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L’indignation dans la vie et la pensée de Bernard Lonergan
Pierrot Lambert
- Une insatisfaction créative
Bernard Lonergan a vécu près de 80 ans, de 1904 à 1984, et sur ces 80 années il a été 62 ans membre de la Compagnie de Jésus.
Officiellement, il a été orienté pendant une grande partie de sa vie vers la formation des jeunes Jésuites.
Si nous parlons de lui aujourd’hui, cela tient à deux grandes caractéristiques de son existence :
- une insatisfaction créative et
- une grande attention aux enjeux de son époque
Bernard Lonergan est insatisfait de la philosophie scolastique qu’on lui enseigne à Heythrop en Angleterre.
Il est insatisfait des notions abstraites et du moralisme de la doctrine sociale de l’Église.
Il est insatisfait du niveau intellectuel des institutions d’enseignement de son ordre religieux (il faut lire les réponses qu’il donne à un questionnaire sur la philosophie, distribué aux professeurs de philosophie jésuites en 19761).
Il est insatisfait des théories économiques de son temps.
Il est insatisfait de la théologie fondamentale héritée du dix-neuvième siècle.
Il est insatisfait du monde et de l’Église de sa jeunesse.
Bernard Lonergan est insatisfait parce qu’il est exigeant.
Mais il ne s’enlise pas dans l’ironie ou le cynisme. Il thématise l’insatisfaction comme opérateur de la vie de l’esprit. Cet opérateur est même au cœur de toute sa pensée : désir de comprendre, de vérifier, dynamique de dépassement de soi, volonté d’être à la hauteur des enjeux de son époque …
L’insatisfaction créative s’exprime chez le jeune Lonergan dans sa correspondance avec des confrères ou des supérieurs. Elle s’exprime dans des réflexions qu’il livre sur le chaos économique des années 1930, sur le retard de son Église en regard des révolutions intellectuelles des siècles précédents, sur la fuite de la compréhension dans la gouvernance des sociétés occidentales, sur la pensée de l’Église concernant le mariage et la sexualité.
- Insatisfait créatif, Lonergan est un penseur engagé
- Déconcerté par la grande crise économique du début des années 1930, il s’engage dans une exploration des rouages de l’économie.
Bernard Lonergan est à Montréal de 1930 à 1933. Il connaît bien Montréal, où il a fait ses études de 1918 à 1922. Après ses premières années de formation à Guelph en Ontario et un séjour de quatre ans en Angleterre, il revient ici pour sa Régence, c’est-à-dire un stage pratique entre la philosophie et la théologie.
À Loyola College, il enseigne, la première année, le latin, le grec, le français et l’anglais, et la deuxième année, les mathématiques et la physique mécanique. Il est chargé de la société de conférences du collège, du bulletin et de la revue annuelle2.
Toute une charge! Mais Bernard Lonergan ne se laisse pas absorber entièrement par son travail à plein temps. Il dira plus tard en entrevue :
Lorsque je suis revenu au Canada en 1930, les riches étaient pauvres et les pauvres n’avaient plus d’emploi. Les riches essayaient de gagner de l’argent en vendant des pommes dans la rue. Bon nombre de théories circulaient. Je m’intéressais à celle du Crédit social : je savais qu’il serait inflationniste de demander aux banques de distribuer vingt-cinq dollars à chaque personne au pays à chaque jour de paye. Mais pourquoi cet argument était-il erroné? Pour répondre à ma question, il me fallait comprendre la dynamique des événements3.
Comprendre la dynamique des événements, cela veut dire notamment qu’il fallait aller plus loin que la doctrine de l’Église, qui voudrait définir les salaires en fonction des besoins de la famille4.
Lonergan juge cette réponse insatisfaisante et inefficace. Il cherche une réponse à partir des rouages mêmes de l’économie, et d’abord de l’équilibre des systèmes économiques.
Comme le souligne Eileen de Neeve dans son introduction au volet économie du site Web français consacré à Lonergan :
Pour répondre au questionnement suscité chez lui par la Grande Crise, il voulait approfondir le phénomène des rythmes de l’activité économique humaine et déterminer les comportements et les politiques nécessaires au maintien d’un équilibre des systèmes économiques en constante évolution. Les conclusions de ses explorations personnelles sont résumées dans deux manuscrits de l’époque, « For a New Political Economy » (1942) et « An Essay in Circulation Analysis » (1944)5 ».
- À part le désarroi économique des années 1930, qui l’incite à se lancer dans un approfondissement de la théorie économique, il y a un autre désarroi, plus profond, plus global, dont Lonergan est témoin.
Cela commence durant ses études en Angleterre.
À l’époque de ses études de philosophie, en Angleterre, l’enseignement se fonde sur des manuels qui articulent des idées toutes faites – une pensée conceptuelle … qu’il rejette et qu’il comparera à une fabrique de saucisses.
N’oublions pas qu’en ce début du vingtième siècle plusieurs voix s’élèvent pour réclamer un recentrement de la civilisation sur l’être humain :
- Vous avez Unamuno avec son « sentiment tragique de la vie »;
- Bergson qui défend la conscience et la dimension spirituelle de l’être humain;
- Ricoeur qui adhère au mouvement « socialiste parce que chrétien », et qui va accompagner le mouvement Esprit d’Emmanuel Mounier, qui a lancé une révolution personnaliste et communautaire pour s’opposer au désordre établi;
- Ortega y Gasset qui analyse dans La Révolte des masses la crise de la civilisation occidentale et qui formule dans La Mission de l’Université un précepte que Lonergan va citer à quelques reprises : « vivre à la hauteur de son temps »;
- Ernst Cassirer, le grand philosophe allemand, qui déplore l’absence d’une définition de l’être humain qui soit commune aux théologiens et aux scientifiques, aux politiciens et aux sociologues, aux biologistes et aux psychologues.
Bernard Lonergan constate non seulement que les disciplines du savoir humain ne se parlent pas, mais que les philosophes ignorent même la dynamique de la compréhension humaine.
Il se lance dans une intense recherche durant les années 1930. N’oubliez pas, il est déjà engagé à temps plein dans sa charge d’enseignement à Loyola College, puis dans ses études théologiques à Rome. Et il trouve le temps de rédiger deux manuscrits sur l’économie!
Il va écrire une réflexion de 25 000 mots sur saint Augustin et un texte de 30 000 mots sur Newman, deux penseurs qui le font progresser dans sa recherche. Il va réunir ses pensées en 1935 dans un essai de théologie de l’histoire.
Au début des années 1940, il enseigne la théologie aux jeunes jésuites sur la rue Rachel, au Scolasticat de l’Immaculée-Conception.
Il écrit à l’époque de petits articles intéressants dans The Montreal Beacon. Il pose des questions fondamentales qui sont encore très contemporaines.
Il écrit par exemple :
- « Pourquoi l’industrie est-elle contrôlée par un nombre de personnes de plus en plus restreint? »
Il affirme :
- « Si les masses ne parviennent pas à l’indépendance économique, la démocratie aura été une noble expérience qui aura échoué6 ».
Il écrit même un article sur les perspectives d’avenir du Québec!
Et là, pendant ces soirées d’hiver du début des années 1940 où il lit A Study of History de Toynbee, Lonergan va prendre une décision étonnante. Nous sommes pendant la guerre. Lonergan a vécu à Rome jusqu’en mai 1940, à deux pas de la Piazza Venezia où Mussolini harangue les foules, et où, selon le témoignage d’une connaissance, Lonergan a vu passer Hitler venu rendre visite au chef fasciste. Lonergan est très préoccupé par l’immense déclin de l’humanité dont il est témoin. Il dira, dans la première préface d’Insight :
« Nous avons été témoins de tant de souffrances ».
Bernard Lonergan en 1943 a 39 ans. Il décide d’explorer ce que dit Thomas d’Aquin et derrière lui Aristote sur la compréhension humaine et son déploiement. Pendant les dix années suivantes il va écrire deux livres : La notion de verbe dans les écrits de saint Thomas d’Aquin et L’insight. Étude de la compréhension humaine.
Ce qu’il faut saisir, c’est que Lonergan se met au service d’un combat de civilisation.
Il mobilise ses énergies pendant une décennie pour produire l’oeuvre de sa vie, au service d’un combat contre « la tumeur de la fuite de la compréhension », qui est présente partout et qui, alliée aux pouvoirs nouveaux que la science nous donne sur la nature et sur les autres humains, est source de chaos social.
Lonergan cherche en particulier à susciter une prise de conscience des déviations intellectuelles et morales qui proviennent « d’une fuite de la compréhension collective et [sont] renforcée[s] par la texture globale d’une civilisation ».
Lonergan lui-même confessait, en entrevue au début des années 1980, que la rédaction d’Insight tenait d’une sorte de « pastorale de l’intelligence »7.
Il y aurait tant à dire sur le contenu de L’insight. C’est toute une philosophie de l’intériorité qui nous est présentée là, et qui prend tout son sens si vous vous intéressez aux vastes débats qui font rage aujourd’hui sur la conscience, le cerveau, la définition de l’être humain, l’éducation, la relation entre la science et le sens commun.
L’insight, c’est l’instrument d’un combat contre la fuite de la compréhension, qui nous menace tellement aujourd’hui, en 2012!
- Mais l’étude de la compréhension humaine et l’ensemble des volets qui forment L’insight (théorie de la connaissance, épistémologie, éthique, métaphysique, théologie naturelle) visent une autre entreprise, celle d’une méthode fondamentale.
L’entreprise de Lonergan a été assez mal comprise et assez mal reçue dans certains milieux. À un congrès sur la théologie de la libération en 1975 à Mexico, on a même accusé Lonergan d’être au service des régimes militaires de l’Amérique latine!
Pourtant, si les critiques avaient lu le livre de Lonergan, paru en 1972, ils auraient pu constater deux choses :
- Le cœur de cette méthode est la démarche d’engagement personnel du croyant appelé à dépasser son horizon pour s’approprier une tradition de foi
- La méthode est en fait une collaboration intégrée de disciplines devenues des fonctions constituantes
Il aura consacré des décennies à l’élaboration d’une méthode pour la théologie qui intègre de manière organique des dimensions centrales de la culture contemporaine (histoire, herméneutique), souvent greffées artificiellement sur une théologie d’inspiration classiciste.
Lonergan a connu à la Grégorienne dans les années 1930 un enseignement à partir de manuels. Comme il le disait en entrevue en 1981,
La tradition des manuels vous procurait ces connaissances. Mais elle était associée à une épistémologie très étroite, qui mettait l’accent fortement sur la certitude, par exemple8.
Method in Theology, pour paraphraser Michel Onfray, c’est un anti-manuel de théologie!
Lonergan n’a pas été au centre de grands débats, comme Hans Kung ou Eugene Drewermann. Mais il lui est arrivé aussi de réagir à des décisions de son Église. Dans le débat qui entoure l’encyclique Humanae Vitae, en 1968, il conteste les principes qui ne respectent pas correctement la distinction entre la fécondité et la sexualité, déjà présente chez Aristote et bien établie par la biologie moderne, lui qui souligne dès 1943 : « il appert que si la fécondité concerne la progéniture, la sexualité présente sa propre finalité personnaliste ».
- En 1977, Lonergan participe à une conférence de la revue Concilium, qui se tient à l’Université Notre-Dame.
Il se retrouve à la même table ronde que Gustavo Gutierrez, théologien de la libération, qui souligne que la théologie de la libération souffre du fait qu’aucun de ses défenseurs n’a de véritables connaissances en économie.
Vous vous souvenez qu’en 1944 Lonergan a mis de côté ses travaux en économie. En fait, il les a confiés à Eric Kierans.
Voilà qu’à 73 ans il se lance à nouveau, estimant qu’il peut faire une œuvre utile en retournant sur le chantier qu’il a quitté 33 ans plut tôt.
En fait, il n’a jamais totalement renoncé à un travail en économie, comme en témoigne une anecdote.
Lonergan envoie deux cartes postales à Philip McShane, deux jours consécutifs, en 1968. Il est en désaccord avec J.-B. Metz au sujet des principes d’une éthique économique. Lonergan demande à P. McShane de lui recommander une piste de lecture.
Lonergan découvre à cette époque l’œuvre de Kalecki, un Polonais qui a anticipé Keynes en 1933 …
Nous pouvons donc dire sans faire de la récupération post-mortem que Bernard Lonergan était un penseur engagé (un théologien pastoral, comme dit Fred Crowe9).
- Une pensée de l’engagement
Mais au-delà des motivations personnelles de Bernard Lonergan, c’est l’œuvre même qu’il convient d’examiner comme une pensée de l’engagement.
Une étude de cette dimension de l’œuvre de Lonergan commanderait quatre volets :
-Le questionnement comme engagement
-La conscience de soi et l’authenticité personnelle
-La hiérarchie des valeurs et le pluralisme démocratique
-La dialectique de la vie en collectivité et la cosmopolis
- Tout commence par le questionnement. L’Institut Thomas More a publié en 1977 les transcriptions d’un colloque très intéressant qu’il avait organisé sous le titre « The Question as Commitment », auquel avaient participé Bernard Lonergan et Erich Voegelin, entre autres.
Le titre est éloquent. L’engagement premier c’est l’interrogation, le désir de comprendre, de mettre en question.
Lonergan disait : si vous avez une question, allez jusqu’au bout.
- Deuxième forme d’engagement, qui a une importance capitale chez Lonergan, c’est celui qui part d’une prise de conscience personnelle. Prise de conscience de la capacité que chacun/e de nous a d’interroger le monde, de le comprendre, de nommer le réel et de déterminer l’orientation de sa propre existence. Cette prise de conscience est en fait une intensification de la conscience, puisque de la perception sensible à la décision qui engage l’avenir, la présence à soi-même est graduellement différenciée. Mais cette prise de conscience est soumise à des exigences de dépassement, d’auto-correction, où chacun/e de nous est appelé/e à une longue démarche, jamais achevée, de quête d’authenticité.
Cette question de l’authenticité est centrale chez Lonergan. Pour lui, par exemple, l’objectivité est le fruit d’une subjectivité authentique (et non pas le contraire de la subjectivité). Pour lui, également, l’authenticité du sujet devient le principe d’une contestation des institutions.
En définitive toute vie humaine est une tension entre ce que chacun peut appeler son monde et les appels aux affirmations de réalité, de vérité qui exigent, non pas une sortie de la subjectivité, mais une correction constante de cette subjectivité, à une « réorganisation du sujet, une réorganisation de ses modes de vivre, de ses façons de ressentir, de penser, de juger, de désirer, de craindre, de vouloir, de délibérer et de choisir » … Ce changement d’horizon se heurte à « l’anxiété fondamentale du sujet, sa terreur profonde, qui concerne l’effondrement de son être et de son monde »10.
L'authenticité ne s'obtient qu'au prix d'une longue fidélité aux préceptes transcendantaux (sois attentif, sois intelligent, sois rationnel, sois responsable). Elle est essentiellement le fruit d'une croissance.
Mais nous sommes menacés par la distraction. L'authenticité est toujours une qualité précaire : nous devons sans cesse nous arracher à l'inattention, à l’incompréhension, aux idées reçues, à la démission morale.
Lonergan distingue l’authenticité mineure, qui « est celle de l'être humain par rapport à la tradition qui le nourrit, de l'authenticité majeure, qui est celle qui justifie ou condamne la tradition elle-même. » Cette authenticité préside à une remise en question des institutions qui encadrent nos existences.
La praxis au cœur de la pensée de Lonergan concerne d’abord le sujet lui-même, appelé à des dépassements d’horizons.
- Troisième piste de réflexion, celle des valeurs dans un monde pluraliste.
Les valeurs sont le fruit des choix personnels. Il faudrait tout un colloque pour exposer la richesse de l’éthique de Bernard Lonergan, que Ken Melchin présente notamment dans son petit livre Living with Other People (L’art de vivre ensemble, Novalis, 2006).
Si les valeurs étaient relativement indépendantes des personnes, comme les valeurs immobilières, il n’y aurait pas de manifestants dans les rues.
Ken Melchin offre un exposé très intéressant des enjeux sociaux dans l’optique de Lonergan, dans un texte intitulé Democracy, Sublation, and the Scale of Values11. Il souligne : qui dit démocratie dit pluralisme, et notre respect du pluralisme démocratique n’exige-t-il pas une certaine relativisation des valeurs?
Ken Melchin fait appel à la notion d’élévation (sublation) pour fonder un rapport hiérarchique entre les valeurs qui préserve les acquis de la démocratie moderne.
Lonergan présente dans Pour une méthode en théologie (p. 46 s.) une échelle de préférence, un ordre ascendant des valeurs, qu’il désigne sous les qualificatifs de valeurs vitales, sociales, culturelles, personnelles et religieuses.
Vous avez un exemple de l’application de cette hiérarchie dans les débats menés à l’UNESCO pour la protection et la préservation des cultures. L’un des principes directeurs de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles place les valeurs personnelles au-dessus des valeurs culturelles :
Nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée.12
Ken Melchin souligne les travaux de John Haughey qui, s’inspirant de Lonergan, situe les droits dans la structure de la conscience et place les valeurs personnelles au centre des enjeux politiques de notre temps.
- Une autre piste de réflexion sur la philosophie de l’engagement de Lonergan concerne le déclin et le progrès dans nos sociétés.
Nous pourrions dire ici que Lonergan est extrêmement attentif au facteur de la compréhension humaine dans la conduite de la vie en société. Attentif aux tensions de la vie en collectivité.
Dans certains passages du chapitre 7 de L’insight, il souligne la pertinence d’une analyse de l’intentionnalité humaine (et du sens commun en particulier) pour la gouvernance des sociétés.
242 – Le développement du sens commun pratique se produit lorsque chaque groupe réagit intelligemment à la succession des situations auxquelles elles doivent s’appliquer. Si toutes les réponses données étaient le fait d’intelligences pures, le progrès continu pourrait être inévitable. De fait, les réponses proviennent d’intelligences associées à la mentalité et aux intérêts des groupes … le groupe est enclin à laisser disparaître dans un angle mort les insights qui révèlent que son bien-être est excessif, ou que son utilité tire à sa fin.
243 – En règle générale, ce qui est bon pour un groupe ne l’est pas pour un autre. Tous les groupes consacrent une partie de leurs énergies à des activités accessoires de conception et de mise en œuvre de mécanismes offensifs et défensifs. Les talents innés des groupes, leurs chances, leur esprit d’initiative et leurs ressources diffèrent … La société se stratifie … cette nouvelle différenciation se traduit non seulement par des étiquettes conceptuelles, mais aussi par des sentiments profonds de frustration, de ressentiment, d’amertume et de haine.
243 – un tel processus d’aberration établit toutefois les principes de son propre renversement
244 – les péchés de déviation collective peuvent être secrets et quasi inconscients. Mais ce qui au départ est une possibilité négligée devient à la longue une distorsion grotesque de la réalité
235 - L’individu est intelligent et ne peut donc connaître la tranquillité d’esprit à moins de subsumer ses propres sentiments et ses propres actions sous des règles générales qu’il considère comme intelligentes. Les sentiments et les actions spontanées trouvent toutefois un foyer dans le groupe intersubjectif. Et c’est uniquement au prix d’un effort, et encore là, seulement à des époques favorisées, que les groupes intersubjectifs s’inscrivent harmonieusement dans la configuration plus vaste de l’ordre social.
Lonergan analyse la dynamique de la tension et de l’harmonie en faisant appel à la notion de dialectique.
Lonergan propose un programme de renversement du déclin à l’intérieur de la dialectique de la vie en collectivité. Il appelle ce programme la cosmopolis. Certains principes de ce programme doivent être soulignés.
- Empêcher la mentalité pratique de s’en tenir au purement pratique, et ainsi de se détruire
- Activer des idées opportunes et fertiles qui autrement ne seraient pas opératives … et les rendre opératives sans les appuis du pouvoir ou de la force
- Ne pas perdre son temps et ses énergies à condamner l’égoïsme individuel … ne pas se laisser aiguillonner par l’égoïsme collectif … mais ridiculiser les rationalisations qui contribuent au cycle long du déclin … empêcher la falsification de l’histoire … attirer l’attention sur des idées qui restent dans l’ombre … protéger l’avenir contre la rationalisation des abus et la création des mythes
- Pratiquer une auto-critique constante pour se purger soi-même des rationalisations et des mythes intégrés à l’héritage humain
Conclusion
Lonergan était-il un indigné?
Peut-être pas au sens des mouvements d’aujourd’hui, ni à la façon d’un Jean-Paul Sartre ou d’un Bernard-Henri Lévy.
Mais il a œuvré pendant cinquante ans pour un monde plus intelligent, plus attentif au facteur humain, c’est-à-dire à cette part de l’humanité que l’histoire récente a souvent oubliée pour son plus grand malheur.
1 Questionnaire on Philosophy : Response. Collected Works of Bernard Lonergan 17, p. 352-383.
2 Caring about Meaning, Patterns in the Life of Bernard Lonergan, entrevues avec Bernard Lonergan réalisées par Pierrot Lambert, Charlotte Tansey et Cathleen Going, Montréal, Thomas More Institute Papers, 1982, p. 32.
3 Caring, p. 31.
4 Voir Rerum Novarum, 32 et 45, et Centesimus Annus de Jean-Paul II, qui revient sur le même thème.
5 http://francais.lonergan.org/introedn.htm.
6 Citations reproduites dans Fred Crowe, s.j., Bernard Lonergan as Pastoral Theologian, Gregorianum 67 (1986). Cet article a été inséré dans le recueil de textes de Fred Crowe, Appropriating the Lonergan Idea, sous la direction de Michael Vertin, University of Toronto Press, 2006.
7 Caring.
8 Caring, p. 261.
9 Article cité précédemment.
10 Bernard Lonergan, Philosophie de l’éducation, traduction Jacques Beauchesne et Pierrot Lambert, Montréal, Guérin, 2000, p. 83.
11 Kenneth Melchin, Democracy, Sublation, and the Scale of Values, dans The Importance of Insight. Essays in Honour of Michael Vertin, University of Toronto Press, 2007, p. 183-196.
12 http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001429/142919f.pdf.
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