Chapitre quatrième: les implications de cette conception

Ce dernier chapitre va mettre encore davantage en relief les traits forts de la pensée du Père Lonergan. Car montrer les diverses conséquences auxquelles aboutissent les affirmations faites antérieurement rehaus-se leur importance. Parmi les implications possibles, nous en avons retenues cinq. Nous sommes conscients de ne pas faire un travail exhaustif, mais nous pensons que ces cinq points suffisent amplement à éclairer la conception que se fait Lonergan de la conversion religieuse.

1- Le domaine de la transcendance

La conception de la conversion religieuse que nous avons dégagée se trouve à justifier l'existence et la valeur d'une expérience proprement religieuse. Depuis William James la question de l'expérience religieuse a fait couler beaucoup d'encre et on a débattu le sens du mot expérience, le sens du mot religion, la façon dont une expérience peut être dite religieuse, la façon dont elle peut être une expérience sentie. Face à cela nous avons une théologie traditionnelle qui n'a que peu de place à accorder à une expérience religieuse1; elle se sert d'une conception métaphysique de l'homme où celui-ci est vu non comme un sujet conscient mais comme une substance. C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier l'apport de la pensée de Lonergan.

Quel est cet apport? Tout d'abord et avant tout, Lonergan donne à l'expérience religieuse un lieu précis à l'intérieur de la personne: il s'agit du quatrième niveau de conscience dans la mesure où celui-ci est envahi et dominé par l'amour de Dieu. Une telle affirmation s'oppose aux idées émises par un William James qui semble situer l'expérience religieuse au niveau empirique2. De même, elle ne coïncide pas avec la conception freudienne de l'expérience religieuse où celle-ci se réduit au phénomène psychique du complexe oedipien, à une projection de la relation au père3. Pour Lonergan l'expérience religieuse ne se ramène pas à une sensation qu'on éprouve ou à une émotion qu'on ressent ou à un sentiment pulsionnel.

En deuxième lieu, il s'agit d'une expérience intérieure. Car l'expérience religieuse ne se réfère pas avant tout à des actes particuliers comme les actes de charité, de foi, d'espérance, de repentir, mais au premier principe à l'origine de tous ces actes, à l'être-en-amour que nous avons appelé l'état dynamique d'être en amour avec Dieu. De ce point de vue, il nous semble que la présentation de Lonergan diffère de celle faite par Jean Mouroux4. Celui-ci définit l'expérience religieuse comme "l'acte - ou l'ensemble d'actes - par quoi l'homme se saisit en relation avec Dieu"5. Mouroux met peut-être en relation l'expérience religieuse et la vertu de religion qu'on trouve chez s. Thomas6. En effet celui-ci définit ainsi la religion dans la Somme théologique: "La religion rend à Dieu le culte qui lui est dû"7. Ce culte prend la forme d'un obsequium, cet hommage de sujétion respectueuse et de service, et s'exprime par l'acte d'honorer, de se soumettre et de rendre grâce8.

En troisième lieu, nous pouvons appeler cette expérience une expérience de la grâce. Car elle provient d'un don gratuit de Dieu et se réfère à une réalité surnaturelle. Aussi il ne faut pas la confondre avec le sentiment lié à la découverte de sa condition de créature et de sa soumission à un créateur. Dans Method in Theology Lonergan explicite trois questions fondamentales qui sont des questions sur Dieu et peuvent conduire à son affirmation9. Mais telle n'est pas l'expérience religieuse qui s'appuie, non sur le dynamisme de l'intentionnalité consciente, mais sur une intervention gratuite de Dieu dans l'histoire.

En quatrième lieu, il s'agit d'une expérience amoureuse. Par le don de l'Esprit Saint l'homme participe a cet amour sans limite qui anime la vie trinitaire. Nous voyons encore ici combien cette expérience de la relation à Dieu se distingue de la notion de religion dans la théologie médiévale. A ce sujet il est intéressant de noter que dans la Somme théologique la question sur la religion fait partie du traité sur la justice où on envisage la rectitude des rapports avec autrui. "Colere enim, écrit s. Thomas, est huiusmodi actus ut debitos deo offerre10". Ainsi le culte est une dette de justice, un dû à rendre à Dieu. Ce qui commande cette relation, c'est la reconnaissance de l'excellence de Dieu, de la bienveillance et de la bienfaisance de son action créatrice et de sa providence. La situation de l'homme face à Dieu entraîne les attitudes correspondantes. S. Thomas écrit:

Servir Dieu et lui rendre les devoirs de notre culte, c'est tout un. Le culte a regard aux exigences d'honneur de l'excellence divine. Le service exprime la sujétion qui fonde naturellement, du côté de l'homme, son obligation au culte d'honneur.11

Cette présentation de la religion ressemble à ce que nous dit Mouroux sur les attitudes religieuses:

L'Être Sacré est d'abord objet d'adoration et donc principe de dépendance - parce qu'il dépasse l'homme de façon absolue dont tout être n'est qu'une participation; et qu'il exige de nous une soumission et un hommage également absolus. Il est ensuite objet d'amour - et donc principe d'appel - parce qu'il est le type, le modèle et la fin de l'homme qui est son image; parce qu'il est la plénitude dont la possession constitue la béatitude et qu'il exige de nous un don absolu, inaugurant (autant qu'elle est possible) la pleine communion de l'homme à Dieu.12

Le mot amour qu'utilise Mouroux n'a pas le même sens que celui qu'on trouve chez Lonergan: alors que chez le premier l'amour est une exigence d'un don absolu face à Dieu qui est le modèle et la fin de l'homme, chez ce dernier l'amour est le don de Dieu lui-même par son Esprit et ne découle d'aucune connaissance.

En cinquième lieu, l'expérience religieuse se distingue chez Lonergan de la connaissance religieuse. Comme nous l'avons vu, l'amour qui habite la personne et la perception de la valeur transcendante ne découlent d'aucune connaissance de la réalité, d'aucune notion de Dieu. Le mot expérience se réfère à une perception de données avant que celles-ci soient objectivées. Sur ce point la position de Lonergan se distingue encore de la façon dont un Mouroux conçoit l'attitude religieuse; alors que le premier affirme la primauté de l'amour et la possiblité d'une orientation bonne en dépit d'une connaissance erronée, l'autre lie la relation à Dieu à une certaine connaissance de Dieu. Dans son article sur l'expérience religieuse, Jean Mouroux écrit:

A cette saisie de la relation avec Dieu, il y a une composante intellectuelle. C'est nécessairement une certaine idée de Dieu qui oriente l'attitude et spécifie la relation.13

Pour Lonergan l'expérience religieuse est antérieure à toute saisie intellectuelle de Dieu et se résume à offrir les données intérieures d'une orientation vers un mystère transcendant.

Il existe donc, à l'intérieur de la personne humaine, un lieu d'expérience proprement religieuse. Pour Lonergan, ceci fonde un domaine de la signification distinct des domaines du sens commun, de la théorie et de l'intériorité, un domaine qu'il appelle domaine de la transcendance. À ce propos il écrit:

Il faut également distinguer, d'une part, ces objectivations du don de l'amour de Dieu qui se réalisent dans les domaines du sens commun, de la théorie ou de l'intériorité et, d'autre part, l'émergence de ce don, qui constitue en lui-même un domaine différencié. On cultive ce don dans une vie de prière et d'abnégation; et quand on le reçoit, il exerce un double effet, d'abord celui de faire passer le sujet des domaines du sens commun, de la théorie et de la première intériorité dans le domaine de ce qu'on a appelé "le nuage de l'inconnaissance", et ensuite celui d'intensifier, de purifier et de clarifier les objectivations relatives au transcendant, qu'elles soient élaborées dans le domaine du sens comnun, de la théorie ou de la première intériorité.14

Nous pouvous nous demander: qu'est-ce qui justifie la distinction de ces différents domaines de la signification? "Des exigences différentes, répond Lonergan, entraînent des modes différents d'opérations conscientes et intentionnelles, et ces modes différents nous ouvrent à des domaines différents de signification"15. À la base de ces différents domaines se trouvent des exigences différentes. Quelles exigences justifient alors le domaine de la transcendance? La réponse s'énonce ainsi:

Vient enfin l'exigence transcendantale. Au coeur de la recherche humaine, il existe une tension vers l'inconditionné. Au coeur de la délibération humaine, il existe un critère capable de critiquer tout bien fini. C'est pourquoi - comme nous tenterons de le montrer au prochain chapitre - l'homme ne peut atteindre à la plénitude fondamentale, à la paix et à la joie qu'en allant au-delà des domaines du sens commun, de la théorie et de l'intériorité, jusqu'à celui où Dieu se fait connaître et aimer.16

Il existe chez l'homme une exigence de vérité et de valeur absolues, et cette exigence est apaisée par le don que Dieu fait de son amour. Notons cependant que ce domaine original de signification n'apparaît pas nécessairement, chez un individu, comme un domaine distinct. Car le point de départ de tout homme, c'est la conscience indifférenciée ou n'existe que le domaine du sens commun. Ce n'est que lentement qu'apparaissent les exigences systématiques et critiques donnant naissance aux domaines de la théorie et de l'intériorité et permettant à la conscience de se différencier. Il en est de même du domaine de la transcendance. Dans le texte, cité précédemment, Lonergan indique la voie vers son émergence: une vie de prière et d'abnégation. Et cette différenciation de la conscience, continue-t-il, a pour conséquence "de faire passer le sujet des domaines du sens-commun, de la théorie et de la première intériorité dans le domaine de ce qu'on a appelé 'le nuage de l'inconnaissance'". Ceci signifie que le mystique s'ouvre à un monde tout à fait original auquel n'ont pas accès les autres. Un passage de Method in Theology va également dans ce sens:

En ce qui concerne la conscience religieuse, on peut dire que l'ascète y tend et que le mystique y parvient. On trouve, chez ce dernier, deux modes tout à fait différents d'appréhension, de relation et d'existence consciente: le mode relevant du sens commun, qui se rapporte au monde médiatisé par la signification, et le mode mystique, qui consiste à se retirer du monde médiatisé par la signification pour se laisser absorber entièrement dans un abandon silencieux, en réponse au don que Dieu fait de son amour.17

Ce qui caractérise ces moments d'abandon complet à l'amour de Dieu, cette spécialisation dans l'expérience religieuse, c'est le retrait par rapport au monde médiatisé par la signification, c'est l'absence totale de la recherche d'intelligibilité et de la réflexion. Nous avons vu que Lonergan fait une distinction entre le monde de l'immédiateté et le monde médiatisé par la signification. En ce qui concerne le monde de l'immédiateté, c'est d'abord le monde de l'enfant, le monde de ce qui est vu, écouté, senti, touché, goûté. Il se caractérise par une relation directe entre les objets et le sujet; car les objets sont donnés et, pour les accueillir, il suffit que les sens fonctionnent normalement. C'est encore à ce monde que retourne l'adulte quand il se relaxe, joue, se repose ou fait l'amour18. Or, nous dit Lonergan, c'est à ce monde de l'immédiateté qu'appartient le domaine de la transcendance. Il écrit en effet:.

Avant d'entrer dans le monde médiatisé par la signification, la religion est la parole originelle que Dieu nous adresse en répandant son amour dans nos coeurs. Cette parole originelle n'appartient pas au monde médiatisé par la signification, mais au monde de l'immédiateté, à l'expérience non mediatisée du mystère d'amour et d'effroi.19

Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi il en est ainsi. Car l'amour de Dieu, à l'instar des objets sensibles, est donné; il n'est pas produit par les opérations de l'intentionnalité consciente. C'est ainsi que, ne s'intéressant pas aux questions sur Dieu20, le mystique peut se contenter d'être présent à l'amour de Dieu. Pour décrire cette prière contemplative ou extase, Lonergan emploie diverses expressions comme nuage de l'inconnaissance21, ultima solitudo22, expérience du mystère d'amour et d'effroi23. Quoi qu'il en soit, ces expressions veulent traduire la disparition de la réflexion et des mots au profit d'un silence qui laisse parler l'amour, comme en témoigne ce passage de Method in Theology:

Mais bien que la parole originelle diffère en intensité et suscite des résonnances variées selon les tempéraments et selon les étapes du développement religieux, son immédiateté fait qu' elle soustrait l'homme à la diversité historique en le faisant passer du monde médiatisé par la signification à un monde d'immédiateté où image et symbole, pensée et parole perdent leur importance et s'évanouissent même.24

2- La distinction entre foi et croyance religieuse

Cette deuxième implication découle de la conception de la foi chez Lonergan. En effet, quand celui-ci parle de la foi, il ne fait nullement allusion à des propositions sur Dieu ou sur le salut ou sur ce qu'il faut faire pour aller vers Dieu, tout comme il ne fait aucune allusion au Christ ou au christianisme. Dans une note terminant le chapitre sur la religion de Method in Theology, il confirme cette distinction:

Une dernière remarque, d'ordre terminologique. Nous avons distingué foi et croyances religieuses. Nous l'avons fait parce que cela découle de notre conception selon laquelle il existe un domaine où l'amour précède la connaissance. Nous l'avons également fait parce que cette façon de parler facilite le discours oecuménique.25

Ce texte fait remarquer deux points: d'une part, la distinction entre foi et croyance religieuse est justifiée: elle s'appuie sur l'affirmation de la primauté de l'amour dans la conversion religieuse; d'autre part, cette distinction n'est pas seulement justifiée mais également souhaitable dans un contexte oecuménique. Reprenons tour à tour ces deux points.

Cette distinction se justifie. Elle repose sur une conception particulière de la foi et de la croyance religieuse. Nous avons déjà explicité ce que Lonergan entend par le mot foi: c'est le discernement de la valeur transcendante opéré par l'amour de Dieu dans le coeur de l'homme. Cette connaissance religieuse fondamentale correspond à ce qu'on appelle traditionnellement lumen gratiae ou lumen fidei ou sagesse infuse. Par contre, il serait peut-être bon de préciser davantage ce que Lonergan entend par l'expression croyance religieuse.

En général, la croyance désigne l'acte par lequel une personne fait sienne l'expérience et les connaissances tant intellectuelles que morales provenant d'autres personnes26. Et comme nous l'avons déjà affirmé, la majeure partie de l'horizon d'une personne se réfère à des expériences qu'elle n'a pas faites et à des connaissances qui ne viennent pas d'elle-même, mais qu'elle s'est appropriées par la croyance. A ce propos Lonergan écrit:

Mais ce genre de connaissance, que l'individu acquiert par lui-même (immanently generated knowledge), n'est qu'une faible portion de ce que tout homme civilisé considère savoir. Son expérience immédiate, en effet, s'alimente à l'immense contexte de ce qu'il a appris sur l'expérience que d'autres hommes ont vécue à d'autres endroits et en d'autres temps. Sa compréhension prend appui non seulement sur sa propre expérience, mais aussi sur celle des autres. Son développement n'est qu'assez peu redevable, somme toute, à son originalité personnelle: il doit beaucoup, par contre, au fait qu'il réitère en lui-même des actes de compréhension d'abord posés par d'autres et surtout au fait qu'il prend pour acquises certaines présuppositions parce que la majorité des gens les acceptent. De toute façon, il n'a ni le loisir, ni le goût, ni peut-être la capacité d'y voir clair pour son propre compte. Enfin, les jugements par lesquels il donne son assentiment à des vérités ou à des valeurs ne dépendent que rarement de la seule connaissance qu'il acquiert par lui-même, car une telle connaissance n'est pas isolée, compartimentée en quelque sorte, mais plutôt en symbiose avec un contexte beaucoup plus large, fait de croyances.27

C'est ainsi que les expériences et les connaissances des hommes de tous les lieux et de toutes les époques forment un héritage auquel tout homme peut avoir part.

En quoi consiste l'héritage religieux? Lonergan consacre à cette question une section dans Method in Theology28. Croire la parole religieuse, écrit-il, c'est "accepter les jugements de réalité et de valeur que propose la religion"29. Or nous savons qu'à la base et au centre de la religion se trouve la conversion religieuse. Rappelons les paroles de Lonergan:

Que désigne finalement la religion sinon un dépassement de soi complet. Il s'agit de l'amour que Dieu répand en nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5, 5).30

Ceci signifie que les jugements de réalité et de valeur de la parole religieuse se réfèrent au don de l'amour et à tout ce qui lui est lié; elle est cette réflexion d'hommes de tous lieux et de toutes les époques qui ont accueilli l'amour de Dieu et ont tenté de l'expliciter de diverses façons. Et comme cette signification religieuse peut être véhiculée de multiples manières, l'héritage religieux comprend autant des comportements et des oeuvres d'art que des paroles écrites. A ce sujet Lonergan écrit:

La parole désigne ici toute expression de signification ou de valeur religieuse. Le support de cette expression peut être l'intersubjectivité, l'art, le symbole, le langage, ou encore la vie, les actions, les réalisations, remémorées et décrites, d'individus, de classes ou de groupes. Normalement, tous les modes d'expression sont utilisés, mais puisque le langage est le véhicule où la signification reçoit sa pleine articulation, la parole parlée et la parole écrite exercent un rôle très important dans le développement et la clarification de la religion.31

C'est ainsi que la connaissance religieuse est une oeuvre communautaire. Il est intéressant de noter que, dans cette section sur la croyance religieuse, Lonergan parle presque exclusivement de la communauté religieuse. Car c'est au sein de celle-ci que l'homme religieux peut trouver cette parole explicitant le don reçu. Lonergan exprime ainsi les diverses dimensions de cette parole:

La communauté appelle son expression, et celle-ci peut varier. Elle est impérative lorsqu'elle commande l'amour de Dieu pardessus toutes choses et du prochain comme soi-même. Elle est narrative lorsqu'elle raconte l'histoire des origines et du développement de la communauté. Elle est ascétique et mystique lorsqu'elle enseigne la voie menant à un amour absolument transmondain et met en garde contre les pièges rencontrés en cours de route. Elle est théorique lorsqu'elle présente la sagesse, la bonté, la puissance de Dieu et qu'elle manifeste ses intentions et ses desseins.32

Comment pouvons-nous maitenant situer ensemble la foi et la croyance religieuse? Il faut d'abord les distinguer, car la foi provient d'un amour qui est antérieur à toute connaissance, elle n'origine pas du dynamisme de l'intentionnalité consciente, de la recherche de signification à l'instar de la croyance religieuse. Mais il existe entre la foi et la croyance religieuse une relation étroite. D'une part, la foi est ce qui permet d'apprécier la valeur d'une croyance religieuse, d'y discerner une parole se référant à Dieu. Dès lors nul ne peut accueillir une tradition religieuse (qu'il s'agisse de la tradition chrétienne, hindoue, bouddhiste ou musulmane) s'il n'a d'abord la foi; celle-ci se trouve à fournir l'horizon fondamental pour l'accueillir. D'autre part, la croyance religieuse concerne le don de l'amour qu'elle essaie d'objectiver et, par là, constitue un ensemble de significations et de valeurs explicitant de multiples manières la foi33. Il existe ainsi deux facteurs qui s'articulent l'un par rapport à l'autre. Lonergan écrit:

Les données concernant cet état dynamique - l'amour transmondain - sont donc des données qui portent sur un processus de conversion et de développement. Les facteurs internes en sont le don que Dieu fait de son amour et le consentement de l'homme; mais il existe aussi des facteurs externes, qu'on trouve dans l'expérience et la sagesse recueillies et transmises par la tradition religieuse.34

Notons enfin que, pour exprimer ces deux facteurs, Lonergan se sert également de la distinction entre parole intérieure et parole extérieure, l'une étant prononcée par l'amour de Dieu en nous, l'autre par le dynamisme de l'intentionnalité consciente35.

La distinction entre foi et croyance religieuse se justifie. Mais elle est également hautement souhaitable dans un contexte oecuménique. Nous en comprenons maintenant la raison. Car elle fournit d'une part une base pour intégrer ensemble les diverses reliions, montrant ce qui les unit et ce qui les distingue. D'autre part, elle montre ce qu'il y a de vraiment saint dans chacune des traditions religieuses dans la mesure où elles sont authentiques: l'amour de Dieu. Aussi, malgré les diverses façons d'expliciter cet amour, il existe une foi commune; les grandes religions partagent un même horizon fondamental, même si leurs horizons relatifs divergent. Et dans la mesure où cet horizon fondamental est partagé, le dialogue est possible.

3- La place de la conversion religieuse en théologie

La relation fondamentale qui existe entre la conversion et l'horizon nous conduit à discerner la place fondamentale de la conversion religieuse en théologie. Pour mieux préciser ce lien, posons-nous d'abord la question: comment Lonergan conçoit-il la théologie? Quel est son rôle? Plusieurs passages de Method in Theology s'y réfèrent. Mais, pour l'utilité de notre propos, citons celui-ci tiré de A Second Collection:

En plus d'une conscience indifférenciée, il existe également une conscience différenciée. Celle-ci ne se contente pas de mettre en pratique ce qu'elle sent et ce qu'elle intuitionne. Elle cherche plutôt à refléter les façons de vivre spontanées en les anlysant, en explicitant tous ses éléments, en les soumettant à un examen, en les évaluant et en les critiquant. C'est ainsi que l'art et la littérature deviennent l'affaire non seulement des artistes et des écrivains, mais également des critiques et des historiens. Les créations des hommes de métier et des artisans se voient supplantées par les découvertes des scientifiques et les inventions des techniciens. Les proverbes des sages font place aux réflexions des philosophes. On complique les religions avec des théologies. Les destinées des personnes et des peuples ne se contentent pas de suivre leur cours, mais ils deviennent objet d'étude pour des biographes, des historiens, des psychologues, des économistes, des sociologues et des politicologues.36

Tout comme la conscience différenciée vise à expliciter ou thématiser ce qui se trouve dans la conscience indifférenciée, ainsi la théologie se fait le mirroir de la religion vécue en l'analysant, en explicitant ses éléments, en les soumettant à l'examen, en les évaluant et en les critiquant. Pour donner la définition la plus brève possible, disons que la théologie est une réflexion sur la religion. En se définissant ainsi par rapport à la religion vécue, la théologie comporte donc une dimension empirique37. Mais la théologie se distingue de la religion, car elle a une contribution propre à apporter. En effet, dans la religion, les significations et les valeurs sont simplement vécues, et non objectivées. À la théologie revient de satisfaire les exigences de systématisation de l'esprit et d'expliciter ces significations et ces valeurs, de les évaluer et de les critiquer38. Elle appartient donc à cette superstructure culturelle dont nous avons fait mention lorsque nous avons distingué entre société et culture. Lonergan écrit:

La théologie se situe par rapport à la religion comme l'économie par rapport aux affaires, comme la biologie par rapport à la santé, comme la chimie par rapport aux industries du Pont. D'après une distinction que nous avons faite plus tôt, la théologie relève de la superstructure culturelle, alors que la religion relève de sa substance au jour le jour.39

La théologie se définit donc par rapport à la religion. Or nous avons eu l'occasion de parler de la religion et nous l'avons situer en regard de la conversion religieuse. Rappelons brièvement ce point important:

Lorsqu'on la regarde sous l'angle d'un processus dynamique, à la fois personnel, communautaire et historique, la conversion coïncide avec la religion vécue. Car la religion n'est rien d'autre que la conversion sous ses différents visages, sa préparation, son avènement, son développement et ses conséquences, mais également, hélas, son inachèvement, ses faillites, son effondrement et sa désintégration.40

La conversion religieuse constitue ainsi l'élément fondamental de la religion.

Qu'arrive-t-il à une théologie qui se définit comme une réflexion sur la religion, lorsque le fondement de celle-ci est la conversion religieuse? Nous devinons immédiatement la place centrale qu'occupe la réflexion sur la conversion religieuse en théologie. C'est ce que nous dit Lonergan:

La théologie, et spécialement la théologie empirique d'aujourd'hui, est une réflexion sur la religion. Il s'ensuit que la théologie sera une réflexion sur la conversion. Or la conversion constitue l'élément fondamental de la religion. Il s'ensuit que la réflexion sur la conversion peut fournir à la théologie son fondement et, de fait, un fondement qui s'avère concret, dynamique, personnel, communautaire et historique. De même que la réflexion sur les opérations des scientifiques met en lumière le fondement réel de la science, ainsi la réflexion sur le processus dynamique de la conversion peut mettre en lumière le fondement réel d'une théologie renouvelée.41

Parce que la conversion religieuse est à la source de la religion, l'objectivation de la conversion religieuse fournit à la théologie ses véritables fondements. Il faut cependant éviter ici une confusion: même si nous parlons des fondements de la théologie, nous ne voulons pas signifier par là des propositions générales fournissant les prémisses de toutes les affirmations théologiques. Seule une personne convertie fournit les fondements de la théologie, comme nous le rappelle Lonergan:

Le fondement de la théologie ne consiste pas en un énoncé objectif, mais dans une réalité subjective. Les énoncés objectifs d'un de vera religione, de Christo legato, de ecclesia, de inspiratione scripturae, de locis theologicis, ont autant besoin de fondement que ceux qui appartiennent à d'autres lignes de pensée. Mais à la source de tous ces énoncés se trouve le sujet qui énonce. Aussi j'ai suggéré que les sujets émettant des énoncés théologiques peuvent trouver une norme et un fondement dans une réflexion sur la conversion, où la conversion se définit comme un processus concret et dynamique, personnel, communautaire et historique.42

On ne peut pas fonder la théologie sur des propositions, car les propositions elle-mêmes ont besoin d'un fondement. Par exemple, peut-on trouver le fondement de la réflexion théologique dans les textes évangéliques? Or les textes evangéliques peuvent être l'objet d'interprétations contradictoires. Qui va alors trancher les cas de conflit? L'autorité ecclésiastique? La communauté ecclésiale? Mais que ce soit l'autorité ecclésiastique ou la communauté ecclésiale, sur quoi vont-ils appuyer leur interprétation dite juste? Sur quoi vont-ils fonder leur prétention à comprendre mieux que les autres l'intention de l'auteur? Tous deux sont ultimement renvoyés à leur propre foi et celle-ci sert de mesure pour apprécier les diverses interprétations scripturaires. Cela signifie que leur propre authenticité religieuse constitue l'autorité suprême en matière exégétique. Comme nous l'avons déjà dit, seul celui qui est habité par l'amour sans limite possède ce référant indispensable pour comprendre ce que veut dire l'évangéliste. Par contre, celui qui refuse de se convertir ne pourra jamais comprendre la signification du sermon sur la montagne, la signification des miracles de Jésus, la signification de sa présence au milieu des pécheurs, la signification de ses paroles comme celle demandant de pardonner soixante-dix-sept fois sept fois; il biaisera tout, non pas nécessairement de façon délibérée ou en n'ayant pas une exégèse scientifique, mais en étant radicalement incapable de saisir à quoi renvoit fondainentalement le texte évangélique, n'ayant pas en lui-même ce référant. Que l'on songe ici à la façon dont on a choisi les évangiles canoniques. Au nom de quoi l'Eglise catholique a-t-elle accueilli l'évangile de s. Jean et écarté l'évangile dit de s. Thomas? On affirme communément que la raison vient de ce que l'un correspondait à la foi de l'Église et que l'autre n'y correspondait pas; le critère était donc intérieur au sujet. De même en théologie, l'autorité ne peut être que la réalité convertie du théologien. Car l'objectivité de la réflexion ne peut provenir que d'une subjectivité authentique. Lonergan écrit:

On ne saurait compter, en ce domaine, sur la découverte d'un critère, d'un test ou d'un contrôle "objectif". Car le sens du mot "objectif" est trompeur. L'objectivité authentique est en effet le fruit d'une subjectivité authentique; on ne saurait l'atteindre qu'en parvenant à une subjectivité authentique.43

L'explicitation de la conversion religieuse fournit ainsi à la théologie ses véritables fondements. Et comme cette conversion est une réalité concrète et dynamique, l'explicitation des fondements est une oeuvre continue.

4- Le rôle de l'apologétique

Cette quatrième implication constitue en quelque sorte le corollaire de la précédente. Car affirmer que l'explicitation de la conversion religieuse fournit à la théologie ses fondements, c'est enlever à l'apologétique son travail traditionnel de justifier la foi du croyant, ou même de conduire à la foi. La raison principale vient de ce que la foi est engendrée par l'amour de Dieu et que celui-ci est un don gratuit. Sur la nature exacte de l'apologétique, Lonergan s'explique ainsi:

Dans cette perspective, non seulement le vieux problème du salut des non-chrétiens voit-il ses proportions se réduire considérablement, mais la véritable nature de l'apologétique chrétienne s'éclaire. La tâche de l'apologète ne consiste pas à produire chez les autres, ni à justifier à leurs yeux, le don que Dieu fait de son amour. Seul Dieu peut communiquer ce don et celui-ci se justifie de lui-même. Ce n'est pas à force de raisonner que les gens en amour se sont mis à aimer. La tâche de l'apologète consiste plutôt à aider les autres à intégrer le don de Dieu au reste de leur vie. Tout événement important qui se produit à un plan quelconque de la conscience, appelle des ajustements ailleurs. La conversion religieuse constitue un événement extrêmement important et les ajustements qu'elle appelle peuvent être à la fois étendus et nombreux. Dans certains cas, on consulte des amis; dans d'autres, on cherche un directeur spirituel. Pour obtenir l'information dont on a communément besoin, pour interpréter cet événement qu'est la conversion, pour formuler de nouveaux jugements de réalité et de valeur et rejeter ceux qui étaient erronés, on lit les apologètes. Ces derniers ne sauraient toutefois donner des résultats automatiques, car ils ne confèrent pas la grâce de Dieu. Ils doivent cependant être précis, lumineux, puissants. Autrement, ils offrent une pierre à qui demande du pain, et un serpent à qui demande du poisson.44

Ce texte affirme d'une part ce que n'est pas l'apologétique, et d'autre part, ce qu'elle est.

Quel rôle Lonergan refuse-t-il à l'apologétique? "La tâche de l'apologète ne consiste pas à produire chez les autres, ni à justifier à leurs yeux, le don que Dieu fait de son amour. Nous n' avons pas à insister sur cette affirmation, car nous avons déjà montré la primauté de l'amour dans la conversion religieuse et le fait que cet amour n'a pas besoin de justification, étant par son existence même sa propre justification. Et comme l'amour de Dieu est un don gratuit, l'apologétique est tout à fait impuissante à provoquer la conversion religieuse et la foi. Dès lors le rôle des preuves de l'existence de Dieu ou de la foi chrétienne se voit mis en question. Car faire du don de l'amour de Dieu la source de la foi, c'est refuser aux preuves le rôle de fondement de la théologie. Sur ce point Lonergan est très ferme:

Une preuve ne constitue jamais l'élément fondamental. Car elle présuppose toujours des prémisses, et des prémisses qu'on a soigneusement formuléoe au sein d'un horizon. Or vous ne pouvez jamais prouver un horizon. Vous y parvenez à partir d'un horizon différent, en allant au-delà de ce dernier, parce que vous avez trouvé quelque chose qui le rend injustifiable. Et la croissance du savoir est exactement cela.45

Toute preuve, nous dit Lonergan, présuppose des prémisses. Or ces prémisses, comme toute proposition, n'ont de signification qu'à l'intérieur d'un horizon. Nous avons déjà eu l'occasion de voir le rôle de contexte que jouait l'horizon; c'est ce contexte qui donne la signification de nos affirmations, de nos intentions et de nos actions. Il en est ainsi des prémisses dans une démonstration: leur signification se réfère à l'horizon de celui qui argumente. C'est pourquoi la preuve ne sera efficace que chez celui qui possède un horizon semblable. S'agit-il alors de prouver l'horizon à l'intérieur duquel se situe les prémisses? Non: répond Lonergan. Car cet horizon ne provient jamais d'une déduction logique. Nous avons vu que l'horizon constituait la limite de nos connaissances et de nos intérêts. Ni l'un ni l'autre n'existe en vertu d'un syllogisme. Au contraire, nos connaissances proviennent soit de découvertes personnelles soit des énoncés d'autres personnes que nous avons accueillis par la croyance. Quant à nos intérêts, ils s'articulent généralement avec nos connaissances. Aussi le changement d'horizon ne représente jamais le passage d'une prémisse à une conclusion, mais le passage de prémisses à de nouvelles prémisses; alors que dans la démonstration il n'y a rien dans la conclusion qui ne soit d'abord dans la prémisse, il y a toujours dans un horizon nouveau un élément original qui ne se trouvait pas dans l'horizon ancien46. Notons que le texte que nous avons cité de Lonergan se réfère au changement génétique d'horizon. Mais ce qui vaut pour le changement génétique vaut à plus forte raison pour le changement radical. Il ne faut pas penser toutefois que, en refusant aux preuves un rôle fondamental, Lonergan refuse à la foi son caractère objectif. A ce propos il écrit:

Le point en cause, une fois de plus, c'est l'idée qu'on a de l'objectivité. Si l'on tient la preuve logique pour fondamentale, l'objectivité visée sera indépendante du sujet concret en recherche. Mais bien que l'objectivité nous permette d'atteindre des objets indépendants du sujet, l'objectivité elle-même n'est pas atteinte par ce qui est indépendant du sujet concret en recherche mais, au contraire, par le dépassement de soi; et la forme essentielle de ce dépassement est la conversion intellectuelle, morale et religieuse. Tout essai de pensée objective qui méconnaît cette aptitude de l'être humain à se dépasser est illusoire.47

Il ne faut pas penser également que, en refusant aux preuves un rôle fondamental, Lonergan refuse à la raison humaine la capacité d'offrir une preuve valide de l'existence de Dieu. Sur ce point il entérine les propositions de Vatican I concernant la capacité de la raison humaine d'arriver naturellement à affirmer l'existence de Dieu48. Il fait cependant remarquer que, si de jure il est possible à l'homme d'arriver ainsi à Dieu, de facto il n'y arrive pas sans une aide surnaturelle:

Dans cet exposé sur la connaissance naturelle de Dieu, j'ai dit au sujet d'une preuve de l'existence de Dieu que, même si l'appréhension de cette preuve ne relève pas d'un acte surnaturel guoad substantiam au sens technique, les gens qui arrivent à prouver l'existence de Dieu sont déjà en possession de la grâce de Dieu. La définition de Vatican I ne dit pas qu'on a déjà prouvé ou qu'on prouvera un jour l'existence de Dieu. Elle répond à une question sur les possiblités de la raison. Ceux qui l'ont établie ne pensaient pas à un sujet concret mais à "la raison droite". Il s'agit d'un problème qui remonte à Christian Wolff.49

C'est pourquoi Lonergan propose de situer la philosophie de Dieu à l'intérieur de la théologie. Car la première question sur Dieu que l'homme pose ne s' appuie pas sur les questions relevant de l'intelligibilité des choses, par exemple en demandant: y a-t-il une intelligence suprême qui fonde l'intelligibilité de l'univers? Elle ne s'appuie pas également sur les questions relevant de la vérité et de l'existence des choses, par exemple en demandant: y a-t-il un être nécessaire qui fonde les êtres contingents? De même, elle ne s'appuie pas sur les questions relevant de la valeur des choses, par exemple en demandant: y a-t-il un fondement moral à l'univers, existe-t-il une valeur ultime ou sommes-nous le premier cas de conscience morale? La première question sur Dieu que l'homme pose s'appuie sur l'expérience religieuse. Lonergan formule ainsi cette question:

Nous souffrons d'un amour sans condition et sans restriction; avec qui sommes-nous donc en amour?50

Si les preuves ne sont plus premieres dans la réflexion, quel est alors leur rôle? Il semble que, en se situant à l'intérieur du contexte religieux, les preuves visent à donner une certaine justification intellectuelle à la conversion de telle sorte que, aux yeux de celui qui entreprend une démarche de conversion, sa décision n'apparaisse pas compleètement déraisonable. Lonergan écrit:

Quand se pose aujourd'hui la question de l'existence de Dieu, elle provient toujours d'une personne concrète dans un contexte concret: cette personne se voit devenir un être religieux ou découvre enfin qu'elle est devenu un être religieux et veut savoir si elle est ou n'est pas folle.51

Quel est alors le rôle de l'apologétique? "La tache de l'apologète consiste plutôt à aider les autres à intégrer le don de Dieu au reste de leur vie". Il est facile de comprendre la nécessité de ce rôle. Car nous avons déjà dit que la conversion constituait un point de départ et non pas un point d'arrivée; elle fournit l'orientation fondamentale d'un développement qui est appelé à durer toute la vie. Mais il y a plus. Une personne qui se convertit voit se désintégrer son horizon, s'écrouler sa vision du monde qui essayait jusque là de tout expliquer sans tenir compte de l'amour sans limite et de Dieu. Elle doit alors rebâtir sa vision du monde, réapprendre ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est bien et ce qui est mal. Or c'est dans ce long et laborieux effort de refaire les jugements de réalité et les jugements de valeur qu intervient l'apologète. Sa tâche consiste surtout à aider le converti à découvrir ce qui est consonnant avec l'amour sans limite. Dans la relation si.. alors, il ne fournit pas le si, car cela est l'oeuvre de Dieu, mais il aide à trouver le alors; autrement dit, il ne donne pas l'horizon religieux, mais il clarifie ses implications.

5- La place du Christ et de la tradition chrétienne

Le lecteur aura sans doute remarqué que nous avons analysé la conversion religieuse et explicité ce qu'est la foi sans faire intervenir le Christ, que nous avons parlé de théologie sans faire mention de la tradition chrétienne ou du Nouveau Testament. Ceci n'est pas sans soulever une question centrale pour le chrétien: comment se situent le Christ et la tradition chrétienne par rapport à cette conversion religieuse?

Lonergan n'a pas consacré dans ses écrits récents de section spéciale à la question. Néanmoins il donne à plusieurs occasions dans A Second Collection, Method in Theology et Philosophy of God, and Theology des éléments de réponse. La meilleure façon d'en prendre connaissance est peut-être de commencer par ce texte qu'on trouve dans A Second Collection:

Mais le don de l'Esprit est marqué par un très grand anonymat. Comme le pneuma johannique, on ne sait pas d'où il vient ni où il va (Jn 3, 8). Ce qui enlève cette obscurité et cet anonymat, c'est le fait que le Père nous a parlé par les prophètes et, en ces jours qui sont les derniers, par son Fils (He 1, 1-2). Il se communique d'une double façon, à la fois par la signification linguistique et à la fois par la signification incarnée. Par la signification linguistique il a réprimandé ceux qui causaient le scandale, annoncé la rédemption pour les pécheurs, apporté le pardon des péchés, établi le lien de l'eucharistie, promis le don de l'Esprit et proposé aux hommes le chemin de la vie éternelle. Mais il a constamment renforcé cette signification linguistique par la signification incarnée qu'on peut contempler dans la vie ainsi que le ministère du Christ et, par dessus toutes choses, dans sa mort douloureuse et sa résurrection.52

Le texte affirme que, en nous parlant par les prophètes et par son Fils, Dieu le Père a enlevé au don de l'Esprit son caractère anonyme et obscur. Ensuite la communication du Père par le Fils se fait de deux façons, à savoir par la signification linguistique et par la signification incarnée. Reprenons tour à tour ces trois points.

Selon Lonergan l'événement Jésus Christ enlève au don intérieur de l'amour son caractère anonyme et obscur. Nous avons vu que ce don intérieur précédait la connaissance, si bien que la personne se retrouve amoureuse d'un mystère transcendant; même si elle est orientée vers la réalité transmondaine, elle ne connaît pas l'objet de son amour, et dès lors se demande: avec qui suis-je en amour? Aussi nous avons dit que la parole intérieure a besoin du complément de cette parole extérieure qu'est la tradition religieuse. C'est donc dans ce contexte de parole extérieure que Lonergan situe le Christ: le Fils de Dieu révèle le visage du mystère transcendant vers lequel est orienté l'amour sans limite. Ainsi le premier aspect de la mission du Fils se situe par rapport au don de l'expérience religieuse qu'elle présuppose et aide à objectiver53. Un autre texte nous confirme dans cette voie:

Sans la mission visible du Verbe, le don de l'Esprit est amour sans objet; il reste tout juste une orientation vers le mystère qui attend son interprétation. Sans la mission invisible de l'Esprit, le Verbe vient parmi les siens, mais les siens ne le reçoivent pas.54

Il faut noter cependant que, si le christianisme joue le même rôle que toute tradition religieuse face à l'expérience religieuse, il le joue de façon incomparable; car avec lui "Dieu nous communique non seulement la parole intérieure, c'est-à-dire le don qu'il fait de son amour, mais aussi la parole extérieure de la tradition religieuse"55; la parole intérieure et la parole extérieure viennent alors toutes deux de Dieu.

La signification linguistique, avons-nous dit, représente l'une des façons dont Dieu nous parle. Et le sommet de cette signification linguistique, c'est l'enseignement de Jésus. Par sa parole Dieu apporte ainsi sa collaboration à l'héritage que constitue la tradition; il existe un ensemble de jugements de réalité et de valeur qui viennent non seulement des hommes mais également de Dieu. Lonergan écrit:

Sur cette deuxième façon (dont Dieu se fait connaître à nous), on peut dire que, si superficiel soit l'usage qu'on fait des mots, ceux-ci sont les véhicules de la signification, et la signification constitue la substance qui sert à l'homme à devenir homme. Il en ressort que la révélation divine représente l'entrée de Dieu et sa participation dans ce travail par lequel l'homme devient homme. Elle représente la prétention de Dieu à avoir son mot à dire sur les visées et les intentions, la direction et le développment de la vie humaine, des sociétés humaines, des cultures humaines et de l'histoire humaine.56

En plus des connaissances provenant de l'intentionnalité consciente, l'homme bénéficie des connaissances issues de Dieu. C'est pourquoi il peut compter sur la lumière du Verbe pour percer les ténèbres produites par les déviations de l'esprit humain57.

Dieu nous parle enfin par la signification incarnée qu'est la personne et la vie de Jésus. Quelle est cette signification? Dans un texte de Philosophy of God, and Theology où il définit l'élément propre au christianisme face aux autres religions du monde, Lonergan écrit:

Si j'ai conclu qu'il existe un élément commun à toutes les religions de l'humanité, je dois maintenant ajouter qu'il existe un élément spécifique et propre au christianisme. Le christianisme n'implique pas seulement le don intérieur d'être en amour avec Dieu, mais également l'expression extérieure de l'amour de Dieu dans le Christ Jésus mourant et ressuscitant. Dans le mystère pascal l'amour qui est donné de l'intérieur se voit focalisé et intensifié, et cette focalisation a pour conséquence d'unir les chrétiens non seulement au Christ, mais également les uns aux autres.58

La vie, la mort et la résurrection de Jésus incarnent l'amour de Dieu. Ainsi, au don intérieur de l'amour de Dieu par l'Esprit Saint s'ajoute l'expression extérieure et incarnée de cet amour, la vie de Jésus. Ce deuxième don introduit un élément nouveau et spécifique que Lonergan nous présente ainsi:

L'expérience religieuse chrétienne se distingue de l'expérience religieuse en général: elle est intersubjective. Elle ne se réfère pas seulement au don de l'amour de Dieu, mais également à la manifestation objective de l'amour de Dieu dans le Christ Jésus. Cette composante intersubjective crée une différence. En raison de cette différence, et dans la mesure où vous êtes attentifs à l'élément intersubjectif dans votre amour du Christ, vous partez d'une expérience.59

L'expression de l'amour de Dieu dans l'événement Jésus Christ, nous dit Lonergan, introduit une dimension intersubjective dans l'expérience religieuse. Dans la mesure où on en prend conscience, il existe une expérience chrétienne. Cette expérience prend la forme d'une relation personnelle entre l'homme et le Christ.

Le Fils de Dieu apporte donc une parole unique au plan de la communication extérieure de l'amour de Dieu. Mais il y a plus. Même si nous avons trouvé chez Lonergan une seule mention de ce point, nous croyons néanmoins qu'il revêt une certaine importance. On peut lire en effet dans A Second Collection:

Pour en venir à ce qui distingue le christianisme, permettez-moi de citer le professeur de Lady Margaret à l'Université de Cambridge, C.F.D. Moule. Au cours d'une récente série de conférences, il affirmait: "On ne trouve nulle part dans le Nouveau Testament un élément de preuve montrant que les chrétiens se faisaient les défenseurs d'une philosophie de la vie ou d'une éthique originale. Leur seule fonction se ramène à rendre témoignage de ce qu'ils prétendent être un événement -la résurrection des morts de Jésus". Ce qui distingue alors le chrétien, ce n'est pas la grâce de Dieu, qu'il partage avec les autres, mais c'est la médiation de la grâce de Dieu par Jésus le Christ notre Seigneur.60

Ce que nous voulons retenir de ce texte, c'est l'affirmation de la médiation de Jésus Christ dans le don de la grâce. Ceci introduit un nouvel aspect que nous n'avions pas encore souligné. En effet, en analysant la conversion religieuse, nous avons constamment parlé du don de l'amour de Dieu qui change le coeur de pierre en coeur de chair. Or il nous faut maintenant ajouter que ce don de l'Esprit est fait aux hommes grâce à la vie, à la mort et à la résurrection de Jésus. Il ne faut pas penser pour autant que ce don est limité aux seuls chrétiens; il faut dire plutôt que ce don est fait à tous les hommes, mais il n'a été possible que par la médiation reconnue ou non de Jésus Christ.

Posons-nous enfin une dernière question: existe-t-il chez Lonergan une conversion chrétienne? Dans les textes qu il a publiés, Lonergan n'aborde pas directement la question. À notre avis, il n'existe pas au sens strict une conversion qu'on appellerait chrétienne et qui se distinguerait de la conversion religieuse. Et la raison s'avère très simple. Pour distinguer les trois types de conversion que sont la conversion intellectuelle, morale et religieuse, Lonergan se sert de la notion de dépassement de soi: le premier constitue un dépassement cognitif de soi, le deuxième un dépassement réel de soi, le troisième un dépassement total de soi. Ainsi le don de l'amour de Dieu apporte l'accomplissement du dépassement de soi. Que peut-on ajouter de plus? La personne est alors habitée par un amour sans limite qui l'oriente vers le mystère transcendant et lui permet de discerner Dieu dans la nature tout comme dans la parole d'une tradition religieuse. Il n'existe plus de place pour un nouveau type de dépassement de soi. A cet argument tiré de la façon dont Lonergan conçoit la conversion, nous pouvons ajouter cet autre plus empirique: on ne peut trouver dans ses écrits récents aucun indice d'une conversion chrétienne qui serait distincte de la conversion religieuse. Mais nous reconnaissons néanmoins que la conversion religieuse peut concrètement avoir lieu dans différents contextes, et l'un de ces contextes peut être la tradition chrétienne61. En effet la décision d accueillir l'horizon marqué par l'amour sans limite peut prendre la forme d'un oui à Jésus Christ. Mais que ce oui s'adresse à Jésus Christ ou qu'il s'adresse au mystère transcendant, il s'ensuit toujours une même orientation vers Dieu62. On peut affirmer une distinction au plan de la connaissance de l'objet, mais non au plan de l'orientation fondamentale. C'est pourquoi il nous semble préférable de parler de conversion religieuse dans un contexte chrétien plutôt que de parler de conversion chrétienne.

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1 Par exemple, on ne trouve pas le mot conversion traité comme tel dans les dictionnaires classiques comme le Dictionnaire de théologie catholique, le Catholicisme, le Dictionnaire de la Bible, le Supplément au dictionnaire de la Bible.

2 Voir William James, L'expérience religieuse, Paris, Libr. F. Alcan: Genève, Libr. Kündig, 1908. Par exemple, W. James écrit: "La tension émotive peut se déplacer plus ou moins rapidement... Il peut arriver au contraire que le foyer de lumière et de chaleur vienne à se fixer dans une région déterminée de l'esprit. Quand la pensée qui prévaut ainsi est une pensée religieuse, surtout si la transformation est brusque et profonde, nous disons que cette crise est une conversion. Appelons le centre de chaleur, d'intérêt de l'impulsion dans la pensée d'un individu, son foyer habituel d'énergie personnelle" (p. 165). De même, il écrit: "Quant au sentiment, qui joue le premier rôle, comment le caractériser? C'est sans contredit une excitation joyeuse, une expansion 'dynamogénique' qui tonifie et ranime la puissance vitale" (p. 421).

3 Voir Sigmund Freud, "A Religious Experience", The Standart Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, London, The Hogarth Press and the Institute of Psycho-Analysis, 1961, vol. XXI, p. 169-172.

4 Voir Jean-Mouroux, "Sur la notion d'expérience religieuse", Recherches de sciences religieuse, 34(1947).

5 Ibid., p. 18.

6 Cette expérience, telle que définie par Lonergan, correspond à l'instinctus interior ou lumen fidei de s. Thomas d'Aquin. Sur l'instinctus interior, voir E. Schillebeeckx, Approches théologiques, t. 1: Révélation et théologie, Paris, Editions du Cep, 1965, p. 285-321. Schillebeecks présente et critique la thèse de Max Seckler intitulé: Instinkt und Glaubenswille nach Thomas von Aguin. Pour s. Thomas cet instinctus interior ou instinctus fidei, oeuvre de la grâce, serait une impulsion active (p. 287) et se situerait dans le coeur, in affectione (p. 296); on pourrait même l'appeler instinctus Spiritui Sancti (p. 305, note 27). Il crée une destination réelle à l'ordre surnaturel (p. 311) et constitue donc la source de toute religiosité, i.e. de l'orientation de l'homme vers le divin (p. 303). Cependant, étant donné le contexte médiéval, s. Thomas lie étroitement l'instinctus interior et la communication de Dieu ex auditu de telle sorte que l'instinctus interior vise à faire percevoir la Bonne Nouvelle, reçue par ouï-dire, comme conveniens, comme valeur de vie (p. 296); il ne semble pas l'analyser pour lui-même. De plus, s. Thomas considèrerait cet instinctus interior comme un principe purement ontologique et formel (p. 292); il ne l'aborde pas, comme dans les analyses modernes de la foi, sous l'angle d'une réalité également psychique, bien que non réflexive, a-thématique, d'une expérience (p. 292, note 12). Néanmoins Schillebeeckx émet l'opinion que la doctrine de s. Thomas pourrait être prolongée par l'aspect d'expérience non conceptuelle mais vécue affectivement (p. 319-321). À notre avis, ce prolongement de la pensée de s. Thomas ne peut se faire adéquatement qu'en passant d'une psychologie des facultés à une psychologie de l'intentionnalité consciente.

7 Thomas d'Aquin, Somme théologique, Il-Il q. 81 a. 5.

8 S. Thomas écrit: "La religion s'applique à faire certaines choses par révérence pour Dieu" (Somme théologique, Il-Il, q. 81 a. 2 ad 1). De même: "Le bien que regarde la religion, c'est de rendre à Dieu l'honneur qui lui est dû" (Ibid., Il-Il q. 81 a. 4). Ou encore: "Deus autem non hoc modo colitur, quod ei nostra operatio aliquid prosit aut subveniat, sicut est in praedictis, sed solum in quantum nos ei subdimus et subditos demonstramus" (Expositio super librum Beothii de Trinitate, q. 3 a. 2).

9 Voir Method..., p. 101-103. Voir également Philosophy of God..., p. 52-54.

10 Thomas d'Aquin, Expositio super librum Beothii de Trinitate, q. 3 a. 2.

11 Thomas d'Aquin, Somme théologique, Il-Il q. 81 a. 3.

12 J. Mouroux, art. cit., p. 9.

13 Ibid., p. 18.

14 Method..., p. 266.

15 Ibid., p. 81.

16 Ibid., p. 83-84.

17 Method..., p. 273.

18 Voir Method..., p. 263. Voir également ibid., p. 30.

19 Method..., p. 112. Notons-le encore une fois: il s'agit d'une donnée du quatrième niveau de conscience et non du premier.

20 Voir Philosophy of God..., p. 62.

21 Method..., p. 266.

22 Ibid., p. 29.

23 Ibid., p. 112.

24 Idem. Lonergan se trouve donc à donner toute sa valeur à l'expérience mystique. Il s'appuie sur Le Sacré de Rudolf Otto et encore davantage sur The Mysticism of the Cloud of Unknowing (voir Method..., p. 242) de William Johnston. Mais d'autres personnes l'ont également influencé, tel Karl Rahner (voir A Second..., p. 29) et plus particulièrement Suzanne Langer avec son livre Feeling and Form (voir Method..., p. 29; voir également A Second..., p. 223-224).

25 Method..., p. 123.

26 Ibid., p. 41-47.

27 Method..., p. 41-42.

28 Ibid., p. 118-119.

29 Ibid., p. 118.

30 A Second..., p. 129.

31 Method..., p. 112.

32 Ibid., p. 118.

33 Nous voyons combien la position de Lonergan se distingue de celle de André Charron. Alors que celui-ci affirme que "l'appel de l'Esprit est toujours en accord avec la révélation évangélique qu'il ne fait qu'appliquer, expliciter et pénétrer" (A. Charron, art. cit., p. 24), l'autre affirme en quelque sorte que c'est la révélation évangélique qui applique, explicite et pénètre le don de l'Esprit Saint. Alors que pour l'un la révélation évangélique est au centre et l'Esprit Saint gravite autour pour en expliciter la signification, pour l'autre le sujet converti et habité par l'amour est au centre et la révélation évangélique gravite autour pour en expliciter l'orientation ou l'objet ainsi que les exigences propres.

34 Method..., p. 289.

35 Ibid., p. 119.

36 A Second..., p. 103.

37 Par exemple, quand on fait la théologie biblique ou patristique, on se trouve à objectiver la religion vécue du peuple juif et des chrétiens des premiers siècles.

38 La théologie ne fait pas que refléter la religion, mais elle joue un rôle prophétique en évaluant et en critiquant.

39 A Second..., p. 97.

40 Ibid., p. 66-67.

41 A Second..., p. 67.

42 Idem.

43 Method..., p. 292.

44 Ibid., p. 123.

45 Philosophy of God..., p. 41.

46 La logique conserve un rôle précieux. Elle permet de hâter une découverte en explicitant tout ce que livre logiquement les données. De même, elle clarifie une découverte en montrant ses implications, en aidant à bien la formuler et à bien la définir. Il reste que toute saisie ou découverte représente un saut créateur de l'esprit.

47 Method..., p. 338.

48 Voir A Second..., p. 132-133. Voir également Method..., p. 338-339.

49 A Second..., p. 225.

50 Philosophy of God..., p. 53.

51 A Second..., p. 225.

52 A Second..., p. 175.

53 Dans la mesure où il existe un désir de connaître le mystère transcendant vers lequel est orienté le converti, on peut dire qu'il y a chez celui-ci une attente de la révélation chrétienne.

54 B. Lonergan, "La Mission de l'Esprit", L'expérience de l'Esprit, Paris, Beauchesne, 1976, p. 165.

55 Method..., p. 119.

56 A Second..., p. 61-62.

57 Voir Collection, p. 26.

58 Philosophy of God..., p. 10.

59 Ibid., p. 67.

60 A Second..., p. 156.

61 On peut trouver une confirmation de notre point de vue dans Bernard Lonergan's Philosophy of God de B. Tyrrell, p. 61-65 et dans l'article de D. Dorr: "Conversion", Looking at Lonergan's Method, ed. by P. Corcoran, Dublin, Talbot Press, 1975, p. 180-181.

62 On pourrait comparer ici l'attitude d'un Gandhi et celle des grands chrétiens. À notre avis, quand un homme profondément religieux passe, par exemple, du bouddhisme au christianisme, il ne s'ensuit pas un changement d'orientation fondamentale, un changement dans les attitudes de vie, mais un changement au plan des connaissances et des motivations: alors que les actes d'amour pouvaient être motivés par la perception de l'importance de l'amour, ils sont maintenant motivés par le désir de participer à la vie trinitaire, ou encore en réponse à l'amour manifesté en Jésus Christ. D. Dorr parle d'un changement au plan des doctrines (art. cit., p. 181).