. Et ceci peut être une fenêtre pour comprendre pourquoi Lonergan décrit l’Église comme un processus structuré. [196] En effet, cette communication qui est un « bien » de choix raisonnable peut être réalisée sous des multiples façons. Dans ce sens, il peut être pensé en lien avec la structure du bien humain que Lonergan développe au deuxième chapitre de son Method. La structure heuristique du bien humain offre elle-même des catégories où l’on peut contempler différents moyens par lesquels cette communication du message chrétien s’opère. D’ailleurs il conclut la section sur le bien humain ainsi : « une religion qui favorise le dépassement de soi, pour faire accéder non seulement à la justice, mais à l’amour d’abnégation, exercera un rôle rédempteur dans la société humaine en autant qu’un tel amour peut réparer le tort causé par le déclin et relancer le processus cumulatif du progrès. »[197]
Cette manière de penser le « processus structuré » par lequel l’Église se constitue n’a rien à voir avec la structure à laquelle pensent les catholiques de façon spontanée quand on parle de « structure hiérarchique de l’Église ».
Cependant, dans l’intérêt de notre travail, outre cette manière de concevoir « le processus structuré », dans la suite de cette section nous allons l’appréhender sous deux autres angles.
D’une part, le processus par lequel l’Église se constitue, n’est pas un processus désordonné qui va dans tous les sens. C’est un processus qui, verticalement, a son origine et sa destinée dans la Trinité et, horizontalement, est un sujet historique. Il suit donc ces deux axes. Verticalement, comme nous l’avons dit au premier chapitre, l’Église tire son origine de la mission du Fils et de la mission de l’Esprit, selon le dessein du Père (Lumen Gentium, 2-4). Pourvue des dons de son fondateur, et fidèlement appliquée à garder ses préceptes de charité, d’humilité et d’abnégation, cette Église, continuent les pères conciliaires, reçoit la mission d’annoncer le Royaume du Christ et de Dieu et de l’instaurer dans toutes les nations, formant de ce Royaume le germe et le commencement sur la terre. Elle s’accroît et aspire à l’achèvement de ce Royaume, espérant de toutes ses forces et appelant de ses vœux l’heure où elle sera, dans la gloire, réunie à son Roi (Lumen Gentium, 5). La logique stipule qu’il n’y a d’identité réelle avec l’origine que lorsqu’il y a en même temps une continuité vivante qui la déploie et la préserve. Or l’Église n’est pas une institution platonicienne, c’est un Corps. Comme un Corps, elle maintient son identité par le fait qu’elle se constitue constamment dans un processus vivant. Voilà pourquoi le processus s’effectue aussi, horizontalement, dans un dynamisme historique.
Dans l’histoire, ce processus va dans le sens du programme annoncé par le pape Léo XIII, dans son encyclique Aeterni Patris : vetera novis augere et perficere (ajouter aux éléments anciens et les parfaire grâce à l’apport d’éléments nouveaux)[198]. Ce processus de constitution de soi à laquelle l’Église doit s’identifier n’est pas à comprendre comme une création ex nihilo.
De ce qui précède, on voit que le processus par lequel l’Église se constitue n’est pas un fruit du hasard. Il se déroule dans un cadre bien défini. C’est un processus structuré.
D’autre part, en disant que le processus par lequel l’Église se constitue est un processus structuré, il faut comprendre aussi les structures institutionnelles de l’Église. Gerald A. Arbuckle les a regroupées en quatre catégories : les doctrines et les formulations doctrinales, les rites du culte public, les structures de gouvernement, et les lois et les coutumes qui régissent le comportement des personnes[199].
a. Les doctrines et les formulations doctrinales
Lonergan consacre le chapitre 12 de son Method à l’étude des établissements de doctrines. Au sujet de la permanence des dogmes, il endosse l’enseignement de Vatican I qu’il présente ainsi :
La foi est une vertu surnaturelle par laquelle par laquelle on croit vraies les choses que Dieu a révélées, non pas à cause de la vérité intrinsèque des choses perçues par la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l’autorité de Dieu même qui révèle et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper (DS3008). On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu, écrite ou transmise, et que l’Église propose à croire comme divinement révélé, soit par un jugement solennel, soit par le magistère ordinaire et universel (DS3011)[200].
Cet énoncé sur la permanence des dogmes soulève une question sur la manière que nous proposons avec Lonergan de considérer l’Église comme un processus de constitution de soi. Si en effet, les doctrines font partie des structures institutionnelles de l’Église, comment peut-on envisager l’Église comme un processus ? En consultant l’œuvre de Lonergan, on se rend vite compte qu’il est conscient de la pertinence de la question. Sans se contredire ni réfuter cet enseignement de Vatican I, il pose la question autrement : S’il est vrai que le dépôt de la foi ne change pas, pouvons-nous approfondir notre compréhension de ce dépôt à partir de l’expérience vécue des personnes ? Y a-t-il par exemple, des façons d’exprimer ce dépôt de la foi qui interprètent mieux ce que le Christ a à dire aux peuples rwandais qui portent et sont portés par une mémoire blessée ? L’ouvrage de Lonergan, Pour une méthode en théologie, trouve ici toute sa pertinence.
Pour que le peuple rwandais passe de blessure à la guérison à la lumière de la doctrine chrétienne, l’Église a besoin d’inventer des nouvelles façons d’exprimer le dépôt de la foi.
En effet, en regardant les statistiques, on a l’impression que l’Évangélisation au premier siècle du Christianisme au Rwanda a atteint plusieurs Rwandais. Cependant, les moments critiques qui ont endeuillé l’histoire du Rwanda et ont nourri la mémoire blessée des Rwandais témoignent que tous n’ont pas été fidèles à l’enseignement de l’Église. Beaucoup l’ont même trahi. On remarque bien que le premier siècle du christianisme au Rwanda a été caractérisé par un christianisme sociologique. Le grain a été semé, mais le temps pour mettre de l’engrais, arroser et sarcler a manqué. Le dépôt de la foi a été transmise de façon générale, mais il n’a pas pénétré et transformé les Rwandais. D’où la nécessité pour l’Église, processus de constitution de soi, de trouver la meilleure façon de transmettre la foi au Rwanda aujourd’hui. C’est à ce tournant que la philosophie lonerganienne de l’intériorité présentée dans les chapitres précédents, une philosophie qu’expriment ces préceptes : « Sois attentif. Sois intelligent. Sois rationnel, Sois responsable. Sois en amour » devient intéressante. En suivant cette philosophie, il y a des retombées pastorales qui s’imposent. Pour l’intérêt de notre travail, j’identifie quelques pistes.
Les pistes pastorales
La manière habituelle de prêcher dans des assemblées dominicales et dans d’autres grandes assemblées ne suffit plus pour panser les blessures du peuple rwandais. Cette manière devrait être complétée par celle d’approfondissement qui consiste en l’approche des gens dans de petits groupes, afin que les auditeurs puissent témoigner de ce qu’ils croient et s’il le faut, demander des explications sur ce qu’ils ne comprennent pas. Ceci demande à l’Église enseignante d’être humble afin d’approcher, dans la mesure du possible, celui à qui elle enseigne, dans la vie, à l’exemple de Jésus Christ.
Dans ce processus de constitution de soi auquel doit s’identifier l’Église, il est urgent au Rwanda que celle-ci porte une attention particulière aux catégories des chrétiens qui, en matière de la foi, semblent pour le moment, oubliées. C’est le cas spécialement des militaires, des dirigeants, des intellectuels et des ouvriers.
Dans la recherche des nouvelles façons d’exprimer le dépôt de la foi, il faut repenser à la pastorale familiale, car toute éducation dépend de l’éducation de base dispensée en famille. C’est à ce niveau-là qu’il faut inculquer de bonnes habitudes aux enfants, notamment le respect et l’estime des autres.
b. Les rites du culte public
Par rite du culte public, nous entendons dire la liturgie et les sacrements. En effet, la foi se nourrit de la liturgie et des sacrements. Dans un processus structuré où l’Église se constitue, il importe que les fidèles soient bien préparés à la célébration et à la réception des sacrements. Nous avons mentionné que le Rwanda a connu, pendant le premier siècle d’évangélisation, un christianisme plutôt sociologique. La tragédie rwandaise qui a produit tant de blessures de la mémoire montre qu’une telle forme de christianisme ne fait que miner lentement la vraie foi.
Ainsi, dans la préparation aux sacrements, l’Église doit viser à faire triompher la vérité de façon que l’esprit de clientélisme cause du mensonge et d’hypocrisie disparaisse et que plutôt s’installe l’esprit de fraternité dans lequel les chrétiens découvrent progressivement dans leur prochain, un frère à aimer, à respecter et avec qui ils doivent vivre en paix. Les fidèles qui reçoivent les sacrements doivent se disposer à en recueillir non seulement les bienfaits, mais aussi le message et les exigences, car chaque sacrement est une invite spéciale à correspondre à la grâce de Dieu.
Pour que la société rwandaise puisse renaitre de ses cendres, nous croyons qu’une Église à l’image des premières communautés chrétiennes peut apporter une contribution incontestable. L’Église doit donc investir dans les communautés ecclésiales de base. L’intérêt que suscite la communauté ecclésiale de base dans le renouvellement de la vie chrétienne exige que tout soit fait pour qu’elle soit réellement un lieu de partage et de communion fraternelle.
c. Les structures de gouvernement
Dans un processus de constitution de soi, l’Église au Rwanda doit lucidement se poser cette question : est-ce que les structures du gouvernement de l’Église favorisent-elles l’avènement du Royaume, ou lui font-elles obstacle ? Est-ce que ces structures donnent-elles la place aux dons charismatiques authentiques de leurs membres, ou bien elles les étouffent ?
Au deuxième chapitre nous l’avons souligné que l’on constate beaucoup d’ambiguïtés et d’inconsistances dans l’exercice de l’autorité de l’Église.
Un survol rapide de l’histoire du premier siècle d’évangélisation au Rwanda montre que sur le plan apostolique, l’Église a souvent fait du surplace. Ses cadres, au lieu d’être à l’écoute de l’Esprit qui parle dans les événements et les aspirations des gens, ils ont souvent agi comme s’ils étaient les seuls à avoir l’autorité et le pouvoir de décider ce qu’est la volonté de Dieu sur l’Église. Certes, le concile Vatican II est sans confusion quand il déclare que l’authenticité et le bon usage des structures charismatiques relèvent de l’autorité ecclésiastique « à qui il appartient spécialement de ne pas éteindre l’Esprit, mais de tout examiner et de retenir ce qui est bon » (Lumen Gentium, 12). Toutefois, quand cette autorité s’enferme dans un ghetto de « nous avons toutes les réponses », cette attitude discrédite la même autorité et nuit à la mission même de l’Église. C’est un esprit que Lonergan qualifierait de classiciste. Cet esprit, dans les propos de Lonergan, se croit parfaitement autorisé à imposer sa culture à d’autres. Utilisé dans notre cadre, cet esprit fait que l’autorité ecclésiastique conçoive sa vision des choses comme normative et l’érige en norme absolue. Pourtant, si l’Église est définie comme une communication, c’est par ce qu’elle se constitue et se parfait dans la communication. Dans cette optique, l’autorité ecclésiastique doit veiller plutôt à chercher les voies et les moyens pour faire de cette Église un système ou une culture ouverte, conformément à la volonté et à la pratique de son fondateur et ainsi donc capable de véhiculer le message chrétien.
Pour traiter le rôle des structures institutionnelles et charismatiques, Karl Rahner a fait recours aux catégories sociologiques de cultures ou de systèmes ouverts et fermés.[201] Nous proposons cette grille de lecture à qui veut élaborer une théologie de l’Église qui soit solidaire avec les pauvres, promotrice de la foi et des valeurs religieuses et morales, éducatrice de ses membres à la responsabilité, pour construire une société guérie et réconciliée, juste et équitable, et promotrice de la dignité humaine.
Tableau 1 : Organisations ouvertes et fermées[202]
OUVERTES Hauts dirigeants | FERMÉES Hauts dirigeants |
Intégrateurs, interpellants, habilitants | Supposent qu’ils savent tout et qu’ils sont tout-puissants |
Favorisent la rétroaction pour répondre aux nouveaux besoins à la lumière de la mission du groupe | Contrôlent les processus de rétroaction pour préserver les structures d’autorité |
Encouragent l’intégration de la planification et de la mise en œuvre | Découragent l’interaction entre la planification et la mise en œuvre |
Les décisions en vue de l’action sont des hypothèses susceptibles d’être révisées par tous les groupes à la lumière de l’expérience | Les décisions pour l’action sont définitives, à moins que des changements soient apportés par des hauts dirigeants |
Favorisent un climat centré sur l’objectif / la mission, interpellant, informel | Favorisent une atmosphère qui est axée sur le statu quo ; formelle |
Gèrent en utilisant leur autorité pour soutenir et appuyer : favorisent l’expérimentation, l’apprentissage à partir des erreurs, tolèrent l’ambiguïté | Gèrent par la crainte, décourageant ainsi l’expérimentation et l’ambiguïté |
Encouragent la communication à tous les niveaux | La communication se fait à sens unique, vers le bas |
Autant nous recommandons cette grille pour examiner le rôle des structures institutionnelles et charismatiques au Rwanda, il est aussi important de veiller à ce l’opinion ne vienne pas se substituer à la foi. Car, le danger est réel que l’Église, sous prétexte d’un renouveau, se trouve cantonnée dans le domaine de l’empirique avec le risque que l’idéal qu’elle représentait se dissous comme un rêve. Ici encore le conseil de Lonergan devient capital : il faut avoir un pied solidement ancré dans la foi et l’autre dans les résultats d’une attention au vécu des gens. Armé de ce savoir, on sera en mesure de critiquer ce qui arrive. Ce faisant, l’Église continuera à se constitue dans un processus structuré.
d. Les lois et les coutumes
Quand Jean XXIII appela le concile, un de ses grands souhaits était que l’Église puisse jeter un pont entre la foi et la vie quotidienne. Pour que ce souhait soit traduit en réalité, les pères conciliaires ont reconnu que l’Église devait être un organisme ouvert, toujours à l’écoute des espoirs et des angoisses du monde. Car, disaient-ils, si en tant qu’Église nous n’essayons pas sincèrement de comprendre le monde où nous vivons, comment pourrions-nous offrir aux gens la Bonne Nouvelle d’une façon qui réponde à leur quête de sens ?
Cet appel est beaucoup plus pressant pour l’Église au Rwanda. Pour faire face au défi de la mémoire blessée, il faut que l’Évangile puisse pénétrer la culture dans laquelle s’est développée cette mémoire, qu’il en montre les valeurs qu’il peut assumer et les points négatifs qui lui sont incompatibles. C’est ainsi que l’homme rwandais pourra apprécier son originalité comme message de salut. Ce processus exige que l’homme approfondisse sa foi chrétienne, mais aussi sa propre culture. Pour cela l’éducation est la clef pour que le peuple rwandais puisse vivre une vraie guérison de mémoire.
L’Église au Rwanda devra donc être une école où les Rwandais peuvent apprendre la bonne culture humaine dans ses différents aspects : sociabilité, intégrité, franchise, convivialité, entraide, solidarité, honnêteté, discrétion et fidélité. L’Église étant une école d’humanité devra inculquer au peuple rwandais la persévérance, la tolérance, l’esprit critique, le sens de responsabilité et de justice, la maitrise de soi, l’estime de la connaissance humaine et la non-violence active.
Par-dessus tout, l’Église pour être elle-même doit être un espace où les Rwandais apprennent à connaitre Dieu tel qu’il s’est révélé aux humains. Un espace où tous les moyens qui aident à susciter la foi, l’espérance et la charité sont mis en œuvre.
III. 2.2. L’Église comme processus d’ouverture à l’extérieur
Affirmer que le processus par lequel l’Église se constitue est un processus d’ouverture à l’extérieur, c’est-à-dire au monde, c’est implicitement reconnaitre le lien entre le don de l’amour de Dieu qui s’y communique intérieurement et la communication du message du Christ qu’elle offre extérieurement. Car cette Église est formée de pécheurs qui appellent la rédemption de leurs gémissements, étroitement impliquée dans l’histoire humaine. Celle-ci donc, pour accomplir sa tâche « d’annoncer et d’instaurer en toutes les nations le Royaume du Christ et de Dieu » (Lumen Gentium, 48), doit constamment évaluer ses structures institutionnelles et charismatiques. Elle doit se soumettre à l’impératif de la conversion.
Au deuxième chapitre, nous avons vu que la conversion dans la perspective lonerganienne suppose une prise de conscience de son état ainsi que la découverte d’une nouvelle façon d’être. Ainsi, l’Église en général et au Rwanda en particulier, doit constamment remettre en question ses structures. Servent-elles le but pour lequel l’Église a été créée, ou lui font-elles obstacle ?
La lecture rétrospective des rapports entre l’Église et l’État dans l’histoire politique récente du Rwanda montre que les avis sont partagés quant à la réponse à donner à cette importante question. Certains reprochent aux structures de l’Église d’être absentes dans sa prise de position ou d’être timides dans ses approches, laissant ainsi prévaloir les seules positions de l’État. Pour ces personnes, l’Église au Rwanda a fermé les yeux et est devenue complice devant les injustices et les dérives autoritaires de l’État. Ceci étant un facteur important de la mémoire blessée du peuple rwandais, les tenants de cette position tiennent l’Église pour coupable des blessures du passé de la mémoire des Rwandais.[203]
Une autre variante soutient que l’Église catholique n’a pas été inféodée à l’État. À travers ses structures, l’Église a plutôt parlé, mais n’a pas été écoutée. Elle exprimait son indignation face aux problèmes du moment et aux abus résultant de l’exercice du pouvoir par l’État.[204] Toutes ces positions n’ont pas eu les mêmes caractéristiques dans le temps et dans l’espace. Un survol de l’histoire récente des rapports de l’Église et de l’État au Rwanda montre que ces variantes se sont présentées différemment selon les époques et les acteurs animateurs.
Cependant, sans toutefois vouloir être partisan d’un camp ou d’une autre, il reste vrai que si l’on veut une réforme de l’Église, il faut indispensablement commencer par admettre honnêtement qu’il y a eu et qu’il continue d’y avoir des carences dans l’Église. Malheureusement, chez plusieurs catholiques dévots, on y remarque un certain malaise quand il s’agit d’identifier et de reconnaitre les faiblesses à l’intérieur de l’Église. Il y a une tendance à les nier ou à les excuser surtout quand prévaut le sentiment que tout critique est un manque de loyauté.
Nous argumentons qu’un amour vrai pour l’Église ne peut pas permettre un tel sentimentalisme. Ça vaut la peine de s’arrêter et de considérer les défauts qui ont fait obstacle à l’œuvre d’évangélisation. C’est dans cette ligne d’idées qu’un regard sur l’histoire de l’Église nous permet de faire ce constat.
Au cours de l’histoire, on se rend compte que l’Église, des fois, s’est laissé séduire par les certitudes du statu quo simplement par ce que les êtres humains qui en sont membres ont une peur congénitale de l’inconnu que comporte le changement. L’Église au Rwanda n’a pas fait d’exception. Pourtant, comme le dit Karl Rahner, le Seigneur se fait plus directement présent et actif chaque fois que l’Évangile entre en interaction avec les problèmes aujourd’hui les plus importants, c’est-à-dire chaque fois que l’Église par ses membres prophétiques est à la fine pointe du dialogue entre l’Évangile et les cultures contemporaines.[205] Ceci réjouit le cri de Paul VI qui appelle l’Église à se préoccuper sans cesse de sa tâche principale qui consiste à prendre les risques nécessaires pour évangéliser les cultures jusque dans leurs racines (Evangilii Nuntiandi, 20).
Les données recueillies aux deux premiers chapitres nous donnent d’avancer que pour concrétiser cet appel, il faut l’abandon de la vieille conception de l’Église fondée sur les humanités classiques au profit d’une conception ouverte à la dimension historique. Cette vieille conception voit l’Église traverser les siècles pratiquement indemne, l’histoire ne l’affecte pas. Mais une conception d’une Église ouverte à la dimension historique « reconnaît combien les institutions, les préceptes de gouvernement et les idées fondamentales en matière de religion et de morale sont façonnés par l’histoire et à quel point, par conséquent, ils sont relatifs. »[206]
On le disait au deuxième chapitre que l’identité de l’Église comme sujet historique se trouve entre la mémoire et l’attente de Jésus Christ. En conséquence sa réforme doit aussi être un processus ou un cheminement à travers le mystère pascal pour la mission, qui exige que les membres de l’Église à tous niveaux s’avancent à certains moments dans l’ambiguïté et les ténèbres de la foi. Mais il est impossible d’entreprendre cette route ou de la poursuivre si l’on ne maintient pas le contact constant avec le Seigneur, présent dans nos cœurs et au milieu de son Église. Voilà pourquoi l’Église est appelée à être aussi un processus de rédemption.
III. 2.3. L’Église comme processus de rédemption
Paul VI est on ne peut plus clair quand il écrit,
Évangéliser, pour l’Église, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même : « Voici que je fais l’univers nouveau ! ». Mais il n’y a pas d’humanité nouvelle s’il n’y a pas d’abord d’hommes nouveaux, de la nouveauté du baptême et de la vie selon l’Évangile. Le but de l’évangélisation est donc bien ce changement intérieur et, s’il fallait le traduire d’un mot, le plus juste serait de dire que l’Église évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu’elle proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs. (Evangilii Nuntiandi, 18)
Lonergan dans ses mots l’exprime ainsi : « le message chrétien, incarné dans le Christ flagellé et crucifié, mort et ressuscité, ne nous parle pas seulement de l’amour de Dieu, mais aussi du péché de l’homme. »[207] N’est-ce pas, en effet, que le propre du péché consiste à aliéner l’homme de son être authentique, qui consiste à se dépasser, et que cette aliénation se justifie au moyen de l’idéologie ? Le chemin pour sortir de l’impasse de l’aliénation passe inévitablement à travers la conversion aussi bien de la conscience personnelle que collective des gens aliénés. Ainsi l’Église ne pourra pas communiquer adéquatement ce message chrétien si elle ne s’engage pas dans un processus de rédemption de cet homme aliéné.
En comparaison de l’aspect « ouverture » du processus de constitution de soi de l’Église, l’aspect « rédemptrice » de ce processus peut être pensé comme une guérison.[208] Quand Lonergan parle du processus de guérison et celui de la créativité, il argumente qu’ils sont interdépendants. « De même qu’un processus créateur, si la guérison ne l’accompagne pas, est faussé et corrompu par les déviations, de même le processus de guérison, si la créativité ne l’accompagne pas, n’est qu’une âme sans corps. »[209]
Pour la guérison du peuple rwandais, le concert de ces deux processus est plus que nécessaire. En effet, une des conséquences néfastes de la tragédie rwandaise c’est qu’il est difficile pour un rwandais d’aujourd’hui d’entrer en soi même, de comprendre et d’accepter ce qui est arrivé, mais surtout de comprendre les vraies causes d’une telle hécatombe.
L’aliénation et l’idéologie sont à la base de cette déchirure du tissu social du peuple rwandais. Pour une véritable guérison, l’Église devra être créatrice et trouver comment communiquer cet amour chrétien qui réconcilie l’homme aliéné avec son être véritable et répare le tort causé par l’aliénation et aggravé par l’idéologie.
Le processus de rédemption par lequel l’Église se constitue ne peut se comprendre qu’en connexion avec la mort rédemptrice du Christ. Nous en avons parlé au premier chapitre. En plus de placer ce processus de rédemption dans la mort rédemptrice du Christ, pour mieux comprendre ce processus, il convient de regarder les différentes fonctions du message chrétien.
Ce message, écrit Lonergan, annonce ce que les chrétiens doivent croire, ce qu’ils doivent devenir et ce qu’ils doivent faire. Ce message a donc une signification cognitive en tant qu’il nous dit ce que l’on doit croire. Ayant cru, ce message traduit le don intérieur et caché de l’amour en une fraternité chrétienne manifeste. Il a donc une signification constitutive. Et comme l’on dit souvent que l’agir manifeste l’être, ce message a une signification efficiente, car il oriente le service que le chrétien doit rendre à la société humaine en vue de faire advenir le Royaume de Dieu. Le message chrétien a aussi une signification communicative. Il n’est pas donné pour être gardé chez soi, mais pour être partagé avec les autres[210].
a. La vie sociale et l’urgence de la rédemption
Au Rwanda, les trois significations que véhicule le message chrétien ont été profondément éprouvées. En effet, les conséquences de la guerre, du génocide et des massacres n’ont pas seulement marqué négativement les relations sociales, mais les ont profondément bouleversées et même détruit. Les liens fraternels se sont effondrés. La tragédie a tellement ruiné la vie sociale que l’on ne peut plus vivre avec son voisin en faisant fi de ce qui s’est passé. Qui n’y prête pas attention ressemble à qui s’assoit sur un volcan encore en activité, le croyant, à ses apparences extérieures calme ou éteint.
Le rwandais en général a perdu confiance en lui-même, dans les autres et parfois même en Dieu. Le trajet à parcourir pour une renaissance de la vie sociale est encore long et pénible. Il faut carrément réapprendre à vivre après avoir perdu momentanément le contact avec la réalité de la vie. Pour un rwandais, de fait, il n’y a pas à vivre seul. Or maintenant, tout son milieu n’est que ruine : les ruines du cœur, de la famille, du voisinage, de la culture. Visiblement, le rwandais a perdu ce qui pouvait être pour lui la source de bonheur. Dans cet état de choses, Lonergan donne une recommandation pertinente. « On a alors besoin d’individus, de groupes et (…) d’organisations qui s’emploient à convaincre les gens de se convertir intellectuellement, moralement et religieusement, et qui travaillent à réparer le tort causé par l’aliénation et l’idéologie. »[211] L’Église chrétienne qui s’identifie au processus de rédemption doit être du nombre. Consacrons la section suivante aux aspects qui nous semblent les plus urgents à considérer dans ce processus.
b. Les recommandations pratiques
Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas.[212]
Ces paroles du pape François traduisent mieux les attentes du peuple rwandais sous le poids des blessures de la mémoire. Mais que faire pour que ce souhait puisse se traduire en réalité ?
Certainement, il faut regarder et imiter Jésus Christ qui a détruit le mur de la haine et a établi des relations de respects aux personnes même que la communauté mettait en marge. Imiter ce regard qui redonne vie pour des Rwandais, consiste à mettre fin à la méfiance envers les autres, engendrée surtout par la tragédie qui a endeuillé le Rwanda, en essayant de découvrir chacun sa part de responsabilité. Ceci va de pair avec une reconnaissance que tout rwandais a été victime des conséquences de l’ethnocentrisme, même si tous ne l’ont pas été au même degré. Une bonne cohabitation exige de la part et d’autre la vérité, le respect, la justice et la reconnaissance des erreurs, et chaque fois que c’est nécessaire, des demandes de pardon et des réparations en vue d’une réelle réconciliation.
Au deuxième chapitre on argumentait qu’arriver à avoir une signification commune de l’histoire du Rwanda est un chemin obligé pour que le peuple rwandais puisse passer de la blessure à la guérison de la mémoire. Ainsi cette Église-hôpital de campagne, devrait offrir un espace où les Rwandais peuvent mener des échanges fréquents et transparents sur le problème ethnique sans en faire un tabou. Et dans cet espace, il faudra que les Rwandais aient le courage de parler franchement de tout ce qui s’est passé dans leur pays, car, pour avoir une signification commune de l’histoire, il faut aussi en connaitre les acteurs.
Par ailleurs, l’évangile que le Christ a mandaté l’Église d’annoncer nous enseigne la vérité, l’amour, la paix, la liberté et la justice. Ces valeurs évangéliques doivent être le fondement et le pansement du tissu social déchiré par le mensonge et la haine. C’est l’évangile qui nous mènera à la liberté, à l’unité et à la réconciliation (Jn 18,38). Cet évangile doit être annoncé avec ferveur au peuple rwandais.
En examinant le bien humain, Lonergan termine par un schéma du progrès et du déclin social, schéma qu’il utilise d’ailleurs quand il présente le rôle social de la religion[213]. Dans cette présentation, Lonergan montre bien que les individus comme les sociétés ne font pas que se développer, ils connaissent également les désintégrations. Ainsi il fait une présentation sur le progrès qui résulte de l’observance soutenue des préceptes transcendantaux (sois attentif, sois intelligent, sois rationnel, sois responsable). Quand on viole ces préceptes, on tombe dans le déclin. L’inattention, l’inintelligence, l’irrationalité et l’irresponsabilité produisent des situations absurdes ; les idéologies corrompent les esprits ; les compromis jettent le discrédit et l’aliénation et l’idéologie fondamentale corrompe le bien social.
Au terme de cet exposé, il affirme que l’aliénation et l’idéologie corrompent le bien social. Dans la même ligne d’idées, nous argumentons que si le tissu social rwandais est déchiré, c’est en grande partie à cause de l’aliénation et de l’idéologie que les hommes politiques savent inoculer et alimenter. Le programme gouvernemental très critiquable, Ndi Umunyarwanda (Je suis Rwandais), est un éloquent exemple de cette manipulation idéologique[214]. Cependant, la leçon que les Rwandais tirent de leur histoire est que l’ethnocentrisme ressemble à cette « nature que l’on chasse et qui revient au galop ». Qui pense en être immunisé en est parfois plus esclave, en fuyant le problème. La diversité des ethnies n’est pas un mal, mais au contraire, une richesse. C’est à l’ethnocentrisme qu’il faut un remède et non aux ethnies. Nul ne devrait voir une menace dans son prochain par ce qu’il est d’une autre ethnie, car tous les hommes ont été créés par Dieu pour vivre ensemble et non pour s’entretuer.
Minimiser la gravité des méfaits de l’ethnocentrisme, de la guerre, du génocide et des massacres ce n’est pas seulement les nier, mais aussi ne pas reconnaitre leurs mauvaises conséquences dans les relations interethniques, ne pas prendre des résolutions fermes et les stratégies appropriées, afin de déraciner le mal. Reconnaitre les causes de cette triste réalité exige du courage, de l’humilité, mais aussi de la maturité de la foi et de l’engagement pour le changement.
Cette voie nous semble la plus salutaire pour le peuple rwandais. Mais beaucoup de gens la craignent et préfèrent emprunter la voie facile et dangereuse de la guerre et de la mort. Dans l’événement du Christ, on le voit bien que la voie de la vie comporte toujours la croix. Celui qui n’est pas humble n’accepte pas cette vérité. Il veut tout pour lui-même, mais finit par se perdre. Cette situation est un vrai kairos pour une Église qui cherche à se définir et à redéfinir sa place dans la société. C’est sur ces frontières que l’Église devient réellement un processus de rédemption.
Conclusion
Les deux premiers chapitres nous ont laissé avec un constat : le peuple rwandais rêve d’une Église qui soit comme un hôpital où peuvent être pansées leurs blessures. Tout le long de ce chapitre, à la suite de Lonergan, nous avons pensé cette Église comme un processus de constitution de soi. Après avoir dévoilé des écueils d’une définition de l’Église qui émane du classicisme, nous avons procédé à une présentation d’une Église qui s’identifie à un processus de constitution de soi. Dans cette constitution de soi, nous avons montré que le monde intervient comme un facteur actif dans l’avènement de la Parole qui fonde l’Église. La définition de l’Église comme une communauté qui se constitue extérieurement par la communication du message du Christ, et intérieurement par le don de l’amour de Dieu, nous a amené à conclure que la Parole de Dieu désigne l’Église au monde non pas simplement pour lui adresser un message, mais surtout et avant tout pour se mettre à l’écoute du monde et de ses questions, et, alors seulement, pour y répondre.
Nous avons rebondi à l’appel du Concile à refonder l’Église. Cette refondation exige de l’Église l’élaboration des modèles pastoraux novateurs pour appliquer l’Évangile aux problèmes d’aujourd’hui. Ces modèles devraient aider le peuple rwandais à se mettre ensemble pour inventorier tranquillement les points qui les divisent, ensuite chercher comment les dépasser sans animosité, en évitant tout ce qui pourrait réveiller la rancune et l’esprit de vengeance. L’action rédemptrice de l’Église dans la société rwandaise est inséparable à celle constructrice, car, on ne peut réduire le mal sans promouvoir le bien.
Conclusion générale
Pour conclure notre travail, revenons à notre question de départ : quelle Église pour un peuple à la mémoire blessée ? Comment peut-elle se définir pour qu’elle soit réellement incarnée ?
Quels sont les outils dont elle a besoin pour être cet instrument pour la rédemption du monde, ce monde sorti « très bon » des mains du Créateur, mais qui a été vicié par le péché de l’homme ?
Cette problématique a été le fil conducteur de notre travail. Nous l’avons développé en trois chapitres.
Au premier chapitre, nous avons examiné le thème de la mémoire comme un lieu théologique. Nous sommes partis du constat de l’éloge inconditionnel de la mémoire dont témoigne notre époque. Ceci est problématique surtout que la charge émotive de tout ce qui a trait au passé totalitaire est grande, et ceux qui l’éprouvent se méfient des efforts de clarification, des appels à une analyse précédant le jugement. Mais les enjeux de la mémoire sont trop grands pour être laissés à l’enthousiasme ou à la colère. C’est ici que nous avons affirmé notre conviction qu’une théologie de l’Église-peuple de Dieu ne pourra pas faire fi de ce phénomène de mémoire. La raison de cet accrochage est à chercher dans le principe même de l’incarnation : Dieu s’est fait homme pour libérer celui-ci du dedans de son humanité. L’Église aussi, corps social du Christ, doit s’insérer dans les structures temporelles.
Par une analyse du temps et sa signification, nous avons remarqué que sans un élément de mémoire, il serait impossible de concevoir un trait d’union entre l’avant et l’après. La mémoire est bien constitutive de l’identité du sujet et le groupe s’invente une identité comme groupe à travers la mémoire collective. Il est donc capital que soit maintenu vivant le souvenir. Toutefois, le bonheur et la douleur s’articulent dans la mise en tension de la mémoire individuelle et celle qui est collective. Comment alors revenir à des lieux chargés d’histoire et leur rendre tout à la fois la dimension innocente du souvenir personnel et la hantise de la mémoire collective ?
Cette question nous a amenés à étudier d’abord, la morphologie de la mémoire et nous avons démasqué les abus de celle-ci. Ensuite, nous avons examiné l’identité de l’Église au monde en tant qu’elle fait part de la mémoire et de l’attente de Jésus Christ. Enfin, avec la conscience historique de notre temps, nous avons montré comment la mémoire blessée est un défi pour l’Église de Jésus Christ dans le monde d’aujourd’hui et de demain.
En prenant le Rwanda pour un cas d’étude, nous avons montré que la recherche qui porte sur la mémoire historique de ce pays pose un énorme défi à qui veut l’entreprendre. En effet, dans son histoire récente, le concept de la mémoire renvoie aux mémoires douloureuses et traumatiques qui soulèvent la question de la reconnaissance, de la justice et du pardon pour une réconciliation progressive et durable. Tant les enjeux sont grands et les angoisses profondes que derrière différentes prises de position sur la mémoire se profilent et se cachent des choix idéologiques sur le type d’histoire, de société et de rapports de pouvoir à privilégier. Devant ces enjeux, l’incapacité de s’élever de « la mémoire ressassée » à « la mémoire-élan » est une réelle tentation. Ceci a suscité une série de questions : la mémoire et les polémiques à son propos n’hypothèquent-elles pas la nécessité d’affronter les dilemmes du présent ? Comment échapper à la tentation de se contenter d’une mémoire trop pleine de sens et d’un présent sans émergences significatives ? Voilà les défis auxquels une Église qui se reconnait réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire doit faire face. Possède-t-elle des outils nécessaires pour relever ces défis ? Comment va-t-elle se positionner ?
C’est ce questionnement qui nous a guidés tout le long de notre deuxième chapitre. Nous nous sommes tournés vers la pensée de Bernard Lonergan pour trouver ces outils.
La théologie, de par sa nature, ne cesse de s’appuyer sur des langages et des concepts, ceux de chaque époque, mais toujours pour les rectifier et les amender afin de répondre à ce dont il s’agit. Notre intérêt pour Lonergan a été motivé par son épistémologie qui nous aide à discerner et à distinguer le vrai du faux dans ces concepts. Aussi la méthode théologique qu’il propose introduit une dimension historique dans la théologie catholique. C’est une méthode qui concerne les opérations du sujet qui mettent en jeu son horizon, son authenticité et ses conversions.
Le choix de Lonergan justifié, nous avons procédé dans la deuxième section du chapitre à l’application concrète de son épistémologie. Notre cas d’étude était l’identité de l’Église catholique qui a été mise à l’épreuve par l’histoire politique récente du Rwanda. La tragédie rwandaise a fait que le Rwandais n’a plus confiance ni en l’autre ni en lui-même. Il y a même ceux qui n’ont plus confiance en Dieu. C’est comme si le rwandais devrait s’exercer à revivre puisqu’il vit des ruines du cœur, des ruines des familles, des ruines du voisinage, des ruines de la culture. Bref, tous les lieux de bonheur ont été détruits, il ne sait réellement pas où se situer. En plus de cette perte d’estime, nous avons vu qu’il y a bien d’obstacles à la clarification de la vérité historique et à l’exercice de la justice. Ce peuple désire se mettre debout comme l’homme de la piscine de Bethesda (Jn 5, 8). Il désire avoir confiance en lui-même, en sa dignité de peuple aimé par son Dieu. C’est donc la rencontre avec Jésus qui guérit que l’Église doit offrir aux cœurs meurtris et blessés, en mal de réconciliation et de paix, assoiffés de justice. Cependant, cette même Église se trouve au bannc des accusés. Comment pourrait-elle être porteuse du Christ « lumière du monde » ?
La troisième section de ce chapitre se voulait une réponse à cette question. Dans cette section nous avons analysé la notion de la conversion et son indispensabilité dans le processus de guérison du peuple rwandais. L’Église, elle aussi, doit se soumettre à ce processus.
Nous avons consacré le troisième chapitre à l’exploration de l’Église comme processus.
Dans son discours à la cérémonie d’ouverture du Concile Vatican II, le pape Jean XXIII condamnait la conception d’Église-forteresse, isolée du monde qui l’entoure. Cette conception est totalement inadéquate pour une Église qui se voue à la tâche de prêcher l’Évangile au monde.
En parfait accord avec ce pape, au troisième chapitre, nous argumentions que l’Église ne doit pas rester à l’extérieur de l’histoire ou résister aveuglément au changement. Pour être elle-même, elle doit plutôt être à l’écoute de l’Esprit dans les cœurs des personnes et dans les événements de l’histoire. Conscient que ce monde est en perpétuelles mutations, nous avons argumenté avec Lonergan que le modèle qui convient le mieux à l’Église dans ce contexte est celui de « processus ».
Nous avons développé ce chapitre en deux temps. En premier temps, nous avons évalué la définition de l’Église qui émane de la conception classiciste qui tenait la culture comme universelle, normative et permanente. Dans cette définition, nous avons identifié et dévoilé les écueils. Celle-ci en effet présente une Église idéalisée qui, malheureusement, échoue à s’incarner et perd donc sa crédibilité. L’Église n’est pas la communauté de ceux qui « n’ont pas besoin de médecin ». Elle est plutôt celle des pécheurs appelés à la conversion, vivant de la grâce du pardon et la transmettant à leur tour. Son avenir, comme l’affirmait prophétiquement Karl Rahner, ne peut être planifié en appliquant des principes généralement admis : il faut le courage de l’imagination créatrice.
Dans cette logique, dans la deuxième partie de notre chapitre, nous avons traité en détail le modèle d’Église comme processus de constitution de soi. Nous nous sommes appuyés sur la définition de l’Église comme une communauté qui se constitue extérieurement par la communication du message du Christ, et intérieurement par le don de l’amour de Dieu. Avec cette définition, l’on comprend bien que la Parole de Dieu désigne l’Église au monde non pas simplement pour lui adresser un message, mais surtout et avant tout pour se mettre à l’écoute du monde et de ses questions, et, alors seulement, pour y répondre. L’Évangile doit entrer dans une interaction dynamique avec les problèmes du monde, sans pour autant compromettre ou détruire le sens de la continuité avec le passé où plongent les racines de l’identité de l’Église.
C’est donc un processus qui est structuré. Ce processus permet à l’Église de vivre les yeux ouverts, constamment tournée vers Dieu, capable de lire de façon réaliste les événements et d’être attentive à ce qui l’entoure. Pour un peuple meurtri comme le peuple rwandais, le processus avec lequel s’identifie l’Église est aussi processus de rédemption qui l’engage dans une action rédemptrice et constructrice. C’est en s’identifiant à ce processus que ce souhait du pape François, cité ci-haut, pourra se traduire en réalité. Il disait :
Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas.
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1 Nora, Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, (Bibliothèque illustrée des histoires), t. 3, Paris : Gallimard, 1986, p.977.
2 Cfr. Linguyeneza, Venuste, Vérité, Justice, Charité, Belgique : Waterloo, 2001, p. 4.
3 Ricœur, Paul., La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Éditions du Seuil, 2000, p. 83.
4 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, trad. Louis Roy, Montréal : Fides, 1978, p. 9.
5 En font preuve les travaux de RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Seuil, 2000 ; Todorov, Tzvetan, Mémoire du Mal, Tentation du Bien : Enquête sur le siècle, Paris : Robert Laffont, 2000 ; Ferry, Jean Marc, Les puissances de l’expérience : essai sur l’identité contemporaine, Paris : Cerf, 1991 ; Beauchemin, Jacques, La société des identités, Montréal, Athena, 2004 ; Meunier, E-Martin et Theriault, Yvon-Joseph, Les impasses de la mémoire. Histoire, Filiation, nation et religion, Montréal : Fides, 2007.
6 Cf. Metz, Johann Baptist, Memoria passionis : Un souvenir provocant dans une société pluraliste, (Cogitatio Fidei, 269), Paris : Cerf, 2009.
7 Cavanaugh, W.T., Torture and Eucharist: Theology, Politics and the Body of Christ, Hoboken (NJ): Wiley Blackwell, 1998.
8 Lambert, Pierrot, Bernard Lonergan – Introduction à sa vie et à son œuvre, Montréal : Guérin, 2008, p. 4.
9 Lonergan, Bernard, L’Insight. Etude de la compréhension humaine, Montréal, Bellarmin, 1996.
10 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, pp. 404-411.
11 Lonergan, Bernard, Les voies d’une théologie méthodique. Écrits théologiques choisis, Tournai, Desclée & Cie/Montréal, Bellarmin, 1982.
12 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 404.
13 C’est le cas de Butler, B. C., « Lonergan and Ecclesiology », dans Mcshane, P., ed. Foundations of Theology, Doublin: Gill and MacMillan, 1970, 1-21; Komanchak, Joseph A. "Ecclesiology and Social Theory: A Methodological Essay." The Thomist 45 (1981) 262-83; Esselman, Thomas. The Principle of Functionality in Ecclesiology. Dissertation for the degree of Ph.D. in Theology, University of St. Michael's College, Toronto, 1990. Ch. 2 (pp. 76-146). DADOSKY, John D. ‘Who/What is/are the Church (es)?’ The Heythrop Journal 52 (2011) 785-801. L’auteur de cet article explore la théologie de l’Église telle que présentée par Joseph Komonchak et Hans Urs Von Balthasar. Glanant l’insight de leurs différentes perspectives, Dadosky utilise quelques éléments de la philosophie de Lonergan pour clarifier ces insights. Il donne aussi quelques propositions pour l’avenir de la théologie de l’Église.
14 Ormerod, Neil. « The Structure of a Systematic Ecclesiology. » Theological Studies 63 (March 2002) 3-30; Komanchak, Joseph A. Foundations in Ecclesiology. (Supplementary Issue of the Lonergan Workshop Journal. Vol. 11, ed. Fred Lawrence) Boston College, 1995; Dadosky, John, “Ecclesia de Trinitate : Ecclesial Foundations from Above. ” New Blackfriars vol. 94 Issue 1049 (2013) 64-78. Dadosky, en utilisant la méthode de Lonergan et ses présupposés épistémologiques, il parle de l’Église en prenant compte d’où elle vient.
15 Parmi les tenants de cette perspective on pourrait citer : DADOSKY, John, « The Transformation of Suffering in Paul of the Cross, Lonergan and Buddhism. » New Blackfriars vol. 96 Issue 1065 (2015) 542-563. Cet article explore quelques aspects de la pensée de Lonergan sur la loi de la croix et sur son travail sur la Trinité en vue de donner une base théologique ; DADOSKY, John, « The Church and the Other: Mediation and Friendship in Post-Vatican II Roman Catholic Ecclesiology. » Pacifica 18 (2005) 302-22.
SCHEPERS, Maury, « The Church Becoming Herself: Synonym for Communications. » Lonergan Workshop 26 (2012) 361-397; SCHEPERS, Maury, « Dialogue and Conversion. » Horizons 25 (1998) 72-83; LAWRENCE, Fred (ed.), Communicating a Dangerous Memory: Soundings in Political Theology (Supplementary Issue of Lonergan Workshop 6). Atlanta: Scholars Press, 1987; HARTZLER, Joseph A. We Beg to Differ: The Roman Catholic Church in the United States as a Public Church (Bernard Lonergan). Thesis for the Degree of PhD, University of St. Michael's College (Canada) 2000. Le quatrième et le dernier chapitre montre comment Bernard Lonergan peut être une ressource pour l’Église dans la place publique. MARTINI, Carlo Maria. « Bernard Lonergan at the Service of the Church. » Theological Studies 66:3 (2005) 517-26; COELHO, Ivo. ‘Francis Xavier, Lonergan, and the Problem of Missions Today.’ In Lonergan Workshop, vol. 19 (2006) 61-82; DADOSKY, John D. « “Centering the Church” : A Development in Ecclesiology Based On Balthasar and Lonergan. » In Lonergan Workshop, vol. 20: The ‘Not Numerous Center’: For Insight’s 50th Anniversary and Method in Theology’s 35th Anniversary. Ed. Fred Lawrence. Boston, MA: Boston College, 2008, 93-103. KOMONCHAK, Joseph A., ‘Lonergan and Post-Conciliar Ecclesiology.’ In Lonergan Workshop, vol. 20: The ‘Not Numerous Center’: For Insight’s 50th Anniversary and Method in Theology’s 35th Anniversary. Ed. Fred Lawrence. Boston, MA: Boston College, 2008, 165-83. BRODERICK, Robert J. Ecclesiology in a Secular Age: Ecclesiological Implications of the Work of Charles Taylor and Bernard Lonergan. Thesis for the degree of Master of Arts (M.A.), University of Dayton, Ohio, Theology, 2011.
16 Lonergan, B., Pour une méthode en théologie, p. 208.
17 Gensburger, Sarah ; Lavabre, Marie-Claire, « Entre » devoir de mémoire » et » abus de mémoire » : la sociologie de la mémoire comme tierce position » in Müller, Bertrand, Histoire, mémoire et épistémologie. À propos de Paul Ricœur, Lausanne, Payot, 2005, pp. 76-95.
18 Ricoeur, P., « La mémoire saisie par l’histoire », Revista de Letras Vol. 46, No. 1, Edição Especial (Janeiro/Junho 2006), pp. 245-258.
19 Lonergan, B., Pour une méthode en théologie, p. 207.
20 Lonergan, B, Les voies d’une Théologie Méthodique, p. 222.
21 Lonergan, B, Les voies d’une théologie méthodique, p. 213.
22 Je me réfère ici à la théorie aristotélicienne du temps telle qu’elle est exposée dans le livre IV de la Physique. Dans cette théorie, Aristote, comme il en a l’habitude, aborde la question du temps d’une manière dialectique. Il se demande si le temps existe ou non, s’il fait partie des êtres et, de façon corolaire, il se pose la question de la définition réelle et non nominale du temps. Le caractère fuyant du temps rend sa phénoménologie difficile. Le temps est constitué du passé, du présent et du futur. Il est constitué avec ce qui n’est plus et avec ce qui n’est pas encore. Quant à l’analyse augustinienne du temps, je me réfère surtout au livre XI des Confessions. Il convient de souligner qu’Augustin aussi procède dans son analyse par une dialectique. Dans sa recherche, il est au voisinage des sceptiques qui ne savent pas et des platoniciens et néo-platoniciens qui savent. Il cherche. Outre ces deux sources principales, l’autre interlocuteur plus ou moins caché sur ce sujet est Ricœur, Paul, Temps et récit, III, Paris : Seuil, 1985, pp. 19-36.
23 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 202.
24 Aristote, Physique, V, II, 219 b.
25 Cfr. Proust, Françoise, L’histoire à contretemps : Le temps historique chez Walter Benjamin, Paris, Cerf, 1994, p. 71.
26 Ricœur, Paul, Temps et récit, III, p. 34.
27 Saint Augustin, Confessions, XI, 20.
28 Ricœur, Paul, Temps et récit, III, p. 35.
29 Ricœur, Paul, Temps et récit, III, pp. 35-36.
30 Le thème de la signification est un thème central dans la pensée de Lonergan. Il a un rôle constitutif du courant de conscience qui rend possible une certaine maîtrise de l’individu sur son action. Pour lui, la réalité humaine, le tissu même de l’existence humaine, n’est pas seulement signifiée, mais dans une large mesure constituée au moyen d’actes de signification. Cfr. Lambert, Pierrot, Bernard Lonergan — Introduction à sa vie et à son œuvre, p. 148.
31 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 203.
32 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p.203.
33 Cfr. Todorov, Tzvetan, Les abus de la mémoire, col. « Arléa-Poche, 44 », Paris, Seuil, 2015, pp. 13-14.
34 RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Seuil, 2000, pp. 1-163.
35 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 208.
36 Si la mémoire est essentiellement sélective, il est alors déroutant de voir appeler « mémoire » la capacité qu’ont les ordinateurs de conserver l’information. Il manque à cette conservation le trait constitutif de la mémoire, à savoir la sélection.
37 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, 209.
38 Le terme eikon désignait pour les grecs ce que nous entendons par « image ». Celui de phantasma désignait quant à lui ce que nous entendons quand nous parlons de l’acte d’imaginer quelque chose, c’est-à-dire de la « représentation ».
39 Platon, Le Théétète, 151e – 187 b, Texte établi et traduit par Narcy Michel, Paris, Flammarion, coll ; « GF », 1995.
40 Platon, Le Théétète, 194a.
41 Krell, David Farrell, Of Memory, Reminiscence and Writing. On the Verge, Bloomington & Indianapolis, Indiana Universtiy Press, 1990.
42 Platon, Le Sophiste, 234.
43 Platon, Le Sophiste, 260e
44 RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 14.
45 Aristote, De la mémoire et de la réminiscence, 449 b 15. La traduction que nous utilisons est celle de René Mugnier. Aristote, Petits Traités d’histoire Naturelle, texte établi et traduit par René Mugnier, Paris, Les Belles Lettres, 1953.
46 Aristote, De la mémoire et de la réminiscence, 450a.
47 Aristote, De la mémoire et de la réminiscence, 450 b.
48 Aristote, De la mémoire et de la réminiscence, 451a.
49 Aristote, De la mémoire et de la réminiscence, 452 b.
50 Saint Augustin, Confessions, X, 16.
51 Saint Augustin, Soliloques, 1, 2,7.
52 Saint Augustin, Confessions, X, 8.
53 Saint Augustin, Confessions, X, 5.
54 Saint Augustin, Confessions, X, 13
55 Saint Augustin, Confessions, X, 26.
56 Augustin affirme que la recherche de Dieu se poursuit dans la mémoire, plus haut que la mémoire, par la médiation de la quête de la vie heureuse : « Je dépasserai même cette puissance en moi qui s’appelle la mémoire ; je la dépasserai pour tendre jusqu’à toi, douce lumière. » Voir Saint Augustin, Confessions, X, 17. Ce dépassement est teinté d’inquiétude quant à la menace de l’oubli. « Je dépasserai aussi la mémoire, pour te trouver où ?... Si c’est en dehors de ma mémoire que je te trouve, c’est que je suis sans mémoire de toi ; et comment dès lors te trouverai-je si je n’ai pas mémoire de toi ? » Voir Saint Augustin, Confessions, X, 17.
57 Saint Augustin, Confessions, XI, 27.
58 Saint Augustin, Confessions, XI, 21.
59 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 203.
60 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 68.
61 Les références de cet ouvrage sont données ci-haut.
62 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 26.
63 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 30.
64 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 44.
65 Pour plus de détails voir Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, pp. 131-151 et des notes de bas de pages.
66 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 161.
67 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 163.
68 Dans cette Constitution Lumen Gentium, on a, dans le Nouveau Testament, relevé jusqu’à quatre-vingts comparaisons pour parler de l’Église.
69 Dans les textes conciliaires, l’expression littérale Populus Dei, Peuple de Dieu se trouve soixante-douze fois dont trente-neuf dans Lumen Gentium.
70 Rigal, Jean, L’Église en quête d’avenir. Réflexions et propositions pour des temps nouveaux, Paris, Cerf, 2003, p. 33.
71 Saint Grégoire de Nysse a ces magnifiques paroles : « toute activité jaillit du Père, progresse par le Fils, et se parachève dans l’Esprit Saint. » Voir Gregoire de Nysse, Quod non sint tres dii, Patrologia greaca 45, 125. Saint Athanase, champion de la défense du Credo de Nicée, pose les bases de la doctrine trinitaires ainsi : « Le Père fait toute chose par le Verbe dans l’Esprit, que, dans l’Église, est annoncé un Dieu au-dessus de tous et par tous et en tous. Au-dessus de tous comme Père, principe et source, par tous par le Verbe, en tous dans l’Esprit. » Voir Saint Athanase, Lettre à Sérapion, 1 28-30 ; Patrologia greaca 26, 596.
72 Le sacrifice de Jésus comme facteur essentiel de la fondation de l’Église est un facteur largement abordé par les Pères de l’Église. Pour plus de détails, voir Saint Ambroise, Exposition de l’Évangile selon saint Luc 1,2 (Patrologia latina 15, 1584) et sur le psaume 36 (Patrologia latina, 14, 985) ; Saint Augustin, De la Genèse contre manichéens 2, 24 (PL 32, 599) et Sermon 5, 9 (Pl 38, 57) ; Saint Thomas Aquinas, Summa Theologiae, 1, 92, a.3 ; 3, 64, a.3 ; Sacrosanctum Concilium, 5 ; Lumen Gentium, 3 ; Hans Urs Von Balthazar, La gloire et la croix, Paris, Aubier, 1965, p. 483 ; Vidal, Maurice, L’Église, peuple de Dieu dans l’histoire des hommes, Paris, Le Centurion, 1975, pp. 54-55 ;
73 Rigal, Jean, Découvrir l’Église, Paris, Desclée de Brouwer, 2000, p. 78.
74 Rigal, Jean, Découvrir l’Église, p. 79.
75 Irénée de Lyon, Contre les hérésies, V.6, 1 et 28, 4.
76 Pour plus de détails sur ce statut « inachevé » de l’Église, voir Prusak, P. B., The Church Unfinished : Ecclesiology through the Centuries, New York : Paulist Press, 2004 ; Orobator, A. E., The Church we want : Foundations, Theology and Mission of the Church in Africa, Nairobi: Pauline Publications Africa, 2015.
77 Ce thème de l’Église comme mémorial, a été beaucoup dévéloppé par le Pape Jean Paul II dans sa Lettre encyclique sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Église. Voir Jean Paul II, Ecclesia de Eucharistia, Vatican, 2003. Lettre encyclique Ecclesia Eucharistia
78 Ratzinger, joseph, Église, œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, p. 16.
79 Rigal, Jean, L’Église en quête d’avenir, p. 100.
80 Balthasar, H.-U.-V, Church and the World, New York: Herder and Herder, 1967, p. 114.
81 Nous allons développer ce modèle dans le troisième chapitre de notre travail.
82 Metz, J.-B., La foi dans l’histoire et dans la société. Essai de théologie fondamentale pratique, trad. P. corset et J.L, Schlegel, (Cogitatio Fidei, 99), Paris, Cerf, 1999, p. 226.
83 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, pp. 82-111.
84 C’est en 1966 que Johann Baptist Metz utilisait l’expression « théologie politique » et souhaitait qu’elle corresponde à un point de vue de théologie fondamentale qui était précisé l’année suivante, comme devant constituer un trait fondamental de la conscience théologique général. Voir Metz J.-B., Pour une théologie du monde, trad. H. Savon, (Coll. « Cogitatio Fidei, 57), Paris, Cerf, 1971, pp. 96-134.
85 metz, J.-B., Zum Begriff der neuen Politischen Theologie 1967-1997, Mayence, Grünewald, 1997, pp. 48-49 cité par Roque, B., « Réception et interpretation de la théologie politique de J.B. Metz », in Laval théologique et philosophique, 62 (2), 2007, pp. 259-274,.
86 Metz, J.-B., La foi dans l’histoire et dans la société, pp. 119-138.
87 Dans les paroles de Metz lui-même : « Mais que signifie une memoria passionis qui se comprend elle-même, dans la foi, comme memoria resurrectionis ? Qu’appelle-t-on accéder à la “résurrection” en passant par la mémoire de la souffrance ? Une telle foi pascale peut-elle s’exprimer aussi en symboles communicables à la société, ayant une force de critique libératrice ? À mon avis, elle s’exprime en ce qu’elle libère — “à contre-courant” —, en prêtant attention aux souffrances et espérances du passé et en répondant au défi des morts. (…) La résurrection communiquée en passant par la mémoire de la souffrance signifie : il y a une dette à l’égard des morts, des vaincus d’autrefois et des oubliés. » Cfr. Metz, J.-B., La foi dans l’histoire et dans la société, pp. 133-134.
88 Metz, J.-B., La foi dans l’histoire et dans la société, p. 129.
89 SCHONECKE, W., « What Does the Rwandan Tragedy Say to AMECEA Churches? » Nairobi : AMECEA Documentation Service. ADS 17/ 1994 No 424, September 1994.
90 Expression que nous empruntons à Paul Ricœur.
91 On peut mentionner ici à titre d’exemple la Russie stalinienne et la mémoire du génocide rwandais.
92 Todorov, Tzvetan, Les abus de la mémoire, pp. 29-30.
93 Todorov, Tzvetan, Les abus de la mémoire, p. 31.
94 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 96.
95 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p.105.
96 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 97.
97 Todorov, Tzvetan, Les abus de la mémoire,
98 Ricœur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 103.
99 À titre indicatif, on peut penser à l’argument qui sort souvent quand l’on veut regarder l’horrible génocide de 1994. Cet argument peut se formuler ainsi : « le génocide des tutsi est absolument singulier, parfaitement unique, et si vous cherchez à le comparer à d’autres, cela ne peut s’expliquer que par votre désir de le profaner, ou bien encore d’en atténuer la gravité. » Pourtant, la comparaison, loin d’exclure l’unicité, c’est le moyen de la fonder.
100 Dans le livre des Actes des Apôtres, il est dit à propos de la première communauté de la Pentecôte que « Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême… Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières… Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun. » (Ac, 2, 41-44). De ce texte, on peut identifier quatre dimensions constitutives de la première communauté chrétienne : la prédication de la parole, le baptême, la fraction du pain et la prière et le partage des richesses. Pour ce qui concerne notre travail, cette dernière dimension est fort intéressante. Elle est aussi bien développée dans le corpus paulinien (Ph 17 ; 2 Co 8, 23 ; Ga 2, 9 ; Rm 15, 26). Il en ressort clairement que souffrir avec le Christ et avoir part à sa croix entraîne la participation à la souffrance des autres.
101 Cf. Ignace de Loyola, Exercices spirituels, pp. 101-109, contemplation de l’Incarnation.
102 Je reprends ici l’expression du Pape François dans la première Exhortation apostolique de sa papauté, Evangilii Gaudium, 49.
103 Lonergan, Bernard, « Le Sujet » trad. Baudoin Allard, dans Lonergan, Bernard, Pour une méthodologie philosophique. Essais philosophiques choisis, Québec, Bellarmin, 1991, p. 117.
104 Lonergan, Bernard, « La genèse des méthodes », dans Lonergan, Bernard, Les voies d’une théologie méthodique, Ecrits théologiques choisis, Montréal, Bellarmin, 1982, p. 124.
105 roy, Louis, Engaging the Thought of Bernard Lonergan, Montreal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2016, p. 30.
106 Lonergan, Bernard, « Le nouveau contexte de la théologie », dans Shook, L. K. et Bertrand, G.-M., (dir.), La théologie du renouveau, Montréal, Fides et Paris, Cerf, 1968, pp. 33-45.
107 Lonergan, Bernard, « Le nouveau contexte de la théologie », p. 35.
108 Lonergan, Bernard, « Le nouveau contexte de la théologie », p. 41. Nous reviendrons à cet aspect de la théologie qui se fonde sur la conversion dans la deuxième partie de ce chapitre.
109 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 100.
110 Roy, Louis, « La méthode théologique de Bernard Lonergan », Cummunio, VII, 1 (Janv. - fév. 1982), pp. 66-74.
111 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, pp. 157-158. Vu que le thème de « jugement » va revenir souvent dans la suite de notre exposé, il convient de faire une distinction entre le jugement de réalité et le jugement de valeur. Par jugement, Lonergan entend une opération principale du troisième niveau de la conscience intentionnelle. Il est jugement de la réalité quand il consiste à affirmer le caractère vrai ou erroné, certain ou probable, d’une proposition après avoir saisi réflexivement un inconditionné de fait. Il est jugement de valeur quand l’on se prononce sur la bonté de l’objet.
112 C’est cela que Lonergan expose dans Lonergan, Bernard, L’Insight. Etude de la compréhension humaine, Montréal, Bellarmin, 1996. Comme Lonergan le dira plus tard, lorsqu’il travaillait à la rédaction de d’Insight, sa seule intention était d’explorer les méthodes en général en vue d’une étude de la méthode en théologie. Cfr. Lonergan, Bernard, Pour une méthodologie philosophique, p. 21.
113 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 18.
114 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, pp. 34-40.
115 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 115.
116 Birmelé, André, « L’ecclésiologie », dans Bauquet, Nicolas et al. (dir.), Nous avons vu sa gloire. Pour une phénoménologie du Credo, Lessius, Bruxelles, 2012, p. 203.
117 Lonergan utilise cette expression pour parler des conditions d’enseignement qu’il a vécu quand il enseignait à l’Université Grégorienne. En effet, c’était au moment où le Concile Vatican II était en cours, où partout soufflait un vent de changement. Malgré ce changement, l’Université Grégorienne demandait encore aux professeurs d’enseigner dans un style néo-scolastique, avec des manuels. Il parlant de cette situation comme « travailler dans des conditions impossibles. » Nous utiliserons l’expression pour signifier les conditions difficiles.
118 Lonergan, Bernard, Grace and Freedom: Operative Grace in the Thought of St Thomas Aquinas (Collected Works of Bernard Lonergan, 1) ed. Frederick E. Crowe and Robert M. Doran, Toronto, University of Toronto Press, 2000.
119 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 374.
120 Définition proposée par Louis Roy dans le Glossaire de Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 462. Avec les références.
121 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 303.
122 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 53.
123 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 273.
124 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 273.
125 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, pp. 151-171.
126 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 50.
127 Lonergan y consacre le 14 chapitre de son livre Pour une méthode théologique.
128 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 235
129 Huizinga, Johan, « A Definition of the Concept of History », dans Klibansky Raymond et Paton, H.J., (éd.), Philosophy of History: Essays presented to Ernst Cassier, Oxford, Clarendon Press, 1936, pp. 1–10.
130 De Certeau, Michel, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard (coll. Folio/Histoire), 2007, p. 50.
131 Pour approfondir et avoir plus de détails sur cette histoire effacée du peuple rwandais, nous recommandons ce livre Duruz, Grégoire, Par-delà le génocide. Dix-sept récits contre l’effacement de l’histoire au Rwanda, La Garenne, Yvelinédition, 2014.
132 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 401. Ici il convient de clarifier ce qu’entend Lonergan par les termes d’aliénation et d’idéologie. L’aliénation fondamentale est le mépris des préceptes transcendantaux : sois attentif, sois intelligent, sois rationnel, sois responsable. En outre, l’idéologie fondamentale consiste en une doctrine qui justifie une aliénation. Cfr. Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 71.
133 Lonergan fournit quelques canons pour une herméneutique méthodique au chapitre 17 de L’Insight, pp.600-608.
134 La notion de signification est chère dans la pensée de Lonergan. Celle-ci renvoie au fait qu’une image, un mot ou un symbole représente autre chose que lui-même et contribue à nous médiatiser un monde plus vaste que celui qui nous est présent ici et maintenant.
135 Par point de vue universel, Lonergan ne veut pas dire le champ commun. La notion du « point de vue universel » renvoie dans le vocabulaire de Lonergan à une totalité potentielle de points de vue ordonnés génétiquement et dialectiquement. Et la totalité potentielle de tous les points de vue est inscrite dans la structure dynamique de l’activité cognitive. Cfr. Lonergan, Bernard, L’Insight, pp. 579-583
136 Lonergan, Bernard, L’Insight, p.601.
137 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 399.
138 Gillis, J.-R., « Introduction. Memory and Identity: The history of a relationship », Gillis, J.-R. (ed.), Commemoration: The politics of national identity, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1994, pp. 3–24.
139 Nduwayo, Léonard, Giti et le génocide rwandais, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 222.
140 Cette expression est empruntée du père Dominique Chenu. Il aurait utilisé l’expression à la session de la Mission de France, Lisieux, juillet 1947, d’après son livre L’Évangile dans le temps, Paris, Cerf, 1964, p. 11. On rencontre cette manière de présenter l’Église dans les ecclésiologies issues du Vatican II avec leur souci de démontrer le caractère éminemment social de l’Église.
141 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 399.
142 Rahner, Karl, Mystère de l’Église et action pastorale (coll. Fondements théologique pour l’action pastorale – II), Paris, Desclée et Cie, 1969, p.14.
143 Rahner, Karl, Mystère de l’Église et action pastorale, pp. 15-16.
144 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 403.
145 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 404.
146 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 406.
147 Cfr. Saint Augustin, La doctrine chrétienne. De Doctrina Christiana, Paris, Institut d’Etudes Augustiniennes, 1997.
148 Ratzinger, Joseph, Église et théologie, Mame, Paris, 1992, 175.
149 L’itinéraire de Saint Augustin dans ses Confessions est on ne peut plus clair à ce sujet. On peut aussi lire Marie-Anne Vanier, (dir), La Christologie et la Trinité chez les Pères, Paris, Cerf, 2013.
150 Attias, J. — Chr., (dir.), De la conversion, Paris, Cerf, Coll. « Patrimoines », 1997, pp. 280-294.
151 Mascall, Eric Lionel, Nature and Supernature, London, Darton, Longman & Todd, 1976, p. 31
152 On peut regarder Butler, B.C., « Bernard Lonergan and Conversion », Worship 49 (1975), pp. 329-336 ; Walter, Conn, « Bernard Lonergan’s Analysis of Conversion », Angelicum 53 (1976), pp. 362-404 ; Charles, E. Curan, ‘Christian conversion in the Writings of Bernard Lonergan’, dans Philip McShane, ed., Foundations of Theology, Dublin, Gill and MacMillan, 1971, pp. 41–59; Donald, J. Dorr, ‘Conversion’, dans Corcoran, P., ed., Looking at Lonergan’s Method, Dublin, Talbot Press, 1975, pp. 175–186; Philip, J. Mueller, « Lonergan’ s Theory of Religious Experience », Église et Théologie, 7 (1976), pp. 235-251
153 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 272.
154 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 271.
155 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 462.
156 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 50-51.
157 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, pp. 130-132.
158 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 310.
159 Lonergan utilise ce terme dans le sens de Rahner, K., L’homme à l’écoute du Verbe, Tours, 1968, pp. 57-58 pour signifier que ce qui élève et intègre va au-delà de ce qui est élevé et intégré, introduit quelque chose, l’inclut et préserve tous les traits et les propriétés et les entraine vers une réalisation plus complète dans un contexte plus riche.
160 Lonergan définit le monde de l’immédiateté comme la somme de ce qui est vu, entendu, touché, goûté, senti, ressenti. Autrement dit, c’est un monde de l’expérience sensible. Le monde médiatisé par la signification se réfère aux objets visés par l’intentionnalité consciente en essayant de répondre aux questions : qu’est-ce que ? comment ? dans quel but ? cf. Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 273.
161 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 274.
162 D’après Lonergan, le moment existentiel est le moment où l’on découvre qu’on est responsable de sa vie et que les choix que l’on fait ont des conséquences dans le sens de l’agir qui manifeste l’être.
163 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 275.
164 Lonergan attribue le début de cette interprétation à Saint Augustin et prend Saint Thomas d’Aquin comme le sommet de cette interprétation. Avec cette interprétation la conversion religieuse est définie comme une grâce opérante par laquelle Dieu change un cœur de pierre en cœur de chair. Dieu est son moteur, surtout lorsqu’elle commence à vouloir le bien, après s’être tournée jusque-là vers le mal. Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1-2, q. 111, a.2.
165 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 276.
166 Doran, m., Robert, Theology and the dialectics of history, Toronto, University of Toronto Press, 1990.
167 Secrétariat Général de la Conférence des Évêques Catholiques du Rwanda (éd.), Recueil des lettres et messages de la conférence des évêques catholiques du Rwanda publiés pendant la période de guerre (1990-1994), Kigali, Pallotti-Presse, 1995.
168 Ratzinger, Joseph, Église et théologie, p. 207.
169 Ratzinger, Joseph, Église et théologie, p. 209.
170 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 404
171 Nicholas M. Healy, Church, World and the Christian Life: Practical-Prophetic Ecclesiology, (Cambridge studies in Christian doctrine), Cambridge University Press, Cambridge, 2000, p.26.
172 Dulles, Avery, S.J., Models of the Church, expanded ed., New York, Doubleday, 1974.
173 Rahner, Karl, Mystère de l’Église et action pastorale, pp. 43-63.
174 Dulles, Avery, S.J., Models of the Church, expanded ed., New York, Doubleday, 1974, pp.197ss.
175 Hans Küng, The Church, New York, Image Books, 1976, p. 120.
176 Dulles, Avery, S.J., Models of the Church, pp. 34-46.
177 Emil, Brunner, The misunderstanding of the Church, London, Lutterworth, 1952
178 La littérature abonde sur l’ecclésiologie de la communion. Pour approfondir, on peut consulter la thèse d’Andrzej Choromanski dédié à ce sujet et la bibliographie sélective qu’elle offre. Cfr. Choromanshki, Andrzej, L’Église comme communion — Vers une ecclésiologie commune à l’âge de l’œcuménisme. Trois études sur la communion, Thèse présenté à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg pour obtenir le grade de docteur, 2004.
179 Pour l’approfondissement, voici une bibliographie sélective. Tillard, J.M.R., « Le votum Eucharistiae, l’Eucharistie dans la rencontre des chrétiens », dans Miscellana Liturgica in onore di Sua Eminenza il Cardinale G. Lercaro, Desclée, 1967, t.2, pp. 143-194.
—, « L’Eucharistie et le Saint Esprit », NRT (1968), 363-387.
—, « Eucharistie et Église », dans Zizioulas, J. [et al], L’Eucharistie, coll. Églises en dialogues 12, Mame, 1970, pp. 75-136.
—, « La qualité sacerdotale du ministère », NRT (95) 1973, pp. 481-514.
—, « L’Église de Dieu est une communion », Irénikon 4 (1980), pp. 451-468.
—, « L’Eucharistie sacrement de l’Église – communion », dans Lauret, B. et Refoulé, F. (éds), Initiation à la pratique de la théologie, t. 3 : Dogmatique, Paris, Cerf, 1983, pp. 395-396 et 437-463.
—, « Église et Salut. Sur la sacramentalité de l’Église », NRT 106 (1984), pp. 658-685.
—, « Œcuménisme et Église catholique », NRT 107 (1/1985), pp. 43-67.
—, « Koinonia – Sacrament », One in Christ 2 (1986), pp 104-114.
—, Église d’Églises. L’ecclésiologie de communion, Paris, Cerf, 1987.
180 Paul VI, Discours d’ouverture de la deuxième session du Concile Vatican II, 29 — IX — 1963 : AAS 55 (1963) p. 848
181 Dulles cites Bonhoeffer, Dietrich, Letters and Papers from Prison, New York: Macmillan, 1967, pp. 203-204.
182 Dulles, Avery, S.J., Models of the Church, pp. 204ss. Ce modèle est celui que Dulles développe aussi dans son autre livre, Dulles, Avery, S.J., A Church To Believe In : Discipleship and the Dynamics of Freedom, New York, Crossroad, 1987, pp. 1-18.
183 Il développe ce modèle dans ces multiples articles. En voici quelque uns : Dadosky, John, « Has Vatican II been Hermeneutered ? Recovering and Developing its Theological Achievements following Rahner and Lonergan. », Irish Theological Quarterly, 2014, Vol. 79 (4) 327-349 ; Dadosky, John, « The Church and the Other: Mediation and Friendship in Post-Vatican II Roman Catholic Ecclesiology. », PACIFICA 18 (October 2005), pp. 302-323.
184 Cf. Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa du saint père Jean Paul II aux évêques, aux prêtres et aux diacres ; aux religieux et aux religieuses et à tous les fidèles laïcs sur l’Église en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l’an 2000. Une autre nuance à faire ici, est que le modèle d’Église comme famille se rapproche beaucoup de celui d’Église comme amie. Toutefois, celui d’Église comme famille a ceci de particulier qu’il s’inspire de la réalité centrale à la vie africaine, la famille, pour parler de l’Église.
185 Karl Barth, par exemple, affirme que d’autres images ou concepts peuvent être appliqués à l’Église en tant que « symbolique ou métaphorique ». « Corps du Christ » pour lui est la meilleure image et elle devrait structurer tous les discours théologiques sur l’Église. Cf. Karl, Barth, Church Dogmatics : The Doctrine of Reconciliation IV/1 – IV/3.2, trans. G.W. Bromiley, Edinburgh: T&T Clark, 1956-1962, IV 1, p. 666. Karl Rahner aborde dans le même sens quand il affirme que le modèle de « sacrement » traduit mieux la réalité de l’Église. Pour Jean Marie Roger Tillard, « communion » constitue l’« essence même » de l’Église. Et c’est le seul concept qui est la clé pour le progrès de l’œcuménisme.
186 Nicholas M. Healy, Church, World and the Christian Life, p. 34.
187 Komanchak, Joseph A. Foundations in Ecclesiology. (Supplementary Issue of the Lonergan Workshop Journal. Vol. 11, ed. Fred Lawrence) Boston College, 1995, 12.
188 Lonergan, Bernard, L’Insight, pp. 753-754.
189 Cf. Ici nous nous référons à ce que nous avons développé au point I.1. de notre travail sur La mémoire, faculté du passé ou pouvoir du présent avec les notes de bas de pages.
190 Ici, je fais allusion à la distinction suggérée par Walter Benjamin entre l’expérience transmise et l’expérience vécue. Dans cette distinction, l’expérience transmise est celle qui se perpétue presque naturellement d’une génération à l’autre, forgeant les identités des groupes et des sociétés dans la longue durée ; l’expérience vécue est le vécu individuel, fragile, volatile, éphémère. Cf. Benjamin, Walter, « Le conteur. Réflexions sur l’œuvre de Nicolas Leskov », Œuvres III, Gallimard, Paris, 2000, p. 116.
191 Cf. Komanchak, Joseph A. Foundations in Ecclesiology, pp. 89-93.
192 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 411.
193 Komanchak, Joseph A. Foundations in Ecclesiology, p. 90.
194 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 406.
195 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 406.
196 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 406.
197 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 73.
198 Lonergan considère son œuvre comme une contribution à ce programme comme il l’écrit lui-même dans l’Epilogue de son Insight. Cfr. Lonergan, Bernard, L’Insight, p. 758.
199 Arbuckle, Gerald.A., Refonder l’Église : Dissentiment et leadership, Montréal, Bellarmin, 2000, p. 44.
200 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 362.
201 Voir Rahner, K., Theological Investigations, vol. 12, New York/Londres, Seabury Press / Darton, Longman and Todd, 1974, pp. 83-89.
202 Cf. Mink, O.G., Shultz, J.M., Mink, B.P., Developing and Managing Open Organisations, Santa Barbara, Organization and Human Resource Development Associates, 1979, p. 3-19, cité par Arbuckle, Gerald.A., Refonder l’Église : Dissentiment et leadership, p. 45.
203 Cf. Terras, Christian ; Ba, Mehdi, Rwanda : L’honneur perdu de l’Église, Golias, Villerbanne, 1999, Jeune Afrique: Génocide des Tutsis au Rwanda : « La demande de pardon des évêques reste incomplète » accédé le 7 septembre 2020
204 Cf. LINGUYENEZA, V., Vérité, Justice, Charité, Belgique: Waterloo, 2001 ; Linden, Ian, Christianisme et pouvoirs au Rwanda (1900-1990). Paris, Kharthala, 1999. Musabyimana.net: L'Église catholique au Rwanda: coupable ou victime accédé le 10 juin 2020
205 Voir Rahner, K., Theological Investigations, vol. 12, p. 83.
206 Bokenkotter, Thomas, A Concise History of the Catholic Church, New York, Doubleday, 1990, p. 401.
207 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 406.
208 Lonergan traite le thème de « guérison » dans une allocution qu’il donne à l’Institut Thomas More en mai 1975 sous le titre de Créativité, Guérison et Histoire en conclusion du cours : « Guérir et créer. » Lonergan, B., Les voies d’une théologie méthodique, pp. 227 — 236.
209 Lonergan, B., Les voies d’une théologie méthodique, p. 235.
210 Cf. Lonergan, B., Pour une méthode en théologie, pp. 95-98.
211 Lonergan, Bernard, Pour une méthode en théologie, p. 404.
212 Le Pape François, L’Église que j’espère. Entretien avec le Père Spadaro, S.J., Paris, Flammarion, 2013, p. 68.
213 Cf. Lonergan, B., Pour une méthode en théologie, pp. 69-72.
214 Ce programme est présenté par le gouvernement comme étant un programme rassembleur et unificateur. Mais dans la pratique, le programme consiste à demander aux jeunes hutus, même ceux qui sont nés après le génocide, de demander pardon pour ce qu’ont fait leurs parents ou grands-parents. Ce faisant, ça devient un programme divisionniste. Kizito Mihigo, un des grands chanteurs chrétiens dont la mort présente encore beaucoup d’ombres, écrivait dans son livre posthume à propos de ce programme : « ce programme est divisionniste et globalisateur, et l’un contre l’irrespect envers la mémoire des victimes du génocide. » cfr. Mihigo, Kizito, Rwanda : embrasser la réconciliation, pour vivre en paix et mourir heureux, 2020, version Kindle.