Pour une nouvelle économie politique
Bernard Lonergan
Esquisse d'une analyse de la circulation Dans
l'introduction de sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la
monnaie, Keynes se penche sur une objection : seuls les experts
supérieurement intelligents seraient en mesure de comprendre les théorèmes très
abstraits de la science économique moderne. Keynes répond - et sa
réponse n'est pas vraiment convaincante - que si les gens pratiques,
tels que les politiciens, les banquiers et les industriels, ne parviennent pas
à saisir de quoi il retourne, alors, inévitablement, ils courent à leur perte.
Et nous avec eux, puisque ce sont nos leaders. Ces considérations ne tiennent pas
de spéculations éthérées. Les États totalitaires fondent leur
auto-justification sur une thèse, selon laquelle les démocraties auraient raté
le train de l'économie du XXe siècle. Au siècle dernier, affirment-ils, la
démocratie s'est avérée la meilleure formule politique. L'Angleterre a pu dans
ce contexte devenir une puissance mondiale. Mais les temps ont changé.
L'économie moderne postule l'État totalitaire, et cette fois ce sont les
Allemands et les Italiens qui occupent le devant de la scène et qui sont les
leaders mondiaux. Voilà ce que soutiennent les États totalitaires, pour qui la
présente guerre n'est qu'un incident qui aura l'heureux effet d'éliminer un
mode de vie absolument dépassé. Que répondrons-nous à de telles
assertions? Nous n'allons certes pas acquiescer à notre propre élimination.
Nous chercherons, comme le fait remarquer modestement M. Churchill, à nous
présenter sous un jour favorable. Notre attitude est certes justifiée, puisque
nous nous battons pour des choses plus réelles, plus profondes, plus certaines,
que les spéculations historiques de l'économie totalitaire. Cela dit, il existe
un problème très réel, un problème qu'il faudra résoudre si nous voulons que
notre propagande de guerre soit efficace, un problème qu'il faudra résoudre si
nous voulons affronter et surmonter démocratiquement nos difficultés
économiques après la guerre. Je crois utile, aux fins d'une
définition de ce problème, de comparer brièvement l'économie politique du début
du XIXe siècle et sa descendante moderne, plus nuancée, plus complexe, moins
exotique, la science de l'économie. Les anciens économistes politiques
étaient des penseurs créatifs. Ils ont cerné les vastes forces de
l'industrialisme naissant. Ils ont orienté et façonné le développement, au XIXe
siècle, des structures commerciales, industrielles, financières, juridiques,
voire politiques. Mais ce qui est plus important, et ce qui différencie les
anciens économistes politiques de nombre de créateurs subséquents d'un
« ordre nouveau », c'est que leur mode d'action était
essentiellement, entièrement, démocratique. Les socialistes, les communistes,
les partisans du totalitarisme ne peuvent mettre leurs théories en pratique
qu'à condition de prendre le pouvoir, d'instaurer une bureaucratie,
d'enrégimenter le peuple. Mais l'enrégimentation des Russes par les Soviets,
des Allemands par les nazis, des Italiens par les fascistes, ne suffit pas à
assurer le fonctionnement des théories totalitaires. Il faut faire plier le
monde entier. Or, les anciens économistes politiques déployaient une action
tout à fait opposée à celle-là. Ils n'avaient recours, en fait de pouvoir, qu'à
la force du raisonnement. Leur efficacité était fonction de l'initiative
individuelle et non pas de l'intervention de l'État. Leur influence, en ses
incidences fondamentales, se soldait par une libération, et non un étouffement,
de la spontanéité et de la créativité qui résident chez des êtres
humains - et non pas dans une bureaucratie - chez des êtres
humains libres et non dans des idéologies, dans des partis, dans des avis
d'experts, ni dans des plans quinquennaux. Quel était donc le secret des
anciens économistes politiques? Comment ont-ils pu créer un ordre nouveau en se
fondant sur la démocratie? Manifestement, c'est qu'ils pouvaient s'adresser à
la démocratie, c'est que l'ensemble de leur doctrine pouvait se traduire en
slogans. C'est qu'ils ont pu formuler les impératifs d'une vision de l’épargne,
de l'entreprise, du laissez-faire[1],
de l'intérêt personnel intelligent. C'est qu'ils ont pu convaincre tous les
gens influents que leurs impératifs permettraient de créer le meilleur des
mondes possibles. Je ne veux pas qu'on se méprenne sur
mon propos. Je ne dis pas que les économistes modernes ont eu tort de
remplacer, au terme d'une évolution progressive, l'ancienne économie politique
par leur science nouvelle. Car l'économie ancienne, avec le temps du moins, a
accusé de nombreuses erreurs, des erreurs révélées par l'expérience factuelle,
des erreurs de méthode, des erreurs de principe. Ces erreurs devaient certes
être corrigées. Je soutiens simplement que ces erreurs ont été corrigées de
manière erronée. Car, aussi précise soit-elle, l'économie ne possède certes pas
l'esprit démocratique d'antan. Incapable de cerner effectivement la vie
ordinaire des humains, elle ne peut que jeter le doute sur l'aptitude des
dirigeants démocratiques à emprunter les labyrinthes de sa pensée. En
conséquence, elle n'offre, comme solution aux problèmes économiques, que
l'apport d'une classe de spécialistes à une bureaucratie naissante, que
l'apport de techniciens à l'État totalitaire. Le problème est tout à fait clair,
je crois. Nous ne pouvons nous fier à l'économie politique ancienne : elle
était démocratique, certes, mais elle s'est avérée erronée. Et nous ne pouvons
nous fier non plus à la nouvelle science économique : elle est juste, mais
elle ne peut résoudre les vrais problèmes qu'en éliminant la démocratie. Nous
avons besoin d'une nouvelle économie politique qui soit exempte des erreurs de
l'ancienne, d'une économie démocratique qui puisse formuler des impératifs
pratiques à l'intention des gens ordinaires. 2
La nature d'une nouvelle
économie politique Nous
avons exprimé la nécessité d'une nouvelle économie politique en relation avec
l'ancienne économie politique et avec l'économie moderne. Pour cerner plus
précisément ce dont nous avons besoin, il convient de nous pencher brièvement
sur la nature générale de la science. Une science est, sur un plan
dynamique, l'interaction de deux facteurs : il y a, d'une part, les
données révélées par l'expérience, l'observation, l'expérimentation, les
mesures; et, d'autre part, il y a l'activité constructive de l'esprit. Les
données sont en elles-mêmes objectives, mais elles sont aussi disparates,
dépourvues de signifiance, de corrélation, de cohérence. L'esprit est, en
lui-même, cohérence; spontanément, il construit des corrélations et attribue
une signifiance; or, il lui faut des matériaux pour construire et corréler; et
pour que son travail ait une portée effective, il faut que ses matériaux soient
les données. Ainsi, la pensée et l'expérience sont deux fonctions
complémentaires; la pensée construit ce que l'expérience révèle; et la science
cristallise un équilibre exact de ces deux fonctions. Dans son évolution vers un tel
équilibre, la science se situe successivement à une série de niveaux tous plus
généraux les uns que les autres. La chimie commence par classifier les objets
matériels, elle les explique en les réduisant à des molécules, elle explique
les molécules en les réduisant à des atomes, elle explique les atomes en les
réduisant à des éléments subatomiques, puis elle unifie tous ces éléments dans
sa théorie du mouvement ou, si vous préférez, de l'énergie. De même, la
biologie classifie les êtres vivants, en distingue les parties par l'anatomie
et les fonctions de ces parties par la physiologie, déploie avec la cytologie
une étude d'un niveau plus général, s'intéresse à l'ordre subcellulaire des
chromosomes et des gènes, puis embrasse tout l'ensemble dans la perspective
unificatrice d'une théorie de l'évolution. Le passage d'un niveau de pensée à
un autre niveau plus général entraîne normalement non seulement un
élargissement mais aussi une réadaptation de toute la structure existante. Un
point de vue plus profond émerge, qui appelle un rajustement des corrélations
moins générales. Il convient de donner quelques exemples. L'astronomie de Ptolémée formait une
perspective géocentrique qui corrélait les mouvements dans le ciel par recours
à la figure du cercle, et les mouvements spontanés sur terre en faisant appel à
la règle selon laquelle les corps tombent en fonction de leur poids. Copernic
corrige cette perspective; Kepler montre que la corrélation des mouvements
planétaires dessine la figure de l'ellipse; Galilée démontre que la loi de la
chute des corps représente une proportion entre la vitesse et le temps au
carré. Chacune de ces avances corrige une théorie erronée; aucune ne constitue
un progrès vers une plus grande généralité. C'est avec Newton qu'apparaît la
généralisation. Newton s'attaque à la théorie générale du mouvement, en expose
la théorie pure, identifie les lois de Kepler et de Galilée en inventant le
calcul, et se trouve ainsi en mesure d'expliquer tout mouvement corporel connu.
Aristote, Ptolémée, Copernic, Galilée et Kepler s'étaient tous penchés sur des
classes particulières de corps en mouvement. Newton reprend leur démarche, mais
il s'occupe de tous les corps en mouvement. Pour ce faire, il se tourne vers un
champ plus général, les lois du mouvement, et trouve une unité profonde sous la
disparité apparente de l'ellipse de Kepler et du temps au carré de Galilée. En
un sens, il laisse intactes les lois de Kepler et de Galilée, puisqu'il ne
conteste aucunement leur exactitude. Mais, tout en les laissant intactes, il
les reformule et leur donne une tout autre interprétation; et un important élargissement
de l'horizon théorique s'intègre à cette transformation interne. De même, les géomètres non
euclidiens et Einstein dépassent les perspectives d'Euclide et de Newton. Les
premiers se satisfont des objets tels qu'ils peuvent les imaginer; Euclide se
limitait à trois dimensions, et Newton considérait le temps comme un paramètre,
parce que nous ne pouvons imaginer plus de trois dimensions ni voir le temps
objectivement de la même façon que nous voyons les distances. Les
non-euclidiens ont ramené la géométrie à des prémisses plus lointaines que les
axiomes d'Euclide, ils ont élaboré leurs propres méthodes, très différentes de
celles d'Euclide, et ils ne se sont guère intéressés aux théorèmes d'Euclide,
qu'ils n’ont pas contestés; de temps à autre, accessoirement, ils font appel à
ces théorèmes comme à des cas particuliers d'un champ plus large et
radicalement différent. Enfin, de même que Newton a dépassé les théories de
Kepler et de Galilée en introduisant le calcul, Einstein a dépassé Newton en employant
les géométries nouvelles pour faire du temps une variable indépendante; de même
que Newton a transformé la formulation et l'interprétation des lois de Kepler,
Einstein transforme la loi du mouvement de Newton. Pour bien saisir l'importance de ces
exemples, songeons qu'une généralisation scientifique constitue un commencement
nouveau, dans une région plus éloignée, plus abstraite, de la pensée pure; et
qu'en fonction de ce point de vue radicalement nouveau, elle transforme,
reformule, réinterprète les corrélations de la science antérieure sans
nécessairement en nier la vérité. Nous estimons que c'est par une
généralisation scientifique de l'ancienne économie politique et de l'économie
moderne que nous obtiendrons la nouvelle économie politique qui nous est
nécessaire. Nous avons soutenu dans la première partie que la science de
l'économie avait corrigé l'économie politique de manière erronée. Il y a là un
paradoxe qui s'explique : la science économique a corrigé l'économie
politique non pas en la faisant passer vers un champ plus
général - la révision n'aurait pas entraîné alors la perte de
l'esprit démocratique de l'ancien mouvement - mais en s'en tenant au
même niveau de généralité et en compensant les pertes de terrain par l'entrée
dans des champs plus particuliers tels que la statistique, l'histoire, ainsi
qu'une analyse plus raffinée de la motivation psychologique et de l'intégration
des décisions de s’engager dans des échanges. Manifestement, c'est vers le champ
plus général qu'il faut évoluer. Plus elle s'efforce de devenir une science
exacte, plus l'économie devient incapable de parler aux êtres humains, et plus
grande est la nécessité où elle se trouve de traiter les êtres humains de la
façon dont les sciences exactes traitent les atomes et les cobayes; elle doit
les soumettre aux conditions d'un laboratoire en ayant recours à une police
secrète (OGPU) pour les y garder et à un groupe de commissaires pour planifier
les expériences; elle est très très très scientifique, mais, à moins que le mot
démocratie évoque pour vous quelque chose comme la Russie, et non quelque chose
comme la Finlande, elle n'est pas du tout démocratique. Par ailleurs, seuls les
chantres du grand progrès scientifique se représentent la science comme étant
exclusivement une affaire d'observation et d'expérience, de mesures et de
statistiques. Quiconque saisit la nature de la science comprend bien qu'il ne
s'agit là que d'un volet, que la pensée est aussi essentielle que le donné
factuel, et qu'en fait elle constitue le sens même du donné factuel. Lorsque
nous appelons une nouvelle généralisation, nous ne sortons pas d'un centimètre
de l'orbite de la science. Par ailleurs, nous en appelons à un instrument que
la démocratie doit posséder, puisque c'est la généralisation étendue, la
corrélation significative, qui organise effectivement les êtres humains libres
sans entraver leur liberté. 3.
Note sur la méthode La
méthode employée pour une généralisation ne saurait être jugée en fonction de
normes antérieures. Au contraire, à moins qu'il n'y ait une divergence notable,
on peut être sûr qu'il n'y a pas de généralisation. Cela devrait aller de soi à
la suite de ce que nous avons dit précédemment, mais il n'est pas mauvais de le
répéter, car le coefficient d'inertie de l'esprit humain est normalement assez
élevé. Nous
n'aborderons pas les thèmes de la richesse ou de la valeur, de l'offre et de la
demande, des niveaux et des configurations de prix, du capital et du travail,
de l'intérêt et du profit, de la production, de la distribution, de la
consommation. On nous dira sans doute, par conséquent, que notre propos n'a
rien à voir avec la science économique, puisque la science économique est
précisément l'étude de la richesse et de la valeur, de l'offre et de la
demande, et ainsi de suite. Cette objection appelle la réponse suivante. Le
propos s'élève sur un plan plus général pour aboutir à une conclusion plus
générale. Puisque le général englobe le particulier, une science économique
généralisée inclut forcément. la science
économique particulière, familière à mon contradicteur hypothétique. L'erreur
de cet adversaire est de supposer que, puisqu'il ne connaît qu'une science
économique particulière, il ne pourra jamais en connaître plus d'une. Une objection connexe pourrait être
formulée de la façon suivante. Même si le raisonnement est censé constituer une
généralisation, il arrive qu'il se déploie au niveau des choses familières. Ce
n'est pas une faute, puisque l'on ne peut toujours se maintenir dans des zones
éthérées. Par contre, il y aura faute quand ces descentes au niveau du
concret, faisant appel à des termes
familiers, s'opéreront d'une manière qui n'est pas du tout familière. En outre,
même si les changements de connotation sont raisonnablement clairs, il n'y a
souvent aucun effort, et en tous cas jamais d'effort intégral, pour en décrire
la dénotation. La réponse à cette objection peut être tirée, en partie du
moins, de la nature de la généralisation. Puisqu'elle introduit une perspective
radicalement nouvelle, elle ne peut que voir les choses d'une manière
notablement différente. Cet écart explique les changements dans la connotation
des termes familiers, mais ne rend pas compte de l'ignorance systématique d'une
étude des dénotations. Pourquoi? Il faut, pour comprendre, se pencher sur la
nature de la méthode : la méthode est essentiellement l'ajustement d'un
moyen en fonction d'une fin; si dans une expérience un facteur ne peut être
mesuré avec une précision plus grande que la première décimale, on perd son
temps à s'occuper des mesures de millièmes ou de millionièmes, même si d'autres
facteurs peuvent effectivement être mesurés avec une telle exactitude. Or,
notre recherche produira comme conclusion une comparaison des attitudes
médiévales, classiques et totalitaires envers le domaine économique. Les
prémisses de cette conclusion consisteront dans les configurations et les
phases des relations entre certains flots rythmiques plus généraux que l'on
peut trouver dans toute économie quelque peu développée. Dans ce mouvement de
l'analyse pure à la synthèse historique, une étude des dénotations ne pourrait
qu'obscurcir la question à l'étude. De plus, elle ne rendrait en rien la
conclusion plus précise, puisque la conclusion se situe à un niveau de
généralité qui n'a rien à voir avec ces questions de détail. Une troisième objection pourrait
porter que nous arrivons à une synthèse historique sans avoir entrepris de
recherches historiques. La réponse à cette objection serait que nous n’aurions
pas besoin de recherches nouvelles pour justifier les conclusions générales que
nous présentons. En d'autres termes, toute étude historique atteint bientôt le
point où l'interprétation des données ne peut plus être déterminée simplement
par les données. C'est ainsi que chaque nation tend à écrire sa propre histoire
du passé, que chaque philosophie construit sa propre théorie de l'histoire. De
même, en histoire économique, les conclusions générales dépendent beaucoup plus
de la validité des principes d'interprétation généraux que de la précision des
détails factuels. Dans un appendice de sa Théorie générale, M. Keynes
présente comme corollaire une interprétation nouvelle de la pensée
mercantiliste : pour l'étude des faits de la période mercantiliste, il se
contente de consulter un ouvrage de recherche standard; pour l'interprétation
de ces faits, il n'accorde aucune attention aux travaux ardus des chercheurs
qui, en tant qu'interprètes, ne font que répéter les points de vue classiques;
au contraire, il fait appel à sa propre Théorie générale pour montrer qu'après
tout les mercantilistes n'étaient peut-être pas aussi fous que le prétend la
théorie classique. Cette manière de procéder est manifestement légitime, car,
s'il est nécessaire de faire des recherches pour déterminer en détail la pensée
et l'action des mercantilistes, ces recherches ne procurent aucune compétence
pour juger de la sagesse ou de la folie des mercantilistes. Seule la théorie
économique permettra de répondre à cette question, et chaque théorie produira
sa propre réponse; les classicistes en auront une, les marxistes certes en
formuleront une autre, et M. Keynes en a énoncé une troisième; or, ces
divergences ne tiennent pas à une différence dans les données factuelles mais
plutôt à une différence dans les principes adoptés par l'esprit qui porte des
jugements. Par conséquent, si nous réussissons à élaborer une généralisation de
la science économique, nous créerons forcément, du coup, une approche nouvelle
de la science économique. Une telle approche est déjà en soi une synthèse
historique. Voilà donc pour les objections qui
pourraient troubler le lecteur au chapitre de la méthode de recherche. Il
convient d'ajouter un mot d'avertissement. Si nous avons ici accentué
l'importance de la généralisation, c'est simplement que la généralisation forme
notre propos. Il ne faut pas penser que nous faisons peu de cas de l'élément
complémentaire du savoir scientifique, le stimulus massif, le contrôle
avantageux des faits. Au contraire, cette généralisation est entreprise
uniquement aux fins de rendre compte
des éléments factuels énormes négligés par l'économie politique et par la
science économique spécialisée; et c'est seulement grâce à une étude nouvelle
des faits, des faits saisis plus intégralement parce que perçus de manière plus
large, que nos conclusions générales pourront déboucher sur des applications
pratiques. 4
Le flot rythmique de base De
même que Newton, si l'on en croit la légende, a ignoré la distinction entre les
mouvements des planètes dans le ciel et la chute des pommes dans un verger,
lorsqu'il a établi, au-delà des lois de Kepler et de Galilée, l'unité profonde
de la théorie du mouvement, nous devons nous aussi ignorer les distinctions
entre la production, la distribution et la consommation, pour réussir, au-delà
de la psychologie de la propriété et des lois des échanges, à élaborer un
concept plus fondamental et une théorie plus générale. À toutes les époques de l'histoire
humaine, des cavernes préhistoriques aux utopies que nos prophètes décrivent
avec force détails, chez les cueilleurs de fruits primitifs, chez les chasseurs
et les pêcheurs, à l'aube de la civilisation agricole, sur les rives du Nil en
Égypte et de l'Euphrate à Babylone, chez les populations baignant dans la
mystique de l'Inde, dans le raffinement de la Chine, dans la pensée de la Grèce
ou dans le régime de la loi de Rome, dans les bouleversements et
l'effervescence de la période médiévale, à l'âge de l'expansion européenne et
du monde moderne, partout se manifeste le flot qui bat, la série rythmique, des
activités économiques de l'humanité. Le processus global, les
potentialités physiques, chimiques, végétales, animales et humaines de la
nature universelle, sont constamment stimulées, guidées, soutenues par l'effort
humain déployé aux fins de la survie et de la jouissance humaines, pour les
réalisations, les mises au rebut et les destructions qu'opèrent les humains.
Toute l'activité humaine s’exerce de manière rythmique, en une série de
pulsions, et le rythme total est un agrégat de nombreux rythmes mineurs de
diverses magnitudes et fréquences. Or, si l'ensemble est rythmique, les
éléments ne sont pas tous économiques. Les humains sont actifs dans de nombreux
domaines : ils organisent la société humaine par la politique et la
guerre; ils orientent leur vie par la philosophie et la religion; ils
accroissent leurs connaissances par la science et perpétuent leurs intuitions
par l'art; ils calment leurs passions et régissent l'équité par la loi; ils
protègent et favorisent la santé par la médecine; et chaque génération reçoit
de la précédente ce trésor de culture grâce à l’héritage de l'éducation. Tout
cela forme une transformation rythmique des potentialités naturelles, réalisée
par l'effort humain; aucun de ces secteurs ne constitue à proprement parler une
activité économique. Pourtant, le facteur économique conditionne toute culture
et lui est inextricablement associé. Tout gouvernement a un budget, même s'il
ne réussit pas à l'équilibrer; les organismes religieux et juridiques doivent
posséder des églises et des tribunaux, ils doivent faire imprimer et abriter
des livres, et former leurs représentants; l'art exige du matériel, des
galeries, la science, des laboratoires, la médecine, des hôpitaux, l'éducation,
un vaste réseau hiérarchisé d'écoles, de collèges et d'universités. Le tissu
matériel de l'habitat de la culture est donc de nature économique, et cette
superstructure repose sur le domaine purement économique qui concerne
l'alimentation, l'habillement, les services publics et les loisirs. Il faut donc distinguer dans le
rythme universel de toute l'activité humaine une pure superstructure d'activité
culturelle, le tissu matériel de cette superstructure et le fondement de ces
deux éléments. Notre recherche portera sur le rythme général en tant que
fondement et que tissu matériel; ou, pour prendre les choses autrement, nous
étudierons le flot palpitant de l'activité humaine, en faisant abstraction de
son volet purement culturel. À un stade avancé de notre propos, où nous
exclurons les économies primitives - celles de l'Océanie, des tribus
de chasseurs nomades, des sociétés féodales isolées, des Robinson
Crusoé - nous pourrons tracer de façon plus précise, définir plus
nettement, le domaine économique. Car nous intégrerons alors les concepts
juridiques de la propriété et des échanges. D'ici là, nous devons nous en tenir
à la caractérisation plus vague qui nous est donnée : les concepts
juridiques, comme tous les concepts, doivent être élaborés; et rien ne sert
d'attribuer au champ universel une précision à laquelle la conscience
universelle n'atteint que très lentement. 5
Introduction du symbole DA À
compter de maintenant, nous allons utiliser le symbole DA pour désigner le rythme de base. A renvoie à « l’activité économique » et D signifie que cette activité forme une
série d'événements, un flot d’impulsions, un rythme composite formé de nombreux
rythmes mineurs de diverses magnitudes et fréquences. Comme nous allons établir une
douzaine de symboles semblables, il convient de préciser le sens de DA. DA
ne représente pas une moyenne, mais le volume global d'un flot : il
renvoie à l'émergence, à la période plus ou moins longue d'utilité, puis à la
disparition, à la désintégration ou à la mise au rebut d'un ensemble de repas,
de vêtements, de maisons, de fermes, de mines, de routes, de marchés, de
navires, de villes, de manufactures, de services publics, de loisirs, d'écoles,
de tribunaux, de parlements, d'hôpitaux et d'églises. DA
traduit ce flot rythmique en un taux. Il signifie « telle quantité à telle
fréquence ». Nous ne chercherons pourtant pas à déterminer quelle quantité
de telle ou telle chose se retrouve à quelle fréquence. Nous devrons nous en
tenir à une distinction qualitative des quantités, tout comme nous établissons
une distinction des différences quantitatives des longueurs d'onde de la
lumière en faisant appel aux différences qualitatives du spectre. Nous pourrons
donc repérer des rythmes plus grands, ou plus petits que d'autres, ou à peu
près égaux, et dire par exemple que le rythme économique des États-Unis en 1928
était sensiblement supérieur à celui qu'a connu ce pays en 1932. Mais nous ne
serons pas en mesure de préciser que le rythme de 1932 représentait 49,302 % du
rythme de 1928. Un tel énoncé présupposerait des mesures exactes, et nous
n'envisageons même pas de créer une
unité de mesure. Même s'il désigne une quantité
objective, DA n'est pas un symbole
mathématique. Car un symbole mathématique ne peut représenter que ce qui, en
théorie du moins, peut effectivement se mesurer. Or, nous n'offrons aucun
étalon, aucune tige faite d'un alliage très précis, présentant les justes
proportions de tonnes, de barils, de milles et d'heures du rythme universel.
Par conséquent, aucune mesure n'est possible et DA ne peut être un symbole mathématique. Parler d’une proportion de
49 % de DA n'aurait aucune
signification; cela n'aurait aucune signification non plus de chercher à
appliquer à DA l'algèbre ordinaire,
par exemple la théorie des équations du second degré ou
les règles du calcul intégral. Enfin,
même si l'algèbre ordinaire ne saurait s'appliquer, il est possible de
concevoir une algèbre symbolique. Il y a une algèbre symbolique qui s'appelle
la logistique, et qui peut s'appliquer à tout processus de raisonnement; plus
précisément, une algèbre peut s'appliquer à notre processus de raisonnement à
cause de ses analogies mathématiques plus nombreuses. Mais une telle
application sera incidente; nous n'avons aucunement l'intention d'infliger au
lecteur une algèbre symbolique. Notre propos sera beaucoup plus simple et
beaucoup plus clair si nous signalons les analogies mathématiques lorsqu'elles
se présenteront. Voilà donc pour la signification
précise de DA. Il s'agit du taux
global, du rythme global ou du volume global d'un flot; il s'agit d'une
quantité, mais les différences quantitatives sont distinguées qualitativement,
comme le sont les couleurs; il ne s'agit ni d'un nombre ni d'un symbole
algébrique ordinaire, mais nous lui découvrirons diverses analogies, divers
parallèles mathématiques. Ce que nous avons dit à propos de DA s'appliquera également aux termes
semblables que nous introduirons plus loin. À cette seule différence
près : une fois que l'argent a fait son apparition, il devient possible
d'établir diverses unités de mesure et de s'approcher ainsi du champ
mathématique. 6
La structure dynamique du
rythme de base La structure matérielle du rythme de base est une
réalité très familière. Elle est formée de la série des facteurs de production.
Le cuir est apporté de la ferme d'élevage au marché. Les négociants se
procurent les peaux et les redistribuent aux tanneurs. Les tanneurs les
transmettent aux fabricants de chaussures qui les transfèrent, transformées en
souliers, aux consommateurs, par l'intermédiaires des grossistes et des détaillants.
Chacun des facteurs de cette série est un rythme économique, un ensemble de
travaux routiniers, qui produisent telle quantité à telle fréquence. Il faut
cependant que tous les facteurs soient réunis pour engendrer le produit final,
soit tant de paires de chaussures à telle fréquence. Or, la structure dynamique du rythme
de base a beaucoup plus d'importance que sa structure matérielle. La structure
dynamique consiste en un certain nombre de niveaux différents de la série de
production; la série inférieure a un flot dont le volume est proportionné au
volume des produits finals; la série du niveau suivant a toutefois un volume
proportionné à l'accélération du niveau inférieur; la série au troisième niveau
a un volume proportionné à l'accélération de l'accélérateur du niveau
inférieur; et ainsi de suite. Par exemple, une tonne de fer peut
être utilisée à chacun de ces trois niveaux. Au niveau inférieur, une tonne de
fer est transformée en une tonne de pièces d'automobile ou d'instruments
agricoles. Au deuxième niveau, une tonne de fer est transformée en une tonne de
machinerie destinée à la fabrication d'automobiles, d'instruments agricoles, ou
d'autres matériels. Au troisième niveau, une tonne de fer est transformée en
une tonne de machinerie destinée à la fabrication des machines qui serviront à
fabriquer des automobiles ou d'autres matériels. Chaque niveau supérieur constitue
manifestement une accélération du niveau inférieur. Une nouvelle tonne de fer
au premier niveau se traduira par la fabrication d'une, ou deux, ou trois
voitures de plus. L'ajout d'une tonne de fer au deuxième niveau servira à la
fabrication, par exemple, d'une nouvelle machine pour la fabrication de
voitures; il se traduira par la production supplémentaire non pas d'une, deux ou
trois autos, mais d'un nombre indéfini
d'autos additionnelles. L'apport d'une tonne de fer au troisième niveau
entraîne l'arrivée d'une nouvelle machine-outil, c'est-à-dire d'une machine
destinée à la production des machines employées dans les usines; or, la
nouvelle machine-outil servira, non pas
à une seule usine, mais à un nombre indéfini d'usines; et chacune de ces usines
espère produire un nombre indéfini de voitures. Dans chaque cas, la tonne de fer
vient s'ajouter à un flot donné : au flot des automobiles, au flot des
matériels d'usine ou au flot des machines-outils. Ces trois flots sont associés
de manière extraordinaire; des apports égaux aux différents flots ne se
traduisent pas par des différences égales dans les résultats finals; un apport
au niveau inférieur produit un accroissement proportionné à ce niveau, tel que
l'ajout de quelques automobiles; un apport au deuxième niveau produit également
un accroissement proportionné à ce niveau, mais entraîne aussi un accroissement
indéfini au niveau inférieur; et le troisième niveau est au deuxième ce que le
deuxième est au premier. Cette différence est celle qui
existe entre la distance et la vélocité, d'une part, et entre la vélocité et
l'accélération, d'autre part. Si vous roulez à trente milles à l'heure, à
quelle distance allez-vous vous rendre? Il n'est pas possible de répondre à
cette question. Vous allez peut-être parcourir trois mille milles, ou trois
cents, ou trente, ou trois. Trente milles à l'heure est une indication
indéfinie en ce qui a trait à la distance; une indication qui nous dit
simplement à quelle vitesse la distance sera parcourue. Par ailleurs, si vous
augmentez la pression sur l'accélérateur en abaissant la pédale d'un quart de
pouce, à quelle vitesse roulerez-vous? Il n'est pas possible de répondre à
cette question. L'accélération signifie non pas une vitesse, mais une
augmentation de vitesse.
Toute forme d'activité économique est un ensemble de d'actions
habituelles. Chaque action débouche sur une fréquence. Ainsi, tout volet du
rythme de base tient en soi de la nature d'une vélocité. Mais si nous
comparons différents rythmes au produit
final que sont les biens et services, nous constatons que certains rythmes sont
liés proportionnellement, et d'autres, disproportionnellement. Un agriculteur
peut exploiter une ferme et produire telle quantité de denrées alimentaires
chaque année, ou encore il peut défricher des terres et produire tant de fermes
par année. Un armateur peut posséder des navires qui transportent telle
quantité de marchandises par année, ou encore il peut construire des navires
destinés à telle quantité supérieure de compagnies ou à des compagnies dont la
taille est supérieure dans telle proportion, chaque année. Un industriel
pétrolier peut exploiter un puits pour produire tant de barils de pétrole
chaque année, ou encore il peut faire forer des puits pour ajouter tant de fois
« tant de barils de pétrole par année ». Que l'on exploite une ferme
ou défriche des terres, que l'on exploite des navires ou construise des
navires, que l'on exploite un puits de pétrole ou fore de nouveaux puits,
l'activité déployée est, dans tous les cas, une routine, une vélocité, un
« tant de fois par … ». Même s'il s'agit dans tous les cas de
vélocités, la fonction de ces vélocités n'est pas toujours la même. La fonction
de certaines activités est celle de simples vélocités; la fonction d'autres
activités est celle de vélocités qui accélèrent d'autres vélocités. Un ensemble
de rythmes constitue une série de facteurs de production qui aboutissent à un
flot de chaussures; un autre ensemble de rythmes aboutit à un flot de
manufactures de chaussures. Chacun des rythmes du dernier groupe vise à
produire un flot de chaussures, de sorte qu'un flot de manufactures de
chaussures vise à produire un flot de flots de chaussures. Certes, plus le niveau est élevé,
moins grande est la vélocité du rythme. Si je parcours trois cents milles, cela
ne signifie pas que je voyage à trois cents milles à l'heure. Pour rouler à
trente milles à l'heure, je vais déplacer la pédale de l'accélérateur, non pas
de trente milles, mais de trente millimètres. En fait, l'objet de l'automobile
est la possibilité de parcourir trois cents milles à trente milles à l'heure
par un simple enfoncement de trente millimètres de la pédale de l'accélérateur.
De même, l'objet du défrichement est la possibilité d'un rendement agricole
annuel indéfini; l'objet de la construction de navires est la possibilité de
transporter des marchandises non pas une fois, mais indéfiniment; l'objet de la
fabrication de machines servant à fabriquer des machines pour la construction
de navires est de doter en équipement un nombre indéfini de chantiers navals.
La dimension n'est donc pas le critère de l'importance des choses. En outre, il faut remarquer non
seulement que cette structure dynamique concerne l'importance des choses, mais
aussi que la même opération matérielle peut avoir fonctionnellement différentes
importances. Pour l'industriel qui fabrique des voitures, produire des
automobiles ou produire des camions poids lourds, c'est toujours exploiter la
même entreprise. Mais la fabrication d'automobiles se situe au niveau inférieur
et la fabrication de poids lourds, au deuxième, voire au troisième niveau.
L'automobile est un bien de consommation. Le poids lourd est un bien de
production. L'automobile ajoute un élément utile, et peut-être même contribue à
la jouissance de la vie. Les camions poids lourds accélèrent les processus de
production et de distribution. Chaque camion poids lourd représente un flot de
services. Un flot de camions poids lourds sortant de l'usine constitue un flot
de flots de services aux consommateurs. Voilà donc pour la structure du
rythme de base. Il y a une structure matérielle qui consiste en une série de
facteurs de production. Il y a également une structure dynamique, une série de
niveaux de séries de production, où chaque niveau marque une accélération du
niveau précédent. 7
DA, DA', DA'' Nous avons représenté par le symbole DA l'ensemble des rythmes qui existent à
un moment donné. Nous devons maintenant nous pencher sur deux autres ensembles,
DA' et DA'', dont la somme est égale à l'ensemble global. DA'
est l'ensemble des rythmes primaires,
des routines qui sont des facteurs de production au niveau inférieur. Par
définition, tout ajout aux rythmes primaires tend à entraîner un ajout
proportionné au lot des produits finals. Si une famille inuit attrape un
poisson de plus par semaine, elle tendra à en manger un de plus par semaine. DA''
est l'ensemble des rythmes secondaires.
Les rythmes secondaires comprennent tous les rythmes qui ont une fonction
d'accélération à l'égard des rythmes primaires. Dans l'abstrait, il serait
peut-être préférable de distinguer différents niveaux de rythmes secondaires,
de donner des désignations différentes aux accélérateurs simples, aux
accélérateurs d'accélérateurs, aux accélérateurs d'accélérateurs
d'accélérateurs, et ainsi de suite. Mais, comme nous pourrons le constater, une
telle distinction n'aurait pas de portée réelle au-delà du premier niveau; il
est essentiel d'établir une distinction entre les rythmes primaires et leurs
accélérateurs; mais en général il n'est pas nécessaire de distinguer différents
niveaux d'accélération. Par conséquent, nous groupons ces accélérateurs et leur
donnons la désignation collective DA''. Tout ce qui a été dit de la nature
de DA s'applique également à DA' et à DA''. Ces symboles ne représentent pas des moyennes, mais des
ensembles de rythmes particuliers. Ils désignent des quantités : tant de
choses à telle fréquence. Ces quantités ne sont pas mesurées, mais une
distinction qualitative est établie entre leurs grandeurs, à l'instar de la
distinction des longueurs d'ondes de la lumière. Et elles ne peuvent être
mesurées, car aucune unité de mesure n'a été établie jusqu'ici. Manifestement, en un certain sens, DA égale DA' plus DA''. Les deux
derniers termes représentent deux parties du premier terme. Or, l'équation
n'est pas arithmétique, puisque les termes ne sont pas des nombres. Et elle
n'est pas encore algébrique, puisque les termes ne représentent pas des
nombres; ils doivent le faire lorsqu'une unité de mesure aura été établie. Pour
le moment, l'équation est vraie au sens où la quantité totale de vapeur dans un
cylindre est égale aux quantités de chaque côté du piston alors qu'aucune
méthode n'a été conçue pour mesurer les pressions de vapeur. Dans les deux cas,
l'égalité existe, mais elle n'est pas strictement mathématique. 8
Fonctions de DA' et de DA'' dans le rythme de base Nous avons cherché à exposer la distinction entre DA' et DA''. Nous allons maintenant nous pencher sur leur rôle. DA'
concerne les produits finals, les biens et les services requis non pas pour les
besoins du processus économique, mais à d'autres fins. Il y a deux types de ces
biens et services : ordinaires
et supérieurs (overhead). Les produits finals ordinaires sont les flots
de nourriture, de vêtements, de gîtes, de loisirs, d'ornements, de commodités,
de services publics, et ainsi de suite. Les produits finals supérieurs
(overhead) tiennent à la superstructure culturelle de la société : ce sont
les flots de livres, d'écoles, d'hôpitaux, de tribunaux, de prisons,
d'arsenaux, d'édifices publics, de voies et de ponts non commerciaux,
d'églises, et ainsi de suite. En gros, ces deux catégories correspondent aux
domaines « privé » et « public ». Il vaut mieux toutefois
éviter cette terminologie, puisqu'elle soulève une question centrale en
économie politique. DA'',
par définition, concerne l'accélération de DA'
, de trois façons. Premièrement, il opère un élargissement, qui augmente le nombre ou
la grandeur des unités de production existantes. Deuxièmement, il opère un approfondissement, qui augmente
l'efficacité des unités de production existantes. L'élargissement n'augmente les
unités de production que par un accroissement proportionné de la quantité de
travail requis. L'approfondissement, au contraire, modifie l’équation de sorte
qu’une quantité moindre de travail produise une quantité égale d'unités de
production. L'élargissement et l'approfondissement
peuvent se subdiviser. L'élargissement peut porter sur l'un des niveaux
d'accélérateurs : il peut signifier une augmentation du nombre d'usines
produisant des chaussures ou des automobiles; il peut également signifier une
augmentation du nombre de machines-outils et de sociétés de construction qui
produisent et équipent un nombre croissant d'usines. L'approfondissement peut accompagner
l'élargissement. L'approfondissement aura alors comme incidence un simple
changement dans la distribution du travail. Les personnes sont moins employées
dans les entreprises existantes, mais des entreprises nouvelles, plus
importantes, surgissent, où elles pourront trouver du travail. Or il peut aussi
y avoir un approfondissement sans élargissement. Dans ce cas les personnes sont
libérées du domaine de l'activité économique : elles peuvent accéder au
domaine des activités culturelles, ou encore, dans une société médiocrement
gouvernée, tomber dans l'enfer du chômage. Les deux types d'approfondissement
distingués sont l'approfondissement transitoire et l'approfondissement final.
Le premier type sert simplement à favoriser un plus grand élargissement. Le
second permet à l'être humain de connaître les avantages des loisirs. Les rythmes secondaires exercent une
troisième fonction. Non seulement produisent-ils une accélération réelle du rythme total par
l'élargissement et l'approfondissement, mais ils entraînent aussi
l'accélération théorique que
constitue le maintien de DA' à une
cadence de débit donnée. La pédale de l'accélérateur dans une voiture ne se
trouve pas à la position zéro lorsque la voiture n'accélère pas : le
conducteur doit enfoncer la pédale d'une certaine distance simplement pour
maintenir la vitesse acquise. De même, il faut maintenir à quelque « telle
quantité à telle fréquence » les rythmes secondaires en DA'' simplement pour maintenir les
rythmes primaires à leur cadence acquise. Par conséquent, un travail de
maintenance, de réparation, de remplacement s'impose en plus des fonctions
d'élargissement et d'approfondissement; et ce travail constitue une troisième
fonction de DA''. Nous emploierons ci-dessous
l'expression commode de zéro réel de DA''.
Théoriquement, DA'' est à zéro
lorsque les rythmes secondaires sont à zéro, lorsqu'ils ne produisent jamais
quoi que ce soit. Dans la réalité, DA''
est à zéro lorsque, malgré sa « telle quantité à telle fréquence »
tout à fait réelle, il n'y a aucune augmentation de la cadence de DA' ni de celle de DA''. Manifestement, plus grand sera
l'élargissement, plus grande sera la cadence subséquente à laquelle la
maintenance, la réparation et le remplacement absorberont les activités de DA''. Nous appellerons cet accroissement
une hausse du zéro réel. Par
ailleurs, dans la mesure où l'approfondissement transitoire ou
l'approfondissement final diminue le nombre des unités de production, réduit la
maintenance et prolonge la vie des instruments de production, il réalise une baisse du zéro réel. 9
Transformations de la
structure dynamique Jusqu'ici
nous avons examiné en coupe transversale la structure dynamique du rythme de
base. Nous avons distingué DA' et DA'' et énuméré leurs diverses
fonctions. Or rien n'empêche ces fonctions de se déployer simultanément. Nous
devons maintenant nous pencher sur des différences de temps, qui forment des
transformations de la structure dynamique. Ces transformations sont de deux
types : des transformations du contenu
des rythmes économiques et des transformations de l'organisation de ces rythmes. Pour illustrer les différences de
contenu, il suffit de comparer les cueilleurs de fruits, les chasseurs et les
pêcheurs primitifs, les premières sociétés d'agriculteurs, à l'agriculture
associée au commerce maritime, puis à la transformation industrielle des
métiers, du commerce et même de l'agriculture. Pour illustrer les différences
de l'organisation humaine, nous pouvons évoquer l'évolution de l'idée de
propriété, le passage du troc à l'argent puis au superargent du monde
financier, le développement de la théorie économique se traduisant par des
règles de conduite différentes dans la société médiévale, le monde capitaliste
et les régimes totalitaires. Une étude de ces transformations
permettra d'intégrer en une même perspective les fonctions ordinaires et
supérieures de DA', ainsi que l'élargissement,
l'approfondissement et la maintenance réalisés par DA''. Premièrement, le processus de
transformation est une série d'émergences conditionnées. À l'instar d'une cotte
de mailles, les stades successifs du progrès économique s'enchaînent. Les tribus
primitives de chasseurs et de pêcheurs ajoutent le DA'' restreint de la fabrication d'armes, de filets et
d'embarcations à l'économie encore plus primitive des cueilleurs de fruits.
L'agriculture ajoute à la culture primitive le bœuf et la charrue et l'idée pas
du tout évidente de la propriété. Un certain nombre de métiers de soutien
surgissent, qui sont conditionnés par le temps libre favorisé par
l'agriculture. L'expansion de ces métiers est fonction de l'avènement d'un
commerce extensif, et le déploiement du commerce en ses centres, sinon en ses avant-postes, exige l'introduction
de l'argent. Le temps libre créé par la combinaison de l'agriculture, des arts
mécaniques et du commerce stimule et permet à la fois l'étude des sciences; et
les sciences se traduisent bientôt par leurs formes appliquées, par
l'organisation financière et par la production de masse qui transforment
l'agriculture, le commerce et les métiers et qui tissent entre les humains des
liens d'interdépendance économique, à l'opposé de l'autarcie des primitifs. Chaque
stade de ce long processus est amorcé par une idée nouvelle qui doit d'abord
surmonter les intérêts associés aux idées anciennes, qui doit chercher à se
réaliser avec les risques que comporte l'entreprise, qui ne porte du fruit
qu'après avoir été adaptée et modifiée mille fois par l'intervention d'une
imagination créatrice. Et chaque idée, après avoir porté ses fruits, doit consentir à mourir. Une
idée nouvelle cesse d'être nouvelle une fois apparue. Elle advient non pas
comme un acquis permanent de l'être humain, mais comme une servante provisoire.
Elle connaît son heure de gloire ou de mystification, heure qui peut être plus
ou moins longue, selon son degré de généralité; mais tôt ou tard, que
surgissent ou non d'autres idées, de nouvelles généralisations la
transformeront, au point de la rendre méconnaissable. Ainsi, la diligence
disparaît pour faire place au train, le clipper est remplacé par le bateau à
vapeur, le rouet et le métier à tisser cèdent le pas devant les usines
électrifiées, les changeurs sont remplacés par les courtiers, puis les
courtiers par les banquiers et les
financiers. Et il n'est pas impossible que de nouvelles avances scientifiques
rendent autonomes de petites unités en fonction d'une norme de vie
ultramoderne, de sorte à éliminer le commerce et l'industrie, à transformer
l'agriculture en une superchimie, à faire disparaître la finance et même
l'argent, à faire de la solidarité économique une chose du passé, et de la
maîtrise de la nature la seule différence entre une civilisation avancée et les
sociétés de jardiniers primitifs. Mais nous
n'en sommes pas là. Et pour s'acheminer vers ce but, ou tout autre but, la
société doit remplir une condition. Elle ne saurait être un titanothore, une
bête possédant un corps de dix tonnes et un cerveau de dix onces. Elle doit
consacrer le gros de ses efforts non pas aux produits finals ordinaires qui
constituent le niveau de vie, mais aux produits finals supérieurs (overhead)
des apports culturels. Elle ne doit pas se complaire dans l'élargissement, dans
la multiplication des industries, dans l'illusion d'alimenter l'âme des humains
en leur offrant du travail en abondance. Elle doit se glorifier de son
approfondissement, du pur approfondissement qui accroît le domaine des loisirs,
qui libère entièrement de grands nombres de personnes et tous les humains
progressivement pour l'exercice d'activités culturelles. Elle ne doit pas
s'enorgueillir de la science en se vantant d'avoir grâce à la science le ventre
bien rempli. Elle ne doit pas fixer un regard myope sur tel ou tel domaine.
Elle doit lever les yeux, de plus en plus, et porter attention aux domaines de
spéculation plus généraux, plus difficiles, car c'est de ces perspectives
qu'elle doit tirer le délicat mélange d'unité et de liberté où le progrès doit
nécessairement prendre naissance et se déployer laborieusement. Il est facile
de réaliser l'unité sans la liberté : il suffit d'un dictateur et d'une
police secrète. Il est facile également de connaître la liberté sans
l'unité : il suffit de laisser la mauvaise herbe croître sous les rayons
d'une adulation stupide. Mais joindre la liberté et l'unité soulève tout un
problème. Il faut faire preuve d'une discipline de l'esprit et de la
volonté : il faut déployer une appréhension d'une grande acuité, une
appréhension dégagée des idées reçues d'une perspective provinciale, une
appréhension qui n'ait pas encore versé dams l'inconsistance du scepticisme; il
faut manifester une vitalité dans la réaction aux situations qui se traduise
par une reconnaissance de la désuétude des dispositifs surannés, par le
sacrifice des gratifications associées aux réalisations passées, par la
capacité de tout recommencer sans amertume, par une aptitude à s'engager
personnellement sans attendre quelque avantage personnel. Force est de
constater qu'une bureaucratie est capable d'imiter mais incapable de créer, car
l'esprit souffle où il veut, et toutes les idées nouvelles sont ridicules
jusqu'à preuve du contraire établie par l'initiative individuelle, adaptée par
une imagination créatrice, concrétisée par le risque personnel. Le chaos peut
créer, mais il peut créer n'importe quoi; le chaos invente les gaz mortels et
l'anesthésie, et fait usage des deux; il invente les mécanismes financiers qui
soutiennent de brillantes expansions puis connaissent des effondrements
incompréhensibles; il bâtit la prospérité des grandes villes et crée les bas
fonds; il fulmine contre le mal mais il doit jeter l'ensemble d'une
civilisation dans la marmite d'un grand brassage expérimental avant de pouvoir
se prononcer sur la valeur d'une nouveauté; il débauche l'esprit dans un
brouillard de contradictions babéliques pour l'abandonner au mythe et au
fanatisme. En conclusion, toutes les fonctions
des rythmes primaires et secondaires font partie intégrante du processus
universel. Ce processus consiste non seulement en un travail d'élargissement,
en un approfondissement aux fins d'un plus grand élargissement, en une
combinaison d'élargissement et d'approfondissement qui procure de modestes
plaisirs, de médiocres amusements. La dimension culturelle et
l'approfondissement qui libère l'être humain pour les loisirs et l'activité
culturelle sont aussi des volets essentiels - trop souvent
ignorés - du rythme mondial des transformations économiques. Et il ne
suffit pas de poser quelque facteur commun, supérieur, représentant la culture,
d'accepter les sciences physiques sans se soucier de leur intégration
supérieure sous prétexte que c'est là une entreprise trop difficile, trop obscure,
trop incertaine, trop éloignée. Une telle attitude à l'égard de l'esprit tient
du titanothore, qui fait partie des espèces disparues. 10 Les lois généralisées des rendements croissants et des rendements
décroissants La corrélation des différentes fonctions de DA' et de DA'' peut être exprimée également comme une généralisation de deux
lois économiques familières : les rendements croissants et les rendements
décroissants. La simple formulation de ces lois
concerne des entreprises particulières en des lieux et des moments
particuliers. On a pu démontrer en Angleterre que des ajouts de terres
cultivées produisaient des rendements de plus en plus faibles. Plus tard, en
Amérique, on affirmera que l'augmentation des terres cultivées produit des
rendements de plus en plus élevés. Pour résoudre cette antithèse, on soutiendra
que dans un vieux pays l'exploitation agricole produit des rendements
décroissants, mais que dans un pays jeune elle entraîne pendant un certain
temps des rendements croissants. Une généralisation de ce principe se
traduirait par la proposition suivante : l'exploitation d'une idée, dans
un domaine donné, produit d'abord des rendements croissants, et ensuite des
rendements décroissants. Est-ce
que ce point de vue se défend? Peut-être bien. Mais un problème plus général
nous intéresse ici. Nous redéfinissons les rendements croissants et les
rendements décroissants, en prenant comme point de référence l'accélération du
rythme économique universel. Les procédés qui augmentent les possibilités d'une
nouvelle accélération seront considérés comme des procédés qui produisent des
rendements croissants; les procédés qui réduisent les possibilités d'une
nouvelle accélération seront considérés comme des procédés qui produisent des
rendements décroissants. En ce sens, tout élargissement est
susceptible d'entraîner des rendements décroissants. Car tout élargissement
accroît la taille et le nombre des entreprises existantes et augmente par
conséquent la quantité d'efforts à consacrer aux fonctions de maintenance, de
réparation et de remplacement. L'élargissement relève donc le zéro réel et fait
passer une proportion accrue de DA''
du champ de l'accélération réelle au champ de l'accélération purement
théorique. Et comme, dans tout ensemble de circonstances, DA'' constitue une grandeur finie quelconque, plus le zéro réel est
élevé, plus réduites seront les possibilités d'une nouvelle accélération. Par
ailleurs, les transformations progressives de la structure dynamique produisent
des rendements croissants. Une civilisation agricole jouit d'une situation
indéfiniment meilleure que les sociétés de jardiniers, de chasseurs ou de
pêcheurs primitifs. Lorsque le commerce vient s'ajouter à l'agriculture, il
s'ensuit une vaste expansion des arts mécaniques. Et quand les sciences
appliquées viennent transformer le commerce, les métiers et l'agriculture, il
s'ensuit une vaste expansion par rapport à la situation antérieure. Cet enchaînement peut être présenté
d'un autre angle. L'approfondissement, qui est un accroissement d'efficacité,
réduit les fonctions de maintenance, de réparation et de remplacement; il
abaisse le zéro réel et rend donc possible une nouvelle accélération. Cette
possibilité peut être exploitée pour un nouvel élargissement. Ce qui donne des
rendements décroissants. Si toutefois l'élargissement se solde par une
expansion supérieure et non pas ordinaire, c'est-à-dire par une amélioration du
tissu matériel de la culture et non pas par une amélioration des conditions de
vie matérielle, il entraîne alors un développement culturel qui ouvre la voie à
une autre transformation de la structure dynamique. Si, par contre, l'approfondissement
n'est pas exploité aux fins d'un nouvel élargissement, il entraîne forcément
une augmentation du temps libre. Ce temps libre peut être gaspillé, de fait,
comme tout le reste, mais s'il est employé judicieusement il favorise un
développement culturel qui suscite une nouvelle transformation. En
conclusion, il faut observer que, même si la transformation et
l'approfondissement constituent les principes des rendements croissants et
l'élargissement, le principe des rendements décroissants, cela ne veut pas dire
qu'il faut choisir l'un de ces deux pôles et exclure l'autre. L'humanité doit
accepter ces deux pôles. La transformation et l'approfondissement constituent
l'émergence effective d'idées nouvelles, tandis que l'élargissement représente
l'exploitation de ces idées. L'exploitation seule entraînerait une stagnation.
L'émergence d'idées nouvelles qui ne s'accompagne pas de leur application
pratique intégrale les prive d'une vérification indispensable et bloque
l'arrivée ultérieure d'idées qui corrigent et prolongent les précédentes. Le
rythme universel du « tant de fois à telle fréquence » est
essentiellement soumis à la loi d'un rythme supérieur. Ce rythme supérieur est
une succession de transformations suivies d'exploitations ou, si vous préférez,
une succession d'exploitations qui au bout d'un certain temps postulent une
transformation nouvelle, un recommencement ouvrant des potentialités nouvelles. 11
Les phases cycliques du
rythme universel Il nous faut maintenant exprimer le rythme supérieur
en fonction des variables DA' et DA''. C'est-à-dire distinguer quatre
configurations que peuvent dessiner les combinaisons des variables et montrer
que ces quatre configurations peuvent représenter les phases successives d'un
cycle. Premièrement, il se peut que DA' et DA'' soient constantes, et de plus que DA'' se trouve au zéro réel. Nous désignerons cette configuration
la phase statique. Deuxièmement, il se peut que DA'' croisse sans qu'il y ait croissance
de DA', donc que DA' demeure constante. Nous avons là la phase capitaliste. Troisièmement, DA'' peut être constante mais se trouver au-dessus du zéro réel et
appliquer son surplus accélérateur à l'accroissement de la DA' ordinaire. Et c'est la phase
matérialiste. Quatrièmement, DA'' peut être constante, se trouver au-dessus du zéro réel, mais
appliquer son surplus accélérateur à l'accroissement de la DA' supérieure (overhead). Elle donne ainsi naissance à la phase culturelle. Avant d'aborder le principe des
distinctions, il convient d'illustrer les diverses phases. Dans la phase statique les choses
tendent à rester comme elles sont. Le processus économique reste en
friche : il n'y a aucun accroissement des moyens de production, sinon DA'' ne resterait pas au zéro réel; il
n'y a pas d'augmentation de la DA'
ordinaire du niveau de vie ou dans la DA'
supérieure (overhead) de l'expansion culturelle. Il se peut que certaines
personnes deviennent plus riches en appauvrissant d'autres personnes, mais il
est impossible qu'augmente la richesse collective, la richesse étant entendue
dans un sens dynamique. Par ailleurs, la phase capitaliste
est la période des transformations radicales. DA'' s'accroît sans que DA'
augmente. Lorsque Robinson Crusoé entreprend de cultiver un nouveau champ, il
accroît son travail et son capital; or, le défrichement de ce champ représente
une tâche plus grande que la culture ultérieure de ce champ; et tant qu'il se
consacre aux besognes préliminaires il a plus de travail, mais ne connaît que
l'anticipation d'un niveau de vie supérieur. De même, la révolution
industrielle au XIXe siècle a transformé les moyens de production; elle a exigé
presque continuellement une main-d'œuvre importante; mais ce n'est que dans le dernier quart de siècle que le niveau
de vie a commencé à s'élever de façon générale. En Russie, l'industrie a reçu
un élan formidable dans la mise en œuvre des plans quinquennaux, mais les files
d'attente devant les magasins n'ont cessé de s'allonger et les visages de
s'assombrir. La phase capitaliste est essentiellement une période d'initiative
et d'épargne (thrift) : elle existe, et ses traits essentiels se
manifestent tout autant sur une île déserte, dans la vieille Angleterre des
Whigs et des Tories, que dans le tout nouveau régime anticapitaliste des
Soviétiques. La phase capitaliste est cependant nécessairement transitoire. Une
augmentation de DA'' est
insignifiante si elle n'entraîne pas une augmentation de DA', car la raison d'être de DA''
est d'accélérer DA'. Or, DA' est ambivalente; elle peut revêtir
un caractère ordinaire ou supérieur (overhead); elle peut concerner la
nourriture, l'habillement, l'hébergement, les commodités, les services publics,
les loisirs - son volet ordinaire; ou elle peut être le tissu
matériel de la culture, les instruments de l'apprentissage et les professions. La phase matérialiste consiste en un
tournant dans l'incidence du surplus accélérateur de DA'' : au lieu de continuer à accroître DA'', ce surplus fait augmenter la DA' ordinaire. Comme il y a surplus, DA'' se situe au-dessus du zéro réel. Et comme ce surplus ne sert
pas à accroître DA'', DA'' demeure constante. Puisque le
surplus fait augmenter la DA'
ordinaire, le niveau de vie augmente. L'idéal de cette période est « un
poulet dans chaque marmite ». Les syndicats font monter les salaires. La
publicité invite les masses à un nouveau mode de vie. Les administrateurs
intelligents favorisent les deux mouvements : la hausse des salaires qui
fait croître le ratio de rotation (turnover) global, et la publicité qu'ils
utilisent pour obtenir la plus grande part possible de ce ratio. Quelle
meilleure illustration de cette phase matérialiste pouvons-nous trouver que la
vie en Amérique du Nord? Or ce qu'il faut saisir c'est que ce mouvement est
très simple, en son essence : c'est ce mouvement qui se déploie quand
Robinson jouit de la capacité de manger ou d'entreposer davantage de maïs quand
son deuxième champ a commencé à produire; c'est ce mouvement qui se déploie
aussi en Russie aujourd'hui, du moins si l'on se fie aux gens qui nous disent
que les files devant les magasins ont raccourci et que les Soviétiques portent
des vêtements un peu moins misérables. La phase culturelle consiste en un
autre tournant, où le surplus
accélérateur de DA'' sert à accroître
la DA' supérieure (overhead). Cette
phase se déploie au Moyen Âge, quand surgissent les monastères, les églises,
les cathédrales, les écoles, les universités, les hôtels de ville, et à la
Renaissance, lorsque les mécènes soutiennent les artistes. Cette phase trouve
une contrepartie moderne, d'un point de vue économique, dans la course aux
armements et dans l'économie de la conduite de la guerre. Cette époque témoigne
d'un esprit d'initiative et d’épargne (thrift), mais qui se déploient sans
anticipation de profits. Nous pouvons maintenant formuler
certaines observations générales. Les phases capitaliste, matérialiste
et culturelle peuvent très bien advenir simultanément. Il se peut qu'un
accroissement de DA'' s'accompagne à
la fois d'une augmentation de la DA'
ordinaire et de la DA' supérieure
(overhead). Mais cette division des efforts produira manifestement des
résultats moins remarquables dans chacun des trois champs qu'une action
concentrée sur un seul champ. Quoi qu'il en soit, la théorie économique doit
aborder chacun de ces champs séparément, car ils obéissent à des lois
distinctes, et toute combinaison effective des trois champs s'explique par une
combinaison de ces trois ensembles de lois. Puisque les phases se définissent
par des variations de DA'' et de DA', l'élargissement se profile au
premier plan des descriptions. En fait, l'approfondissement accompagne
naturellement les trois phases d'expansion. Dans les phases capitaliste et
matérialiste, l'approfondissement redistribue le travail, de sorte à favoriser
un plus grand élargissement. Dans la phase culturelle, l'approfondissement
libère des personnes du domaine économique pour leur donner accès au champ
culturel, et ces personnes viennent grossir les rangs des ministres du culte
religieux, des écoles de philosophes, des artistes, des scientifiques, des
professeurs, des étudiants, des soldats, des marins, des aviateurs, et ainsi de
suite, suivant la conception et les besoins courants du champ culturel. Même si elles sont liées intimement
à des phénomènes économiques, nous ferons abstraction des variations
démographiques, pour deux raisons. Premièrement, la structure et le dynamisme
de l'économie présentent une nature propre indépendante de la taille de la
population; notre propos est l'étude de cette nature générale dont la
connaissance permettra aisément d'apporter des corrections en fonction de
perspectives de croissance ou de décroissance démographique. Deuxièmement,
puisque notre recherche concerne la théorie générale, des considérations
accessoires sur les mouvements de population ne feraient qu'embrouiller les
choses; en outre, une bonne étude de la théorie générale des tendances
démographiques exige un traité distinct. Nous n'avons pas offert
d'illustrations contemporaines de la phase statique, non pas que de tels
exemples soient difficiles à trouver, mais nous ne voulons pas anticiper sur
notre raisonnement. La version contemporaine de la phase statique est le
marasme économique (slump). Cela ne signifie pas qu'il faille identifier phase
statique et marasme. Mais les idées économiques contemporaines ne fonctionnent
en pratique que lorsqu'il y a expansion. Or nous ne pourrons fournir des
preuves étayant cette position que plus loin dans cet exposé. Si nous abordons maintenant les
définitions des différentes phases, nous noterons qu'elles ont trait à des cas
purs, à des approximations premières. Nous affirmons l'existence des quatre
phases à l'instar de la loi de la chute des corps qui veut que la vitesse soit
proportionnelle au temps au carré. Les deux affirmations sont vraies, mais leur
vérification exacte exige des circonstances spéciales. La loi de la chute des
corps ne peut être vérifiée véritablement que dans le vide. De même, si nous
passons de notre généralité abstraite à une activité économique concrète, de
nouveaux facteurs émergent, et la théorie de leur influence devient un
complément nécessaire de la théorie générale. Il nous suffit d'affirmer la nécessité
de telles théories complémentaires, sans chercher à les élaborer. Une
généralisation scientifique constitue un travail d'envergure, et rien ne
justifie qu'une personne cherche à accomplir ce travail toute seule; rien ne
justifie non plus qu'elle essaie d'y parvenir. Non seulement ne peut-elle
espérer réussir, mais la solution des problèmes de la démocratie ne peut
découler que d'un effort de la démocratie elle-même, c'est-à-dire d'une vaste
collaboration. Enfin, si les quatre phases abordées
traduisent une constance ou une augmentation de DA' et de DA'' , nous ne
nous sommes pas penchés sur la possibilité d'une diminution de l'un ou l'autre
de ces volets. Ce n'est pas qu'une telle diminution soit impossible. La
possibilité d'un déclin économique est toujours présente, à l'intérieur du
progrès économique, des trois expansions ou de la phase statique lorsque
l'activité purement culturelle s'étend sans que s'accroissent ses ressources
matérielles. Puisque le danger d'un déclin menace constamment, il se concrétise
quand des erreurs se produisent; or les possibilités d'erreurs sont quasi
infinies. C'est pourquoi nous n'allons aborder qu'en passant le déclin
économique, pour illustrer, sans prétendre en faire une énumération exhaustive,
certaines erreurs possibles et leurs conséquences. 12
Le processus pur Cet
exposé des phases cycliques complète notre étude du processus économique pur.
Il convient de résumer nos conclusions. Il y a donc un rythme économique
universel, DA, qui représente
l'allure ou le volume non mesurés du flot qui bat. Ce rythme universel se
compose d'un nombre indéfini de rythmes particuliers, qui se combinent
matériellement en des séries de facteurs de production, et qui constituent
dynamiquement un ensemble de niveaux dont chacun accélère le niveau précédent. L'ensemble des rythmes au niveau
inférieur est désigné par le symbole DA',
soit l'ensemble des rythmes primaires. L'ensemble des rythmes aux niveaux
supérieurs est désigné par le symbole DA'',
soit l'ensemble des rythmes secondaires. De par ces définitions, DA égale à tout moment DA' plus DA'', DA'' accélère DA' et DA'' comprend de nombreux niveaux dont chacun accélère le
précédent. DA''
produit soit un élargissement, soit un approfondissement, soit une simple
maintenance. Lorsqu'elle ne produit qu'une simple maintenance, on dit qu'elle
se situe au zéro réel, qu'elle n'entraîne qu'une accélération théorique. DA'
engendre des produits finals soit ordinaires soit supérieurs (overhead). L'approfondissement et l'expansion
supérieure se combinent pour favoriser le développement culturel et susciter
les transformations économiques qui donnent des rendements croissants.
L'élargissement et l'expansion ordinaire se combinent pour déployer
intégralement les potentialités de tout stade de développement; et comme ces
potentialités sont limitées, elles donnent des rendements
décroissants. Or on ne saurait choisir les rendements
croissants et se prémunir contre les rendements
décroissants; ces deux tendances constituent le flux et le reflux du
rythme universel. Il est significatif que diverses
combinaisons de DA' et de DA'' , à l'état constant ou à l'état
croissant, engendrent les quatre phases cycliques de cette alternance de flux
et de reflux : une phase capitaliste qui transforme les moyens de production;
une phase matérialiste qui exploite de nouvelles idées pour hausser le niveau
de vie; une phase culturelle qui fait appel au bien-être et au pouvoir
matériels pour soutenir la réalisation des objectifs culturels; une phase
statique où le processus reste en friche et où l'activité non économique se
développe indépendamment des conditions matérielles. Le cycle ne connaît jamais de
régression, de recul des cadences des rythmes pris globalement. Ces cadences,
il les maintient constantes ou les accroît. Ce qui ne signifie pas qu'il ne
peut y avoir de déclin économique; le déclin économique doit être attribué
plutôt à des erreurs de la gestion universelle. Comme nous le verrons plus
tard, différentes théories économiques sont adaptées à des phases différentes
du cycle : la doctrine médiévale cadre bien avec la phase statique ou la
phase culturelle; la doctrine classique convient à l'expansion capitaliste,
elle tolère la phase matérialiste, mais elle requiert un faux endettement pour
la conduite de la guerre et ne saurait gérer la phase statique. Nous ne
pourrons toutefois développer pleinement ces considérations qu'une fois
appliquée au cas particulier du processus d'échange notre analyse générale du
processus pur. C'est là l'objet du prochain chapitre. Dans le chapitre précédent
nous avons cerné certaines questions d'une généralité parfaite. Les rythmes
primaires, DA', sont apparus avec
l'être humain, et ils sont indissociables de l'activité économique. Les rythmes
secondaires, DA'', sont apparus avec
la fabrication d'outils, et ils sont indissociables de l'être humain, d’un être
humain doté d'un corps et d'un certain degré d'intelligence. La succession des
transformations et des exploitations traverse toute l'histoire de l'économie;
elle s'est manifestée dans le passé et, par le jeu des forces du progrès et de
l'invention, sous l'effet de l'idéalisme et du mécontentement, sous l'influence
de la dialectique qui fait de tout changement la cause d'un nouveau changement,
elle va continuer de se manifester à l'avenir. Néanmoins, cette analyse du processus
pur est en elle-même trop générale pour présenter un intérêt réel. Il y a
d'autres phénomènes, de nature presque aussi générale, tels que l'utilisation
des marchés et de l'argent, dont nous avons pas parlé. Il faut certes situer ces
phénomènes dans le schème universel, car le processus économique qui définit des
problématiques n'est pas le processus pur des rythmes primaires et secondaires
mais le processus d'échange dont les phases cycliques tendent plutôt à être des
alternances de prospérité et de misère. Mais puisque nous visons à une
généralisation économique, il nous est impossible de différencier le processus
pur en cherchant à y intégrer quelque mécanisme d'échange. Nous nous écarterions
de notre propos si nous nous mettions à examiner l'influence des rythmes de base
dans le processus d'échange médiéval, ou dans le processus d'échange
mercantiliste, ou dans le processus d'échange du XIXe siècle, ou dans celui des
États totalitaires contemporains. Chacun de ces processus constitue une forme
spéciale d'économie d'échange, alors qu'une généralisation économique doit
porter sur le type pur. Mais quel est donc ce type pur? Nous
n'avons pas encore répondu à cette question, et nous y arrivons maintenant. Nous
allons d'abord définir les idées de propriété, d'échange, de valeur; nous allons
aborder l'idée de marché et la fonction des marchés dans le processus général;
nous allons cerner les limites de cette fonction et examiner la nature de
l'argent et de la finance. Notre propos dans cette recherche concerne, non pas
ce qui dans les faits se passe ou s'est passé concrètement, mais toujours des
généralités abstraites, l'importance fonctionnelle, les lois et les corrélations
pures qui forment la structure inévitable d'un processus d'échange. La situation
financière qui prévalait à Londres en 1830 ou à New York en 1930 ne nous
intéresse guère ici; nous nous préoccupons simplement de la fin ou de la
fonction pure qui se manifeste dans ces deux situations comme dans l'activité de
techniciens totalitaires qui financent un plan quinquennal. De même, nous nous
intéressons non pas aux détails concrets mais plutôt au résidu de portée
explicative abstraite qui sous-tend des réalités telles que la propriété,
l'échange, la valeur, les marchés et l'argent.
Notre recherche devrait nous procurer
une connaissance du type pur de l'économie d'échange. Dans le prochain chapitre
nous établirons une corrélation entre ce type pur et le processus pur déjà
examiné. 14 Propriété, échange,
valeur Le processus pur
n'accompagne pas chaque chose qui est en corrélation avec une personne
particulière. Il faut que quelqu'un décide ce qui se fera, il faut que quelqu'un
le fasse, et il faut quelqu'un pour qui cela se fasse. Une économie d'échange a
pour fonction de répondre continuellement à ces questions; différentes méthodes
de détermination des réponses donnent lieu aux différences entre les économies
d'échange; enfin, divers volets des économies d'échange concernent divers volets
des réponses données. La propriété est une méthode de
corrélation de personnes particulières et d'objets particuliers. La corrélation
est un droit, c'est-à-dire une autonomie attribuée à une personne, que cette
personne exerce sur l'objet. L'objet peut être une personne, dans un régime
d'esclavage, ou un procédé, visé par un brevet, ou encore une chose. L'objet
peut être considéré en lui-même, par exemple s'il s'agit d'une propriété
foncière, ou il peut être considéré en son usage, comme dans le cas de la
location d'une terre, ou encore en ses produits, tels que la réalisation de
dividendes. Il y a propriété, sous quelque forme, et dans quelque mesure, dans
tout processus d'échange; mais cette idée fondamentale varie d'une époque à
l'autre, d'un pays à l'autre, dès que l'on cherche à en établir la forme précise
et à en délimiter l'application. Mais de tels détails débordent le cadre de
notre recherche. Les droits de propriété sont
normalement transférables. Les transferts sont consignés sur des documents
appelés contrats. Le type de transfert qui nous intéresse particulièrement est
l'échange. Il s'agit d'un contrat bilatéral, passé entre deux parties. C'est un
contrat bilatéral onéreux, puisqu'il impose aux deux parties l'obligation de
céder des droits. En résumé, un échange est un transfert mutuel de droits de
propriété. L'échange s'effectue par la coïncidence
de deux décisions. Si deux parties décident de réaliser un échange, l'échange a
lieu. Sinon, il n'a pas lieu. Qu'est-ce qui entraîne la coïncidence
des décisions de procéder à un échange? Il y a des causes, certes, mais elles
sont infinies. Il faudrait explorer tout le domaine de la vérité et le domaine
beaucoup plus vaste des possibilités d'erreurs. Il faudrait examiner les stimuli
du désir et de la crainte, de l'ambition et de la passion, du tempérament et du
sentiment. À un moment, en un lieu donné, l'un de ces facteurs peut dominer : le
désir joue un grand rôle dans les pays libres, et la crainte, dans les autres;
l'ambition pousse les citoyens d'un pays nouveau, et un désespoir renfrogné
étreint les classes déprimées des États séniles; un sentiment nationaliste se
manifeste dans les attitudes protectionnistes, et un individualisme flegmatique
dans le libre échange. Mais une science économique, et encore moins une
généralisation économique, ne saurait s'intéresser au folklore et aux croyances
populaires, aux mythes d'une science dépassée ou à la psychologie des groupes
nationaux et ethniques. Par conséquent, nous laisserons de côté les causes des
décisions de procéder à des échanges, à une exception
près. Cette exception va de soi. La science
économique elle-même doit exercer une influence sur les décisions de procéder à
des échanges. Sinon elle ne sera pas une science appliquée dans une société
démocratique, mais seulement une science appliquée d'un laboratoire national
présidé par un dictateur, régi par des commissaires, surveillé par une police
secrète. Le mode de cette influence ne pourra cependant être examiné qu'une fois
déterminé le contenu de la science économique. Voilà pour ce qui est des causes des
décisions de procéder à des échanges. La question suivante est l'effet d'un
échange, c'est-à-dire la valeur d'échange.
Il importe de saisir que la valeur d'échange n'est pas un antécédent mais
un conséquent de la décision de procéder à un échange. Nous allons donc élaborer
cette notion en nous penchant dans l'ordre sur l'idée générale de valeur et sur
ses différentes espèces : la valeur absolue, la valeur relative, la valeur
économique et la valeur d'échange. L'idée générale de la valeur coïncide
avec l'idée du bien, de l'excellence. Cette excellence peut appartenir à un
objet en soi, elle peut être manifestée par cet objet sans rapport à autre
chose, et sans que l'objet soit de quelque utilité. Il s'agit là de la valeur absolue de la vérité, des actions
nobles et héroïques, de la fleur dans le mur lézardé[2]. Par ailleurs, l'excellence peut
appartenir à un objet dans sa relativité, dans son utilité, dans son aptitude à
exceller dans le service de buts ultérieurs. Ces valeurs relatives peuvent être relatives
à tout but ultérieur; donc quelques-unes d'entre elles seulement sont relatives
à l'être humain. Or, au sein des valeurs humaines
relatives se profilent divers degrés d'abondance et de carence; en outre, cette
abondance et cette carence peuvent s'entendre de manière générale, quand nous
disons par exemple que l'air est abondant et le radium, rare, ou elles peuvent
concerner des personnes particulières, s'agissant d'une denrée comme le blé, qui
abonde dans les silos des agriculteurs canadiens mais qui se fait rare dans une
Europe dévastée par la guerre. À cette échelle de la carence relative
aux personnes correspond une échelle complémentaire de l'activité économique
visant de différentes façons dans différentes situations à réduire cette carence
et à créer l'abondance. Lorsqu'un objet est relativement rare et que les humains
déploient un effort pour réduire cette carence, l'objet devient une valeur économique. En outre, la valeur
économique peut être conçue comme proportionnée à l'effort déployé; si l'effort
est nul, la valeur économique se situe à zéro; à un petit effort correspond une
valeur minime; à un effort important, une valeur élevée. Aucun effort n'est
déployé pour fournir de l'air aux humains : la valeur économique de l'air est
donc nulle. Un effort réduit est déployé pour l'amélioration des logements des
pauvres, donc cette amélioration a une valeur économique réduite. Par contre, le
secteur de l'armement est mobilisé par un effort considérable, donc l'armement
possède une grande valeur économique.
La valeur d'échange diffère de
la valeur économique sous deux aspects. Premièrement, une valeur économique
relie un objet à un effort humain, alors que la valeur d'échange relie des
objets entre eux. Deuxièmement, une valeur économique est le fruit d'une
décision de déployer un effort pour obtenir l'objet, tandis que la valeur
d'échange peut être tout à fait indépendante de l'effort déployé; quoi qu'il en
soit, la valeur d'échange surgit toujours d'une coïncidence de décisions de
procéder à un échange. Par exemple, un cheval ou une paire de
bœufs représentent des valeurs économiques si des personnes déploient les
efforts nécessaires pour en faire l'élevage, les nourrir, les dresser. Mais la
valeur d'échange ne surgit que lorsque le propriétaire du cheval et le
propriétaire des bœufs décident de procéder à un échange. Et cette valeur
d'échange n'est pas fonction des efforts, des désirs, des sentiments, des
ambitions ou des espoirs des personnes qui procèdent à l'échange, même si tous
ces facteurs peuvent jouer un rôle dans leur décision; la valeur d'échange est
simplement en soi le rapport qui préside à l'échange; par exemple, il peut être
établi qu'un cheval vaut deux bœufs. Nous pouvons tracer une distinction
éclairante entre des valeurs d'échange normative, probable et réelle. Quelqu'un
peut dire : « Un cheval vaut deux bœufs » et entendre par là qu'un acheteur devrait lui donner deux bœufs pour son
cheval, alors qu'en fait il ne lui en donnera qu'un. Mais en affirmant : « Un
cheval vaut deux bœufs » il peut aussi entendre qu'il recevra vraisemblablement deux bœufs pour son
cheval s'il essaie de l'échanger. Dans le premier cas l'affirmation concerne une
valeur d'échange normative, qui
relève de la science de l'éthique. Dans le second, elle exprime une valeur
d'échange probable, qui relève de
l'art de la prévision. Or la valeur d'échange qui nous intéresse est la valeur
d'échange réelle; et cette valeur
n'émerge qu'une fois que l'échange a effectivement eu
lieu. En somme, une valeur d'échange (réelle)
est le rapport ou la proportion entre les différentes catégories de propriété
formant l'équation de l'échange. 15 Les marchés Un marché est un endroit où
les commerçants se rencontrent en nombre; ces rencontres tendent à imposer une double uniformité
aux valeurs d'échange. Premièrement, elles tendent à uniformiser les rapports
qui définissent à un moment donné les échanges entre diverses catégories.
Deuxièmement, elles tendent à ajuster ces rapports à des variations de l'offre
et de la demande. Ces tendances se fondent sur les facteurs
suivants. Et les commerçants individuels qui se
présentent sur un marché particulier et les différents groupes de commerçants
qui composent les divers marchés du monde obéissent aux dures nécessités de la
concurrence. Ils sont là pour faire des affaires et, toutes choses étant par ailleurs égales,
aucun commerçant, aucun marché ne traitera beaucoup d'affaires si les conditions
qu'il offre ne sont pas aussi justes que les conditions offertes par le
commerçant ou le marché voisin. Cela ne veut pas dire seulement qu'aucun
commerçant, qu’aucun marché ne peut réussir s'il offre constamment des
conditions inférieures à celles des autres; cela signifie également que si
quelqu'un réussit à offrir constamment davantage, les autres seront tout
simplement éliminés. Or s'il n'est pas possible d'offrir moins ou plus, il doit
y avoir uniformité; non pas de fait l'uniformité des maisons de banlieue, toutes
construites d'après le même plan, mais l'uniformité de tendance qu'entraîne la
pression de la concurrence; et non pas une uniformité qui ignore les
différences, mais une uniformité qui intègre ces
différences. Ainsi, un marché tend à généraliser les
valeurs d'échange particulières mentionnées dans la section précédente. En
créant une interaction entre de grands nombres de décisions de procéder à un
échange, il tend à les faire converger vers la cristallisation d'un taux
d'échange commun pour chaque paire de catégories de biens ou de
services. Or l'ensemble des taux d'échange n'intègre pas
que de grands nombres de décisions de procéder à un échange. Il intègre aussi
les nombres encore plus grands de décisions de ne pas procéder à un échange. Car
lorsqu'ils décident de ne pas procéder à un échange, les gens ne signifient pas
nécessairement qu'ils ne désirent pas faire d’échange; ils signifient simplement
qu'ils ne souhaitent pas faire un échange au taux offert, mais qu'ils feraient
volontiers un échange si le taux était plus favorable. Le rôle que jouent ces
décisions négatives se profile si l'on considère l'autre tendance générale d'un
marché, soit la tendance à fixer un taux d'échange où s'équilibrent l'offre et
la demande. Cette tendance peut être considérée
comme la résultante de trois facteurs. Premièrement (A), lorsqu'une personne se
détermine à vendre ou acheter une catégorie donnée de biens, elle est prête à
offrir plus que ses concurrents. Deuxièmement (B), lorsque l'offre n'est pas
égale à la demande, un nombre important de personnes sont prêtes à offrir plus
ou à recevoir moins; si l'offre dépasse la demande, les vendeurs se retrouveront
avec des biens ou des services non vendus; si l'offre est insuffisante, les
acheteurs feront face à une pénurie. Troisièmement (C), un changement du taux
d’échange tend à corriger l'excès ou l'insuffisance de l'offre; car cet excès ou
cette insuffisance sont relatifs au nombre d'acheteurs et un changement du taux
en amènera un bon nombre à revoir leur décision de procéder à un échange; une
baisse du taux transformera des décisions négatives en des décisions positives,
ce qui fera croître la demande; une hausse du taux aura l'effet contraire. Il
découle du deuxième facteur (B) qu'un déséquilibre de l'offre et de la demande
tend à modifier les taux des valeurs d'échange. Il découle du troisième facteur
(C) qu'un changement du taux d'échange tend à accroître ou à diminuer la
demande. Et puisque la déséquilibre se poursuit tant que la demande n'égale pas
l'offre, les taux d'échange auront donc tendance à varier tant que la demande
n'égalera pas l'offre. 16 Les marchés et l'économie
d'échange Les marchés accusent
beaucoup d'autres tendances que celles décrites dans la section précédente.
Tendances à la duperie généralisée, à la fraude, aux pratiques malhonnêtes, à
l'adoption de procédés impitoyables; tendances à l'exploitation du snobisme des
riches, de l'ignorance des masses, de l'impuissance des pauvres, des passions de
la nature humaine, de la crédulité des imbéciles que produit chaque génération.
Si nous n'avons pas touché mot de ces tendances, c'est simplement que nous nous
intéressons aux tendances qui présentent un rapport significatif avec les
mécanismes d'une économie d'échange. Une économie d'échange est un essai de
réponse continuellement satisfaisante à la question, toujours changeante : Qui, parmi des millions de personnes, va
accomplir quelle tâche, parmi des
millions de tâches possibles, en échange de quoi, parmi des millions de formes de
rémunération possibles? Et cette réponse se présente
ainsi. Premièrement, elle distingue ce que les
gens font ou produisent pour eux-mêmes, ce qu'ils font ou produisent pour
d'autres en n’escomptant qu’une rémunération minime, voire aucune rémunération,
ou ce qu'ils font ou produisent pour les autres en espérant une rémunération
proportionnée. Elle détermine qu'il n'est pas nécessaire de se pencher sur les
deux premiers types d'offres, et se concentre sur le
troisième. Deuxièmement, elle aligne les ensembles
de biens, de services et de propriétés offerts en échange d'une rémunération
proportionnée en une pyramide de marchés locaux, régionaux, nationaux et
mondiaux de divers ordres. Troisièmement, elle laisse aux marchés
le soin de contrôler les contributions et de répartir la
rémunération.
Une telle solution présente manifestement de grandes qualités. Elle
laisse chaque personne libre de faire ce qu'elle veut; mais si ce qui lui plaît
ne plaît pas aux autres, la demande, tout comme la rémunération, sera nulle.
Elle encourage la créativité et l'initiative dans l'intuition des désirs
d'autrui; car une juste intuition sur ce plan provoque une forte demande et une
rémunération importante. Elle encourage chaque personne à faire de son mieux,
car l'excellence d'un produit ou d'un rendement suscite des préférences ou une
efficacité qui, lorsqu'il y a uniformité des prix, donne une rente
différentielle. Elle fait porter aux producteurs les risques de la production,
mais elle laisse en fin de compte le contrôle de la production à l'intégration
des décisions que prennent les consommateurs de procéder ou de ne pas procéder à
des échanges. Elle attribue à chacun la part de la rémunération qu'entraîne
l'intégration de ces décisions individuelles, mais elle laisse chacun déterminer
la rémunération qu'il touchera. Les qualités de la solution de
l'échange peuvent être davantage mises en relief par une comparaison avec la
solution bureaucratique. Le bureaucrate n'a pas à prévoir de façon précise ce
que les gens vont désirer ni à le leur fournir précisément dans la mesure
voulue; il leur donne ce qu'il estime bon pour eux, et dans la mesure qu'il juge
possible ou commode; en fait, il ne saurait agir autrement, car les cerveaux
d'une bureaucratie ne sont pas à la hauteur quand il faut penser à tout; pour
être en mesure à peu près de penser à tout, il faudrait faire appel à tous les
cerveaux humains. Et même si un bureaucrate parvient à cerner correctement la
situation, il ne pourra le faire continuellement, puisque la situation change
continuellement; le bureaucrate doit tenir compte d'un processus de
planification, et toute nouvelle demande, toute intention nouvelle, déborde le
cadre des plans établis et oblige à tout repenser; lorsqu'une société à
responsabilité limitée a fait son temps, elle se présente au tribunal de
commerce pour obtenir un jugement déclaratif de faillite; mais quand des
bureaucrates prennent le pouvoir, ils tendent à s'y maintenir. Enfin, même s'il
pouvait résoudre ces problèmes, un bureaucrate ne pourrait leur trouver une
solution humaine; l'être humain apprend par l'expérience; on peut lui apprendre
à conserver un emploi en le laissant faire l'expérience de divers autres; on
peut le laisser apprendre par l'expérience que ses aptitudes ne sont pas à la
hauteur de sa présomption; mais s'il faut recourir à des méthodes terroristes
pour graisser les roues d'une entreprise, cet expédient suscite de la haine
d'abord, puis entraîne soit une explosion soit une dégénérescence
servile. En somme, la solution de l'échange
constitue un équilibre dynamique qui repose sur les équilibres des marchés.
Chaque producteur produit non pas pour lui-même, mais pour les autres; il veut
posséder non pas son propre produit, mais une part des produits des autres; et
les autres sont tous logés à la même enseigne. Par conséquent, tout produit
d'une économie d'échange doit s'accoupler par échange à un autre produit, et le
taux auquel se produit l'accouplement constitue la valeur d'échange. Le
caractère général de cet équilibre le soustrait à l’influence des éléments de
complexité illimités ou des changements infinis; car cette généralité se profile
au-dessus de tous les produits particuliers et de tous les modes de production
particuliers. Les produits et les modes de production peuvent se multiplier et
varier à l'infini, l'équilibre général du processus d'échange répond toujours
précisément à la question complexe : Qui, parmi des millions de personnes, va
accomplir quelle tâche, parmi des
millions de tâches possibles, en échange de quoi, parmi des millions de formes de
rémunération possibles? Et la solution dynamique n'est pas sans être accompagnée
d'une impulsion continuelle au déploiement de meilleurs efforts et d'une
ingéniosité plus raffinée. Car l'uniformité des prix signifie que le producteur
le moins efficace va survivre, mais que toute avancée au-delà d'une efficacité
minimale produit un rendement supérieur proportionné. 17 Limites de l'économie
d'échange Le progrès n'a pas
d'œillères; nous avons souligné l'excellence de l'économie d'échange, mais il
nous faut également chercher à en déterminer les défauts. Elle accuse un défaut fondamental lié au
premier stade innocent de la solution, où sont écartées les personnes disposées
à apporter une contribution sans rémunération ou contre une rémunération minime,
ce qui fait du système d'échange un club exclusif pour gens
d'affaires. Nous connaissons très bien les effets
psychologiques de ce procédé arbitraire. Il crée un dédoublement chez l'homme
d'affaires, qui endosse une personnalité différente selon qu'il se trouve au
bureau ou au milieu de sa famille. Il produit le type du travailleur ayant des
aspirations élevées mais qui n’arrive pas à se mettre à l’oeuvre, et le type
courant du cynique qui envisage les questions plus larges dans une perspective
d'affaires. Mais ces aberrations psychologiques ne sont que les symptômes d'une
affection plus profonde. Les êtres humains ne sont pas égaux
quant aux aptitudes et à la fortune. Par conséquent, pour que les processus de
production donnent tous leurs fruits possibles en fait de satisfactions
humaines, il est nécessaire que les moins chanceux soient capables de demander
plus qu'ils ne peuvent offrir, et que les plus chanceux offrent plus qu'ils ne
demandent. En soi, le processus de production peut fournir aux chanceux plus
qu'ils ne désirent; même qu'il tend à se montrer généreux envers tous, puisque
seule une telle générosité peut lui permettre d'atteindre son maximum. Mais le
délicat équilibrage de l'offre et de la demande limite nécessairement chacun des
groupes successifs de gens moins chanceux à des niveaux de vie inférieurs à ce
que leurs aptitudes et leur fortune peuvent leur obtenir sur le
marché. L'idéalisme humanitaire se révolte contre
cette némésis artificielle. Un système rigoureusement égalitaire tient d'un
monde parfaitement égalitaire; un monde où les humains sont de fait inégaux doit
trouver un système différent. Mais quel système? Un idéalisme sans intelligence,
animé par le seul sentiment, épousera à coup sûr le cynisme occulte des
révolutionnaires pour nous imposer une dictature du prolétariat où le
prolétariat ne dicte rien du tout, une dictature du Herrenvolk où le Volk obéit aux ordres d'un Führer. Mais si cet idéalisme peut
apprendre à se soumettre à la logique et à la réflexion scientifique, il
imposera plutôt une généralisation de l'économie
d'échange. Notre propos est justement de
déterminer la nature d'une telle généralisation; mais ceci déjà est évident. Il
ne faut plus laisser les immenses forces de la bonne volonté humaine dériver,
comme sur la Niagara, vers le gouffre des beaux sentiments et des rêves nobles.
Il faut attribuer à ces forces une fonction, les exploiter à l'intérieur du
système d'échange, sinon le système ne secouera jamais ses chaînes fictives pour
progresser de manière continue vers son rendement maximal. Une question s'impose : L'économie
d'échange accuse-t-elle d'autres limites, à part cette impossibilité d'atteindre
le maximum de satisfactions? Oui, certes, sinon la solution ne consisterait pas
en une généralisation, en une transformation intégrale de la position
antérieure. Mais je ne crois pas qu'il soit nécessaire de fouetter un attelage
de chevaux crevés; une chiquenaude à un cheval particulièrement nauséabond
suffira; on aura tout compris. Pourtant, il y a un aspect sur lequel il importe
de nous pencher. Une généralisation postulera une transformation non seulement
de la vieille garde et de ses abus, mais aussi des réformateurs et de leurs
réformes; elle s'élèvera jusqu'à une synthèse supérieure qui éliminera d'un seul
coup à la fois le problème des salaires et le problème complémentaire des
syndicats; elle remédiera à la fois à l'absence d'éducation économique et à
l'attrait puissant des mirages publicitaires pour les gens sans éducation
économique; elle insufflera un espoir nouveau, une vigueur nouvelle à la société
locale et elle minera les chances de corruption, par des détournements de fonds,
des gouvernements centraux et des partis politiques; elle mettra les groupes
d'experts à la retraite mais elle fera apparaître une classe nouvelle, les
économistes pratiques, qui deviendront des figures familières, comme les
médecins, les avocats et les ingénieurs; elle instaurera un fondement nouveau à
la fois pour la finance et le commerce extérieur. La généralisation accomplira
donc une tâche immense, si vaste que la conception et la réalisation intégrales
de l'ordre nouveau requerront l'imagination créatrice de tous les membres de
l'ensemble des sociétés démocratiques. Comme je l'ai souligné dans le premier
chapitre, les économistes politiques d'antan ont été les penseurs créatifs du
XIXe siècle. J'ajouterai maintenant qu'une généralisation de leur pensée exige
une recréation de tout ce qu'ils ont maîtrisé et un refaçonnement de tout ce
qu'ils ont influencé. Le XXe siècle doit retrouver la vigueur du XIXe, dont il
ne dépassera les réalisations qu'en déployant la même inventivité. Il y a là une
nécessité absolue, qu'il ne faut pas prendre à la légère. Car le XIXe siècle a
vraiment accompli quelque chose. 18 L'argent Si l'on remplace le troc par
un échange divisé - partie vente, partie achat - le processus économique peut
s'amplifier et se complexifier considérablement. Or, l'échange divisé postule un
objet factice qui comble les intervalles, longs ou courts, entre la contribution
au processus et la jouissance de ses produits. Par ailleurs, pour bien
fonctionner et combler les intervalles de manière juste et adéquate, cet objet
factice devra satisfaire à certaines conditions. Premièrement, il devra être divisible,
de sorte que tout taux d'échange établi par le marché puisse être représenté par
une quantité de l'objet factice. Or, la mesure d'une telle quantité est ce qu'on
appelle un prix. Deuxièmement, il devra être homogène,
de sorte que des quantités égales soient également acceptables; sinon, tout le
monde cherchera à vendre en fonction des meilleurs objets factices et à acheter
en fonction des objets factices les plus pauvres; quand l'argent perd sa valeur,
les marchandises partent. Par ailleurs, lorsqu'il n'y a aucune homogénéité
formelle, on peut créer une homogénéité virtuelle en vendant au rabais; une
lettre de change ne vaut peut-être pas de l'argent comptant, mais l'existence de
maisons de vente à rabais donne à la lettre de change la valeur de l'argent
comptant. La lettre
de change, tout comme le crédit systématique, fait donc partie de l'objet
factice. Troisièmement, la valeur d'échange de
l’objet doit être constante, de sorte
que des quantités égales de l'objet factice commandent, de façon générale, des
quantités égales de biens ou de services. Lorsque l'objet factice s'écarte d'une
valeur constante, apparaît soit une inflation, soit une déflation. L'inflation
escroque ceux qui ont de l'argent et enrichit ceux qui ont des propriétés ou des
dettes, tandis que la déflation escroque ceux qui ont des propriétés ou des
dettes et enrichit ceux qui ont de l'argent; outre l'escroquerie qu'il exerce,
l'un et l'autre de ces jumeaux tourmentent à leur façon les flux dynamiques; la
déflation fait subir aux producteurs une cascade de pertes; l'inflation suscite
une cascade de gains, qui euphorisent artificiellement la
production. Quatrièmement, l'objet factice doit
être acceptable universellement dans un secteur donné, de sorte que quiconque
veut faire un échange soit prêt à céder des propriétés, des biens, des services
en échange de l'objet factice. Cette quatrième condition est-elle réellement
distincte des trois précédentes? Il y a désaccord à ce sujet. Si cette condition
est distincte, il faut qu'il y ait toujours une corrélation réelle entre
l'or - ou une autre matière - et l'objet factice; et si on élimine cette
corrélation réelle sans que l'objet factice cesse d'être accepté
universellement, c'est que les gens ne sont pas assez intelligents pour voir la
duperie dont ils sont victimes. Par ailleurs, si la quatrième condition n'est
pas distincte des trois autres, toute corrélation réelle de l'objet factice et
de l'or est superflue et l'unique fonction de telles corrélations fictives est
d'inspirer confiance aux gens qui ne sont pas assez intelligents pour voir que
les trois premières conditions suffisent. La véritable question est celle de la
valeur de l'objet factice et plus particulièrement de la constance de sa valeur
d'échange. La valeur relative de l'objet factice
est son utilité. Il rend possible la vaste expansion du processus d'échange que
le troc n'aurait pu permettre. Lorsqu'il y a pénurie de l'objet
factice, les techniciens ou les règles techniques régissant son émission
remédient à la situation. Il importe peu que cette action de redressement fasse
appel à la presse typographique ou à la structure de
crédit. La valeur économique réside dans
l'effort humain opposé à cette pénurie. Si le processus économique n'a pas
dépassé le stade du troc, la valeur économique se situe à zéro. Si par contre le
processus économique a dépassé le stade du troc, tout retour à ce stade
exigerait une liquidation de la civilisation; d'où la nécessité de l'objet
factice, dont la valeur économique constitue la forme générale de toutes les
valeurs économiques; car, lorsqu'ils s'efforcent d'atteindre un objectif
économique, les humains cherchent à se doter de l'objet factice qui est le moyen
nécessaire à cette fin. Enfin, la valeur d'échange est le
taux, la proportion présidant à l'échange des différentes catégories
d'objets que les humains veulent se procurer à cause de leur utilité et de leur
absence. Ainsi, si un cheval vaut une paire de bœufs, une paire de bœufs vaut un
cheval; et pareillement, si une paire de gants vaut un dollar, un dollar vaut
une paire de gants. Si par contre un cheval en vient à valoir trois bœufs ou une
paire de gants, un dollar et demi, alors se pose la question : Est-ce que la
valeur des chevaux a augmenté ou est-ce celle des bœufs qui a diminué? Est-ce
que la valeur des gants a augmenté ou est-ce celle du dollar qui a diminué? La
réponse à cette question exige l'examen d'autres taux d'échange. Si l'on
constate que, pendant qu'augmentait le prix des gants, le prix de tout le reste
est resté à peu près inchangé, alors c'est la valeur des gants, et non celle du
dollar, qui a changé. Si, par contre, l'augmentation du prix des gants s'est
accompagnée d'une hausse proportionnelle du prix de tout le reste, alors ce
n'est pas la valeur de tout le reste, mais celle du dollar, qui a
changé. Voilà donc pour ce qui est de la valeur
de l'objet factice et de la constance de sa valeur. Il importe maintenant
d'établir la condition nécessaire et suffisante de la constance ou de la
variation dans la valeur d'échange de l'objet factice. Comparons à cette fin les deux flux de
la circulation : le flux réel des propriétés, des biens et des services, et le
flux de l’objet factice qui est donné et reçu en échange du flux réel. Les deux
flux doivent à tout moment posséder une valeur d'échange égale, sinon les
échanges n'auront pas lieu. La valeur d'échange de l'ensemble du flux réel est
l'ensemble du flux de l’objet factice reçu en échange; la valeur d'échange de
l'ensemble du flux de l’objet factice est l'ensemble du flux réel donné en
échange. Nous ne formulons là qu'un truisme. Or, si les deux flux doivent posséder
une valeur d'échange égale à tout moment, cela ne signifie pas que la valeur
d'échange à un moment donné sera égale à la valeur d'échange qui existe à un
autre moment. Si le flux de l’objet factice croît ou décroît sans que le flux
réel croisse ou décroisse de manière proportionnée, il y aura alors un
changement du taux ou de la proportion prévalant pour l'échange de l'objet
factice contre des propriétés, des biens et des services. Par ailleurs, si le
flux de l’objet factice et le flux réel connaissent des variations dans le même
sens, et de même ampleur, alors le taux ou la proportion prévalant pour les
échanges demeurera identique. Or, ce taux ou cette proportion constitue ce que
signifie précisément une valeur d'échange lorsque l'on compare des moments ou
des cas différents. Par conséquent, la condition nécessaire et suffisante de la
valeur constante de l'objet factice réside dans la concomitance de ses
variations et de celles du flux réel. En somme, s'il y a concomitance des
deux flux, alors la proportion prévalant pour les échanges des objets factices
et des biens reste inchangée. S'il y a absence de concomitance, cette proportion
change. Or, la valeur d'échange est une proportion. Donc, la concomitance des
deux flux est la condition de la constance de la valeur d'échange. Certaines remarques s'imposent ici. La
condition de la valeur constante ne nous dit rien quant à la quantité d'objets
factices qui existent; elle nous renseigne seulement sur le volume de leur flux;
et de fréquents transferts d'une petite quantité d'objets factices peuvent
constituer le même volume de flux que de rares transferts d'une grande quantité
de ces objets. En outre, la condition de la valeur constante renvoie à des
objets factices, sans préciser de quels objets il s'agit : elle ne nous dit pas
s'il s'agit de pièces d'or à l'exclusion de pièces de monnaie, ou de pièces de
monnaie à l'exclusion de crédits bancaires, ou encore de crédits bancaires à
l'exclusion de lettres de change; quel qu'il
soit, l'objet servant à combler l'intervalle entre la vente et l'achat est un
objet factice; et c'est justement à l'égard du volume global du flux de ces
objets factices que vaut la condition de la valeur
constante. Nous pouvons nous pencher brièvement
ici sur la question de l'or. Voyons certaines objections au point de vue selon
lequel l'or serait objectivement superflu. L'une de ces objections se fonde sur
l'analogie. Les jeux d'argent peuvent faire appel à de l'argent liquide, comme
au jeu de dés, à des jetons, comme au poker, ou encore à une fiche de pointage,
comme au bridge. De même, le processus d'échange peut avoir recours à la valeur
liquide de l'or, à la monnaie, ou aux feuilles de pointage des registres
bancaires. Or, le poker ne serait pas le poker si les jetons n'étaient jamais
convertis en argent, et le bridge perdrait beaucoup de son intérêt si les
gagnants n'encaissaient pas leurs gains. Ainsi, un processus d'échange ayant
recours à des pièces de monnaie et à des crédits bancaires mais non à des pièces
d'or serait une imposture. La réponse à cette objection admettra
que le processus serait une imposture si l'or était le seul objectif de
l'activité économique. Or, si l'on pouvait se procurer quelque chose avec des
jetons de poker ou une feuille de pointage de bridge, il ne serait pas
nécessaire de convertir les jetons en argent ou d'encaisser les gains inscrits
sur la feuille de pointage. De même, si l'on peut se procurer quelque chose avec
des pièces de monnaie ou des crédits bancaires, alors le processus économique
qui ne comporte pas d'or n'est pas une imposture; au contraire, l'imposture est
éliminée et les gens sont placés devant les faits tels qu'ils
sont. Une deuxième objection soulignera que
l'argent a deux fonctions : en plus d'être un moyen d'échange, il permet de
thésauriser. Un système monétaire sans or peut servir de moyen d'échange,
certes, mais il est manifestement impropre à la
thésaurisation. La réponse posera une alternative : ou
bien le thésauriseur entend utiliser ses richesses un jour, ou bien il n'entend
jamais les utiliser. Dans ce dernier cas, ce qu'il thésaurise n'a aucune
importance. Dans le premier cas, tout objet factice de valeur constante lui
donnera autant pour son trésor que l'or. La première prémisse ne tient donc
pas : l'argent comme moyen de thésaurisation est simplement l'argent comme moyen
d'échange utilisé pour combler un long intervalle entre une vente et un achat.
Si pendant ce long intervalle l'argent se maintient à une valeur constante,
l'intervalle est comblé de manière équitable et l'argent possède toute la
solvabilité rationnellement souhaitable. Une troisième objection fera valoir que
l'utilisation de l'or comme base du système monétaire est la seule garantie
possible du maintien, par des responsables gouvernementaux et des banquiers
successifs, d'une valeur constante pendant un long
intervalle. La réponse admettra que l'objection est
valable tant que les responsables exercent des pouvoirs discrétionnaires. La
nouvelle économie politique devra établir une généralisation qui remplace la
méthode automatique de l'ancienne économie politique par une nouvelle méthode
automatique. Nous ne pouvons pour le moment analyser la nature de cette
généralisation. 19 La
finance La finance obéit à une
double nécessité. Il y a d'abord le fait que les gens qui ont de l'argent n'ont
pas l'intelligence voulue pour bien l'utiliser, tandis que les gens intelligents
n'ont pas d'argent; la finance assure donc un transfert de l'argent de postes
inopérants à des postes dynamiques, à l'intérieur du système d'échange. Il y a
aussi le fait que le processus économique passe par toute une série de
transformations et d'exploitations; le flux réel varie et le flux de l’objet
factice doit varier de façon concomitante, sous peine de subir un mouvement d'inflation ou de déflation; en
outre, le flux réel atteint des volumes qui excèdent grandement les maxima
précédents, et, pour atteindre ces sommets, le flux
de l’objet factice doit faire preuve d'une grande
élasticité. Nous
entendons par la finance l'effort déployé pour résoudre ces problèmes. Nous
devons nous en tenir à cette définition pour le moment, puisqu'il faut, avant
d'élaborer davantage, analyser le processus d'échange général. Si l'on applique les rythmes
de production exposés au 2e chapitre aux marchés définis au
3e chapitre, on obtient un processus d'échange. Nous devons
maintenant établir les corrélations existant entre la vélocité et les rythmes
accélérateurs de production, d'une part, et les rythmes correspondants des
revenus et dépenses, d'autre part. L'ensemble de ces corrélations constitue une
structure mécanique, une configuration de lois qui sont à l'activité économique
ce que les lois de la mécanique sont aux édifices et aux
machines. Deux remarques s'imposent
ici. Premièrement, la combinaison de la
production et de l'échange limite la validité de nos conclusions aux cas où la
production est régie par l'échange. Je crois que les conclusions du présent
chapitre tiennent même là où s'exerce un contrôle politique de la production,
comme dans le régime soviétique; mais cette vérité va s'estomper à mesure que
nous allons explorer plus en détail la structure
mécanique. Deuxièmement, notre propos diffère
radicalement de celui de la science économique traditionnelle, qui tient pour
ses prémisses suprêmes non pas la production et l'échange, mais plutôt l'échange
et l'intérêt personnel ou encore, à un stade ultérieur, l'échange et une
situation psychologique vaguement définie. Nous chercherons à faire abstraction
de la psychologie humaine pour définir
d'abord la situation objective avec laquelle l'être humain doit composer, et
définir ensuite l'attitude psychologique qu'il doit adopter pour parvenir à
résoudre les problèmes économiques. C'est une sorte de révolution copernicienne
que nous visons là; plutôt que de prendre l'être humain tel qu'il est ou tel
qu’on pourrait l'imaginer et d'en déduire une détermination de ce que seront les
phénomènes économiques, nous prenons le processus d'échange dans sa plus grande
généralité et cherchons à en déduire les adaptations que l'être humain devra
opérer pour survivre. L'approfondissement de ce point de vue
nous plongerait très vite dans une discussion philosophique; aussi vaut-il mieux
nous en tenir ici à une simple mention. 21 L'équation de
base Disons que DA est un rythme quelconque ou un
ensemble de rythmes d'activité économique, un « tant de fois à telle
fréquence », qui est mesuré en unités d'échange, c'est-à-dire en
argent. Or, DA variera, soit à cause d'une variation
du taux auquel les biens ou les services sont fournis, soit à cause de la
variation du niveau de prix auquel ils se vendent. Si DQ désigne le taux et P le niveau de prix,
alors DA =
P.DQ
(1)
Par ailleurs, la vente aura
dans chaque cas deux aspects : elle constituera une dépense pour un acheteur et
un revenu pour un vendeur. Disons que DE dénote le rythme des dépenses
correspondant et DI, le rythme des
revenus correspondant. Alors DA = P.DQ = DE = DI
(2) les
termes renvoyant à un rythme ou un ensemble de rythmes quelconque qui sont
mesurés d'une manière uniforme quelconque par rapport à chacun des quatre
termes. L'équation de base n'est rien de plus
qu'un truisme. Elle établit de quatre points de vue différents une seule et même
chose, car la même chose constitue à la fois (1) la valeur de la production, (2)
la multiplication de la quantité par le prix, (3) une dépense et (4) un revenu,
selon qu'on la considère (1) en elle-même, (2) en ses composantes, (3) par
rapport à des acheteurs et (4) par rapport à des vendeurs. 21bis Marchés de transition,
marchés terminaux, marchés de redistribution L'équation de base est un
pur théorème. Pour lui donner une signification concrète, il faut l'appliquer à
un domaine ou un marché ou un type de marchés défini. Nous opérons donc une
distinction entre les marchés de transition, les marchés terminaux et les
marchés de redistribution. Or, il existe des séries de marchés à
l'intérieur desquels le volume d'activité dans un marché varie en proportion directe avec le
volume d'activité des autres. Par exemple, de telles variations se manifestent
dans la vente de chaussures chez les détaillants, les grossistes et les
fabricants de chaussures, dans la vente de cuir chez les tanneurs, dans la vente
de peaux chez les éleveurs. Dans de telles séries, le dernier marché est désigné
marché terminal et tous les autres,
marchés de
transition. Nous ne nous occuperons pas ici des
marchés de transition, car ils ont pour fonction simplement de distribuer les
recettes du marché terminal parmi les facteurs de production antécédents. Le
consommateur paie tous ces facteurs lorsqu'il paie le détaillant dans un marché
terminal. Il faut toutefois distinguer deux types
de marché terminal. Un type qui concerne les produits de DA' et un autre qui concerne les
produits de DA''. Car, manifestement,
l'activité secondaire, DA'', n'est
pas une activité de transition à l'égard de l'activité primaire, DA' : même si ces deux activités sont
liées par une concomitance de leurs variations, cette concomitance n'est pas de
l'ordre d'une proportion directe mais constitue plutôt la concomitance de la
vitesse et de son accélérateur. En outre, même si l'investisseur qui achète les
produits de DA'' espère ardemment que
le consommateur paiera, au terme du processus, pour le moment c'est
l'investisseur et non le consommateur qui paie. Et même si le consommateur paie,
ce qui n'est pas assuré, les affaires sur le plan DA'' ne pourront se maintenir à moins
que n'interviennent de nouveaux investisseurs. Il y a donc un marché terminal primaire et un marché terminal secondaire, ces deux
types de marché comprenant toute l'activité des marchés de transition à la fois
de DA' et de DA''. Aucun de ces deux types n'est un
marché terminal au sens absolu, cependant, car d'autres ventes s'opèrent même
après la vente des produits sur les marchés terminaux. La bourse redistribue les
investissements, le commerce d'occasion redistribue les entreprises liquidées et
les produits primaires durables, et l'immobilier redistribue la « propriété
indestructible du terrain » qui n'a jamais été produite et encore moins vendue
dans un marché terminal primaire ou secondaire. Ces marchés de redistribution ne sont
en rapport de concomitance manifeste ni avec l'activité primaire ni avec
l'activité secondaire. L'activité de redistribution est fonction de la rapidité
avec laquelle les propriétaires changent d'idée. Par ailleurs, les rythmes
primaires et secondaires globaux constituent essentiellement des rythmes de
production et, accessoirement, des phénomènes créés par un transfert de
propriété. DA' et DA'' existent même quand il n'y a pas
d'échange, même sur l'île de Robinson Crusoé, et même là où l'idée de propriété
perd toute signification économique, comme en URSS. Or, l'activité de
redistribution, même si certaines mesures, telles que les purges, les
déportations et les confiscations en constituent des équivalents politiques, est
en soi essentiellement un phénomène d'échange. Par conséquent, l'activité de
redistribution n'est pas incluse dans la DA' et la DA'' des rythmes de production. Il faut
donc introduire un nouveau symbole, DA*, pour dénoter son volume, son « tant
de fois à telle fréquence ». Ainsi, le rythme économique global,
déjà représenté par le symbole DA,
n'est plus seulement égal à la somme de DA' et DA''; il égale la somme de DA*, DA' et DA''. Par ailleurs, DA' et DA'' peuvent se mesurer par le volume
d'activité se déployant à leurs marchés terminaux. 22 Application de l'équation de
base L'équation de
base DA = P.DQ
= DE = DI
(2) a
été élaborée comme une équation s'appliquant à tout rythme ou à tout ensemble de
rythmes. Par conséquent, si DA*
mesure l'ensemble de l'activité de redistribution calculé en unités d'échange
pendant un intervalle donné, si DA'
mesure l'ensemble des ventes au marché terminal primaire pendant un intervalle
semblable et si DA'' mesure
l'ensemble des ventes au marché terminal secondaire pendant la même période,
alors nous pouvons établir, à partir de l'équation de base,
que DA* = P*DQ* = DE* = DI*
(3) DA' = P'DQ' = DE' = DI'
(4) DA'' = P''DQ'' = DE'' = DI'' (5) chacun des termes nouveaux
ainsi introduits étant défini par les définitions des différents marchés et par
la signification de l'équation de base. Ainsi, la valeur en unités monétaires
de l'ensemble de l'activité de redistribution pendant un intervalle donné, DA*, est une certaine quantité de
propriété, DQ*, vendue à un certain
niveau de prix, P*, et constituant
une dépense pour certaines personnes au montant DE*, et une recette pour d'autres personnes au montant DI*. De même, le volume des produits
primaires, DQ', qui se vend au niveau
de prix P', vaut DA'. Ce taux de vente entraîne un taux
de dépenses DE' et un taux de revenus
DI'. De même également, le volume des
produits secondaires, DQ'', qui se
vend au niveau de prix P'', vaut DA''. Ce taux de vente entraîne un taux
de dépenses DE'' et un taux de
revenus DI''.
Nous pouvons donc parler des valeurs DA*, DA' et DA'', des taux quantitatifs DQ*, DQ' et DQ'', des niveaux de prix P*, P' et P'', des taux de dépenses DE*, DE' et DE'' et des taux de revenus DI*, DI' et DI'' du marché de redistribution, du
marché terminal primaire et du marché terminal secondaire. De même, nous pouvons parler du champ de redistribution auquel
appartient l'équation (3), du circuit
primaire de l'équation (4) et du circuit secondaire de l'équation
(5). Le reste de ce chapitre sera consacré à
une étude des corrélations des circuits primaire et secondaire. Nous reprendrons
l'étude du champ de redistribution au chapitre 5. 23 Le
croisement des circuits primaires et secondaires DI' dénote les revenus tirés de
la vente de produits primaires et DI'', les revenus tirés de la vente de
produits secondaires. Or, ce sont essentiellement ces deux
flux de revenus qui doivent maintenir les deux taux de dépenses DE' et DE''; maintenant, on pourrait s'attendre
à ce que DI' maintienne DE' et que DI'' maintienne DE'',
mais, manifestement, ça n'est pas si simple. Tout d'abord, une partie notable de DI'' est dépensée, normalement, au
marché terminal primaire. Les salariés du champ secondaire reçoivent leur part
de DI'' mais ils la dépensent au
niveau DE', pour se procurer
nourriture, vêtements, logement, loisirs, et ainsi de suite. Les propriétaires
dépensent une partie de leurs dividendes de la même façon. Une tranche de DI'' est prélevée par le fisc sous forme
de taxes, et est déboursée pour les produits supérieurs du marché terminal
primaire. Par ailleurs, une part de DI' et de DI'' est dépensée régulièrement au
niveau DE'', car toute entreprise
industrielle doit assumer des frais de maintenance, de réparation et de
remplacement, qui représentent, selon les définitions établies au chapitre 2,
des achats sur le marché terminal secondaire. En outre, les profits nets que
réalisent parfois les propriétaires, une fois défalquées les sommes consacrées à
leurs propres besoins, les retenues fiscales ou les dépréciations, ces profits
nets, tirés à la fois de DI' et de DI'', passent à DE’’ et servent
normalement à l'achat des investissements qui élargissent et approfondissent la
structure industrielle. Il se produit donc un croisement des rythmes de revenus. DI' n'est pas dépensée entièrement au
niveau DE' : une part est dépensée au
niveau DE''. DI'' n'est pas dépensée entièrement au
niveau DE'' : une part est dépensée
au niveau DE'. 24 Théorème provisoire de la
continuité Si les termes DA', DA'', P', P'', DQ', DQ'', DE', DE'', DI', DI'' renvoient à un instant donné, et si
les mêmes termes soulignés renvoient à l'instant suivant ou à la rotation du processus d'échange, les équations de
base sont doublées de la façon suivante : DA' = P'DQ' = DE' =
DI' DA'
= P'DQ' = DE' = DI' et DA'' = P''DQ'' = DE'' =
DI''
DA'' = P''DQ'' = DE'' =
DI'' où
DA' peut être supérieure,
égale ou inférieure à DA', et où DA'' peut être supérieure, égale
ou inférieure à DA''. Or, si nous définissons la continuité
comme l'égalité des ventes sur les marchés terminaux à des instants successifs
ou des rotations successives, alors la
condition nécessaire et suffisante de la continuité sera
que DA' = DA' et
que DA'' = DA'' Nous exposerons intégralement au
prochain chapitre cette condition de la continuité. Pour le moment, nous allons
l'examiner dans sa forme la plus simple, sinon la seule qui
existe. Divisons les revenus primaires DI' en deux parties, de sorte que G'DI' soit affectée aux dépenses
secondaires DE'', et que (1 -
G')DI' soit affectée aux dépenses primaires
DE'. De même, divisons les
revenus secondaires en deux parties, de sorte que G''DI'' soit affectée à DE' et que (1 - G'') soit affectée à DE''. Donc, DE' = (1 - G')DI' + G''DI'' (6) et DE'' = (1 - G'')DI'' + G'DI' (7) Si
l'on additionne ces équations, G' et
G'' disparaissent, ce qui
donne DE' + DE'' = DI' + DI'' (8) ce
qui montre que les équations présupposent que l'équivalent des revenus
industriels totaux tirés d'une rotation sont dépensés dans la rotation
suivante. En outre, à condition que le croisement des revenus équivaille à une élimination,
de sorte que
G'DI' = G''DI''
(9) G' et G'' peuvent être enlevés de l'équation
(6) et de l'équation (7), ce qui donne
DE' =
DI' et
DE'' =
DI'' ce
qui, sous la forme équivalente d'une équation entre DA' et DA' et d'une équation entre DA'' et DA'', constitue, comme nous l'avons vu
déjà, la condition de la continuité. Puisque les équations (8) et (9) sont
indépendantes, la continuité sous sa forme la plus simple présente une double
condition. Premièrement, il découle de l'équation (8) que tous les revenus
primaires et secondaires doivent être dépensés. Deuxièmement, il découle de
l'équation (9) que les revenus primaires affectés au marché terminal secondaire
doivent être égaux aux revenus secondaires affectés au marché terminal
primaire. 25 Le théorème du
surplus Puisque la continuité
présuppose la dépense des revenus dans leur intégralité, l'équation (8) avère le
point de vue selon lequel, dans la situation générale, le profit n’existe
pas. Il n'est toutefois pas nécessaire que
DE'' soit affectée intégralement à
des besoins de maintenance, de réparation et de remplacement. Une certaine
fraction, que nous appellerons S,
peut être consacrée à l'achat de nouveaux biens d'équipement et de services aux
fins de l'élargissement et de l'approfondissement de l'industrie existante. En
outre, ce taux de dépenses sur le marché secondaire, S.DE'', n'apparaîtra pas initialement
dans les comptes d'une personne ou d'une firme, sous la rubrique ordinaire des
coûts; il s'inscrit au contraire dans le flux des investissements; il constitue
un débours de capital neuf pour des biens d'équipement et des
services. C'est ce qui nous amène à poser le
théorème du surplus. Appelons activité de surplus l’opération d'élargissement et
d'approfondissement, et désignons son taux par le symbole S.DA''. Le maintien de ce taux exigera
une dépense de surplus, S.DE''. Et
cette dépense de surplus entraînera nécessairement des revenus de surplus, S.DI'', car ce qui est une dépense pour
Jones constitue un revenu pour Smith. Ce théorème explique le fait manifeste
de la possibilité d'existence des profits dans la situation générale, quoi qu'en
disent les théories. Chaque fois qu'il y a une activité de surplus S.DA'', un flux de dépenses
d'investissement S.DE'' est versé
dans le champ secondaire, et cet afflux permet aux commerçants de tirer de la
circulation un revenu de surplus S.DI''. En somme, la condition de la
continuité exprimée dans l'équation (8), soit DE' + DE'' = DI' +
DI'' est
remplie, non pas par la dépense directe de l'intégralité des revenus, mais par
la dépense d'une partie des revenus totaux et par un afflux d'investissements
qui compense un débours de profits. Récapitulons. Les économistes affirment
que les profits, ça n'existe pas, puisque l'ensemble des gens ne peut gagner
davantage que ce qui est dépensé. C'est là une évidence, puisqu'un gain est
forcément l'envers, côté bénéficiaire, d'une dépense d'autrui. Or, notre
processus économique est mû depuis un siècle par l'anticipation des profits;
considérer les profits comme des accidents accessoires doit donc tenir de la
pure absurdité. Cela est vrai également, mais cela ne contredit pas
l'affirmation des économistes. Car les gens dont l'activité est motivée par les
profits ne considèrent pas leurs investissements comme des dépenses; ils gagnent
plus qu'ils ne dépensent, tout simplement parce qu'ils désignent comme
investissements une partie de leurs dépenses.
Notez que notre définition des revenus
de surplus correspond aux « excès de profits » plutôt qu'aux « profits ». Par
profits s'entend l'excédent du prix de vente sur le prix coûtant; les
commerçants n'incluent pas normalement leurs dépenses et leurs charges fiscales
personnelles dans leurs coûts industriels et commerciaux. Mais S.DI'' constitue un flux de revenus
au-delà de l'ensemble des dépenses personnelles, des charges fiscales, des dons
de charité, des frais de maintenance et de remplacement : c'est un surplus net,
un excès de profit que l'on ne peut dépenser qu'en
l'investissant. Remarquez, de plus, que les revenus de
surplus sont distribués à la fois entre les commerçants au niveau primaire et
entre les commerçants au niveau secondaire. Une portion des revenus secondaires,
G''DI'', est affectée au marché
terminal primaire. Cela dégage des revenus primaires un montant égal, G'DI', qui peut être affecté au marché
secondaire et servir à l'achat non seulement de services de maintenance, mais
aussi d'opérations d'élargissement et d'approfondissement. 26 Théorème des
coûts La notion comptable des
coûts ne saurait avoir de signification dans une industrie générale puisque les
coûts que doit assumer une firme représentent les recettes totales de la firme
suivante dans la série de production. Nous pouvons toutefois distinguer trois
types de coûts qui sont pertinents pour une théorie générale : les coûts
initiaux, les coûts de dépréciation et les coûts primaires
globaux. Les coûts initiaux concernent la
première opération d'acquisition de biens d'équipement. Le symbole qui les
représente est S.DE''. Les coûts de
dépréciation concernent la maintenance, la réparation et le remplacement
des biens d'équipement existants. Le symbole qui les désigne est (1 - S)DE''. Les coûts
primaires globaux concernent le
niveau de vie collectif, le volume des taxes et l'engagement philanthropique.
Ils sont résumés par le symbole DE',
les ventes globales de biens et de services primaires, supérieurs et
ordinaires. Il découle du théorème de la continuité
que tous ces coûts ensemble deviennent les revenus qui paient pour assurer leur
prolongement. DE'' devient DI'' et se divise en G''DI'' pour le marché primaire et en (1
- G'')DI’' pour le marché secondaire. DE' devient DI' et se divise en G'DI' pour le marché secondaire et en (1
- G')DI' pour le marché
primaire. Par conséquent, les coûts primaires
globaux sont absorbés en partie par les revenus primaires et en partie par les
revenus secondaires, soit (1 - G')DI' + G’'DI’'. De même, les coûts initiaux et les
coûts de dépréciation sont absorbés en partie par les revenus primaires et en
partie par les revenus secondaires, soit (1 - G'')DI'' + G'DI'. Donc, si S représente le rapport de surplus, les
coûts initiaux sont absorbés par S[(1
- G'')DI'' + G'DI'] et les coûts de dépréciation sont
absorbés par (1 - S) [(1 - G'')DI'' + G'DI'].
L'intérêt de ces formulations tient à
la lumière qu'elles projettent sur l'expression courante : « le consommateur
paie ». Manifestement, les consommateurs primaires ne paient que pour les
produits primaires : ils paient DE'.
Ils ne paient pas pour la dépréciation des moyens de production primaires ou
secondaires : ces coûts de dépréciation sont représentés par (1 - S)DE''. Ils ne paient pas non plus les
coûts initiaux des biens d'équipement, que représente le symbole S.DE''. Il est vrai que les comptables
attribuent un montant précis aux coûts de production, un montant précis à la
dépréciation, un montant précis au rendement des coûts de capital initiaux. Il
est vrai également que, si DE'' est
une quantité positive et S une
fraction inférieure à l'unité, le croisement des revenus secondaires vers le marché primaire, soit G''DI'', entraîne de fait un surplus
égal, G'DI', des revenus primaires;
et ce surplus permet aux commerçants au niveau primaire d'absorber la
dépréciation et même de disposer d'un surplus net à investir.
Mais il n'est pas vrai que les
pratiques comptables définissent une loi nécessaire et immuable; et il est
encore moins vrai que, si les comptables peuvent attribuer un montant précis à
la dépréciation et un montant précis au rendement des coûts de capital, c'est
que les consommateurs primaires paient pour la dépréciation et pour le rendement
des coûts de capital, en plus de payer les coûts primaires
globaux. Il n'y a pas de loi immuable. S aura une valeur nulle si le marché des
investissements s'effondre complètement. DE'' aura une valeur négligeable si tous
les commerçants remettent à plus tard les réparations et les remplacements
d'équipement. Dans ce cas, les revenus globaux seront simplement DI', DI' étant égale à DE'; il est alors impossible de
percevoir les coûts de dépréciation et un
rendement des coûts de capital, puisque ces revenus n'existent tout
simplement pas. En outre, s'ils sont perçus, alors ils
seront perçus non pas en sus des coûts primaires globaux mais comme une partie
de ces coûts, soit la partie que représente l'apport des revenus
secondaires affectés par croisement au champ
primaire. La validité objective de ce théorème se
vérifie dans les périodes d’essor et de crise qui nous sont familières. Un essor
entraîne des profits importants, puisqu'elle s'accompagne de grandes dépenses
aux chapitres de l'élargissement et de l'approfondissement. Une crise voit
disparaître les gros profits à cause de la disparition de cette dépense de
surplus. En conclusion, le consommateur paie :
il paie pour ce dont il devient propriétaire. Mais l'investisseur paie lui
aussi : et pour qu'un rendement d'un taux quelconque S.DI'' soit possible sur les dépenses de
capital (capital outlay) de l'investisseur, il faut tout simplement que
d'autres investisseurs effectuent des dépenses de capital à un taux S.DE''. 27 Courbure des équations
d'échange M. Léon Walras a élaboré la
conception des marchés comme équilibres d'échanges. Si vous concentrez tous les
marchés dans une même salle, si vous mettez tous les entrepreneurs derrière un
même grand comptoir, si tous les agents de vente offrent leurs services et si
les mêmes personnes, en tant qu'acheteurs, formulent leurs demandes, la fonction
de l'entrepreneur sera alors de trouver l'équilibre entre ces demandes et
l'offre potentielle. Cette conception est juste, mais
incomplète. Elle déploie les incidences de l'idée d'échange, mais sans tenir
compte des phases des rythmes de production. Comme nous l'avons vu, l'activité
économique traverse une série de transformations et d'exploitations; et cette
évolution se cristallise en la succession des phases capitaliste, matérialiste,
culturelle et statique. Or, à chaque phase, dans une économie d'échange,
correspond un équilibre d'échanges; mais les équilibres des différentes phases
diffèrent radicalement les uns des autres. Cette variation cyclique des équilibres
d'échanges produit la « courbure des
équations d'échange ». Dans la phase capitaliste, les rythmes
secondaires s'élargissent et s'approfondissent eux-mêmes. Plus ils sont larges
et profonds, plus grand est leur effet potentiel d'élargissement et
d'approfondissement. Par conséquent, dans la phase capitaliste le rapport de
surplus S s'accroît. L'activité de
surplus, les dépenses de surplus et les revenus de surplus nets augmentent sans
cesse. De façon générale, la réalisation de profits importants ne requiert pas
d'habiles manœuvres, puisqu'elle est inévitable. Elle se produirait même si
toutes les manœuvres déployées constituaient autant de faux pas. Car l'existence
de dépenses de surplus entraîne forcément la réalisation de revenus de surplus
nets. Dans la phase matérialiste, les rythmes
secondaires élargissent et approfondissent les rythmes primaires. Mais plus ces
rythmes sont larges, plus importante est l'activité de maintenance que les
rythmes secondaires doivent effectuer. Et comme ils ne s'accroissent pas
eux-mêmes, il n'y a pas d'accroissement de l'élargissement et de
l'approfondissement qu'ils peuvent effectuer au niveau primaire. S est une fonction inférieure à l'unité,
mais elle décroît. Aussi intelligents, aussi efficaces soient les commerçants,
S décroît nécessairement; car la
décroissance des dépenses de surplus entraîne forcément celle des revenus de
surplus nets. La phase culturelle est plus complexe,
mais pour le moment nous pouvons l'assimiler à la phase matérialiste.
Dans la phase statique, S est égale à zéro. Il n'y a ni
élargissement ni approfondissement. Ce qui ne veut pas dire que les rythmes
primaires ne peuvent pas se poursuivre au niveau acquis, aussi élevé soit-il.
Cela ne signifie pas non plus que les coûts de dépréciation ne sont pas tous
absorbés. Cela signifie simplement que la structure industrielle n'est pas en
train de grossir constamment. Et qu'au total il n'y a pas de revenus de
surplus. Il est donc possible d'atteindre un
équilibre des équations d'échange avec un accroissement, une décroissance ou une
absence de revenus de surplus. Si toute l'activité économique est motivée par
l'anticipation de profits, cette variation des revenus de surplus nets aura de
profondes résonances dans tout le champ économique. Le rapport croissant de
surplus S de la phase capitaliste
annonce telle l'aurore une période d’essor important. Le rapport décroissant de
surplus de la phase matérialiste assombrit le ciel des signes avant-coureurs
d'une tornade. Quant au rapport de surplus nul de la phase statique, c'est le
plus incompréhensible des mystères : que faire quand il n'y a pas de revenus de
surplus nets? 28 La proportion
normative Si nous divisons
entièrement, terme par terme, l'équation du marché primaire par l'équation du
marché secondaire, nous obtenons une troisième équation que nous appellerons
proportion normative. Par conséquent, à partir de DA' = P'DQ' = DE' =
DI' et
de DA'' = P''DQ'' = DE'' =
DI'' nous
obtenons DA'/DA'' = P'DQ'/P''DQ'' = DE'/DE'' =
DI'/DI'' (10) Or, à long terme, la proportion normative
doit être une quantité croissante. Car DQ'/DQ'' doit être à long terme une
quantité croissante, puisque toute croissance de DQ'' entraîne un flot de croissances en
DQ'. Les rythmes secondaires DQ'' accélèrent les rythmes primaires DQ'. Par contre, rien ne permet de supposer
que P'/P'' varie en sens inverse de
DQ'/DQ''. Au contraire, les niveaux
de prix de vente primaire et secondaire P' et P'' doivent sembler liés entre eux; ils
peuvent varier de manière indépendante jusqu'à un certain point; mais rien ne
permet de supposer que le prix de la main-d'oeuvre ou le prix des matériaux ou
les taux de profits doivent augmenter constamment dans le champ secondaire et
diminuer constamment dans le champ primaire. Puisque DQ'/DQ'' est une quantité croissante à
long terme, il s'ensuit donc que P'DQ'/P''DQ'' sera une quantité
croissante. Et de cet enchaînement il découle que tous les termes égaux à P'DQ'/P''DQ'' seront des quantités
croissantes. Cet énoncé concerne le « long
terme ».En fait, comme nous l'avons vu, à court terme la phase capitaliste fait
augmenter DQ'' sans provoquer un
accroissement immédiat de DQ'; mais
une phase capitaliste est toujours suivie d'une phase matérialiste ou
culturelle, et par conséquent DQ'
s'accroît hors de toute proportion par
rapport à l'augmentation de DQ''. Si la proportion normative est une
quantité croissante, il s'ensuit que les revenus secondaires DI'' doivent représenter une fraction de
plus en plus petite des revenus totaux DI' + DI''. Et si DI'' représente une fraction de plus en
plus réduite des revenus totaux, alors S.DI'', les revenus de surplus nets,
doivent constituer une fraction de plus en plus réduite des revenus
totaux. Par conséquent, la recherche du profit
produit des rendements susceptibles de
décroître. Autre conséquence : dans un état très
avancé de l'industrie et du commerce, seule une vaste entreprise dont les
opérations s'étendent des matières premières aux consommateurs du niveau
primaire est capable de réaliser un surplus net notable. Car, le surplus
constituant une petite fraction d'une rotation globale, seule une vaste rotation permettra, en moyenne, de réaliser un
surplus qui dépasse l'ordre microscopique. Ainsi, l'élimination graduelle des
petites entreprises, à laquelle nous assistons, ne signifie pas que les petites
entreprises soient des producteurs inefficaces ou des commerçants médiocres; ce
phénomène prouve simplement que ces entreprises ne sont pas assez grosses pour
mettre la main sur le surplus qui existe. Une dernière conséquence se profile :
les dividendes et les intérêts, dans la mesure où ils ne sont pas distribués à
une classe moyenne de rentiers mais concentrés dans les coffres de
multimillionnaires égocentriques, doivent nécessairement diminuer graduellement.
Cette remarque se fonde sur le fait que les dividendes et les intérêts ne sont
pas nécessairement classés parmi les
revenus de surplus nets; ils peuvent figurer dans les revenus au titre du niveau
de vie ou des activités philanthropiques, et alors ils font partie, non pas de
S.DI'', mais de DI'. 29 Le rapport de
croisement Nous avons vu qu'une
condition de continuité est définie par l'annulation du croisement des revenus. Si à partir de l'équation
(9)
G'DI' =
G''DI'' nous transposons les termes,
nous obtenons
DI'/DI''
= G''/G' (11) donc, si nous présupposons
qu'il y a continuité, G''/G' égale la
proportion normative. Ce qui nous permet d'établir la proportion normative en
fonction de la fraction des dépenses (outlay) primaires qui est transférée au marché secondaire G' et de la fraction des dépenses
(outlay) secondaires qui est transférée au marché primaire
G''. Donc, si nous disposons les valeurs de
G' horizontalement et les valeurs de
G'' verticalement, nous obtiendrons
des colonnes où figureront les valeurs correspondantes de DI'/DI'', c'est-à-dire de la proportion
normative. G'
50 % 20 % 10 % 5
% 1 %
0,1 % G'' 50 % 1 2,5
5 10 50
500 80 % 1,6 4
8 16 80
800 90 % 1,8 4,5
9 18 90
900 95 % 1,0 4,75
9,5 19 95
950 99 % 1,98
4,95 9,9 19,8
99 990 100 % 2
5 10 20
100 1000 Comme l'indique ce tableau, une
variation de G' a des incidences
beaucoup plus importantes qu'une variation de G''. Si G' était de 10 % et si G'' était de 90 %, la réduction de G' à 5 % ferait passer la proportion de
9 à 18, alors que l'élévation de G''
à 95 % ne hausserait la proportion que de 9 à 9,5. Par contre, si G'' était de 90 % et si G' était en réalité de 10 % mais était
surestimé par le jeu de coûts de dépréciation excessifs et de diminutions de
salaires lui donnant une valeur réputée de 20 %, alors une proportion normative
de 9 recevrait une distribution monétaire correspondant à une proportion de 4,5.
Il en résulterait une surproduction, ou un faible pouvoir d'achat ou une
mauvaise distribution (que l'on appellera comme on voudra, pour éviter les
critiques des économistes superficiels qui prétendent qu'une telle chose
n'existe pas) qui opérerait une coupe généreuse de près de la moitié de
l'activité économique. Nous disons « près de la moitié » car la proportion de
4,5 représente un terme relatif : l'activité secondaire peut croître, et alors
la proportion est de quatre fois et demie supérieure au flux de surplus accru,
qui représentait neuf fois le flux de surplus non accru; par ailleurs,
l'activité secondaire peut et va décroître, et alors la proportion de base
devient quatre fois et demie le niveau du surplus diminué[3].
30 Rétrospective L'objet de ce chapitre était
d'indiquer l'existence d'une structure mécanique objective de l'activité
économique, d'une réalité indépendante de la psychologie humaine, d'une réalité
à laquelle la psychologie humaine doit s'adapter, si elle veut éviter que
l'activité économique tienne d'un effort aussi vain que de vouloir soulever un
bain tout en étant à l'intérieur. Et cette structure, comme cela était à
prévoir, nous l'avons trouvée. Je n'aurais pas entrepris la rédaction de ce
chapitre si je n'avais su quel en serait l'aboutissement. Or, je ne crois pas
avoir cerné une chose inexistante. Au contraire, il semble bien que nous avons
réussi simplement à formuler certains phénomènes dont l'existence est devenue
malheureusement très manifeste. La recherche du profit est une motivation qui
fonctionne très bien dans une phase capitaliste où le rapport de surplus va
augmentant; elle fonctionne de moins en moins bien dans une phase matérialiste
où le rapport de surplus va décroissant; elle n'a plus aucune efficience dans
une phase statique où le rapport de surplus est nul; et elle fonctionne moins
bien à chaque phase successive ou cycle successif du développement
économique. Ce chapitre cependant n'a fait qu'esquisser
notre propos. Nous n'avons pas examiné le théorème fondamental de la continuité
dans son intégralité, mais nous nous en sommes tenus à sa solution la plus
simple. Il convient donc maintenant d'entreprendre une étude plus détaillée de
la structure mécanique générale du processus d'échange.
5 31
L'idée d'équilibre Les équations de base du chapitre précédent
représentent, non pas les équilibres de différentes choses, mais seulement
différents aspects de la même chose. Elles relient les dépenses faites en un
marché donné (DE), la valeur des
marchandises vendues (DA), la même
valeur exprimée en fonction de la quantité et du prix (P.DQ), et les revenus ou les recettes totales tirés des ventes (DI). Puisqu'ils désignent les mêmes
choses ou les mêmes flux, ces quatre termes sont nécessairement égaux. Il y a cependant une fonction qui relie
les dépenses actuelles en un marché quelconque aux recettes touchées
précédemment sur ce marché. Car si les flux réels de biens et de services se
déplacent, pour ainsi dire, en ligne droite depuis les potentialités de la
nature universelle jusqu'à la jouissance ou la réalisation, le gaspillage ou la
destruction, de l'activité humaine, par contre, les flux factices de l'argent
et des substituts de l'argent, du liquide et du crédit, tracent des parcours
circulaires. Un même cours légal est utilisé des milliers de fois; une même
accumulation soutient indéfiniment un volume de crédit donné. Il ne faut pas se méprendre sur le sens
du mot « circulation » : il ne s'agit pas du déplacement
d'objets factices à une vitesse angulaire. Ces objets factices reposent bien
calmement dans les réserves de certaines personnes, banques ou sociétés. Ils ne
se déplacent qu'au moment d'un échange ou d'un prêt, et alors leur mouvement
est instantané. Le terme « circulation » signifie que ces mouvements
instantanés se déployant dans différentes directions doivent être équilibrés
par des mouvements opposés. Il doit y avoir un équilibre. Cet équilibre de l'échange n'a certes
pas la rigidité qui caractérise la mécanique physique. Un fonds ou une réserve
peut pendant quelque temps prendre plus qu'il ou elle ne donne, ou donner plus
qu'il ou elle ne prend. Mais ce sont là essentiellement des phénomènes à court
terme. Aucun fonds ne peut recevoir plus qu'il ne donne à moins qu'un autre
fonds ne donne plus qu'il ne reçoit; et aucun fonds ne peut de manière
permanente donner plus qu'il ne reçoit, car les fonds, comme les rivières, ne
sont des principes de flux permanent qu'à la condition d'être en permanence alimentés
par leurs affluents. 32
Système de référence pour
l'équilibre d'échange L'étude de l'équilibre d'échange exige
l'introduction d'un système de référence, qui est une méthode d'énumération des
différents fonds ou des différentes accumulations qui sont en équilibre. Un tel système peut présenter divers
degrés de généralité. Le minimum absolu de généralité exige l'énumération de
toutes les personnes, les sociétés, les banques, et ainsi de suite, qui
possèdent des fonds. Aussi exhaustif soit-il, cet exercice ne serait pas
scientifique, car la science porte sur le général et elle est orientée non pas
par des considérations quantitatives mais par la sélection de différentes
significatives. Trois différences significatives se
sont profilées dans le chapitre précédent. La première était la différence
entre le champ de redistribution et les circuits principaux : dans le
champ de redistribution il n'y a qu'un changement de propriété; dans les
circuits principaux l'échange ne se limite pas à un changement de propriété
mais il fait aussi avancer les rythmes primaires et secondaires des biens et
des services. La deuxième différence concernait l'existence, à l'intérieur des
circuits principaux (les rythmes primaires et secondaires) de deux marchés
finals distincts auxquels sont associées des séries distinctes respectives de
marchés de transition. La troisième différence marquait une distinction, dans
chacun des deux marchés finals, et malgré la solidarité des marchés
intermédiaires avec leur marché final respectif, de l'offre et de la demande,
et des deux groupes que sont, d'une part, les producteurs et les commerçants de
détail, d'autre part, les consommateurs et les investisseurs. Ce qui nous donne
cinq subdivisions : le processus universel se divise en un champ de
redistribution et des circuits principaux; les circuits principaux se divisent
en un niveau primaire et un niveau secondaire; et ces deux niveaux se divisent
en des groupes que sont les commerçants (producteurs et négociants) et les
consommateurs (y compris les investisseurs). Nous allons désigner par le terme solde une somme d'argent ou un montant
de crédit conservé en vue d'un but défini ou pour une éventualité indéfinie.
Aux fins de notre analyse, il existe donc cinq types, donc cinq groupes, de
soldes. Il y a d'abord les soldes pour redistribution. c'est-à-dire des objets factices conservés pour
une redistribution ou à une éventualité. Dans cette catégorie tombent les
réserves des banques, des compagnies d'assurance, des courtiers en valeurs
mobilières, de même que les accumulations pour l'achat de terrains, les biens
d'équipement utilisés ainsi que les produits de seconde main tels que les
maisons, les voitures d'occasion, et ainsi de suite. Les deuxième et troisième types
concernent les soldes
des commerçants. Chaque commerçant (producteur ou négociant) doit
affronter un fossé financier entre le début et l'achèvement de sa
rotation : il doit acheter des matériels, des biens finis ou non finis; il
doit payer des traitements et des salaires; et ces dépenses ne commencent à
donner un rendement monétaire qu'une fois le produit vendu. Pour combler ce
fossé il doit posséder un capital roulant, le montant de ce capital roulant en
main dans l'ensemble des situations constituant la somme d'argent dans les soldes
de commerçants. Ces soldes, selon notre analyse, se répartissent en soldes de
commerçants primaires et en soldes de commerçants secondaires. Les quatrième et cinquième types
constituent les soldes des consommateurs primaires et secondaires. Les dépenses
des commerçants engendrent des revenus pour des sociétés et des personnes, mais
ces revenus ne sont pas tous dépensés immédiatement. Certains s'écoulent goutte
à goutte, d'autres disparaissent par vagues, mais il en reste une partie qui
est conservée pour parer à diverses éventualités ou transférée au champ de
redistribution. L'argent que des personnes conservent ou le crédit qu'elles
acquièrent en vue de certains achats sur le marché terminal primaire
constituent des soldes
de consommateurs primaires. Par
ailleurs, l'argent que des personnes ou des sociétés conservent pour la
maintenance, l'élargissement ou l'approfondissement de la structure
industrielle ou commerciale existante constitue des soldes de consommateurs secondaires. Tel est
notre système de référence. En fonction du principe de l'équilibre, défini dans
la section précédente, il doit y avoir de façon générale un équilibre entre les
mouvements vers chacun de ces types et les mouvements partant de tous les
autres types. Voyez le diagramme de la section 34. 33 Les phases monétaires Le principe de l'équilibre vaut pour l'ensemble des
situations, mais il souffre une exception. Il faut reconnaître le phénomène de
la création de l'argent et de la création du crédit, cette création pouvant
entraîner une supériorité des mouvements vers l'extérieur sur les mouvements
vers l'intérieur. Supposons que le pouvoir de création
réside dans le champ de la redistribution, que l'excès des mouvements du champ de redistribution vers les soldes de
commerçants primaires est DT', DT' signifiant une mesure de telle
quantité à telle fréquence, qui peut être positive, nulle ou négative selon que
l'excès favorise les commerçants, ou ne favorise personne, ou favorise le champ
de redistribution. De même, supposons que l'excès de
mouvement du champ de redistribution vers les soldes de commerçants secondaires
est DT''; que l'excès vers les soldes
de consommateurs primaires est DC';
et que l'excès vers les soldes de consommateurs secondaires est DC''. Selon ces présupposés, lorsqu'il y a
équilibre entre les soldes de redistribution et les quatre autres soldes
(soldes de commerçants primaires et secondaires, soldes de consommateurs
primaires et secondaires), alors DT' + DT'' + DC' + DC'' = 0 (12) car
dans de telles circonstances, même s'il se peut qu'un solde soit augmenté par
un apport du solde de redistribution ou diminué au profit du solde de
redistribution, cette perte ou ce gain sera compensé par les pertes ou les
gains d'autres soldes. Il peut cependant y avoir une expansion
ou une contraction du crédit vraisemblablement fondée sur la structure
économique et liée aux soldes de commerçants et de consommateurs. Nous
établissons donc l'équation générale suivante : DT' + DT'' + DC' + DC'' = DM (13) telle
qu'une valeur positive, nulle ou négative de DM signifie que les soldes de commerçants et de consommateurs sont
soit augmentés par un apport des soldes de redistribution, soit en équilibre
avec ces soldes soit diminués au profit de ces soldes. Ce qui nous donne trois phases monétaires : l'expansion
monétaire correspondant à une valeur positive de DM, la
continuité monétaire correspondant à une
valeur nulle de DM et la contraction
monétaire correspondant à une valeur négative de DM. Une question se pose ici : Quelle
est la correspondance entre les trois phases financières et les phases des flux
réels? Une expansion réelle comme celle des phases capitaliste et matérialiste
postule-t-elle une expansion monétaire? La phase réelle statique, où les biens
et les services sont produits et vendus à des taux constants, postule-t-elle
une continuité monétaire? Le déclin économique, où la production et les ventes
sont en baisse, postule-t-elle une contraction monétaire? De façon générale, ces questions
semblent commander une réponse affirmative. Ni l'expansion monétaire ni la
contraction monétaire ne semblent associées normalement à la phase statique car
de telles associations supposeraient que les mêmes taux de production et de
ventes soient liés normalement à une augmentation constante ou à une diminution
constante du volume monétaire. Par ailleurs, à moins que l'expansion réelle ne
postule une expansion monétaire, il ne serait pas possible d'expliquer le
développement des techniques financières. Car si le processus réel peut
s'étendre sans expansion monétaire, pourquoi ces protestations persistantes
contre l'accumulation de richesses dormantes, pourquoi ces récriminations
contre les lois condamnant le prêt à intérêt, pourquoi cette doctrine
mercantiliste visant à obtenir pour chaque État une part maximale de l'or
mondial, pourquoi cette croissance des magasins de vente au rabais, des
banques, de la pyramide des réserves d'or, de la monnaie et du crédit bancaire?
Tous ces phénomènes tiennent à une même cause : l'expansion réelle postule
une expansion monétaire. Enfin, il y a la concomitance d'un volume de crédit
qui croît en fonction de la croissance de la production et des ventes, et qui
décroît en fonction de la décroissance de la production et des ventes; cette
équation n'est peut-être pas concluante en soi, mais elle nous amène à établir,
si nous l'associons aux phénomènes déjà mentionnés, une concomitance de
l'expansion, de la continuité et de la contraction respectives des flux réels
et factices. Nous pouvons arriver à la même
conclusion par une démarche différente. De façon générale, les prix augmentent
lorsqu'il y a expansion réelle et ils diminuent lorsqu'il y a contraction
réelle. Par conséquent, si la vélocité de l'argent reste la même, alors dans
une expansion réelle et l'augmentation des prix et l'augmentation de la
production exigent une DM positive,
tandis que dans une contraction réelle et la diminution des prix et la
diminution de la production permettent une DM
négative. Par ailleurs, si la valeur de DM
reste nulle à la fois dans l'expansion réelle et dans la contraction réelle,
alors la vélocité de l'argent dans les circuits devra croître dans une
expansion non seulement en fonction d'une augmentation de la production, mais
aussi en fonction d'une augmentation des prix; de même, dans une contraction,
la vélocité devra décroître non seulement en fonction d'une diminution de la
production, mais aussi en fonction d'une diminution des prix. Or, il semble que la vélocité des
objets factices dans les circuits principaux est liée à la vélocité de la
production et des ventes. Dans le secteur de la redistribution, certes, la
vélocité de l'argent est simplement fonction de la vélocité à laquelle les
propriétaires changent d'idée : elle peut être énorme si un certain nombre
de personnes échangent dans tous les sens les mêmes choses avec le même argent,
ce qui se produit lorsque la bourse prend les allures d'un casino; par contre,
la vélocité de l'argent peut être réduite à presque rien lorsque tout le monde
est convaincu qu'il n'y a pratiquement rien à gagner à échanger les possessions
existantes pour de nouvelles acquisitions. Or dans les circuits principaux les
choses sont radicalement différentes. Là en fait la vélocité monétaire est
associée à la vélocité réelle. Il y a une « quantité donnée à une
fréquence donnée » de l'argent manipulé; mais il y a aussi une
« quantité donnée à une fréquence donnée » des biens et services
fournis. Ce qui compte, ce n'est pas le nombre de fois où l'argent est transféré,
mais la rapidité avec laquelle ce transfert d'argent peut se traduire par un
transfert réel. Ainsi, la spéculation dans les bourses des marchandises peut
s'accompagner d'une vélocité très grande de l'argent, mais à cette vélocité
accrue correspond une vélocité accrue des mouvements de marchandises; de
plus - et voilà ce qui est important - même si cette
vélocité des marchandises et de l'argent était infinie, le reste du processus
exigerait le même volume d'argent que d'habitude. Car manifestement la fonction
de l'argent est de déplacer, disons, le blé des plaines de l'Ouest jusqu'à la
table des ménages, et un accroissement du nombre des propriétaires qui
interviennent dans le processus ne produit rien de plus qu'une augmentation
phénoménale de la vélocité de l'argent. De même, les fabricants de voitures
peuvent vendre à des revendeurs sur commande ou au mois ou à l'année; quel que
soit l'arrangement conclu entre eux, les fabricants et les revendeurs
bloqueront manifestement le capital de roulement pendant toute la période entre
la production et la vente finale; si les fabricants vendent sur commande, c'est
leur capital de roulement qui doit porter le fardeau le plus important; par
contre, s'ils vendent seulement à l'année, ce sont les revendeurs qui porteront
le fardeau. Il appert donc que la vélocité de
l'argent dans les circuits principaux est liée à la vélocité de la production
et de la vente des produits. Nous arriverons à la même conclusion si nous
prenons les choses sous la perspective inverse, celle du rythme de dépense des
revenus. Sur les revenus s'exercent les pressions des demandes quotidiennes,
des demandes hebdomadaires, des demandes mensuelles, des demandes annuelles et
des demandes à vie. Chaque type de demande représente une vente; et chaque type
de demande vise un revenu tiré en général des dépenses des producteurs et des
commerçants. Là encore nous voyons que la vélocité de l'argent dans les
circuits principaux coïncide avec la vélocité, avec l'intervalle entre le début
de la production et le moment de la vente finale. Or, si la vélocité de l'argent dans les
circuits principaux est liée à la vélocité de la production et de la mise à
disposition des biens et des services, alors, puisque cette vélocité ne varie
qu'en fonction de l'efficacité des entreprises industrielles et commerciales,
il existe donc une correspondance stricte entre la phase statique et la
continuité monétaire, entre l'expansion réelle et l'expansion monétaire, entre
une dépression et la contraction monétaire. Lorsque les circuits principaux connaissent
une expansion leur permettant de produire une quantité de plus en plus grande
de marchandises à des prix plus élevés, la vélocité peut croître quelque peu à
cause d'un gain d'efficacité; mais cet accroissement ne suffit pas semble-t-il
à effacer le besoin d'une augmentation de la quantité d'argent nécessaire à un
volume accru d'échanges commerciaux. De même, une contraction de l'activité
industrielle et commerciale s'accompagne d'une diminution du volume des
marchandises, qui sont offertes à des prix plus bas, ainsi que d'une diminution
de la vélocité monétaire en raison d'une perte d'efficacité sur les plans de la
production et des ventes; mais il n'appert pas que la décroissance de la
vélocité corresponde à la décroissance du volume monétaire. 34
La formule générale des
circuits principaux L’équilibre entre, d'une part, les soldes de redistribution
et, d'autre part, les soldes des commerçants et des consommateurs reposerait,
affirme-t-on, sur une correspondance entre les phases financières et les phases
réelles. Dans une expansion réelle, telle que la phase capitaliste ou la phase
matérialiste, les soldes de redistribution doivent constamment perdre du volume
au profit des quatre autres; il faut une DM
positive, et cette DM positive par
ailleurs fait surgir les arts des techniques financières. Par contre, dans une
phase statique DM a une valeur nulle,
tandis que dans un déclin réel une contraction financière se produit, où les
financiers rendent négative la valeur de DM
en réduisant les dimensions de leur création. Il importe maintenant de nous pencher
sur l’équilibre entre les soldes des commerçants et ceux des consommateurs. Les commerçants perçoivent des recettes
globales des marchés finals aux rythmes DI'
et DI''. Ils distribuent ces sommes
entre eux par la voie des marchés intermédiaires, c'est-à-dire par l'achat de
matériels, de marchandises finies et non finies. Ils mettent ensuite de côté
une partie des recettes sous forme de fonds de dépréciation qui constituent,
selon notre définition, des soldes secondaires de consommateurs. Ils paient
ensuite les traitements et les salaires qui assurent le maintien de leur
entreprise; ils paient des dividendes et des intérêts à long terme à des
actionnaires et à des porteurs d'obligations; ils établissent des contrats ou
remboursent des prêts à court terme; ils déplorent la mort des entreprises
liquidées ou célèbrent la naissance de nouvelles entreprises. Or, parmi ces transactions, additions
et soustractions, une partie concerne le secteur de la redistribution, et est
couverte par DT' et DT'', dont la valeur peut être positive,
nulle ou négative. Mais la majeure partie concerne les soldes de
consommateurs : telle est en particulier la destination des traitements et
des salaires, des intérêts à long terme et des dividendes, ainsi que des frais
de dépréciation. Supposons, donc, que les commerçants primaires versent dans
les soldes des consommateurs une fraction T'
de DI'; et que les commerçants
secondaires versent dans les soldes de consommateurs une fraction T'' de DI''. Les commerçants primaires reçoivent
donc des consommateurs primaires DI',
et ils versent aux consommateurs
primaires et secondaires l'agrégat T'DI'.
De même, les commerçants secondaires reçoivent des consommateurs secondaires au
rythme DI'', et ils versent aux
consommateurs primaires et secondaires au rythme T''DI''. Nous appellerons dorénavant T' et T'' des multiplicateurs de commerçants.
Ils possèdent manifestement un lien avec DT'
et DT''. Car lorsque les dépenses
d'un commerçant primaire dépassent constamment les recettes de ce commerçant
primaire, DT' doit avoir une valeur
positive pour combler l'écart. De même, lorsque T'' est plus grand que l'unité, DT''
doit avoir une valeur positive pour combler l'écart. Par contre, lorsque T' et T'' égalent l'unité, la valeur de DT' et de DT'' peut être
nulle; et lorsque T' ou T'' sont inférieurs à l'unité, la valeur
de DT' ou de DT'' peut être négative. Il reste qu'il faut une certaine
détermination de la proportion dans laquelle T'DI' et T''DI'' se
répartissent entre les soldes de consommateurs primaires et secondaires. En
pratique, cette répartition se déploie en fonction de la distribution des
revenus : si tous les revenus étaient distribués de façon égale, ils
seraient tous dépensés, fort probablement, sur le marché primaire final; par
ailleurs, comme un certain nombre de personnes reçoivent plus qu'elles ne
veulent ou peuvent dépenser sur le marché terminal primaire, il reste un
surplus pour les soldes de consommateurs secondaires. Quelle que soit la manière dont se
produit la division, disons qu'une fraction G'
de T'DI' est transférée aux soldes de
consommateurs secondaires et que le reste, soit (1 - G' ) T'DI', est transféré
aux soldes de consommateurs primaires. De même, disons qu'une fraction G'' de T''DI'' est transférée aux soldes de consommateurs primaires et que
le reste, soit (1 - G'') T''DI'', est transféré aux soldes de
consommateurs secondaires. Les consommateurs primaires recevront
donc la somme des taux (1 - G') T'DI' et G''T''DI'', tandis que les consommateurs secondaires recevront la
somme des taux (1 - G'') T''DI'' et G'T'DI'. Ces taux expriment les niveaux de la
demande effective potentielle. En fait, les consommateurs dépenseront une
fraction, inférieure ou supérieure à l'unité, de leurs revenus. Si ces
fractions sont représentées par C' et
C'', leurs dépenses, DE' et DE'', sont définies par les équations DE' = C' [(1 - G')T'DI' + G''T''DI''] (12) et DE'' = C'' [( G'T'DI'
+ (1 - G'')T''DI''] (15) où DE' et DE'' peuvent avoir une valeur égale, supérieure ou
inférieure à celle de DI' et DI'' puisqu'elles ont trait à des
instants économiques ou des rotations économiques différents. Le diagramme qui suit résume tout ce
que nous avons dit. Un autre diagramme représente seulement
les circuits principaux. T' et T'' représentent l'écart entre les rentrées et les débours du
capital roulant. C'
et C'' représentent l'écart entre
l’encaissement et la dépense des revenus de consommation et des revenus
d'investissement. Les interruptions du circuit (en haut à
gauche et en bas à droite du rectangle) marquent les marchés finals. Les recettes brutes des commerçants
sont multipliées respectivement par T'
et T'', ce qui produit T'DI' et T''DI''. Ces deux produits sont divisés
respectivement par G' et G''. Les consommateurs primaires reçoivent
(1 - G')T'DI' + G''T''DI'' et dépensent C'[(1
- G')T'DI' + G''T''DI'']. Les consommateurs secondaires reçoivent
(1 - G'')T''DI'' + G'T'DI' et dépensent C''[(1
- G'')T''DI'' + G'T'DI']. 35
Les multiplicateurs
de distributeurs DE' = C' [(1 - G')T'DI' + G''T''DI''] DE'' = C'' [(1 - G'')T''DI'' + G'T'DI'] relient
l'ensemble des rentrées d'une rotation, DI' et DI'', à l'ensemble des débours de la rotation suivante, DE' et DE'', en faisant appel à trois paires d'inconnues : les
multiplicateurs de commerçants T' et T'', les multiplicateurs de distributeurs G' et G'' et les multiplicateurs de
consommateurs C' et C''. Nous
devons maintenant examiner ces inconnues; nous allons nous pencher d'abord sur
les multiplicateurs de distributeurs G'
et G'', dont il a déjà été question
dans notre exposé du théorème initial de la continuité, dans la situation
simple où T', T'', C' et C'' sont tous égaux à l'unité (§ 24). Les dépenses des commerçants primaires, y compris les frais de dépréciation et les
dividendes, forment T'DI'. Comme les recettes des commerçants primaires proviennent
du marché final primaire, les consommateurs primaires devraient, en règle
générale, recevoir T'DI' comme somme
à dépenser sur ce marché. De même, comme les dépenses des
commerçants secondaires forment T''DI'',
les consommateurs secondaires devraient recevoir des revenus à ce niveau pour
avoir l'argent nécessaire à dépenser sur le marché final secondaire. Cependant, en raison des croisements des rythmes des revenus, les
consommateurs primaires reçoivent (1 - G')T'DI' + T''G''DI''. Pour que cela égale T'DI', la condition est T'DI' = (1 - G')T'DI' + G''T''DI'' ou DI'/DI'' = G''T''/G'T' (16) De
même, si le (1 - G'')T''DI'' + G'T'DI' reçu par les
consommateurs secondaires doit être suffisant pour qu'ils retournent T''DI'' aux commerçants secondaires par
la voie du marché final secondaire, alors T''DI'' = (1 - G'')T''DI'' + G'T'DI' ou DI'/DI'' = G''T''/G'T' (16) ce
qui constitue la même condition. L'importance de cette condition est
tout à fait manifeste. La révolution industrielle a mis de l'avant les
préceptes d'économie et d'entreprise : l'esprit d'économie voulant que l'on évite de
dépenser l'argent sur le marché final primaire, pour l'accumuler et le réserver
pour le marché final secondaire; l'esprit d'entreprise voulant que l'on se
garde d'en rester à l'accumulation de l'argent, et qu'on l'investisse. Ce
dernier précepte avait pour fondement la révolution industrielle
elle-même : T'' représentait un
volume important, puisque l'on reconstruisait la structure de l'industrie; T' était plus petit, puisque le
changement de structure n'avait pas encore commencé à produire une hausse du
niveau de vie. Puisque T'' avait une
grande dimension, G'' devait être
beaucoup plus petit, G'' mesurant la
proportion des débours secondaires se rendant
aux consommateurs primaires. Puisque T'
avait une dimension réduite, G'
devait être beaucoup plus grand, G'
mesurant la proportion des débours primaires se rendant aux consommateurs
secondaires. La phase matérialiste subséquente
renverse ces préceptes. La nouvelle structure industrielle commence à produire
une hausse du niveau de vie : T'
acquiert une grande dimension, sans que T''
croisse; par conséquent, G' doit
décroître et G'' doit croître; un
volume plus important de débours secondaires doit se rendre aux consommateurs
primaires et un volume moins important de débours primaires doit se rendre aux
consommateurs secondaires. Les salaires ont augmenté; les conditions de la
prospérité d’autrefois sont maintenant à la portée des travailleurs; les achats à tempérament ont permis aux consommateurs
primaires de se procurer des objets dispendieux tout comme ils se procuraient
habitation et nourriture. Les multiplicateurs de
distributeurs sont donc intimement liés à la composition objective de
l'industrie et du commerce, à ce que nous avons appelé la proportion normative DI'/DI''. Cette proportion définit la
situation objective, T' et T'' définissent les modifications
apportées à cette situation par les dépenses des
commerçants, alors que l'équation (où T' et T'' sont
transférés) DI'T'/DI''T'' = G''/G' (16) établit
que la distribution doit être conforme à la situation modifiée, où DI'/DI'' est multiplié par T'/T''. Il n'y a certes aucune nécessité absolue
que la distribution soit réalisée de cette façon. Il y a par contre une
nécessité conditionnée. Car, à moins que la distribution ne suive l'équation,
la composition objective de l'industrie ne saurait atteindre le but qu'elle
s'est fixé. Si dans la révolution industrielle ceux qui touchaient des revenus
n'avaient pas été guidés par les préceptes de l’économie et de l'entreprise, la
révolution aurait échoué. Toute nouvelle entreprise aurait été désertée avant
d'être entièrement mise sur pied, puisque tous les revenus disponibles auraient
été dépensés sur le marché primaire. Quant à la phase matérialiste, si elle
n'avait pas été guidée par les préceptes de l'augmentation constante des
salaires et appuyée par le crédit à la consommation
permettant l'achat à tempérament, elle serait devenue un château en
Espagne : les revenus, plutôt que se rendre à des gens désireux d'acheter
une quantité plus grande de produits primaires, seraient allés à des types pleins aux as possédant déjà tous les produits
primaires qu'ils auraient pu désirer, et qui n'auraient pu réussir à dépenser
leurs revenus qu'en trouvant des occasions d'investir; or, de telles occasions
d'investir auraient été inexistantes pour la bonne raison que les rythmes
primaires auraient été incapables de vendre ce qu'ils produisaient, et encore
moins capables de vendre davantage de produits. Ainsi, toute violation du rapport T'DI'/T''DI'' = G'/G'' suscite
un juste retour des choses, car violer ce rapport c'est donner à un ensemble de
consommateurs une somme d'argent insuffisante pour les marchandises offertes,
et offrir à un autre ensemble de consommateurs une quantité de marchandises
insuffisante par rapport à l'argent disponible pour leur achat. De plus, non
seulement G’'/G' est à double
tranchant, puisqu'il défend tantôt le capital, tantôt les travailleurs, mais
c'est aussi un instrument extrêmement incisif. Comme le montre le tableau de la
section § 29, de petites variations de G'
peuvent produire de grandes variations disproportionnées dans la distribution
des revenus. Pour étudier la signification et la fonction des
multiplicateurs de commerçants T' et T'', nous pouvons recourir aux formules
générales DE' = C'[(1 - G')T'DI' + G''T''DI''] DE'' = C''[(1 - G'')T''DI'' + G'T'DI'] et
établir deux suppositions. Nous supposerons d'abord que G' et G'' se conforment à
la proportion normative DI'/DI'',
telle que modifiée par le rapport des multiplicateurs de commerçants T'/T'', de sorte que les consommateurs
primaires recevront des revenus de l'ordre de T'DI' et les consommateurs
secondaires, des revenus de l’ordre de T''DI''. Deuxièmement, nous supposerons que les consommateurs
primaires et les consommateurs secondaires à la fois dépenseront tous leurs
revenus ou l'équivalent de tous leurs revenus, de sorte que C' et C'' seront égaux à l'unité. Par conséquent DE' = T'DI' et DE'' = T''DI'' de
sorte que les recettes totales des commerçants primaires seront égales à leurs
dépenses totales et, par ailleurs, que les recettes totales des commerçants secondaires seront
égales à leurs dépenses totales. Dans ces conditions, il s'ensuit que le
circuit primaire reste au même niveau, ou croît, ou décroît, selon que T' égale l'unité, ou est supérieur ou
inférieur à l'unité. De même, il s'ensuit que le circuit secondaire reste au
même niveau, ou croît, ou décroît, selon que T'' égale l'unité, ou est supérieur ou inférieur à l'unité. Si nous supposons en plus que les
niveaux des prix restent constants, nous pourrons définir en fonction des
symboles T' et T'' les phases statique, capitaliste, matérialiste et culturelle. Dans la phase statique, DQ'' est constante au niveau du zéro
réel et DQ' est constante. Par
conséquent, selon nos suppositions, T'
et T'' seront toutes deux égales à
l'unité. Dans la phase capitaliste, DQ'' croît et DQ' est constante. Par
conséquent, T' égale l'unité et T'' est supérieure à l'unité sous un
rapport proportionné au taux de croissance de DQ''. Dans la phase matérialiste, et dans la
phase culturelle qui lui est semblable, DQ''
est constante mais se situe à un niveau supérieur au zéro réel, alors que DQ' croît. Par conséquent, T'' égale l'unité tandis que T' est supérieure à l'unité sous un
rapport proportionné au taux de croissance de DQ'. Enfin, dans une phase de déclin
économique – quand l’effondrement est en cours - T' et T'' seront inférieures à l'unité, en fonction de la décroissance de
DQ' et DQ''. Si nous retirions la supposition de la
constance des niveaux de prix, il
semble que dans la phase statique T'
et T'' égaleraient encore l'unité.
Car rien ne semble devoir justifier une variation des niveaux de prix lorsque
l'ensemble de la demande réelle et l'ensemble de l'offre réelle demeurent
constants. Par ailleurs, et pour des raisons que nous éluciderons plus loin,
les prix marquent une tendance générale à la hausse dans une période
d'expansion et à la baisse dans une période de déclin. Dans la phase
capitaliste, T, et T'' seront donc toutes deux supérieures
à l'unité, mais T'' sera supérieure à
T'; dans la phase matérialiste, T, et T'' seront également toutes deux supérieures à l'unité, mais T' sera supérieure à T''. Le lien établi entre T' et T'' et les différentes phases met en lumière la variation
souhaitable de G''/G' en fonction de T'DI'/T''DI''. DI'/DI'' définit la situation générale selon la composition de
l'industrie et du commerce, selon le rapport entre les rythmes primaires et les
rythmes secondaires. T'/T''
représente la variation réelle de la situation générale, et indique la
situation nouvelle à laquelle mène le processus. La raison fondamentale de cette
signification et de cette portée de T'
et de T'' est qu'elles dénotent des
variations de l'offre. Lorsque les multiplicateurs de
commerçants se situent au-dessus de l'unité, cela signifie que les
commerçants embauchent plus de travailleurs et achètent plus de matériel que
dans la rotation antérieure; si les multiplicateurs égalent l'unité, cela veut
dire que les commerçants offrent leurs marchandises aux mêmes taux que
précédemment; et si les multiplicateurs sont inférieurs à l'unité, c'est que
les commerçants diminuent les taux de marchandises offerts. Nous pouvons résumer toute l'analyse
des multiplicateurs de commerçants en disant que ces multiplicateurs sont les accélérateurs
des circuits principaux : lorsqu'ils sont supérieurs à l'unité, ils
produisent une accélération positive des circuits; s'ils égalent l'unité, ils
produisent une accélération nulle; s'ils sont inférieurs à l'unité, ils
produisent une accélération au sens mathématique généralisé d'une décélération. Nous pouvons par analogie considérer
comme des accélérateurs les multiplicateurs de
distributeurs G' et G''. Lorsque leur accélération est
nulle, elle se définit par l'équation suivante : T'DI'/T''DI'' = G''/G' lorsque
le croisement des rythmes des revenus équivaut
à une annulation. Lorsque sa valeur est supérieure à ce zéro, G''/G' accélère les circuits secondaires
et décélère les circuits primaires; lorsqu'il est inférieur à ce zéro, le
rapport accélère les circuits primaires et décélère les circuits secondaires.
De même que l'on peut faire dérailler une locomotive à gauche ou à droite en
bloquant les conduits de vapeur vers les pistons de tel ou tel côté, ainsi le
processus économique peut être ruiné par la stupidité du capital ou la
stupidité des organisations ouvrières, par l'exigence de profits élevés ou
l'exigence de salaires élevés dans une phase économique où de telles demandes
ne se justifient pas. Nous avons déterminé partiellement, dans l'exposé
qui précède, la nature des multiplicateurs de
consommateurs. Car lorsque C'
et C'' sont égales à l'unité et que G''/G' est conforme à la proportion
normative modifiée, alors, selon la valeur de T' et de T'', la phase
économique sera une phase statique, capitaliste, matérialiste, culturelle ou
une phase de déclin. Par conséquent, lorsqu'elles égalent l'unité, C' et C'' représentent un état de satisfaction des consommateurs. Les multiplicateurs de commerçants et de distributeurs
donnent le ton, et, quelle que soit l'allure ainsi imprimée, les consommateurs
manifestent leur approbation. Cela vaut la peine d'examiner de plus
près, cependant, ce que signifie l'équation : C' et Les consommateurs primaires touchent
des revenus au rythme (1 - G')T'DI' + G''T''DI''. Les consommateurs
secondaires touchent des revenus au rythme (1 - G'')T''DI'' + G'T'DI'.
Nous allons remplacer ces formules lourdes par des désignations et parler du
niveau potentiel de la demande effective primaire ou secondaire. Car les
consommateurs peuvent manifestement mettre en jeu une demande effective, et ils
peuvent le faire indéfiniment, jusqu'à la hauteur de leurs revenus. En outre, les consommateurs primaires
dépensent sur le marché final primaire au rythme C'[(1 - G')T'DI' + G''T''DI''], et les
consommateurs secondaires dépensent sur le marché final secondaire au rythme
similaire C''[(1 - G'')T''DI''
+ G'T'DI']. Ces formules peuvent être dénotées aux niveaux réels de la
demande effective. L'équation : C' ou C'' égale l'unité
signifie donc que les consommateurs dépensent l'intégralité de leurs revenus. Plus exactement, C' égale l'unité n'implique pas une absence d'épargne pour
différents buts, que ce soit la retraite, l'éducation des enfants, l'achat
d'une maison, le paiement d'une dette ou la protection d'une assurance. Cette
équation signifie simplement que l'ensemble de telles épargnes est
contrebalancé par la dépense courante des épargnes antérieures et la création actuelle de dettes dont le remboursement
absorbera les épargnes futures. Il n'est donc pas particulièrement difficile de
se représenter l'équation C' égale
l'unité. Les proportions de grippe-sous et de gens dépensiers, de pessimistes
et d'optimistes, dans le monde, doivent simplement s'équilibrer. Par ailleurs, que C'' égale l'unité n'empêche pas les commerçants d'accumuler des
frais de dépréciation dans des fonds de prévoyance des besoins futurs ou de
concentrer graduellement des dividendes pour pouvoir disposer d'un capital
imposant. L'équation exige simplement que les frais de dépréciation actuels et
les distributions de dividendes courantes soient contrebalancés par les
dépenses de dépréciation actuelles et les achats courants de nouveaux biens
d'équipement. Voilà pour la valeur : C' et C'' égalent l'unité. Elle signifie que les consommateurs approuvent
dans l'ensemble la phase que les commerçants dessinent pour eux; cette
approbation se traduit par une concrétisation de toute la demande effective
potentielle en une demande effective réelle. Par conséquent, lorsque C' et C'' s'écartent de l'unité, c'est que les consommateurs
désapprouvent l'action des commerçants : une valeur supérieure à l'unité
signifie que les consommateurs exigent plus que ce que les commerçants leur
offrent; une valeur inférieure à l'unité signifie que les consommateurs exigent
moins que ce que les commerçants leur offrent. De même que T' et T'' représentent
des variations de l'offre, C' et C'' représentent des variations de la
demande. Il convient d'observer que dans des cas limites ces variations de la demande
produisent des variations de la phase économique. Ainsi, dans la phase
capitaliste T'' a une valeur
supérieure à l'unité : si C'' a
aussi une valeur supérieure à l'unité, la production secondaire verra augmenter
son taux d'auto-croissance; si C'' a
une valeur inférieure à l'unité, la production secondaire verra diminuer son
taux d'auto-croissance, et cette décroissance finira par faire diminuer la
valeur de T'' qui, supérieure à l'unité
au départ, égalera l'unité à un moment donné pour ensuite être inférieure à
l'unité. La même évolution se produira chez C'
et T', car un taux soutenu de
production s'accompagne forcément d'un taux de ventes correspondant. En outre, il faut noter que l'action
des multiplicateurs de consommateurs est cumulative. Supposons que le niveau potentiel de
la demande secondaire égale 100, et que C''
se situe à 90 %. Les consommateurs dépenseront donc 90 sur le marché final
secondaire et les commerçants toucheront donc au total 90. Rien n'encourage
alors les commerçants de placer à 110 % la valeur de T'' de manière à compenser l'action de C'' et de ramener à 100 le niveau potentiel de la demande
effective. T'' se situera tout au
plus à 100 % pour donner aux consommateurs secondaires les 90 qu'ils ont
dépensés. Or si C'' demeure à 90 %,
la dépense secondaire tombe à 81, et une autre rotation dans les mêmes
conditions la fera tomber à 72,9. Cela vaut aussi pour C' et T'. L'action cumulative de C' et de C'' révèle une loi d'airain touchant la dépense des
consommateurs : si l'ensemble des consommateurs primaires et secondaires
ne dépensent pas tous leurs revenus, ils diminuent en fait leurs revenus du
montant qu'ils ne dépensent pas. Autrement dit, ni les consommateurs primaires
ni les consommateurs secondaires ne devraient épargner dans l'ensemble; s'ils
épargnent, ils échangent un taux pour une simple quantité, un revenu pour une
somme forfaitaire égale, un dollar quotidien pour un dollar; de plus, ils
transforment une expansion réelle en une phase statique, et une phase statique
en un déclin économique. Le mot d'ordre devrait donc être : dépensez ce
que vous touchez sinon vous ne pourrez pas en disposer pour d'autres dépenses. Penchons-nous maintenant sur l'hypothèse
opposée : C' ou C'' sont supérieures à l'unité. En ce qui a trait à C'', cela est tout à fait possible. Même
si à chaque rotation où C'' se situe
au-dessus de l'unité les soldes des consommateurs secondaires sont dépouillés,
ces soldes peuvent néanmoins attirer une DC''
positive qui les réapprovisionnera à même le champ de redistribution. Les
dividendes des surplus nets encouragent l'investissement. Ainsi se développent
les mécanismes complexes des lancements de compagnies,
d’assureurs, de courtiers, de marchés de valeurs, et un public parieur
qui canalise les accumulations vers les soldes des consommateurs secondaires. Il faut noter néanmoins qu'il faut une DC'' positive non pas pour déployer une
expansion à un taux acquis quelconque, mais simplement pour augmenter le taux
de l'expansion. Si C'' égale l'unité,
n'importe quelle phase peut se déployer, même la phase capitaliste
auto-croissante. Lorsque C'' est
supérieure à l'unité, il se produit non pas simplement une expansion, mais
l'expansion d'une expansion. Et il suffit que C'' reste un temps limité au-dessus de l'unité pour que le
processus économique se mette à zigzaguer comme un chauffard ivre.
Par ailleurs, C' n'a pas les
mêmes recours pour attirer une DC'
positive. Les soldes des consommateurs primaires sont en général des réalités
au jour le jour qu'un simple effort concerté, visant à porter le niveau réel de
la demande effective au-dessus du niveau potentiel, suffirait à éliminer. En
outre, un tel effort concerté n'entraînerait pour les consommateurs primaires
un plus grand flux de biens et de services que si les commerçants avaient été
avisés d'anticiper un tel flux, et s’étaient organisés pour le satisfaire; car,
sans un tel avertissement, sans une telle activité d'organisation, le fait que C' se situe au-dessus de l'unité
n'aurait comme seule incidence qu'une hausse du niveau de prix de vente P' sur le marché final primaire, qui
doit toujours augmenter obligeamment chaque fois que DQ', son partenaire lent à bouger dans l'équation DE' = P’DQ' = DA' = DI' n'est
pas prêt à acquiescer à une augmentation. Cela nous mène à conclure que C' est un facteur plutôt passif du
processus économique. Il est catastrophique pour les consommateurs primaires de
dépenser moins que ce qu'ils gagnent et, dans l'ensemble, il leur est
impossible de dépenser plus. Beau temps, mauvais temps, C' égale toujours l'unité, et cette équation marque dans l'ensemble
un acquiescement (même si, bien sûr, cette valeur peut opter pour ceci plutôt
que cela, à son gré) à tout ce que fournissent les commerçants. Par ailleurs, C'' est un gros personnage, qui a une
grosse voix bourrue, mais n'a pas grand chose entre les oreilles. Quand il est
dans de bonnes dispositions, il peut s'élever au-dessus de l'unité et alors les
choses marchent rondement. Les surplus nets entrent à un rythme croissant, et
les petits magnats attribuent ce flux de richesses à la qualité de leur
entreprise et à leur efficacité de gestionnaires. Puis, comme dans la
peripateia du drame classique, l'horizon change de couleur. Le taux de l'entrée
des surplus nets commence à décroître, et la phase matérialiste succède à la
phase capitaliste. Les enfants de ce monde vendent leurs possessions aux
enfants de la lumière. Il n'y a plus d'investissements nouveaux, et cette
baisse de C'' sous l'unité élimine
les surplus nets totaux. Tôt ou tard le secret est éventé et la bourse
s'effondre. 38
Le théorème général de la
continuité Nous avons énoncé dans un chapitre précédent (§24)
un théorème initial, provisoire, de la continuité. Nous pouvons maintenant en
déployer toute la généralité. Nous avons constaté dans notre analyse
que le système économique est une configuration de relations dynamiques
globales disposées selon différents types de vélocité et de rythmes
accélérateurs. Dans l'ordre réel il y a les rythmes primaires et les rythmes
secondaires, les rythmes secondaires accélérant les rythmes primaires. Dans
l'ordre monétaire il y a les rythmes de l'excédent transmis depuis le secteur
de la redistribution vers les rythmes primaires et les rythmes secondaires, les
rythmes de l'excédent accélérant les rythmes primaires et secondaires. Le théorème général de la continuité
veut que ce mécanisme complexe possède une nature qui doit être respectée. Dans
l'absolu, il n'y a pas nécessairement une valeur juste pour les accélérateurs
monétaires DT', DT'', DC' et DC''; dans l'absolu, il n'y a pas non
plus nécessairement une valeur juste pour les six multiplicateurs C', C'',
T', T'', G' et G''. Or ce qu'il faut reconnaître, c'est
que dès que certaines de ces valeurs sont déterminées, les autres deviennent
déterminées à l'intérieur de limites de plus en plus étroites, puisqu'elles
font toutes parties d'un tout organique; violer cette interconnexion organique
reviendrait tout simplement à détruire l'organisme, à créer les situations
paradoxales de la famine au sein de l'abondance, d'une pénurie d'emplois, d'un
manque d'occasions d'investissement, d'une impuissance à remédier aux maux qui
sévissent en raison d'une absence de compétence appropriée. Une telle situation
serait en fait une désorganisation. La continuité, par contre, est maintien de
l'organisation, stabilité des ensembles et des configurations des relations
dynamiques qui constituent le bien-être économique d'une société. Le théorème provisoire de la continuité
(§24) concernait la phase statique; il importe de noter que le théorème général
concerne toutes les phases. Il y a un mouvement historique général des idées,
des occasions, des décisions qui s'intègrent dans ce rythme majeur où les
transformations sont suivies d'exploitations qui produisent en retour des
transformations nouvelles plus profondes. À l'intérieur de ce vaste schème, le
rôle d'une époque, voire d'un pays, est quantité négligeable : le passé a
été façonné par nos ancêtres, et l'avenir est entre les mains de la postérité;
seul le présent nous appartient, mais notre liberté de manœuvre est limitée.
Notre point de départ est déjà déterminé : nous devons prendre les choses
telles qu'elles sont; impossible de les esquiver. Outre le donné vaste et
irréductible des choses telles qu'elles sont, nous devons composer avec
l'incidence limitatrice de ce donné sur les choses que nous sommes en mesure de
façonner. Le théorème de la continuité constitue
l'aspect abstrait et formel de cette incidence limitatrice dans l'ordre
économique. Le processus d'échange est en ce moment statique ou en voie
d'expansion ou en voie de contraction. Cela peut nous agréer ou pas. Si nous
décidons de changer la situation, à notre décision correspondra une gamme
déterminée de valeurs des multiplicateurs et des accélérateurs
monétaires - de C',C'', T',
T'', G', G'', de DC', DC'',
DT' et DT''. Entre ces valeurs doit exister une cohérence interne; violer
cette cohérence, c'est mettre en déroute l'organisation économique. De même que
les mouvements et les commandes d'un avion doivent être coordonnés et que
toutes les coordinations ne sont pas possibles à tous les instants, ainsi la
machine économique possède ses commandes, qui doivent être actionnées de façon
concertée et ne peuvent être actionnées que d'un certain nombre de manières en
un moment donné. Voilà donc pour le théorème général de
la continuité. Dans l'abstrait et de façon générale, ce théorème veut que le
processus économique ne se déploie qu'à l'intérieur des limites de l'équilibre
des diverses phases. Tout débordement hors de ces limites provoque un
effondrement général. 6 Nous allons maintenant proposer un certain nombre
d'applications de l'analyse déployée ci-dessus, qui rempliront une double
fonction : elles permettront d'incarner quelque peu nos abstractions en
les associant à des problèmes concrets
de notre époque; plus particulièrement, elles aideront à mieux saisir que les
équilibres possibles du processus d'échange sont limités, et que ces limites
obligent les humains à s'adapter, à se conformer aux balises imposées, sous
peine de frustration économique. 39
L’écart du prix primaire
global Nous avons vu que la formule des circuits
primaires était
DE' = P'DQ' = C'[(1
- G')DI'T' + G''T''DI''] (12) où,
à droite, (1 - G')T'DI' représente les revenus des
consommateurs primaires tirés du circuit primaire et G''T''DI'', les revenus des consommateurs primaires tirés du
circuit secondaire. En un sens spécial, défini plus haut (§ 26), nous pouvons
considérer les revenus des consommateurs primaires comme étant égaux aux coûts.
Par conséquent, si le taux de la production primaire est Dq' à un niveau de prix de revient p', et si
le taux de la production secondaire est Dq''
à un niveau de prix de revient p'', alors p'Dq' = (1 - G')T'DI' (17) et p''Dq'' = G''T''DI'' (18) de
sorte qu'en faisant une substitution dans la formule du circuit primaire nous
obtiendrons P'DQ' = C' (p'Dq' + p''Dq'') (19) et
si nous supposons que Dq' = u·DQ' (20) alors P'DQ' = C'(p'uDQ' + p''Dq'') ou C'p''Dq'' = (P' - C'up')DQ' (21) Nous pourrions obtenir une
compréhension préliminaire de cette formule en introduisant deux
suppositions : premièrement, que les consommateurs primaires traduisent
une demande effective potentielle en une demande effective réelle de sorte que C' égale l'unité; deuxièmement, qu'il se
trouve que le taux de la prestation des biens et des services soit égal au taux
de leur vente, de sorte que u égale
l'unité. L'équation (21) devient donc p''Dq'' = (P' - p')DQ' (22) et
elle exprime en niveaux de prix et en taux de production la condition
provisoire de la continuité, savoir que les surplus primaires égalent les coûts
secondaires. Il convient de rappeler que les surplus incluent les coûts de
dépréciation et que les coûts dont nous parlons n'incluent pas la dépréciation
mais incluent les taxes, le niveau de vie des propriétaires et tout genre
d'activité philanthropique. L'élément le plus intéressant de
l'équation (22) est (P' - p'), qui
représente l'écart entre le prix de vente et le prix de revient. Cet écart de
prix peut être appliqué immédiatement à des cas où la propriété s'étend du
secteur des matières premières jusqu'au marché terminal. Cependant, lorsqu'il y
a une série de facteurs de production liés par les marchés intermédiaires, nous
pouvons distinguer une série correspondante de
niveaux de prix de revient p1, p2, p3, ainsi que de niveaux de prix de vente P1, P2, P3, … de telle sorte que (P' - p') = (P1 - p1) + (P2 - p2) + (P3 - p3) + … (23) puisque
l'écart de prix primaires global égale la somme des écarts de prix enregistrés
sur les marchés intermédiaires appropriés. Revenons à l'équation (22), qui affirme
que l’écart de prix primaire global est fonction de deux facteurs purement
objectifs, soit le taux des coûts secondairesp''Dq'' et
le taux de la production primaire DQ'.
Plus grande est la valeur de p''Dq''
et plus petite celle de DQ', plus
grand sera l’écart de prix; par contre, plus petite est la valeur de p''Dq'' et plus grande celle de DQ',
moins grand sera l’écart de prix. Il n'y a manifestement aucune correspondance
nécessaire entre cette loi et ni le point de vue classique voulant que les
profits soient le fait de l'intelligence, de l'esprit d'entreprise ou de la
prise de risques, ni le point de vue marxiste voulant que les profits soient le
fait d'une exploitation sans vergogne des travailleurs. Si les coûts
secondaires p''DQ'' augmentent sans
que la production primaire DQ'
subisse une augmentation immédiate, l’écart de prix primaire global augmentera,
quel que soit le degré de bienveillance ou de stupidité des
entrepreneurs : il augmentera même dans la Russie bolchevique, où l'État
doit, pour éviter une inflation constante, prélever les surplus, reprenant
ainsi une pratique qu'il dénonce chez les capitalistes. Par ailleurs, si les
coûts secondaires diminuent sans que les ventes primaires subissent une
diminution correspondante, l’écart de prix primaires devra forcément se
contracter, quel que soit le degré de méchanceté ou d'astuce ou d'audace des
entrepreneurs; l’écart se contractera même là où règne l'individualisme le plus
acharné. Le phénomène des spirales de prix est intimement lié à l’écart de
prix qui varie objectivement. Si l'écart de prix primaire augmente, les revenus
des consommateurs primaires subissent une inflation ou, si vous préférez, le
pouvoir d'achat de l'argent décroît. Cela provoque une demande de hausse des
salaires, demande qui sera satisfaite, puisque les entrepreneurs touchent des
profits accrus en raison de l'accroissement de l’écart de prix. Or une
augmentation des salaires ne peut que provoquer une augmentation du niveau des
prix de vente primaires; elle ne modifie pas l'écart de prix sauf peut-être
pour l'accroître en augmentant les coûts secondaires; par conséquent, les
revenus des consommateurs primaires subiront une inflation au moins aussi
importante qu'auparavant, et de nouvelles demandes d'augmentation des salaires
ne résoudront pas le problème mais ne feront que faire monter encore davantage
les niveaux des prix de vente. Laissée à elle-même, la spirale
des prix monte et monte jusqu'à ce qu'une saturation du marché des
investissements réduise les coûts secondaires en réduisant Dq'' et à ce que l'expansion des marchés primaires fasse augmenter DQ'. Au contraire, lorsque l’écart de prix
se contracte, les revenus des consommateurs subissent une déflation. Les
salariés sont alors capables d'accepter une réduction de salaire, puisque les
choses se vendent moins cher. Par ailleurs, les entrepreneurs qui s'imaginent
que les profits démontrent leur grande intelligence, et qui sont persuadés de
faire montre d'intelligence maintenant plus que jamais, seront en mesure de
produire des éléments de preuve convaincants de la disparition de leurs
profits. Ainsi, une contraction de l’écart de prix peut entraîner une réduction
des salaires. Mais une telle réduction ne rétablira pas le volume des coûts
secondaires : elle aura pour effet immédiat de réduire ces coûts et de
contracter davantage l’écart de prix; et seuls quelques investisseurs avisés
trouveront que le bas niveau des coûts d’une nouvelle entreprise est plus
attrayant que n'est repoussant le niveau décroissant des prix primaires. La
déflation des revenus des consommateurs se poursuivra, par conséquent; de même
que la disparition des profits; et des demandes de nouvelles réductions des
salaires se feront entendre. Ce non-sens forme un cercle vicieux que seul peut
briser un changement dans la perspective d'investissement qui crée une
situation nouvelle. Nous avons toutefois affaire ici à une
équation simplifiée. Réintroduisons le facteur u tout en maintenant à l'unité la valeur de C', de sorte que p''Dq'' = (P' - up')DQ' (24) où Dq' = u·DQ' (20) Ainsi,
lorsque la production primaire est supérieure aux ventes primaires, u a une valeur supérieure à l'unité; par
contre, lorsque les ventes primaires sont supérieures à la production primaire,
u est inférieure à l'unité. Le
premier élément croît lorsque le marché anticipé est supérieur au marché
actuel, dans une période d’essor, par exemple;
le deuxième élément croît lorsque le marché anticipé est inférieur au marché
actuel, par exemple dans un effondrement. Or, dans une période
d’essor l'écart de prix croît à cause de l'augmentation de p''Dq''; et si u est supérieure à l'unité, l'écart de
prix devra croître encore davantage. Par ailleurs, dans une période
d’effondrement l'écart
de prix se contracte, et si u
est inférieure à l'unité il doit se contracter encore davantage. Car si u est supérieure à l'unité, cela a pour
effet de faire jouer à un grand écart de prix (P' - p')
le rôle d'un petit écart; et si u est
inférieure à l'unité, cela a pour effet de faire jouer à un petit écart de prix
le rôle d'un grand écart. Une divergence entre le marché actuel et le marché
anticipé tend donc à renforcer les mouvements objectifs d'expansion ou de
contraction de l’écart de prix primaire global. Si nous introduisons C', maintenant, nous aurons C'p''DQ'' = (P' - C'up')DQ' (21) et
nous pouvons montrer facilement qu'une conduite appropriée des consommateurs
peut corriger toutes les variations de l’écart de prix. Si l'écart devient trop
grand, il faut ramener C' à une
valeur inférieure à l'unité. En tant que coefficient de p''Dq'', C' transformera
l'exigence d'un grand écart de prix en une exigence d’écart réduit, et en tant
que coefficient de p' elle permettra
à un écart de prix réduit de satisfaire l'exigence d'un grand écart; il en
résulte une action double, qui émonde telle une paire de ciseaux l'écart de
prix. De même, lorsque l'écart est trop réduit, l'action des ciseaux sera
inversée, si l'on donne à C' une
valeur supérieure à l'unité : une valeur réduite de p''Dq'' équivaut alors à une grande valeur de p''Dq'', et une grande valeur de (P' - p') se voit attribuer l'incidence d'une valeur réduite de (P' - p'). Il faut toutefois se garder d'un trop
grand optimisme. Il est possible de situer C'
sous l'unité : on y parviendra par une doctrine
prônant l’économie chez les riches et sages et par une pratique de revenus de subsistance chez les pauvres et sots.
Mais pour situer C' au-dessus de
l'unité, il faut avoir recours aux idées du Major Douglas concernant les
dividendes aux consommateurs, puisqu'une valeur de C' supérieure à l'unité signifie que les gens dépensent plus pour
se procurer des biens et des services primaires qu'ils n'ont de revenus à
dépenser[4].. Or, les principes du Major Douglas ne
forcent pas l'assentiment. Car les dividendes aux consommateurs sont soit
inflationnistes, soit récupérés par la fiscalité, lorsqu'ils se traduisent en
un programme de travaux publics qui reste sans application concrète, ou encore
s’ils sont récupérés par la vente d'obligations, ce qui entraîne des déficits
gouvernementaux, ce dont nous parlerons plus loin. Ce qui est tout à fait sûr,
c'est qu'il est impossible d'injecter un flot d'argent dans le processus
d'échange sans que cela provoque une action inflationniste, une intervention
fiscale ou l'imposition d'obligations. Le problème des spirales de prix ne
saurait être résolu que par une seule solution, la solution difficile. Lorsque
l'écart de prix se contracte, les entrepreneurs doivent composer avec cette
contraction; de manière plus générale, il faut reconnaître que les profits et
la motivation du profit souffrent de la baisse du rendement, comme le montre la
proportion normative; il est futile d'essayer de transférer l'incidence d'une
baisse des prix en baissant les salaires. Si l'on reconnaît l'inutilité d'un
tel transfert, la spirale descendante sera éliminée. Certes, la contraction de
l'écart de prix, là où il y a une série de facteurs de production, va toucher
d'abord et avant tout les facteurs terminaux : on aura payé les facteurs
plus anciens en anticipant un taux de profit que l'on ne peut réaliser; il
faudra peut-être trouver une méthode pour alléger ce fardeau, car il se peut
très bien que la croissance de l'écart n'ait pas profité d'abord et avant tout
aux facteurs terminaux. Mais quelle que soit la solution précise ou la forme
d'allègement à découvrir et à élaborer, le principe général est tout à fait
clair. De même, lorsque l'écart de prix
augmente et que les revenus des consommateurs subissent une inflation, le
remède à apporter ne saurait consister en une augmentation des taux des
salaires. Ce sont les consommateurs eux-mêmes qui détiennent le remède, car ce
qui cause l'inflation des revenus n'est pas simplement une augmentation des
revenus primaires provenant du circuit secondaire associée à une constance de
la production primaire, mais également le fait que les consommateurs primaires
tentent de dépenser leur argent, même si l'achat de la même quantité de biens
requiert une dépense accrue. Vous dites que vos revenus ont subi une inflation;
mais la raison en est que vous dépensez une trop grande proportion de vos
revenus pour l'achat de biens de consommation; dépensez moins et l'inflation va
s'arrêter; diminuez encore davantage vos dépenses et l'inflation va faire place
à une déflation. C'est proposer une doctrine dure que de
demander aux producteurs d'accepter une diminution des profits et aux
consommateurs de stopper l'augmentation des marchés en réduisant la
consommation. Mais toute autre doctrine est illusoire : une expansion du
circuit secondaire ne provoque pas sur le champ une augmentation du circuit
primaire; elle entraîne un accroissement du travail qui ne s'accompagne pas
d'un accroissement des salaires réels globaux, ce qui veut dire qu'en moyenne
elle provoque une diminution des salaires. Or cette diminution de la moyenne
des salaires réels peut être étalée par l'inflation des revenus des
consommateurs, et la seule solution à cette inflation sera que les
consommateurs qui le peuvent réduisent leur consommation et épargnent leur
argent plutôt que de faire augmenter les niveaux des prix et de donner leur
argent pour créer un écart de prix et une augmentation des profits des
producteurs. Par contre, une contraction du circuit secondaire entraîne
nécessairement une contraction des revenus de surplus, et alors la seule
fonction de l'injection de « dividendes aux consommateurs », proposée
par le Major Douglas, sera de créer grâce à l'inflation un pseudo-surplus
permettant aux producteurs de jouir de profits auxquels ils n'auraient
normalement pas droit. 40
Variations cycliques des
prix La vaste tendance historique voulant que des
transformations entraînent des exploitations qui provoquent de nouvelles
transformations définit un cycle économique à long terme. Dans une phase
capitaliste, les moyens de production sont reconstruits selon un modèle
nouveau, plus parfait; dans une phase matérialiste, la nouvelle structure
industrielle suscite une hausse du niveau de vie; et il doit être possible
théoriquement de passer à une phase statique lorsque l'on est au faîte d'une
expansion matérialiste, de sorte que l'on puisse jouir d'un niveau de vie
global optimal en attendant la prochaine transformation industrielle. Nous
appellerons cycle pur cette séquence
théorique pour la distinguer de sa forme tronquée familière, le cycle des affaires, dans lequel l'expansion matérialiste n'atteint
jamais son sommet et est suivie non pas d'une phase statique, mais du déclin
économique d'un effondrement. Ces cycles ont tendance à être
accompagnés d'une hausse et d'une chute des prix. La phase capitaliste exerce
des pressions sur certains secteurs du marché du travail et du marché des
matières premières pour faire hausser le niveau du prix de revient secondaire p''; au niveau accru de la circulation
dans le circuit secondaire correspond une croissance de Dq''; leur produit, p''Dq'',
à moins que la valeur de C' ne tombe
sous l'unité, appelle une croissance proportionnelle de l'écart de prix
primaire global (P' - p'); et si l'on
cède aux doléances concernant l'inflation des revenus des consommateurs, alors P', p'
et p'' sont entraînés dans une
spirale ascendante. La phase matérialiste commence à
survenir. Cet avènement impose une grande pression générale sur les marchés du
travail et des matières premières, qui entraînent une hausse de p' et de p'' à la fois. Par ailleurs, la production secondaire Dq'' ralentit tôt ou tard, alors que les
ventes primaires connaissent une hausse, ce qui fait monter DQ'. Ces mouvements suscitent une
contraction de l'écart de prix primaire global. Les revenus de surplus
constituent une fraction de plus en plus petite des revenus globaux. Les
profits chutent, et toute tentative pour les stabiliser par une réduction des
coûts déclenche un mouvement de spirale descendante du niveau des prix de vente
P'; et si une société accepte le
postulat classique voulant que les profits soient la mesure de la santé
économique, alors l'absence de profit marque la fin de toute initiative. Ainsi,
l'expansion matérialiste s'arrête dans un tourbillon de prix en chute libre. Les choses ne se passeraient pas comme
cela dans le cycle pur de la société idéale. Les spirales ascendantes et descendantes
des prix seraient éliminées, car il n'y a aucune raison pour que les
consommateurs reçoivent une augmentation de revenus pour l'achat de produits
qui n'existent pas encore, de même qu'il n'y a aucune raison pour que les
producteurs cherchent à obtenir des profits que rien ne permet d'anticiper. Par
ailleurs, les travailleurs ne verront pas d'un bon œil les fluctuations de
l'emploi, et l'élimination de ces variations stabilisera le marché du travail
et les taux des salaires. Enfin, on ne laissera pas les prix des matières
premières voguer la galère : les fluctuations globales entraînent une
variation de la valeur de l'argent; les fluctuations particulières entraînent
une dépression ou une expansion indue de secteurs particuliers de l'industrie.
Le seul élément de vérité dans la doctrine classique du libre mouvement des
prix est que dans une transformation de la structure économique, ce qu'ont été
la révolution commerciale et plus tard la révolution industrielle, l'ancienne
configuration des prix ne peut être maintenue. Il n'est pas vrai que la
nouvelle configuration des prix puisse être n'importe quoi, ni que l'on
parvienne automatiquement à une configuration des prix souhaitable; les
résultats obtenus automatiquement sont des spirales ascendantes et descendantes,
des alternances de travail en temps supplémentaire et de sous-emploi, une
expansion ou une dépression indue de diverses industries, et la concrétisation
du cycle des affaires au lieu d'une approximation du cycle pur idéal qui met un
frein à l'essor économique, mais qui protège
aussi des effondrements. 41
Le mécanisme de la phase
capitaliste La question qui se pose est la suivante :
Comment fonctionne au juste l'expansion capitaliste? La réponse envisage le cas
pur, la première approximation. La phase capitaliste consiste, par
définition, en un auto-accroissement de l'entreprise secondaire DQ'' sur fond de valeur constante de
l'entreprise primaire DQ'. Les
niveaux de prix P' et P'' lient ces phénomènes réels à des
phénomènes monétaires, car P'DQ' = DA' = DE' = DI' (4) et P''DQ'' = DA'' = DE'' = DI'' (5) Les
niveaux de prix P' et P'' subiront probablement un mouvement
ascendant : des facteurs financiers déclenchent une expansion, et la
résistance de l'ordre réel à la transformation (qui est le fait soit de
l'inertie de l'ordre réel soit du pourcentage d'inefficience de la finance) se
traduit directement dans une hausse de P''
et indirectement dans une hausse de P'.
Ce phénomène n'est cependant pas le point fondamental de la phase capitaliste
dont il constitue un facteur accessoire; nous pouvons donc supposer, dans une
première approximation, que les niveaux de prix sont constants; ce procédé
s'apparente à celui utilisé en mécanique élémentaire, où au départ on fait
abstraction de la friction. Nous avons donc une valeur constante de
DA' et une valeur croissante de DA''. Par conséquent, T' correspondra à l'unité et DT' égalera zéro, tandis que T'' aura une valeur supérieure à l'unité
et que DT'' aura une valeur positive.
Pour une première approximation nous devons supposer une stabilité interne, de
sorte que nous aurons G''/G' = T'DI'/T''DI'' (16) qui
constituera un rapport décroissant, c'est-à-dire que le circuit secondaire
deviendra une fraction toujours plus grande de l'activité totale. Enfin,
puisque n'importe laquelle des phases est compatible avec les multiplicateurs
de consommateurs lorsqu'elle égale l'unité, nous pouvons supposer qu'elles ont
cette valeur; par conséquent, nous pouvons supposer que DC' et DC'' égalent zéro. Dans cette analyse schématique
l'élément important apparaît être la valeur positive de DT'' : il doit y avoir un flux positif des soldes de redistribution aux soldes des commerçants secondaires,
qui ne soit pas compensé par un autre flux vers le secteur de la
redistribution; DT', DC' et DC'' peuvent toutes trois égaler zéro. Donc, si nous supposons que
l'investissement prend sa source dans le secteur de la redistribution et se
répartit en trois parts - une part dépensée à l'intérieur du secteur
de la redistribution pour l'obtention de terrains, de biens incorporels et
d'équipement usagé, une deuxième part dépensée sur le marché terminal
secondaire pour l'acquisition de nouveaux biens d'équipement tels que des
bâtiments et des machines, et une troisième part ajoutée aux soldes des
commerçants à titre de nouveau capital de circulation - nous serons
amenés à nous opposer à l'idée reçue qui identifie épargne et investissement.
L'épargne est, au sens strict, une part des revenus des consommateurs primaires
et secondaires : par conséquent, puisque DC' et DC'' égalent zéro,
nous soutenons que l'épargne égale la part de l'investissement consacrée à
l'achat de nouveaux biens d'équipement; autrement dit, les surplus nets
proviennent de l'élargissement et de l'approfondissement, et entraînent la
possibilité de payer pour un autre bloc égal d'élargissement et
d'approfondissement. En un sens plus large, on pourrait considérer que
l'épargne comprend les recettes de la vente de terrains, de biens d'équipement
usagés, de biens incorporels, et ainsi de suite : il serait ainsi possible
de supposer que l'épargne couvre deux des trois parts de l'investissement, soit
la part dépensée sur le marché terminal secondaire et la part dépensée dans le
secteur de la redistribution. Or le troisième élément n'est pas pris en compte
si nous supposons que l'épargne égale l'investissement; DT'' est un flux positif du secteur de la redistribution vers les soldes des commerçants secondaires, un flux qui
n'est compensé par aucun flux égal opposé; il produit l'accroissement net des
capitaux de circulation dans les circuits principaux, et il ne peut y avoir un
flux égal opposé depuis les circuits principaux, à moins de supposer que les
circuits principaux peuvent traiter une quantité de biens toujours croissante
en assurant une stabilité des prix sans augmentation de la quantité d'argent;
nous avons déjà soutenu que cette supposition est fausse, de façon générale
(§ 33). Par conséquent, l'investissement égale l'épargne, au sens le plus
large, plus l’apport net de capitaux en circulation. Nous nous pencherons plus tard sur la
source de cet apport net. Pour le moment, la question qui se pose concerne non
pas l'origine mais l'incidence de cet apport. Premièrement, cet apport permet
aux commerçants de maintenir constamment la valeur de T''DI'' à un niveau supérieur à celle de DI'', de sorte qu'à chaque rotation, les recettes globales soient
supérieures à l'ensemble des recettes. Deuxièmement, lorsque C' égale l'unité et que G''/G' = T'DI'/T''DI'' comme nous l'avons
supposé, alors l'apport total aux dépenses des commerçants secondaires va
accroître les revenus des consommateurs secondaires. Troisièmement, lorsque C'' égale l'unité, comme nous l'avons
supposé, les revenus secondaires sont dépensés en entier, de sorte qu'à chaque
rotation les consommateurs secondaires dépensent plus qu'à la rotation
précédente et que les commerçants secondaires récupèrent entièrement leurs dépenses qui croissent constamment. Voilà quel est le mécanisme interne de
la phase capitaliste dans le cycle pur idéal. Il s'agit d'un accroissement du
volume du circuit secondaire déclenché par le fait que DT'' a une valeur positive, réalisé par le fait que T'' a une valeur supérieure à l'unité,
et déployé effectivement lorsque G''/G' =
T'DI'/T''DI'' et que C' et C'' sont toutes deux égales à l'unité.
Ce qui est important sur le plan fonctionnel c'est que DT'', qui est une vélocité (telle quantité d'argent à telle
fréquence), produise une accélération, D.DI'', (telle quantité accrue d'argent à telle fréquence à telle
fréquence). Donc, si DT'' représente
10 000 $ par jour, les capitaux en circulation secondaires
augmenteront de 10 000 $ par jour; et si ces capitaux en circulation
sont employés dans des industries dont la rotation est de trois mois, alors
chaque jour le volume du circuit secondaire DI''
augmentera de 10 000 $ par période de trois mois. C'est comme si l'on
gonflait le pneu d'une auto pendant qu'elle roule : il y aurait deux
vélocités de l'air, celle du mouvement de la pompe au pneu et celle de la roue
qui tourne; et chaque apport d'air dans le pneu constituerait une nouvelle
quantité d'air qui se déplace à la vitesse de la roue. Le processus inverse que
constitue une crevaison peut représenter la valeur négative de DT'' ou DT' ou DC'' ou DC'. Nous devons maintenant revoir nos
suppositions, car, d'ordinaire, soit
P' et DA' augmentent, soit C' a
une valeur inférieure à l'unité et C''
a une valeur supérieure correspondante. La phase capitaliste est une expansion
du circuit secondaire, des dépenses de surplus, de l'activité de surplus, et
des revenus de surplus. Habituellement, toutefois, les paliers de revenus
inférieurs, qui ne consacrent rien à l'investissement, reçoivent une partie de
ces surplus de revenus. Ou bien ils épargnent ce surplus, ou bien ils le
dépensent sur le marché terminal primaire. S'ils l'épargnent, la valeur de C' passe sous l'unité; une valeur
négative de DC' devient possible,
sous forme de dépôts bancaires ou de primes d'assurance, par exemple; et alors
une valeur égale et opposée de DC''
permet aux consommateurs secondaires de continuer à augmenter leur taux de
dépenses de sorte que les commerçants secondaires récupèrent continuellement
leurs dépenses globales qui croissent
constamment. Par ailleurs, il se peut qu'au lieu de l'épargner on dépense cet
élément de surplus sur le marché final primaire, et alors soit P' soit DQ' augmente. Si P'
augmente et qu'en même temps G''/G' =
T'DI'/T''DI'', les commerçants primaires augmenteront simplement l'écart de
prix et renverront au circuit secondaire ce que le circuit secondaire aura
envoyé au circuit primaire. Par ailleurs, l'expansion secondaire se poursuit
sans encombre : elle comporte à la fois un accroissement réel et un
accroissement monétaire, mais l'accroissement monétaire circule dans les
circuits primaires et dans les circuits secondaires à la fois; DA' augmente même si DT' et DC' égalent tous deux l'unité, parce que la quantité croissante
d'argent qui passe dans le circuit secondaire passe également dans le circuit
primaire. Dans cette situation il y a inflation des revenus des consommateurs,
menant d'ordinaire à la spirale ascendante des prix dont nous avons déjà parlé.
Par contre, si l'augmentation des dépenses sur le marché primaire est contrée
par une augmentation de DQ' de même
qu'une augmentation de P', alors la
phase matérialiste se superpose à la phase capitaliste; nous examinerons ce
mécanisme dans la prochaine section. Une autre possibilité nous écarterait
sensiblement des suppositions que nous avions établies : celle d'une
valeur de C'' supérieure ou
inférieure à l'unité. Si C'' est
inférieure à l'unité, les commerçants secondaires ne récupèrent pas leurs
dépenses croissantes : en conséquence, ils cesseront d'accroître leurs
dépenses, puis commenceront à les réduire, ce qui donnera à T'' une valeur inférieure à l'unité, et
finalement ils diminueront P'', le
niveau de prix de vente secondaire. Cet enchaînement met fin manifestement à la
phase capitaliste. On aboutirait au même résultat si C'' ne s'élevait pas au-dessus de l'unité alors que C' passe sous l'unité, comme nous
l'avons décrit ci-dessus. Sinon, lorsque C''
est supérieure à l'unité, les consommateurs secondaires cherchent à accroître
le taux de l'expansion; cette tentative peut être contrée par une simple
augmentation de P'', lorsque les
commerçants secondaires accroissent leur écart de prix; ou elle peut être
contrée par une augmentation de DQ''
en réaction à la double pression accélératrice de DT'' et de DC''. Voilà pour cette première approximation
du mécanisme de la phase capitaliste. L'essence de cette phase est une valeur positive de DT'', une valeur de T'' supérieure
à l'unité et un caractère cumulatif de l'action de T''. Les commerçants secondaires doivent donc à la fin de chaque
rotation récupérer leurs dépenses totales et les accroître. Ils peuvent les
récupérer de trois façons : l'apport total peut aller directement aux
consommateurs secondaires et C''
égaler l'unité; ou une partie de l'apport total peut aller aux consommateurs
primaires qui ne la dépensent pas et alors C''
doit être supérieure à l'unité; ou une partie de l'apport total peut aller aux
consommateurs primaires qui la dépensent, mais les commerçants primaires
augmentent simplement les niveaux des prix et les écarts de prix de façon à
transmettre les surplus ainsi créés aux consommateurs secondaires pour qu'ils
les investissent. Des phénomènes concomitants se produiront : augmentation
de l'activité redistributionnelle produisant le réinvestissement des profits,
création d'un apport de capitaux en circulation, redistribution des titres de
propriété des terrains et de l'équipement usagé, et spéculation sur
l'augmentation des valeurs capitalisées en
bourse. Les trois premiers sont des phénomènes intrinsèques au flux des
investissements; le dernier découle de la proportion accrue de revenus de
surplus à l'intérieur des revenus totaux, c'est-à-dire de l'augmentation des
dividendes. Il est extrêmement probable que se produise une inflation des
revenus des consommateurs primaires, mouvement qui selon les perspectives
classiques entraîne inévitablement une spirale des prix. Indépendamment de ce
mouvement des prix, des augmentations se produiront aussi dans les parties des
marchés des matières premières et du marché du travail qui appartiennent au
secteur secondaire de l'industrie. 42
Mécanisme de la phase
matérialiste Dans le cas du cycle pur idéal la phase capitaliste
est l'expansion du circuit secondaire et la phase matérialiste est l'expansion
du circuit primaire. Cette phase se manifeste essentiellement en une croissance
de DQ' et en une stabilité de DQ''. Nous pouvons, aux fins d'élaborer
les phénomènes monétaires dans le cas le plus simple, supposer une fois de plus
que P' et P'' ont une valeur constante, que C' et C'' égalent
l'unité, que DC' et DC'' égalent zéro et que G''/G' égale TDI'/T’'DI''. Si nous traçons une analogie avec
l'analyse précédente, DT' sera
maintenant un flux positif, qui produit un apport de capitaux de circulation
primaires, permettant aux producteurs primaires de maintenir la valeur de T' au-dessus de l'unité et de porter les
dépenses de chaque rotation globale à un
niveau supérieur à l'ensemble des recettes de la rotation précédente; en outre,
puisque G''/G' égale T'DI'/T''DI'', les dépenses primaires
totales T'DI' iront aux consommateurs
primaires, et puisque C' égale
l'unité, ces revenus primaires en augmentation constante seront entièrement
dépensés comme tels ou en leur équivalent. Par ailleurs, DT'' peut égaler zéro et C'',
l'unité, de sorte que DQ'' et DA'' à la fois soient constants. Mais
comme DQ'' sera supérieure au zéro
effectif ou au niveau de remplacement (§ 8), le circuit secondaire fera
plus que maintenir le circuit primaire, il en produira une expansion; au départ
cette expansion se déploiera à un taux constant qui va décliner graduellement à
mesure que le demande de réparations et de remplacements croîtra avec la
croissance de la structure primaire. Cette phase est donc entropique sauf quand C'' s'élève à l'occasion au-dessus de l'unité. Là encore, l'investissement égale
l'épargne au sens large plus l'apport net de capitaux en circulation. Le même
raisonnement vaut ici mutatis mutandis. La différence essentielle entre la
phase capitaliste et la phase matérialiste tient au fait que dans la première
le surplus global net croît avec l'élargissement du circuit secondaire tandis
que les revenus des consommateurs primaires connaissent une inflation probable,
alors que dans la seconde les surplus globaux nets deviennent une proportion de
plus en plus réduite des revenus totaux, selon la règle à long terme de la
proportion normative, et que les revenus des consommateurs primaires
connaissent une déflation (ce qui signifie une augmentation du pouvoir
d'achat). Ces phénomènes tiennent à une raison manifeste : l'expansion
capitaliste accroît l'activité de surplus, les dépenses de surplus et les
revenus de surplus; l'expansion matérialiste accroît l'activité primaire, les
revenus primaires et les dépenses primaires. Pour exprimer les choses
autrement, l'écart de prix primaire global varie en proportion directe des
coûts secondaires p''Dq'' et en
proportion inverse des ventes primaires finales DQ'. Ainsi, l'expansion matérialiste traduit un travail incessant
motivé par le profit : plus grand sera le volume de production primaire,
plus grand devra être le volume des revenus primaires, plus petite la
proportion des surplus nets dans les revenus totaux, plus petit le pourcentage
du rendement de l'investissement en capital, moindre l'attrait de
l'investissement, et plus faible la volonté de la fraternité financière de
fournir les quantités d'argent de plus en plus grandes que nécessitera le
maintien de l'écoulement de l'excès DT'
vers les soldes de commerçants primaires.
Cette entropie de la motivation du profit n'est toutefois pas absolue, car les
profits ne sont pas identiques aux surplus nets : les profits comprennent,
contrairement aux surplus nets, le niveau de vie des propriétaires, les taxes
et impôts, les contributions à des activités philanthropiques. Si la motivation
du profit s'amenuise de plus en plus dans la phase matérialiste, c'est
seulement dans la mesure où les entrepreneurs ne sont pas de petits
investisseurs ou des hommes d'affaires cherchant à hausser leur niveau de vie,
mais des magnats désireux de faire plus d'argent simplement pour pouvoir
investir davantage. Il est difficile de généraliser à
propos des mouvements des prix de cette phase. Comme le circuit secondaire est
constant et que les revenus des consommateurs primaires subissent une
déflation, on aura tendance à couper les salaires et les prix des matières
premières. Par ailleurs, se manifestera une demande croissante de main-d'œuvre
et de matières premières, ce qui aura tendance à hausser les prix. Enfin, la
stabilité des valeurs boursières sera fonction de la distribution et de l'usage
des revenus : si la distribution est vaste et que ce qui est distribué est
dépensé dans le secteur primaire, les valeurs devraient être stables; si par
contre les augmentations des revenus tendent à enrichir les grandes fortunes qui ne peuvent accroître leurs
dépenses primaires, l'expansion matérialiste s'effondre; c'est qu'alors C' subit une pression qui le fait
descendre sous l'unité et que les producteurs primaires ne peuvent continuer
d'augmenter leurs dépenses lorsque les ventes chutent. Un autre problème inhérent à
l'expansion matérialiste est la difficulté d'amener les consommateur primaires
à dépenser intégralement leurs revenus croissants. S'ils ne dépensent pas leurs
revenus, ils ne peuvent évidemment les faire circuler, encore moins les faire
croître. Mais il leur est difficile de dépenser leurs revenus croissants. Cette
difficulté tient en partie à la phase capitaliste précédente, où l’économie est
la clef de la sagesse, et qui par conséquent voit coïncider le bien commun et
la prudence individuelle. Or il est bien raisonnable qu'une personne épargne
davantage lorsqu'elle gagne davantage, puisqu'un niveau de vie supérieur exige
une réserve d'épargne plus grande. Manifestement, le circuit primaire ne peut
engendrer ces apports dans les soldes des consommateurs primaires; les
commerçants doivent récupérer leurs dépenses, sinon c'est la faillite; ils font
tout ce qu'ils peuvent pour donner effectivement aux consommateurs les revenus
accrus leur permettant de se procurer le flux accru de biens et de services;
ils ne peuvent faire plus. Il faut donc trouver une autre source. Cela pourrait
s'avérer difficile si les surplus étaient largement distribués,
particulièrement dans la phase capitaliste; car dans ce cas tous les gens
portés à l'épargne viendraient rejoindre l'expansion matérialiste en ayant déjà
constitué leurs épargnes. Une solution de rechange pourrait être l'institution
d'un crédit à la consommation par la création d'une DC' positive, aux fins de l'épargne; mais cela supposerait un haut
niveau d'éducation et de discipline économiques, car une tendance générale à
une dépense de l'épargne aurait un effet inflationniste. Mais d'où viendrait
cette DC' positive? La seule réponse
possible pour le moment est que la DC'
positive proviendrait de la même source qu'une DT' positive. Quoi qu'il en soit, le problème de la dépense est
bien réel : l'art de la vente, la publicité et l'achat à tempérament en
sont la preuve. 43
Causes des revenus de surplus Avant d'aborder l'analyse du
mécanisme de la phase culturelle et de la phase statique, il convient de
traiter un certain nombre de questions. La première concerne les causes des
revenus de surplus. Les revenus globaux égalent
nécessairement les dépenses globales. Il peut cependant exister un genre de
dépense qui ne soit pas considérée comme une dépense puisqu'elle peut produire
des retours; on l'appelle investissement. Manifestement, un flux continu
d'investissement produira un flux continu de revenus n'ayant d'autre fonction
que d'être investis. Nous avons désigné ces sommes revenus
de surplus nets : elles sont égales aux dépenses consacrées à
l'élargissement et à l'approfondissement des flux primaires et secondaires.
Nous devons maintenant énumérer les causes ou les conditions de cette activité,
de ces dépenses et de ces revenus de surplus. Première condition : sans ce flux,
se manifesterait une certaine mesure de sous-emploi et de sous-production. La
première cause du flux de surplus est donc une activité accrue des travailleurs,
de l'industrie et du commerce. Ceux-ci ne travaillent pas seulement pour le
présent mais, comme le faisait remarquer Joseph Staline à propos de la grande
entreprise capitaliste qu'étaient ses plans quinquennaux, ils travaillent aussi
pour l'avenir. Ce flux de surplus a pour effet, entre
autres, de produire une inflation des revenus des consommateurs primaires. Il y
a plus de travail, mais ce surplus de travail ne produit pas dans l'immédiat un
accroissement des produits offerts aux consommateurs primaires. Ainsi, en
moyenne sinon globalement, les revenus des consommateurs primaires diminuent en
tant que revenus réels, tandis que les revenus monétaires subissent une
inflation. Il faut accepter cette inflation, sinon les prix connaîtront un mouvement
de spirale, les prêteurs d'argent prendront peur et tout l'effort d'expansion
s'effondrera. Nous tenons là une deuxième cause du flux de surplus :
l'acceptation générale d'une inflation des revenus des consommateurs primaires. Or cette inflation peut être évitée par
la pratique de l’économie non seulement chez les riches, mais aussi chez les
bas salariés. Si ces derniers ne peuvent saisir le calcul utilitaire des
avantages, le paiement de salaires de subsistance leur tiendra lieu d’économie.
Il faut que l'une de ces trois pratiques - inflation des revenus,
économie ou salaires de subsistance - soit déployée dans la phase
capitaliste et même, jusqu'à un certain point, dans la phase matérialiste; mais
la nécessité de ces pratiques diminue sans cesse, et ce changement, qui est une
amélioration, constitue en soi une solution. L'épargne forme une troisième cause des
revenus de surplus. Il y a deux genres d'épargne : l'épargne pratiquée par
le jeune homme pauvre qui deviendra un jour millionnaire, et l'épargne
pratiquée par l'enfant d'un millionnaire qui ne dépense pas ses revenus
secondaires sur le marché primaire. Le premier genre d'épargne représente les économies qui sont la solution de rechange à
l'inflation des revenus des consommateurs; le deuxième genre est
l'investissement des retours produits par le flux de l'investissement aux fins
d'être investis. Le premier genre fait baisser la valeur de C' sous l'unité et fait monter celle de C'' au-dessus de l'unité; le deuxième
genre maintient simplement C'' au
niveau de l'unité. Les techniques financières constituent
une quatrième cause. Outre l'épargne, il faut la liquidité du secteur de la
redistribution pour faciliter l'échange des titres des terrains et des valeurs;
il faut également que soit fournie la source des transmissions d'excédents DT' et DT'' du secteur de la redistribution aux
soldes des commerçants. La cinquième et dernière cause concerne
l'émergence des idées, la prise de risque et l’esprit d’entreprise. Par nature,
une expansion doit être un voyage dans l'inconnu : même dans les pays peu
avancés qui imitent simplement les expansions des pays plus développés, comme
c'est le cas pour les plans quinquennaux de la Russie, il y a quelques idées
nouvelles, quelques risques, un certain esprit d’entreprise. Il serait
souhaitable, certes, que ces idées soient sages, ces risques, prudents,
l’entreprise, intelligente; mais cela a peu d'importance en ce qui a trait à
l'existence du flux de surplus. Les facteurs de départ ne comptent pas. Un
groupe de débiles, d'artistes paumés et de soi-disant magnats peuvent produire
un flux de surplus et s'en enrichir. Et cette possibilité ne tient pas de la
pure théorie. Le flux de surplus a donc cinq
causes : accroissement du taux du travail et de la production; diminution
moyenne des revenus réels primaires, la possibilité la plus courante; habitude
d'épargne et d'investissement chez ceux qui touchent plus de revenus qu'ils ne
peuvent décemment en dépenser pour leur niveau de vie; techniques financières
développées; flux de nouvelles occasions, d'idées nouvelles, de nouvelles
entreprises. 44 Variations des profits Les profits bruts représentent l'écart entre le prix
de vente et le prix de revient, multiplié par le volume des rotations au cours d'une période donnée. Les profits nets
représentent les profits bruts moins divers éléments - dépréciation,
intérêts, amortissement - mais comme ces éléments sont assez
constants, nous pouvons dire que les variations des profits sont fonction des
variations de l’écart de prix et du volume des rotations. L’écart de prix dont nous devons tenir
compte n'est pas l’écart de prix primaire global abordé à la section § 39,
qui est en corrélation directe avec le surplus global net, mais plutôt l’écart
de prix particulier d'une entreprise donnée; il comprend non seulement le
surplus de revenus, mais aussi les revenus primaires, tels que les revenus aux
fins du niveau de vie des propriétaires, des taxes et des œuvres
philanthropiques. De même, les rotations dont nous devons tenir compte ne sont
pas les rotations globales, mais celles d'une entreprise particulière. Nos
symboles, DI', DI'', P' - p', et ainsi
de suite, renvoient donc à des flux et des niveaux globaux; ils nous disent ce
que l'on peut obtenir à un moment particulier; tandis que l’écart de prix
particulier et les rotations particulières nous disent qui peut l'obtenir. Les rotations globales sont donc
susceptibles de grandes variations, mais il est improbable que les rotations
d'une entreprise particulière connaissent des variations concomitantes.
Lorsqu'une demande inélastique est satisfaite, il y a très peu de variations.
Lorsqu'une demande élastique est satisfaite, la variation est beaucoup plus
grande dans ce cas particulier que dans les rotations globales. Par ailleurs, le processus objectif
peut évoluer à l'intérieur du cycle commercial : dans la phase capitaliste
les surplus nets augmentent, dans la phase matérialiste ils connaissent une
diminution relative, et dans un effondrement ils disparaissent complètement. Or
l’écart de prix des industries particulières n'a pas à être en concomitance
avec quoi que ce soit. Dans une situation de monopole, où les rentes sont
protégées, l’écart de prix n'a pas à varier du tout. Mais lorsque les rentes ne
sont pas protégées, les variations doivent être assez importantes pour
compenser l'absence de variation dans les autres cas. On voit très bien à quoi tiennent ces
deux phénomènes. Si X plus Y égale 30, 20 et 10, et si X égale successivement 25, 20 et 15,
alors Y égalera nécessairement 5, 0 et
- 5 successivement. Le résultat inévitable de cette
situation est tout aussi manifeste. Les entreprises se diviseront en deux
groupes, les saines et les malsaines. Les « saines » établiront soit
un monopole absolu soit son équivalent pratique, fait d'un réseau de conseils d’administration : elles produiront ce
qui correspond à la partie inélastique de la demande globale; elles apprendront
et pratiqueront les techniques d'élimination de la concurrence; et elles
imposeront des prix monopolistiques. Les entreprises « malsaines » se
tiendront en marge de ce terrain de chasse pour en récolter des profits en
temps d’essor économique mais elles perdront leurs investissements en temps
d’effondrement. Mais en quoi sont-elles malsaines? Il ne leur manque pourtant pas
l'esprit d'entreprise, ni l'intelligence, et elles satisfont bien à une demande
réelle. Elles sont « malsaines » parce qu'elles ne font pas partie du
cercle d'initiés qui conspirent contre la population et lui imposent une
économie de rareté. Elles sont « malsaines » parce qu'il existe un
cycle d’affaires. Or, l'existence d'un cycle et d'un cercle d'initiés tiennent
à la crédulité de la société qui entérine le principe faisant du profit un
critère d'une saine entreprise. e principe
est faux. Le profit révèle simplement l'habileté de certaines gens qui se
taillent la part du lion dans les revenus globaux. Si vous dites aux gens qu'il
faut rechercher le profit, que le profit est le fruit d'une gestion
intelligente, de l'esprit d'entreprise, du sens du risque, les choses vont
prospérer pendant quelque temps, mais au bout d'un certain moment même les plus
stupides constateront que leur argent ne leur rapportera un rendement maximal
que s'ils pratiquent des prix monopolistiques et traitent une demande inélastique.
À ce rendement maximal correspond le plus faible niveau de bien-être pour la
société. Car ce rendement maximal produit un état de rareté perpétuelle et
artificielle. Mais ce n'est pas tout. Les écarts
créés par les variations des profits dans différentes entreprises constituent
le plus gros problème qui se pose en ce qui concerne l'élimination des
effondrements. Là où existe un surplus net d'une expansion, les
« saines » entreprises, même si elles s'emparent de tout ce surplus,
laisseront au moins des revenus primaires qui contribueront au niveau de vie
dans des contextes non monopolistiques et non protégés. Mais lorsque le surplus
net cesse d'exister en même temps que s'arrête l'expansion, les
« saines » entreprises continuent à toucher d'importants profits.
Mais d'où proviennent ces profits? Certes pas du surplus net, qui est
inexistant. Ils doivent donc provenir des revenus primaires et des revenus de
dépréciation d'autres firmes. Ces dernières luttent pour leur survie ou elles
font faillite. Lorsque certaines font faillite, les autres subissent une
pression croissante. Lorsque la situation se détériore, le processus se
poursuit jusqu'à ce que les « saines » entreprises aient miné leur
propre position. La part d'un lion est bien dérisoire lorsqu'il n'y a plus que
des lions pour se partager une récolte. Par conséquent, pour que le processus
d'échange se déploie à travers tout le cycle sans subir les plongées
périodiques révoltantes où les compagnies marginales sont éliminées et les plus
fortes, menacées, où le chômage prend des proportions incroyables et où le
tissu délicat des canaux commerciaux est réduit en pièces, alors il faut
entériner, élaborer et appliquer le principe du lit parfaitement horizontal. On
peut concevoir les diverses industries comme des secteurs limités du lit d'une
rivière : certaines seront situées au milieu, d'autres près de la rive; et
les profits réalisés varieront en fonction du volume d'eau qui coule dans l'axe
perpendiculaire du secteur donné. Or, ce volume d'eau varie au cours du cycle
que parcourt le processus économique; il y a toujours de l'eau dans le centre
de la rivière, mais il y a des périodes de sécheresse près des rives. Le
principe du lit parfaitement horizontal
transformerait la rivière en canal : on peut difficilement égaliser la
profondeur du flux qui s'écoule dans l'ensemble de la structure industrielle;
mais avec ce principe on peut chercher à creuser les haut-fonds et à combler
les bas-fonds. Comment pouvons-nous l'appliquer? C'est là une autre question, à
laquelle nous reviendrons.[5].
45 Le système de référence appliqué Le caractère général de notre recherche nous a
permis jusqu'ici d'avoir recours à un système de référence extrêmement abstrait
et schématique; nous avons étudié l'interdépendance et l'interaction des flux
monétaires vers et depuis le solde de redistribution, le solde de commerçant primaire, le solde de commerçant
secondaire, le solde de consommateur primaire et le solde de consommateur
secondaire; nous avons procédé ainsi
parce que ce système de référence très limité nous permettait de voir et de
saisir la structure mécanique essentielle des flux de vélocité et
d'accélération dans le processus d'échange. Nous devons indiquer maintenant quelle
méthode nous utiliserons pour appliquer cette structure essentielle à des
problèmes plus concrets et plus complexes; cette méthode consiste simplement en
l'expansion du système de référence. L'expansion se réalise d'abord par un
processus de division. Ainsi, on peut diviser les soldes de
redistribution en différents genres : par exemple, les soldes des banquiers, des compagnies
d'assurance, des spéculateurs et des courtiers en valeurs boursières ou en immobilier. Les soldes des commerçants peuvent être divisés en
fonction de différents genres d'industries et de commerces. On peut également
distinguer différents genres de consommation. Mais il faut noter ceci : de
telles divisions ne modifient pas la structure mécanique essentielle; on peut
tracer plusieurs petits cercles à la place des grands cercles représentant les soldes globaux; mais il n'en restera pas moins vrai que dans
l'ordre réel le circuit primaire est accéléré par le circuit secondaire, et que
dans l'ordre financier le circuit primaire et le circuit secondaire sont tous
deux accélérés par les dégagements des excès de redistribution. 46 Le mécanisme de la balance commerciale favorable Prenons deux pays, A et B, qui possèdent
chacun sa structure mécanique. Supposons que A affiche un certain taux d'excès d'exportations d'une valeur DX, à telle fréquence. Supposons que B paie pour cette valeur, dans une
première période, en exportant de l'or pour une valeur égale, soit DY à telle fréquence; et supposons que
dans une deuxième période le paiement s'effectue au moyen de prêts flottants chez A, toujours au taux DY, à
telle fréquence. Première considération : DY constitue un flux supplémentaire de
revenus de surplus nets dans le pays A.
Dans un système fermé, les dépenses et les revenus doivent être égaux; mais
dans le système ouvert qu'est A, il y
a une part des revenus globaux, DY, à
laquelle correspond un montant de dépenses de l'extérieur du système. Autrement
dit, les citoyens de A achètent toute
leur production, moins DX,
continuellement; pourtant, ils reçoivent tous leurs revenus, y compris DY, continuellement. Par conséquent, DY est un flux supplémentaire de revenus
de surplus nets. Deuxième considération : ce flux
supplémentaire de surplus nets permet à la motivation du profit d'opérer
continuellement. Nous avons dit que la motivation du profit était liée à des
rendements décroissants, que les surplus nets augmentaient dans une phase
capitaliste, mais diminuaient dans une phase matérialiste, pour s'effacer
complètement dans une phase statique. Or nous introduisons ici un principe
nouveau des surplus nets, celui de la balance favorable du commerce extérieur;
et ce principe, nonobstant ses variations, est indépendant des phases de la
structure mécanique interne. Mais une telle balance favorable
est-elle possible? Supposons que B
paie A avec de l'or. Selon la théorie
classique, les prix vont augmenter chez A
et vont diminuer chez B, et,
inévitablement, cela va réduire le marché extérieur de A et élargir celui de B;
la balance favorable disparaîtra. Ce raisonnement général est valable
jusque là. Cependant, il se peut que A
ne mette pas cet or en circulation et que par conséquent ses prix n'augmentent
pas; ou alors il peut mettre l'or en circulation uniquement pour satisfaire aux
exigences monétaires d'une expansion, pour fournir la DT' et la DT'' qui
permettent aux commerçants d'augmenter continuellement leurs dépenses; et il se
peut que A soit en mesure de déployer
cette expansion sans que ses prix augmentent; il pourra par exemple s'en tenir
à la doctrine de l’économie et des salaires de subsistance à l'égard des riches
et des pauvres respectivement, et obtenir ses matières premières en développant
les ressources non exploitées des colonies. Par ailleurs, il se peut que B ne voie pas s'épuiser l'or qu'il a en
circulation; l'or qu'il exporte peut provenir d'accumulations qui dorment ou de
gisements miniers; il se peut également que B
représente non pas un seul pays mais plusieurs pays qui voient s'écouler à tour
de rôle leur surplus d'or. La balance favorable peut donc
connaître une certaine régularité pendant un temps, même si elle se déploie à
l'encontre d'une importation d'or; mais quand ce jeu a fait son temps, A peut continuer à exporter un surplus
de marchandises contre un taux interne de prêts étrangers. Supposons que les
citoyens de A contractent des prêts
étrangers au taux DZ, qui est égal à DX et DY; de manière superficielle on dira que ce processus peut se
poursuivre perpétuellement. A exporte
des marchandises au taux DX; B paie au taux DY, qui est possible grâce aux prêts DZ; et puisque pour A DY représente un surplus net, A peut toujours acheter les prêts DZ. Il appert donc que A jouit toujours d'un taux de surplus
net indépendamment de sa phase; et puisque ce surplus net est toujours investi,
l'importation d'or ne comporte pas de danger d'inflation. Il y a toutefois un hic : le
principal et les intérêts. Alors soit B
paie le principal et les intérêts chaque année, tant pour les intérêts et tant
pour l'amortissement du capital, soit il augmente sa dette de ces montants
chaque année. Dans ce dernier cas, son crédit va disparaître tôt ou tard. Dans
le premier cas, le marché des prêts étrangers viendra à être saturé, mais cela
peut prendre beaucoup de temps. Entre-temps il se passe des choses
intéressantes. B paie des intérêts et
l'amortissement du principal sur une dette étrangère croissante; il paie par
des exportations; il paie par des exportations croissantes, qui vont
directement ou indirectement chez A. A se trouve donc devant une
alternative : ou bien il permet à sa propre industrie de décliner
graduellement pour être en mesure d'absorber ces importations de ses
créanciers, et il devient alors un pays rentier,
tout simplement; ou bien il défend son industrie en imposant des tarifs
douaniers, refuse les importations de ses créanciers et force ainsi ses
créanciers à refuser d'honorer leurs dettes. Ni l'une ni l'autre de ces
solutions n'est acceptable. La nation rentière est déchirée par un conflit interne : car une industrie en déclin signifie
un prolétariat poussé au chômage et contemplant la richesse des bénéficiaires
des investissements étrangers, ce qui risque fort de déclencher une révolution.
Par contre, le refus d'honorer les dettes met fin aux prêts étrangers comme
mécanisme d'obtention d'une balance commerciale favorable. 47 Budgets gouvernementaux déficitaires Lorsque ne peut plus être déployé le jeu de la
balance favorable, s'offre une solution de rechange très semblable : les
budgets gouvernementaux déficitaires. Disons qu’un gouvernement dépense chaque
année une somme DX en sus de ses
revenus; puisque toute dépense engendre des revenus, DX engendrera un revenu de surplus net égal, DY, qui ressemblera à bien des égards au surplus net de la balance
favorable; si, enfin, le gouvernement, pour empêcher une inflation, vend
annuellement des obligations DZ,
égales à DX et DY, il semble à première vue que l'on ait là un processus qui
pourrait se déployer perpétuellement, si les gens qui touchent les surplus DY achetaient une somme égale des
obligations DZ. Les budgets gouvernementaux
déficitaires présentent un avantage, à savoir qu'ils permettent à une économie
régie par l'idée du profit de continuer de fonctionner malgré une expansion
réelle produisant une proportion insuffisante de revenus de surplus. Le profit
est fonction de rendements décroissants. Lorsque les rendements diminuent, ils
peuvent être restaurés artificiellement par une balance commerciale favorable
ou par des budgets gouvernementaux déficitaires. Les budgets gouvernementaux
déficitaires ont aussi l'avantage de simplifier la détermination de l'assiette
de l'impôt. Un mécanisme d'imposition parfait convertira les surplus DY en revenus gouvernementaux sans
recours à des obligations. Or, il est bien difficile de concevoir un mécanisme
d'imposition parfait, et l'émission d'obligations est très populaire auprès des
riches, tandis que les impôts sont impopulaires auprès de toute la population.
Les politiciens savent où est leur intérêt. Le recours à des budgets déficitaires
présente tout de même des limites. Premièrement, rien ne sert de vendre
des obligations en échange de crédits bancaires. Pour empêcher une inflation,
il faut récupérer la DX qui a été
dépensée et qui s'est transformée en revenus de surplus DY. Deuxièmement, DX ne saurait comprendre une proportion de la production totale
supérieure à celle que les gens sont prêts à consentir à l'État. Le travail et
les produits achetés avec DX sont le
travail et les produits d'un secteur de la collectivité; la collectivité ne
voit pas d'objection, jusqu'à un certain point, à donner son travail et ses
produits au gouvernement puisqu'elle jouit d'un flux d'argent et d'obligations;
mais au-delà de cette limite la collectivité veut que ce travail et ces
produits servent aux intérêts personnels de ses membres, et alors la
supercherie n'opère plus. Troisièmement, il y a la question
mineure du principal et des intérêts. Il faut bien s'en occuper, sinon il sera
bientôt impossible de vendre des obligations. Mais on ne peut s'occuper de
cette question qu'en accroissant les charges fiscales. Et l'impôt ne peut être
payé que dans la mesure où les gens qui touchent les intérêts et
l'amortissement constituent une classe de rentiers
qui consacrent leurs revenus à l'acquisition des produits du travail et des
biens du reste de la collectivité. Il importe donc que les obligations soient détenues
par un vaste segment de la population; sinon, la seule méthode de paiement dont
le gouvernement pourrait se prévaloir serait la méthode légèrement équivoque de
la confiscation des contribuables. Quatrièmement, la collectivité cherche
à constituer une classe de rentiers toujours
plus vaste et toujours plus riche qui tire ses revenus des obligations du
gouvernement; cinquièmement, les acheteurs des obligations sont de moins en
moins crédules, car ce jeu, comme celui de la balance favorable du commerce
extérieur, atteint son terme un jour; aucune nation ne peut voir croître
indéfiniment sa classe de rentiers, pas plus
qu'une nation ne peut devenir une nation rentière
vivant de l'industrie des autres nations. 48 La possibilité de la phase statique La phase statique représente une position limite
entre l'expansion et le déclin. Elle se caractérise surtout par l'absence de
surplus nets. Aussi élevés soient-ils, les revenus de tous les individus
doivent être dépensés intégralement; et en pratique aucune part de ces dépenses
ne constitue un investissement. Par ailleurs, un individu peut s'enrichir, mais
à la condition qu'un autre individu s'appauvrisse; il est impossible que tous
les individus s'enrichissent, puisque globalement la somme des revenus et des propriétés
doit rester la même. Mais la phase statique est-elle
possible? Voilà une question d'une importance manifeste. Une accélération
perpétuelle est impossible; aucun roi de la vitesse ne peut se permettre de
rêver à une telle chose; il peut songer à établir sans cesse de nouveaux
records de vitesse, mais non à filer de plus en plus vite, au-delà d'un record
établi, sans jamais ralentir. De même, la machine économique ne peut accélérer
indéfiniment; la production mondiale peut doubler, quadrupler, décupler, mais
elle ne peut décupler indéfiniment. Or, si elle ne peut connaître une expansion
perpétuelle, la machine économique est-elle vouée au déclin, à l'effondrement,
dès que cesse l'expansion? Elle le serait, sans la possibilité d'une phase
statique. Les conditions de la phase statique
sont que C' égale l'unité, de sorte
que les épargnes actuelles égalent les emprunts actuels des consommateurs
primaires et la dépense présente des épargnes du passé, que C'' égale l'unité de sorte que les frais
actuels de dépréciation égalent les dépenses actuelles aux fins des réparations
et des remplacements, que le taux des liquidations égale le taux des
investissements, que T' et T'' égalent l'unité, de sorte que les
dépenses des commerçants égalent les recettes des commerçants, que G''/G' égale DI'/DI'', de sorte que les profits suffisent à procurer aux
propriétaires et aux prêteurs les revenus correspondant à leur niveau de vie et
à permettre aux industries d'effectuer constamment les réparations nécessaires. La première
difficulté est d'ordre psychologique. La phase statique offre de mornes
perspectives aux êtres habitués aux stimulants de l'expansion. Ils doivent être
sevrés de leur soif de gagner toujours plus d'argent afin d'avoir plus d'argent
à investir pour toucher encore plus d'argent et avoir encore plus d'argent à
investir. Ils doivent s'ajuster à une mentalité qui ne vise qu'à maintenir une
certaine prospérité, un certain niveau de vie. Le changement à opérer n'est pas
facile, mais, comme le dit le Sage, le nombre des sots est infini. La deuxième difficulté tient au fait
que la courbe de l'expansion doit s'aplatir graduellement lorsque l'on entre
dans la phase statique. L'expansion capitaliste augmente DQ'' jusqu'à un niveau qui dépasse d'une quantité que nous
appellerons dQ'' le zéro réel ou le
niveau de remplacement. La phase matérialiste utilise cet excès de production
du champ secondaire pour accroître le champ primaire; et tandis que se déploie
cette expansion, une proportion de moins en moins grande de dQ'' est consacrée à la création de
nouvelles industries et une proportion de plus en plus grande, au remplacement
et à la réparation des industries existantes; le zéro réel est alors en hausse.
Cependant, à moins que le zéro réel ne s'élève jusqu'au niveau DQ'' pour éliminer dQ'', la phase statique sera déclenchée par une contraction
soudaine du champ secondaire; ce changement créera des phénomènes de
sous-emploi et de sous-production. La phase statique s'amorce donc dans une
problématique ardue de redistribution du travail et de réduction du capital. Une troisième difficulté concerne la
structure financière. Au cours de la phase statique la finance ne joue aucun
rôle, puisqu'il n'est pas question dans cette phase de fournir de plus en plus
d'argent, DT' et DT'', pour permettre une expansion des circuits principaux; et il
n'y a pas assez de nouvelles compagnies qui se forment pour occuper les
promoteurs, les assureurs, les courtiers, et
ainsi de suite. Une quatrième difficulté, qui tient à
la configuration des prix, l'emporte sur les autres. La configuration des prix
est le mécanisme qui divise les revenus globaux entre les différentes branches
de l'industrie et du commerce. Or, là où existe un flux de surplus nets, que ce
flux soit le fait d'une expansion réelle ou d'une balance du commerce extérieur
extrêmement favorable, ou encore d'un budget gouvernemental déficitaire, la
configuration des prix n'est pas vraiment préoccupante. Même si un certain
nombre d'entreprises obtiennent beaucoup plus que leur juste part des revenus
globaux, l'existence des surplus permet aux autres entreprises de toucher au
moins des revenus primaires suffisants pour maintenir un niveau de vie décent.
Mais si ce flux de surplus nets disparaît - et forcément il va
disparaître à certains moments, puisque aucune de ses causes n'est
permanente - la configuration des prix se met à avoir des incidences
très sérieuses. Car si une entreprise prend pour elle-même plus que sa juste
part des revenus globaux, d'autres entreprises auront forcément moins que leur
juste part; elles en souffriront, non pas au sens où elles n'obtiendront aucune
part des surplus, puisqu'il n'y a pas de surplus; elles souffriront plus
profondément, puisqu'elles n'auront plus les moyens de maintenir le niveau de
vie des propriétaires, des créanciers et des employés. Ainsi se produisent les crises économiques : de vastes industries,
telles que l'agriculture ou les mines, se retrouvent dans une dépression
désespérante; d'innombrables firmes qui répondent à une demande réelle et qui
sont nécessaires à l'économie nationale font face à la liquidation. Pour
résoudre une telle crise l'État doit subventionner les activités industrielles
indispensables, assumer les avoirs gelés, et adoucir les effets de la débâcle,
sinon ce sera l'effondrement total. Ces dangers traduisent une faille
radicale dans la théorie classique des prix. Les théoriciens classiques
soutiennent que si une entreprise fournit ce que les gens demandent réellement,
les gens vont payer pour les produits de cette entreprise un prix qui assurera
sa survie; par conséquent, les subventions ne représentent que des mécanismes
de soutien de l'inefficacité et de l'inadaptation, onéreux pour les
contribuables. Or la réalité factuelle entourant les subventions contredit cette
conclusion et, partant, les prémisses qui la fondent. Les gens sont prêts à
payer ce qui correspond à leurs intérêts individuels. Or les gens ont d'autres
intérêts, non moins réels, non moins impérieux. Une personne n'est pas
seulement un individu isolé, elle est membre de toute une hiérarchie de
groupes, et elle partage d'autres intérêts avec ces différents cercles
successifs : il y a les intérêts de la firme,
ceux de la localité, ceux de la région, ceux du pays, et leurs résonances dans
la vie économique mondiale; il y a également les intérêts de classe, les
intérêts sociaux, les intérêts culturels, les intérêts religieux. Ce sont là
des intérêts bien réels, ignorés par le mécanisme classique des prix; la
théorie classique isole l'individu et le confine à ses intérêts les plus
étroits, les plus bas, pour laisser à des réalités telles que les organisations
ouvrières et les grèves, les conseils d’administration imbriqués, les monopoles
et les lockouts, l'intervention de l'État, le lobbying, les droits de douane et
les subventions, le nationalisme, les armes, l'impérialisme économique et les
guerres, le soin de régler de manière injuste, stupide et parfois brutale les
problèmes qui pourraient être résolus grâce à une bonne théorie des prix et à
un système de prix adéquat. En conclusion, la phase statique ne
présente aucune impossibilité intrinsèque, mais pour passer harmonieusement
d'une expansion à une phase statique au lieu de sombrer bêtement dans une
crise, nous devrons faire appel aux ressources de notre esprit et déployer tout
un travail d'éducation. 49 Le problème financier Supposons que nous avons tel flot d'investissements
en sus des liquidations, de magnitude DJ,
à telle fréquence. Et mettons que DJ
prend sa source dans le secteur de la redistribution et se divise en trois
parts, DJ*, DJ' et DJ'', DJ* étant dépensé dans le secteur de la
redistribution, DJ' dans le circuit
primaire et DJ'' dans le circuit
secondaire. Le flux d'investissements produit une
expansion des flux réels de biens et de services et, d'après une première
approximation, DJ* égalera le coût
des terrains et des biens d'équipement, DJ' égalera DT', DJ'' égalera DT'', DC' et DC'' égaleront
zéro. Ainsi, tant que dure l'expansion, un surplus est acheminé du secteur de
la redistribution vers les circuits principaux : ce surplus a une
magnitude DJ' plus DJ'' et égale, pour la période donnée,
l'apport net de capital de circulation employé. Comme nous l'avons montré dans
l'analyse du mécanisme des phases capitaliste et matérialiste, ce taux de
croissance du capital de circulation constitue la force motrice de l'expansion. Le problème
financier consiste essentiellement en la difficulté de trouver une solution
stable et permanente aux exigences monétaires d'une expansion à long terme.
Nous pouvons commencer par une énumération des solutions nettement
insatisfaisantes. Le problème ne saurait être résolu par
la mise en usage des accumulations d'argent inutilisées jusque là. Ces
accumulations sont très limitées et, une fois qu'elles sont utilisées, le
problème resurgit. Le problème ne saurait être résolu par
un taux de production de l'or. Rien ne permet de prévoir que le taux de
croissance du capital de circulation serait exactement celui de la production
de l'or. Il n'y a aucune raison de limiter le taux d’expansion économique au
rythme de la production de l’or. Le problème ne saurait être résolu par
le mercantilisme, par une balance commerciale favorable qui augmente les
réserves d'or du pays exportateur. Car ces entrées se traduisent bien sûr par
une diminution des réserves d'or d'autres pays; cela aboutit donc simplement à
déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le problème ne saurait être résolu par
une déflation systématique, par une chute des prix qui permet d'obtenir d'une
même quantité d'argent des rendements accrus. Car la chute des prix tue
l'entreprise en annihilant la marge de profit. Le problème ne saurait être résolu par
un simple accroissement de l'efficacité de l'emploi de l'argent. Car nous ne
pouvons être assurés que cette efficacité accrue pourra se concrétiser chaque
fois qu'elle sera nécessaire. De nouveaux dispositifs qui augmentent le
rendement de l'argent peuvent toujours se déployer. Mais cette possibilité est
toujours incertaine. Derrière tous ces raisonnements se
profile habituellement le postulat voulant que l'argent soit un instrument
inventé en vue d'une tâche bien définie, et que l'argent ne soit donc pas
l'instance suprême. Ce qui vient en premier, c'est la société humaine; le
processus économique vient en second, qui est au service de la société; et
l'argent est au service du processus économique. L'argent doit donc se plier
aux exigences objectives du processus économique, et non l'inverse. Nous devons maintenant approfondir
cette réflexion. Nous avons vu (§18) que la monnaie peut être conçue soit comme une marchandise, telle que l'or, soit comme un compte.
L'élimination, comme solution du problème susmentionné, d'un accroissement
d'efficacité, d'une déflation systématique, du mercantilisme, de l'utilisation
d'accumulations non utilisées, nous amène à conclure que la monnaie de compte
doit faire partie de la solution recherchée. Mais nous devons nous demander si
la monnaie est d'abord et avant tout une marchandise telle que l'or et
accessoirement un compte, ou s'il constitue
purement et simplement un compte. Le point de vue classique tient
l'argent pour une marchandise du même ordre que l'or, essentiellement, et pour
un compte accessoirement. L'or fonde
l'activité financière, le reste constituant une superstructure dont la validité
est conditionnée par l'aptitude à répondre à la demande d'or. Quel est le
bien-fondé de cette position? Disons que la quantité d'or représente Q , sa valeur, U, que l'utilisation de la monnaie de compte multiplie cette
quantité par un facteur K, et que V représente la vélocité du mouvement de
l'argent (une fréquence moyenne pour la quantité totale KQ). Alors, si Q*, U*, K*,
V* renvoient à ces quatre facteurs
dans le secteur de la redistribution, Q',
U', K', V' dans le circuit
primaire et Q'', U'', K'', V'' dans le circuit secondaire, puisque DA = DA* + DA' + DA'' il
s'ensuit que QUKV = Q*U*K*V* + Q'U'K'V' + Q''U''K''V'' (28), équation
qui signifie simplement que le volume global de l'activité économique est égal
à la somme des volumes globaux dans les trois secteurs définis. Or si la monnaie de compte est limitée
par la capacité de satisfaire à la demande d'or, K aura peut-être une valeur de 30 : le trésor émet des billets
correspondant à trois fois sa réserve d'or, et les banques conservent des
dépôts qui ont un rapport de dix pour un avec l’argent
comptant. Il en résulte une vaste possibilité d'expansion par rapport à
ce qui aurait existé si la monnaie avait été tenue pour une simple marchandise,
et cela est considéré suffisant pour le moment. Mais le recours à un étalon or
pose trois problèmes. Le premier découle des mouvements
internationaux du capital. Les demandes d'or possibles représentent trente fois
l'or qui existe, de sorte que si 4 % des demandes de
transaction possibles visaient une exportation de capital (si nous
supposons que les investisseurs étrangers décident de liquider leurs
possessions), alors le pays, soit perdrait son or, et se déclarerait
insolvable, soit abandonnerait l'étalon or. Mais hors de tels cas de crise
générale ou de conspiration, de petits retraits de montants d'or d'un pays vers
un autre entraînent des variations disproportionnées du volume de leur
activité. Q n'est qu'un facteur de QUKV, et pourtant c'est la queue qui
remue tout le chien. M. Hawtrey tient ce remuement pour la cause du cycle
conjoncturel du dix-neuvième siècle. Le deuxième problème tient à la crise
financière et au crash financier. La magnitude de K à tout moment est conditionnée par la confiance : les gens
doivent avoir confiance en la capacité des banques à satisfaire aux demandes;
les banques doivent avoir confiance en la capacité de leurs créanciers de
s'acquitter de leurs obligations. Dès que K
commence à se contracter, manifestement, cette confiance disparaît, car la
quantité d'argent effective, QK,
décroît, alors qu'une méfiance universelle soudaine entraîne une augmentation
des demandes d'encaissement. C'est bientôt la panique et tout le volume de
l'activité économique connaît une réduction considérable, au fil des nombreuses
liquidations qui détruisent la trame délicate des voies du commerce. Ce deuxième problème se manifeste
habituellement tel une deuxième lame de fond qui entraîne à coup sûr un effondrement. Le processus objectif passe par une
phase matérialiste et s'achemine vers une phase statique au niveau du sommet de
l'expansion. Les surplus nets décroissent. Les compagnies dont les rentes ne
sont pas protégées voient leurs profits disparaître. Les prêteurs d'argent se
formalisent des demandes de renouvellement des prêts à court terme,
renouvellement qui est nécessaire si l'on ne veut pas que les DT' et DT'' déjà transmises dans les circuits principaux n'aient à être
rappelées et qu'un ralentissement du processus ne succède à son accélération.
Les choses vacillent, puis dérapent, puis glissent, et après l'effondrement les
hommes forts se tordent les mains et se demandent comment ils vont ramasser les
morceaux. Soit dit en passant, de tels
effondrements constituent un parfait instrument pour la concentration de la
richesse. Des compagnies sombrent et disparaissent? La belle affaire! Pour
leurs propriétaires, c'est la ruine, certes, mais pour les sages qui ne
prennent aucun risque, qui ne travaillent pas, mais qui s'emparent des
hypothèques et des intérêts, voilà une richesse qui leur échoit, la richesse
perdue d'autrui. Le troisième problème que pose l'étalon
or tient à la priorité qu'il accorde à l'argent sur les êtres humains. Si
l'argent n'était qu'un compte et le système
bancaire, un simple régime de tenue de livres publics, alors d'autres causes de
surplus, et non plus seulement les techniques financières, seraient
rémunératrices. Une expansion ou une balance favorable du commerce extérieur ou
les bénéfices d'un budget gouvernemental déficitaire ne sont pas fonction seulement
d'arrangements financiers. Ils requièrent plus de travail que cela. Il y a
l'inflation des revenus des consommateurs primaires. Il y a la dépense des
ressources naturelles. Il faut prêter attention à ces facteurs. Mais lorsque la
monnaie de compte est conditionnée par la possibilité de satisfaire aux
demandes d'or, il faut que cette condition soit satisfaite, sinon c'est la
ruine pour tout le reste; et pour satisfaire cette condition il est nécessaire
que les exigences objectives du processus réel soient subordonnées aux lois
supposées de l'argent. C'est parce que l'argent est conçu
essentiellement comme de l'ordre de l'or et accessoirement comme un compte que le flux de nouveau capital de circulation
vers les circuits principaux DT' et DT'' tend de plus en plus à n’être qu'un volume de crédit à court
terme. Cela ne satisfait certes pas à l'exigence du processus objectif. L'idée
d'une expansion ne vise pas une contraction future. Cette idée veut que les
volumes de flux s'accroissent et restent accrus. Des prêts à court terme leur
permettent de s'accroître, mais les empêchent de rester accrus. Certes, le
volume du crédit industriel et commercial à court terme peut se maintenir à un
niveau élevé pendant une période notable. Mais il est vrai également que ce
volume global peut soudain se réduire considérablement. Cette réduction traduit
le processus inverse de l'expansion : les humains établissent des plans et
travaillent en vue d'accélérer les flux réels, et soudain les banquiers
décident que les flux réels doivent être décélérés; et le pire dans tout ça
c'est que, si l'on suppose que l'argent est essentiellement de l'ordre de l'or et accessoirement de l'ordre d'un compte, les banquiers ont parfaitement raison; ils
ont pour tâche de préserver leur liquidité et de maintenir l'expansion
monétaire à l'intérieur d'une certaine proportion par rapport à l'or; ils n'ont
pas pour tâche de satisfaire aux besoins objectifs du processus d'échange, et
de fait une telle tâche ne leur incombera pas tant que toutes les relations
réelles et supposées de l'argent à l'or n'auront pas été éliminées, supprimées,
détruites. Qu'on ne se
méprenne pas sur mon propos : je ne cherche pas simplement à tirer des
conclusions de l'expérience factuelle présente. Actuellement, l'étalon-or est
mort et il est peu probable qu'il ressuscite. Il a été remplacé par le contrôle
du crédit et la monnaie dirigée, et ces substituts posent problème parce qu'ils
tendent à être des ersatz de l'étalon-or. L'ancienne mentalité règne encore
sous mille formes. Il faudrait que l'on reconnaisse que l'argent est considéré
simplement comme un système de comptabilité, et que l'on transforme de manière
cohérente toutes les pratiques monétaires en fonction de ce fait fondamental.
Nous définissons donc le problème financier comme le problème de l'élaboration
et de l'application du point de vue qui identifie l'argent à un système de
comptabilité publique. Cette position s'appuie sur les raisonnements suivants. L'argent est un instrument inventé par
l'être humain pour favoriser un processus d'échange vaste et complexe. Il
n'existe pas de corrélation simple, voire vérifiable, entre la quantité
d'argent et le volume de l'activité d'échange, mais il reste que les variations
de ce volume postulent des variations de la quantité d'argent, sinon elles
entraînent une inflation ou une déflation. Or à long terme ces variations de la
quantité d'argent ne peuvent être obtenues que par l'introduction d'une monnaie
de compte. Mais si la monnaie de compte - que nous appellerons simplement
l'argent, comme nous l'avons mentionné à la section §18 - coexiste
avec une monnaie de marchandise, non seulement se produisent les perturbations
indues du processus d'échange sous l'influence des mouvements internationaux de
capital et des crises et effondrements financiers, mais l'ensemble de
l'économie en vient à être régi non pas par le bien social, non pas par les
exigences objectives de l'économie elle-même, mais par l'argent inventé pour
servir le processus objectif et le bien social. Car lorsque la monnaie de
compte est conditionnée par une relation ou une loi qui le lie à la réserve de
monnaie de marchandise, alors la monnaie de compte doit obéir à cette loi; par
ailleurs, le processus d'échange a ses propres lois objectives, et ces lois doivent
être subordonnées à la loi de l'argent, car sans l'argent (dont la présence ou
l'absence est fonction de la loi de l'argent) les échanges ne peuvent avoir
lieu, aussi utiles, aussi souhaitables, aussi nécessaires soient-ils. En termes
plus frappants, nous pouvons dire que le processus objectif exige le cycle pur,
mais que la loi de l'argent ne peut être satisfaite que dans une phase
capitaliste et dans la première partie d'une phase matérialiste; par
conséquent, c'est le cycle conjoncturel et non pas le cycle pur qui se déploie;
comme les surplus nets diminuent, le volume du crédit se contracte; comme le
crédit se contracte, le volume de l'activité économique se contracte;
l'expansion se termine pour faire place à un retour à une position
pré-expansion ou à quelque chose de pire. Par contre, lorsque nous disons que
l'idée de l'argent comme système de comptabilité publique doit être élaborée et
appliquée, nous entendons par là surtout qu'il est nécessaire qu'existe un
argent dont les lois coïncident avec les lois du processus économique objectif,
de sorte qu'au lieu d'un conflit entre la possibilité réelle et la possibilité
financière règne l'harmonie, et que les comptables jouent un rôle plus effacé,
comme il se doit. Ainsi, schématiquement, dans la phase capitaliste on émettra
plus d'argent à la fois pour fournir la DT''
au circuit secondaire et pour obtenir pour le secteur de la redistribution sa
mesure nécessaire de liquidité; dans la phase matérialiste on déploiera de
semblables opérations, et on explorera la nécessité d'avoir une DC' positive pour maintenir C' au niveau de l'unité; dans la phase
statique la liquidité du secteur de la redistribution sera réduite mais les
fonds émis dans la ligne de DC', DT' et DT'' ne seront pas rappelés comme si l'idée d'une expansion
représentait une perspective d'effondrement. Or l'élaboration détaillée des
conditions d'une telle évolution et la formulation des règles à observer pour
l'opérer représentent un immense travail. Un travail qui exige que soient
repensées toutes nos idées sur les marchés, les prix, le commerce
international, les investissements, le rendement du capital. Et que soient
repensées surtout nos idées sur les directives et les contrôles économiques. Et
si nous devons entreprendre une telle tâche, non pas en nous appuyant sur le
modèle facile des régimes totalitaires ou socialistes qui cherchent simplement
à abolir les problèmes et avec eux la liberté humaine, nous aurons besoin non
seulement d'une réflexion approfondie, équilibrée, mais de toute l'inventivité
concrète, de toute la capacité de découverte et d'adaptation que nous puissions
cristalliser. 53
Le mécanisme de l'expansion
culturelle Par expansion culturelle nous entendons un taux de
croissance de la production des produits primaires généraux, des choses
permettant de défendre, de développer, de maintenir une civilisation. 7 La présente recherche est menée dans la perspective
de l'existence d'un mécanisme économique autre que le système des prix, du rôle
extrinsèque dévolu à l'être humain dans ce système et du caractère déconcertant
des problèmes économiques actuels dû au fait que l'être humain, en tant
qu'agent extérieur, ne jouit pas de l’orientation systématique dont il a besoin
pour bien opérer la machine qu'il doit maîtriser. Le mécanisme économique que
reconnaît l'analyse classique est le système des prix (pricing system). Ce système coordonne spontanément une vaste
pluralité toujours changeante de choix de demande et de décisions d'offrir, qui
autrement seraient indépendants. Or l'être humain fait partie intrinsèquement
de cette machine; ses choix et ses décisions constituent les variables du
système. Par conséquent, il n'est aucunement possible d'établir méthodiquement,
d'une part, les exigences de la machine et, d'autre part, le rendement
résultant de l'être humain. Une étude de la mécanique des automobiles fournit
des prémisses pour une critique des conducteurs, précisément parce que les
automobiles, distinctes des conducteurs, possèdent des lois propres auxquelles
les conducteurs doivent se conformer. Mais si l'anthropologie des conducteurs
faisait partie intégrante de la mécanique des automobiles, la critique serait
tout au plus fortuite. À l'heure actuelle, la critique fuse
de partout en matière économique. Mais il s'agit d'une critique fortuite. D'une
critique qui n'est pas déployée systématiquement à partir de prémisses solides.
Les socialistes se fondent sur l'intuition pour dénoncer une incohérence
radicale dans les choix et les décisions de certains individus et avancer avec
force rhétorique la solution simpliste[1] d'une subordination des préférences et
des attentes aux bons soins d'une tyrannie. Les économistes traditionnels, par
contre, sont la sobriété même. Leurs critiques sont précises, informées,
exactes, subtiles. Mais sont-elles inspirées? S'imposent-elles impérieusement?
Traduisent-elles une pensée signifiante? On peut en douter. On apprend trop
souvent que les problèmes sont vraiment très complexes, que tel élément dans
cette complexité peut être isolé comme facteur de perturbation, que tel ou tel
expédient peut résoudre le problème mieux que tous les autres déjà proposés.
Mais, expédient après expédient, il devient de plus en plus difficile de
distinguer une économie démocratique d'une économie totalitaire. Or les économistes peuvent aussi
bien se faire les champions de la démocratie que les conseillers des dictateurs
ou des conseils de planification. Cette possibilité est avérée par les faits
historiques : les anciens économistes politiques étaient des champions de
la démocratie; leur pensée est peut-être considérée comme inadéquate, mais sa
teneur démocratique est aussi valable qu’auparavant. Cette teneur concerne la
découverte d'un mécanisme économique et la déduction de règles guidant l'être
humain dans l'utilisation de la machine économique, une consigne de laissez faire[2] pour les gouvernements et un appel à l'esprit d’économie et d'entreprise pour les
individus. Il est reconnu maintenant que ces règles ne produisent les effets
escomptés que dans des situations particulières, mais la nécessité d'élaborer
des règles nouvelles, plus adéquates, est encore insuffisamment perçue. Or sans
ces règles la liberté humaine disparaîtra.
Si les humains n'apprennent pas de telles règles qui les guident
individuellement dans l'utilisation de la machine économique, ils devront
renoncer à leur liberté et se laisser guider, avec la machine elle-même, par un
conseil de planification central. La réalité de ce dilemme mesure
l'importance d'un effort, aussi ténu et incomplet soit-il, de formulation des
lois d'un mécanisme économique plus éloigné et en un sens plus fondamental que
le système des prix. La réalité de ce dilemme suscite peu de controverses car
le rêve libéral d'une économie
automatique s'est brisé depuis longtemps, comme tous les rêves. La
nécessité d'un contrôle rationnel est incontestée; la seule question qui se
pose est celle de l'endroit où doit s'exercer un tel contrôle. Se
déploiera-t-il de haut en bas, de manière absolutiste? Ou doit-il être exercé
du bas vers le haut, de manière démocratique? Il ne sera démocratique,
manifestement, que dans la mesure où la science économique réussira à produire,
non pas des conseils aux dirigeants, mais des préceptes pour l'humanité, non
pas des remèdes spécifiques et des plans pour accroître le pouvoir des bureaucraties,
mais des lois universelles que les humains administreront eux-mêmes dans la
conduite de leur vie. Ainsi, l'éclatement du rêve libéral du progrès
automatique provoque une révision du jugement porté sur les anciens économistes
politiques. La grandeur de ces économistes tient, non pas certes à leur culte
amoral de l'automatisme du progrès, mais à l'élaboration d'une science
économique et à l'établissement de préceptes universels d'une saine conduite de
l'économie. L'automatisme tel une écorce s'est flétri et est tombé. Qui s'y
attache verse bientôt dans l'abîme totalitaire. La science ancienne et les
préceptes anciens sont choses du passé, comme la pensée d'un Ptolémée ou d'un
Newton. Mais l'on ne saurait nier la possibilité d'une science nouvelle et de
préceptes nouveaux sans nier, j'en suis convaincu, la possibilité de survie de
la démocratie. 2
Méthode La méthode de l'analyse de la circulation tient
davantage de la méthode de l'arithmétique que de la méthode de la botanique.
Elle intègre un minimum de descriptions et de classifications, un maximum
d'interconnexions et de relations fonctionnelles. Une certaine dose de
descriptions et de classifications est nécessaire, forcément; mais elles seront
hautement sélectives, et elles auront en apparence le caractère arbitraire
inhérent à toute analyse. Car la pensée analytique n'emploie des catégories
fondées sur la similitude que comme tremplin pour atteindre les termes définis
par les corrélations où ils se déploient. Pour prendre l'exemple arithmétique,
seuls quelques-uns des nombres intégraux de la série indéfinie des nombres
constituent des catégories établies en fonction de la similitude descriptive;
par définition, la série entière forme une progression où chaque terme
successif est fonction de son prédécesseur. C'est ce procédé qui donne à
l'arithmétique ses possibilités illimitées de déduction précise; et, comme cela
a été bien démontré ailleurs[3],
il s'agit d'un procédé essentiellement analogique qui sous-tend toute théorie
efficiente. À partir d'un tel modèle
méthodologique l'analyse de la circulation établit une vaste superstructure de
termes et de théorèmes sur une classification sommaire et quelques brèves
analyses de phénomènes typiques. Des catégories de paiements deviennent bientôt
des taux de paiement qui ont cours dans le conditionnement mutuel d'une
circulation; à ce conditionnement mutuel et, pour ainsi dire, interne, s'ajoute
immédiatement le conditionnement externe déclenché par les transferts d'argent
d'une circulation à une autre; par ailleurs, ce double conditionnement dans
l'ordre monétaire est corrélé au conditionnement constitué par les rythmes de
production des biens et des services; et de cette configuration dynamique des
conditions déployée pendant un temps limité est tiré un catalogue des types de
changement possibles dans la configuration sur une série d'intervalles. Il en
résulte un cadre de référence tissé serré, qui permet d'envisager tout
mouvement global d'une économie en tant que fonction des variations des taux de
paiement, et de définir les conditions des mouvements désirables ainsi que de
déduire les causes des effondrements. Ce cadre
de référence sert également à saisir et à exprimer le mécanisme auquel les
préceptes classiques ne sont que partiellement adaptés, ainsi qu'à inférer
l'adaptation plus entière à laquelle il faut parvenir. [1] En français
dans le texte. N. d. T. [2] En français
dans le texte. N.d.T. [3] Voir, par exemple, Ernst Cassirer, Substanzbegriff
und Funktionsbegriff, Berlin, 1910. [1] En français
dans le texte. Ndt. [2] Allusion à un
poème de Tennyson. [3] Pour cette
dernière phrase, le français suit la version donnée dans une note par les
éditeurs des œuvres complètes de Lonergan. Ndt.
[4] Le Major
Clifford Douglas (1879-1952) s'est fait connaître au cours des années 1920 par
ses idées sur le crédit social : il proposait que l'on distribue de l'argent
supplémentaire aux consommateurs, ou des subsides aux producteurs, afin de
stimuler la production. Ces théories ont été diffusées dans l'œuvre
d'inspiration socialiste de A.R. Orage publiée en 1919 et dans le premier
ouvrage de Douglas, Economic Democracy
(1920). Les vues de Douglas ont été popularisées par le poète Ezra Pound en
Italie et par la création du parti du Crédit social en Alberta (Canada), en
1935. Les principes de Douglas ont été abandonnés à toutes fins pratiques vers
la fin des années 1930, mais le Crédit social a survécu comme parti politique. [5] Lonergan
n'est pas revenu à cette question, en fait, dans son manuscrit. Il aurait pu
l'aborder après la section §49, où manquent trois sections.
1
La nécessité d'une nouvelle économie politique
13 Propos de ce
chapitre
Les équilibres
de la structure mécanique
Les
cercles représentent des accumulations, et les flèches, des mouvements. R signifie les soldes de redistribution,
T', les soldes des commerçants
primaires, T'', les soldes des
commerçants secondaires, C', les
soldes des consommateurs primaires, C'',
les soldes des consommateurs secondaires. Les mouvements sont tels que nous les
avons présentés dans le texte.
Les formules des circuits principaux, soit
36
Les multiplicateurs des
commerçants
Esquisse d'une
analyse de la circulation